1.
Marco
Marco, Marco, Marco
Marco.
Il n'avait plus que ce nom à la bouche depuis ce jour. Depuis le drame. Depuis qu'on lui avait pris le seul être qu'il chérissait. Depuis qu'on l'avait arraché à ce bonheur si rassurant et réconfortant.
Vide.
Il était vide depuis. Il n'avait plus jamais souris, pas même pour faire semblant. C'était comme si son visage ne savait plus comment faire. Comme si ses lèvres avaient oublié en même temps qu'il était parti.
Elles souriaient contre sa bouche. Douce. Chaude. Et rassurante.
Désormais, elles ne souriaient plus. Elles n'avaient plus aucune raison de le faire. Et elles étaient si froides sans les deux croissants de chaire du brun contre elles.
Mais il n'était plus là.
Alors Jean ne souriait plus. Un air morose et triste était désormais collé à son visage. Sans cesse.
Et ses yeux pleuraient. Ses larmes coulaient. Sans qu'il ne parvienne à oublier.
Parce qu'il ne voulait, ne pouvait pas l'oublier. Il se souvenait de tout.
De ses demi-sourires gênés lorsque Jean remarquait qu'il l'observait à la dérobée.
De ses regards discrets qui lui criaient combien il l'aimait.
De ses tâches de rousseurs, si belles et si jolies sur son doux visage et qui venaient se dessiner dans son cou, sur ses épaules et dans son dos, jusque sur ses fesses.
De ses grandes mains, si agiles, si rassurantes quand Jean avaient besoin de réconfort, de tendresse aussi.
Simplement de son corps qui battait et vivait contre le sien. De leurs souffles qui se répondaient sans discontinuer. De leurs peaux qui s'effleuraient sans jamais se lasser. De leurs lèvres qui se cherchaient longuement pour mieux se retrouver. De leurs cœurs battants qui s'accordaient au même rythme quand leurs corps se rapprochaient.
Simplement de sa présence si agréable et protectrice. De ses silences. De ses paroles. De ses discours. De ses rires. De ses colères.
Tout lui manquait.
Marco lui manquait.
Il voulait qu'il soit devant lui pour qu'il puisse le serrer dans ses bras, pour pouvoir l'embrasser.
Pour pouvoir l'aimer.
Le protéger.
Mais à chaque fois qu'il relevait la tête en entendant une voix l'appeler, il avait l'espoir que ce soit lui, qu'il ne soit jamais parti, qu'il continue de lui sourire, de le consoler. Jamais. Sasha. Connie. Hitch. Marlowe. Mais jamais Marco. Ce n'était jamais lui qui l'appelait. Et pourtant, au combien il l'avait espéré.
Marco était parti.
Alors Jean pleurait. Simplement en pensant à son absence. Puis lorsqu'il sanglotait, il se remémorait avec effroi l'instant où il avait découvert son corps, sous le choc. Troublé et impuissant. Il n'avait jamais imaginé que d'entre tous, Marco serait l'un des premiers à mourir. Pas comme ça. Pas de cette manière. Pas si tôt. Il avait terminé septième de leur promotion. Il n'avait pas pu se faire manger par un vulgaire titan. Il n'avait pas pu tomber en rade de gaz. Il n'avait pas pu avoir eu une seconde d'inattention. Ce n'était pas son genre. Il était bien trop méticuleux et prudent pour que ce genre de choses ne lui arrivent.
Jean était vide. Il ne ressentait plus rien d'autre que de la douleur. Il se laissait consumer par la souffrance. Il laissait cet être vicieux s'accrocher à lui, pour mieux l'anéantir, le vider de tous ses rêves d'avenir. Il ne parvenait plus à se projeter. Sans Marco, c'était trop dur. Il s'était pris sa mort de plein fouet. Il avait l'impression de ne voir que ça sans réellement vouloir y croire. Parce que c'était juste invraisemblable.
Il n'avait pas pu mourir. Il s'était passé quelque chose. Jean avait retourné le problème sous tous les angles dans sa tête sans jamais trouver de réponses. Une seule vérité s'imposait à lui avec violence.
On lui avait pris Marco. Son Marco. Il n'était plus là. Il était parti.
Marco.
Marco, Marco, Marco...
Annie se réveilla une nouvelle fois en sursaut cette nuit-là. C'était devenu une habitude. Elle cligna des yeux, s'habituant lentement à l'obscurité avant de sortir de son lit. Elle prit soin de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller Hitch qui ronflait dans le lit à côté du sien. Elle sortit de la chambre, marchant à pas de loup dans le couloir pour atteindre la petite cour entourée par les bâtiments des brigades spéciales.
L'air frais de la nuit la calmait. C'était sa façon de s'évader. De ne plus penser à rien l'espace d'un instant. C'était son moment à elle. Elle restait facilement une à deux heure, à faire le vide sans réellement y parvenir. Beaucoup trop de choses se bousculaient dans sa tête, bien qu'elle ne voulait rien laisser paraître.
C'était vrai. Pour beaucoup, Annie était forte et froide. Elle avait un cœur de pierre et ne ressentait rien pour les autres. Mais c'était faux. Ce n'était qu'une façade. Car sous cette inexpressivité se cachait une fille fragile et blessée. Une âme torturée qui cherchait sa rédemption chaque nuit sans réussir à la trouver. Elle regrettait amèrement ses choix. Et chaque nuit, elle se disait que si elle en avait la possibilité, elle changerait le passé pour ne plus culpabiliser. Elle ne le montrait jamais aux autres, mais ces deux heures passées seules dans l'obscurité de la nuit étaient les seules témoins de ses larmes. Des larmes qui ne cillaient pas son visage. Mais des larmes de remords, de dégoûts envers elle-même, envers ses principes.
