3.

Je ramenai immédiatement ma main à mon visage pour vérifier ses dires. Mes doigts tremblaient, mais ils n'eurent aucun mal pour sentir le liquide rouler sur mes joues. Ils n'eurent aucun mal à reconnaître les larmes qui perlaient, toujours plus grosses et plus rapides. Mon regard croisa celui de Jean et je sentis les gouttes d'eau se faire plus lourdes sous mes paupières, si bien, qu'elles en vinrent à me brûler. Ma gorge se noua. Même si je l'aurais voulu, je n'aurais pas pu prononcer un mot. Et je sentis soudain le froid de la nuit s'emparer de mon corps, de mon être, un sentiment de vulnérabilité me gagnant totalement.

Le châtain semblait surpris, était surpris par ma réaction. La Annie qu'il pensait froide et impassible pleurait devant lui à l'évocation de ses camarades morts au combat. Cela lui paraissait forcément inconcevable. Je vis ses bras trembler de manière étrange, comme s'il n'était pas sûr de lui, comme s'il voulait amorcer un geste pour me consoler.

Non surtout pas. Ne fais pas ça. Ce serait pire Jean.

Mais je n'eus pas la force de le dire à voix haute. Je n'eus pas non plus la force de m'en aller. J'étais juste tétanisée par la scène irréelle qui se produisait. Combien de fois avais-je redouté ce moment ? Combien de fois avais-je été effrayée par ce possible face à face ? Combien de fois avais-je prié pour que jamais cela n'arrive ? Trop de fois pour les compter.

Je ne m'étais jamais sentie si impuissante que maintenant, les larmes dévalant mes joues étant devenues incontrôlables alors que tout mon corps s'était crispé. J'étais terrorisée. Je n'avais qu'une hâte, c'était que Jean s'en aille, qu'il parte, qu'il me laisse seule aller à mes pleurs.

Mais il n'en fit rien. Il restait figé face à moi, toujours cette expression d'incompréhension collée au visage, les bras s'avançant pour retomber près de son corps l'instant d'après. Ce moment me parut interminable, un véritable calvaire.

Et je sentis mon être se briser un peu plus quand enfin le châtain bougea. Et alors que j'avais pris sur moi pour garder un visage impassible malgré mes larmes, je ne réussis plus. Toute la douleur s'exprima, venant déformer mes traits, venant tordre mon visage, alors que les gouttes d'eau se firent plus intenses, plus immenses.

Jean m'avait prise dans ses bras. Et là, je ne sus retenir un sanglot. Ma gorge s'était coupée. Mon estomac s'était retourné. Mon coeur me tiraillait. Mes yeux me brûlaient.

Je ne méritais pas tant de compassion. Je n'en méritais même pas du tout. Pas après ce que j'avais fait, ce que je t'avais fait Jean. Si tu savais, tu ne me tiendrais pas contre toi pour ne plus que je pleure. Si tu savais pourquoi mes larmes dévalaient mes joues, tu ne me serrais pas si fort dans tes bras. Et même si tu savais à quel point je regrettais, tu ne pourrais pas me pardonner.

Mais malgré moi, malgré mon envie et mon désir de partir, mon corps ne parvenait plus à bouger, simplement à se raccrocher à lui, et à pleurer plus fort qu'avant, sans parvenir à me taire.

J'avais envie de lui dire, de m'excuser. Je suis désolée. Je te demande pardon. Je regrette. Mais aucun mot ne voulait ni ne pouvait sortir.

Puis l'instant d'après, je sentis une goutte tomber dans ma nuque, venant dévaler le haut de ma colonne vertébrale avant de s'écraser contre le haut de mon t-shirt. Non. Là c'était trop pour moi. Je ne pouvais pas rester.

Je repoussai le châtain, n'ayant pas la force de relever les yeux vers son visage, ayant bien trop vite compris qu'il pleurait lui aussi. Et je ne voulais pas voir la souffrance et le malheur que j'avais moi-même causé. C'était juste trop. Alors à peine quelques secondes après l'avoir repoussé, je me relevai, regagnant ma chambre dans un calme affolant. Je n'avais pas couru malgré l'envie, malgré la peur qu'il ne me rattrape.

Il fallait que j'agisse. Je ne pouvais plus me laisser dépérir de la sorte. Je ne pouvais plus me laisser aller à mes regrets. Je ne pouvais plus laisser la mission de côté.

Arrivée dans ma chambre, je séchais mes larmes, restant un moment debout pour reprendre mon calme. Puis lorsqu'il fut revenu, je me dirigeai vers mon armoire pour enfiler mes vêtements. J'attachai mes cheveux en un chignon avant de ressortir, à pas de loups. Je pris soin d'éviter la cour et les dortoirs des garçons, pour ne pas risquer de croiser Jean de nouveau.

