2.

Annie avait fini par s'endormir, allongée sur la couette de son lit encore toute habillée. Elle n'était pas spécialement fatiguée. Elle avait simplement trop pleurer, cela avait fini par l'épuiser. Elle n'était pas parvenu à se calmer. Il y avait le bruit des allées et venus incessants dans le couloir, le son des voix qui s'élevaient, les rires.

Elle n'avait pas envie de rire. Il n'y avait rien de drôle. Ce qu'elle avait fait n'avait rien de drôle. C'était même tout le contraire.

Un bruit sourd vint la sortir de sa torpeur. Elle râla sur l'oreiller en se levant difficilement. Elle ne prit pas la peine de se recoiffer et partit ouvrir la porte.

« Ah bah quand même ! J'ai cru que t'avais fait un malaise ! » s'écria Hitch toute en panique.

La blonde se frotta les yeux, se décalant légèrement pour laisser la brune entrer -c'était tout de même sa chambre à elle aussi.

« Désolée, je m'étais endormie. » souffla la blonde la voix encore endormie.

Elle se rassit sur son lit sans tenter de lutter contre la gravité qui l'incitait à se laisser tomber lourdement. La brune l'imita, s'asseyant face à elle sur son propre lit. Elle enleva ses longues bottes et sa veste pour s'allonger sur le matelas à peine assez moelleux. Elle sortit un morceau de pain de sa poche de veste avant de l'envoyer en direction de Annie.

« Tiens, j'ai pris ça pour toi. » dit-elle sans la regarder.

La blonde saisit l'objet, plissant les yeux pour identifier la chose. Du pain. Annie releva les yeux vers Hitch, dans un signe de reconnaissance.

« Merci. » annonça-t-elle simplement en croquant dans la mie.

Elle mangea avec appétit, n'ayant rien avalé de la soirée. Hitch la laissa tranquille durant ce temps là, puis lorsqu'elle l'entendit se lever pour très certainement se mettre en pyjama, elle se redressa contre sa tête de lit.

« Tu vas mieux ? » questionna-t-elle en s'asseyant en tailleur.

La blonde se contenta de hocher la tête pour répondre par l'affirmative, n'ayant aucune envie de revenir sur cet épisode. C'était juste un moment de faiblesse. Et elle ne devait pas montrer qu'elle était faible.

Elle se changea rapidement, avant de s'allonger dans son lit, dos à la brune pour fermer toute discussion.

« Bonne nuit. » lâcha-t-elle comme pour préciser que la conversation était close.

Hitch se redressa sur son lit, faisant les gros yeux face à tant de froideur venant de la part de sa voisine de lit.

« Quoi c'est tout ? Tu vas même pas m'expliquer un peu ce qu'il t'est arrivé ?! » s'indigna-t-elle en élevant la voix.

Annie soupira contre le mur, se cachant un peu plus sous les couvertures pour montrer qu'elle n'était pas encline à lui parler, à se révéler face à sa camarade de chambre.

« Oh allez quoi ! Brise un peu ta carapace ! râla la brune en insistant.

- Tu ferais mieux de dormir aussi Hitch, coupa la blonde sans se tourner pour lui parler.

- Mais Anniiie... » geint Hitch.

Elle retroussa sa lèvre face au silence qui lui répondit. Mais elle se résigna. Elle se changea à son tour et se coucha dans son lit, face au mur. Annie semblait se forger une carapace impénétrable. Seulement Hitch sentait désormais qu'une grande souffrance se cachait derrière. Et elle voulait pouvoir faire quelque chose pour l'aider. C'était plus fort qu'elle.

Cette nuit encore, Annie revécut la scène sous forme de cauchemar. C'était insupportable. Plus elle faisait ce cauchemar, plus il s'étendait en durée. Désormais, elle en était arrivée à l'apogée, au moment le plus douloureux. Elle pouvait entendre la voix de Reiner raisonner comme s'il se trouvait réellement face à elle.

« Allez Annie, magne-toi ! » s'écriait-il.

Elle se souvenait, elle revivait son visage baigné de larmes, pendant qu'elle s'exécutait, sous les plaintes, la supplice du brun. Elle revivait la scène chaque nuit depuis ce jour. Mais à cela s'ajoutait un poids dans sa poitrine, comme si l'on y avait accroché un énorme cadenas qui ne cessait de grossir, qui se nourrissait de ses remords, de ses regrets. Et plus le cauchemar durait, plus il prenait en volume.

Elle se rappelait aussi des paroles qu'elle prononçait en boucle, en parfaite contradiction avec ses gestes, avec ses volontés.

« Pardon, pardon, je suis désolée... » soufflait-elle le visage baigné de larmes.

Elle sentait encore ses mains tremblantes en train de défaire les sangles, ses doigts hésitants malgré le fait qu'ils connaissaient par coeur le harnais à force de le mettre et de l'enlever tous les jours.

« C'est bien Annie, tu es une vraie guerrière... comme nous. »

Reiner.