Une fois arrivée dans la réserve, je m'équipais d'un équipement de manœuvre tridimensionnelle. Une fois dehors, je m'élançai dans les airs, dans la nuit, avec pour seule chose en tête la mission. Mon calme olympien était revenu, dévorant le semblant d'humanité qu'il me restait. Mais pour combien de temps ? Je l'ignorais. Mais j'étais sûre d'une chose : c'était que la Annie fragile qui regrettait ses choix, qui s'en voulait d'être un monstre, qui avait sacrifier sa part d'humanité ; allait revenir. Ce n'était qu'une question de temps avant que je ne m'effondre à nouveau devant lui.

J'avais bien entendu été mise au courant de la capture d'un titan de quatre mètre et d'un titan de sept mètre après la reconquête de Trost. Ils avaient été confié au bataillon d'exploration pour des recherches sur l'origine des titans. Je n'en savais pas plus. Mais si le bataillon d'exploration découvrait quelque chose, cela pourrait remettre toute notre mission en péril. Le fait qu'Eren était un titan et qu'il était parvenu en si peu de temps à reboucher la brèche dans le mur du district de Trost était déjà un assez gros problème, surtout qu'il avait été confié au bataillon d'exploration. Ces deux titans capturés n'étaient pas tant un problème, et les tuer n'était pas d'une grosse urgence. Mais j'en avais besoin pour redevenir moi-même.

Je passai une grande partie de la nuit à rejoindre l'ancien quartier général du bataillon d'exploration. Lorsque j'arrivai enfin à l'ancien château, je n'eus aucun mal à trouver les deux titans. Aucun garde ne les surveillait, j'avais donc le champ libre.

Je restai un instant à les observer, prenant une inspiration pendant qu'une multitude de choses se bousculaient dans ma tête. C'en était fini de la Annie fragile qui regrettait la mort de ses soit-disant camarades. Je devais en finir avec cette mission si je voulais que tout se termine au plus vite. Je rentrerais à la maison et j'oublierai tous mes remords. Et je n'hésiterai pas à sacrifier mon humanité pour ça.

Je dégainai mes lames, m'élançant dans la nuit pour tuer les deux titans en quelques gestes seulement. Tout de suite après, je repris le chemin inverse pour rentrer à Stohëss, n'ayant aucune envie de me faire prendre. Je fis un léger détour par Trost qui était toujours en ruine après la bataille qui s'y été déroulée et qui avait totalement changée nos plans.

Le lendemain, je m'étais réveillée à l'heure et préparée sans demander mon reste. Je ne voulais pas risquer ma place au sein des brigades spéciales pour une simple panne de réveil. Lorsque je m'étais rangée contre le mur, le regard droit, j'avais senti un regard posé sur moi. Jean m'observait, mais cela ne me faisait plus rien. La scène de la veille, je l'avais chassée de mon esprit. J'agirais comme s'il ne s'était rien passé. J'agirais comme je l'avais toujours fait. Je resterais le regard droit et la tête haute pour que les autres ne décèlent plus mes faiblesses. Je devais me montrer forte et ne plus jamais faiblir, ni même pâlir face à eux. Je ne devais pas montrer mes émotions.

Le repas se déroula sans accros. J'étais restée silencieuse, comme je l'avais toujours fait. Cela n'avait choqué personne. Excepté Jean. Si bien que pendant notre garde de l'après-midi, il s'était arrangé pour échanger sa place avec Sasha afin de se retrouver avec moi. Je savais qu'il voudrait parler de ce qu'il s'était passé cette nuit. Mais la Annie qu'il avait vu n'était plus là.

« Je ne vois pas de quoi tu parles Jean. » répliquai-je sur un ton sans appel.

Je le vis avoir un geste de recul, légèrement abasourdi, certainement vexé aussi que je nie les choses de cette façon. Alors il fronça les sourcils, avançant d'un pas dans ma direction.

« Enfin Annie, bien sûr que tu sais de quoi je parle ! Tu étais dans la cour et tu pleu-

- C'était un moment d'égarement, le coupai-je.

- Oh Annie, je t'en prie ! Arrête de faire la dure à cuir, je sais que tu n'es pas réellement comme ça maintenant !

- Ça suffit Jean. » dis-je sur un ton sans appel.

Je relevai le regard vers lui pour lui signifier de se taire et je compris à son expression qu'il n'insisterait pas.