« Reiner, il arrive ! »

Berthold.

« Revenez... »

Marco.

La blonde se redressa en sueur sur son lit, le souffle court, le coeur battant. Elle se recroquevilla un instant sur elle-même, les larmes lui montant. Elle préféra sortir de la chambre pour se rendre dans la cour comme elle en avait l'habitude. Au moins, il n'y avait pas de risque que Hitch ne se réveille et ne la découvre en larmes.

Annie s'installa sur le petit muret, s'adossant contre la colonne pour basculer sa tête en arrière et regarder le petit bout de ciel qu'elle pouvait entrevoir au dessus de la bâtisse. Il y avait des étoiles ce soir là, et très peu de nuages. Deux larmes roulèrent sur ses joues, alors qu'elle appréciait pourtant la vue. Bien que la nuit la rassurait, elle ne pouvait pas totalement effacer ce qu'elle avait fait, ce à quoi elle avait contribué.

Elle pensait pouvoir tenir la journée, mais cela lui était juste impossible, encore moins lorsque Jean lui rappelait ce dont elle était responsable. Il lui avait été impossible aujourd'hui de ne pas culpabiliser. Elle n'avait pas pu empêcher à ses regrets de ressurgir. Elle n'avait pas pu empêcher à ses larmes de monter. Désormais, elle savait que plus jamais elle ne pourrait faire face au châtain. Plus jamais.

« Je me disais bien que je t'avais vue ici la nuit dernière. »

Son coeur cessa de battre un instant, alors que ses yeux, auparavant clos, s'ouvrirent brutalement. En entendant les pas se rapprocher, elle sécha ses larmes du revers de la main, tentant de reprendre une expression impassible.

« Je comprends mieux pourquoi tu arrives souvent en retard le matin. » s'amusa la voix qui s'approchait dangereusement.

Annie se sentit soudain plus vulnérable que jamais, totalement faible, mais surtout impuissante.

« Et toi ? » commença-t-elle d'une voix impassible.

Elle s'étonna elle-même de cette maîtrise, mais elle savait que dès lors qu'il lui ferrait face, elle n'y parviendrait plus.

« Tu sors souvent la nuit Jean ? » finit-elle sans tourner la tête vers lui.

Les pas se stoppèrent, il lui sembla, à quelques mètres d'elle seulement. Elle pria intérieurement pour ne pas qu'il se rapproche d'avantage, elle ne voulait pas qu'il connaisse le visage de la vraie Annie, celle qui regrettait ses choix, ses actes, celle qui culpabilisait de l'avoir ruiné, de l'avoir anéanti de la sorte, sans même qu'il ne soit au courant. Puis un bruit de nouveau, mais pas de Jean dans son champ de vision. Puis un son, et elle comprit qu'il s'était assis sur le muret, adossé à la même colonne qu'elle mais à l'opposé.

« Depuis peu oui, ça me permet de faire le vide. » souffla-t-il d'une voix plus calme.

La blonde n'eut pas besoin de lui demander la raison de sa venue, elle le savait déjà et elle s'en doutait. Et le fait d'entendre Jean le dire à nouveau la fragiliserait encore un peu plus. Elle n'avait pas besoin de ça.

« Moi aussi. » dit-elle après un court silence.

Le silence de nouveau, mais Annie sentit comme s'ils se parlaient malgré tout. Le silence de Jean en disait déjà beaucoup. Et il ne lui en fallut pas plus pour qu'elle se sente mal de nouveau, tentant de garder son calme tant bien que mal. Si bien, qu'elle n'entendit pas le châtain se lever, qu'elle ne le vit pas passer à côté d'elle pour s'asseoir à ses pieds.

« Je t'avoue que je t'imaginais pas comme ça. »

La voix soudainement plus proche la ramena à la réalité et elle se sentit perdre pieds.

« J'ai toujours pensé que tu étais quelqu'un qui ne s'attachait pas aux autres et qui avait un coeur de pierre. »

Stop.

« Tu avais toujours eu cet air impassible sur le visage qui donnait l'impression que tu étais une dure à cuir. »

Arrête.

« Ça fait bizarre de me dire que tout ça n'était qu'une façade... »

Tais-toi Jean. Tais-toi.

Il releva la tête vers elle, venant croiser son regard.

« Je pensais pas que la mort de nos camarades te toucherait autant... »

La voix qui déraille. C'était trop. Arrête Jean, tais-toi...

« Mais, je sais ce que c'est... »

Non. Tais-toi. Ne dis plus rien. N'en dis pas plus.

La blonde luttait pour ne pas détourner le regard, pour ne pas partir, pour ne pas pleurer.

« Marco me manque... »

C'était trop. Cette phrase finit de l'achever. Pourquoi Jean ? Pourquoi ?

Elle sentit la boule dans sa gorge doubler de volume.

« Annie... tu pleures ? »

Il était trop tard. Annie explosait.

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