En plein milieu de l'après-midi, nous fûmes rappelés, comme je m'y attendais. Nos supérieurs avaient dû être averti que les deux titans capturés avaient été tués. On demandait de ce fait à toutes les recrues de faire inspecter leurs équipements de manœuvre tridimensionnelle. Et c'était là tout l'intérêt de mon détour par Trost la nuit dernière. Je m'étais servi du mien pour aller tuer les titans, mais je n'allais bien entendu pas le faire inspecter de risque de me faire prendre. J'avais récupéré celui de Marco. C'était lui que je présenterais à l'inspection. J'avais tout prévu. Il leur était impossible de savoir que j'étais celle qui avait fait ça.

Je croisai mes camarades de promotion lors de l'inspection et j'en profitai pour échanger avec Reiner et Berthold. Une expédition extra-muros se préparait, c'était le moyen idéal d'en finir avec cette mission. Je devais simplement patienter pendant un mois. Un mois à tenir. Un malheureux mois avant de rentrer chez moi. Un minuscule mois pour que tout ça ne soit plus que derrière nous. J'avais déjà fait le plus gros pendant ces cinq longues années à faire semblant. Que représentait un mois de plus ?







Les jours semblaient s'écouler à une lenteur abominable. Ce mois me semblait tout un coup étrangement plus long que les cinq années que j'avais déjà passées ici. Cela faisait à peine trois jours que j'avais revu Reiner et Berhold mais j'avais l'impression qu'une année entière s'était écoulée. Il fallait dire que notre emploi du temps n'était pas très chargé aux brigades spéciales.

Je errai dans les couloirs du quartier général, en attendant de partir en patrouille dans l'après-midi. Ce fut à ce moment que je le vis.

Il était là. Recroquevillé sur lui-même, à même le sol, adossé à une caisse de la réserve. Il pleurait.

Mes lèvres se contractèrent faiblement alors que je sentis mes paupières tressaillir à la scène. J'eus le bizarre réflexe de reculer d'un pas, me plaquant contre le mur pour ne pas qu'il me voit. J'ignorai pourquoi mais je restai plantée là, à écouter ses sanglots. Je pouvais l'entendre murmurer son prénom, le fait qu'il lui manquait.

Et combien il l'aimait.

Je ne savais pas si mon besoin de rester là à l'écouter relevait d'une certaine culpabilité ou simplement pour me tester, pour savoir si mes larmes couleraient en repensant à la scène.

Marco.

Je revoyais son visage baigné de larmes, me suppliant d'arrêter alors que je lui ôtai son équipement de manœuvre tridimensionnelle. Je me souvenais de ce que j'avais ressenti à ce moment là, des larmes qui avaient inondé mon visage. Tout me revenait en mémoire comme si la scène se déroulait sous mes yeux, comme si j'étais en train de la revivre. Mais à mon grand étonnement, je me contentai de fixer le mur, le visage stoïque, pas même une once de picotement dans l'oeil.

Pourtant Jean se trouvait à quelques mètres de moi, à pleurer.

A cause de moi.

Mais je ne ressentais rien. Mon coeur ne s'était pas même serré. Alors je compris que la Annie qui regrettait ses choix était définitivement partie. Qu'elle avait laissé place à un monstre sans coeur ni remords. A un être dépourvu de toute humanité.

Marco était intelligent. Il aurait fini par comprendre tôt ou tard, ce qui aurait compromis notre mission et nos identités. Sa mort était regrettable mais elle avait été nécessaire.

« Hé Annie ! Tu viens ? On y va ! » s'écria Hitch à l'autre bout du couloir.

Sa voix me ramena à la réalité alors que je me décollai du mur auquel je m'étais adossée. J'entrepris de rejoindre Hitch, ayant inévitablement à passer devant la réserve. Je savais pertinemment que Jean s'était relevé en comprenant que quelqu'un pouvait le surprendre. Je tournai alors la tête dans sa direction alors qu'il séchait ses larmes, le dévisageant simplement alors que je passais devant lui.

« J'arrive Hitch. » répondis-je alors que nos regards se croisèrent.

Il resta immobile, s'attendant sûrement à ce que je m'arrête mais je ne le fis pas. Je continuai ma marche rejoignant ma camarade de chambre qui me criait de presser le pas.

J'ignorai ce que j'avais voulu dire à Jean en lui lançant un tel regard, mais il eut l'air d'avoir compris. Compris qu'il était inutile de chercher à me comprendre, de chercher la Annie fragile qu'il avait croisé une nuit alors qu'elle était en proie à un moment de faiblesse.

J'avais décidé de l'enfouir au plus profond de moi, de ne plus montrer mes émotions, de ravaler mes remords quand bien même ils s'efforçaient de ressurgir.

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