Elle était égoïste. C'était la raison pour laquelle elle ne parlait pas et qu'elle gardait tout pour elle. Et même si elle le voulait, elle ne pouvait parler. Elle les mettrait en danger, eux, et leur mission. Elle ne pouvait pas se le permettre simplement pour régler ses états d'âmes.
Parfois, elle se demandait s'ils regrettaient autant qu'elle. S'ils se sentaient aussi salis qu'elle. Si eux aussi voyaient encore les traces de sang sur leurs mains. Ou s'ils avaient simplement décidé d'oublier. Peut-être. Mais c'était quelque chose qu'elle ne parvenait pas à faire. Sa part d'humanité lui rappelait sans cesse le monstre qu'elle était. Elle avait beau vouloir assumer ses actes, cela lui était juste impossible. Quand elle était seule, elle y arrivait pour un court instant. Mais dès qu'il était là, ses remords refaisaient surface et la tiraillaient de nouveau. Elle pouvait lire sur son visage à quel point il était anéanti et il lui était juste impossible d'ignorer sa douleur. Le mal qu'elle avait elle-même causé. Alors elle l'évitait le plus possible.
Car elle savait que si elle se tenait trop longtemps face à lui, elle exploserait.
« Tiens voilà la paresseuse. » lâcha Hitch en voyant Annie prendre place à côté d'eux.
La blonde ne dit rien, et fixa un point face à elle, l'air lasse, mais de lourds cernes sous les yeux. Ses petites virées nocturnes commençaient à avoir une répercussion sur son métabolisme et elle ne savait pas quoi faire pour régler ce problème. Non pas qu'elle ait peur de se faire renvoyer des brigades spéciales à cause d'une panne de réveil, mais elle n'aimait pas passer pour une paresseuse.
« Pourquoi ne m'as-tu pas réveillée ? » demanda-t-elle alors à l'attention de sa voisine de chambre.
La jeune fille tourna instantanément la tête vers elle, un sourire moqueur venant étirer ses lèvres.
« Oh tu dormais si bien, j'ai pas osé !
- Ce n'était pas la peine. » coupa la blonde sans lui avoir accordé un regard.
Hitch retroussa sa lèvre dans un signe boudeur face à tant de froideur. Elle soupira, ne cherchant pas plus loin, avant de se redresser et de fixer de nouveau le mur face à elle.
Elle voulait sympathiser avec sa voisine de chambre, mais Annie semblait tellement inaccessible qu'elle peinait pour y arriver. Ce n'était pas tant qu'elle était froide et qu'elle donnait l'air de ne pas vouloir se faire d'amis. Hitch voyait quelque chose d'autre derrière son attitude. Comme une sorte de protection, de carapace. Annie semblait vouloir se protéger. Mais de quoi ?
Quelques heures plus tard, les jeunes recrues se rendirent au réfectoire pour le déjeuner. Ils devinrent la plus grande tablée et la plus bruyante. Entre Connie et Sasha qui faisaient les pitres et Hitch qui rigolait de leurs idioties, Marlowe avait l'air fin à tenter de calmer le jeu. Et au milieu de tout ce raffut, il y avait Annie, silencieuse, fidèle à elle-même. En revanche, on ne pouvait pas en dire autant de Jean qui réagissait d'ordinaire au quart de tours à ce genre de scène. Aujourd'hui, il était silencieux. Il jouait machinalement avec la nourriture qui se trouvait dans son assiette, sans grand appétit. Il fixait sa fourchette, le regard dans le vide. Il était présent sans vraiment être là.
« Hé ! Jean ! Tu m'écoutes ? » l'appela Connie.
Il lui donna un violent coup de coude, manquant de faire tomber le châtain la tête la première dans son assiette. Ce dernier ouvrit brusquement les yeux, comme si on venait de le sortir de son sommeil.
« Hein quoi ?
- Ton pain, tu vas le manger ?
- Hein ? Heu non...
- Super ! » s'écria le petit chauve en attrapant le morceau.
Il coupa la moitié pour la donner à son acolyte Sasha, heureuse de manger plus que d'habitude. Jean ne comprit pas bien ce qu'il venait de se passer, encore à moitié dans ses pensées.
« Tout va bien Jean ? T'as pas l'air dans ton assiette aujourd'hui. »
Le châtain releva la tête pour voir Marlowe face à lui. Il se redressa un peu sur le banc, toujours sa fourchette dans sa main alors qu'il n'avait pas entamé son plat.
« Mmh, j'ai dû me lever du mauvais pied...
- Tu repense à la mission de Trost non ? J'arrive pas à croire que vous ayez combattus contre des titans... Ça a dû être traumatisant, enchaîna Hitch en haussant les épaules pendant qu'un frisson lui parcourait l'échine.
- Sans doute...
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? On a assuré Jean ! Intervint Connie.
- Hé, sinon on serait pas là ! » renchérit Sasha toute sourire.
Hitch et Marlowe rebondirent instantanément en rigolant sur leurs egos surdimensionnés, amenant un nouveau brouhaha à leur table. Jean avait baissé les yeux, ayant cessé de jouer avec la nourriture dans son assiette. La phrase de Connie résonnait en boucle dans sa tête. Non. Il n'avait pas assuré. Son équipement était tombé en rade. Sans lui, Annie et Marco, il y serait resté.
« Marco n'est plus là. » lâcha-t-il d'une voix anormalement calme en posant sa fourchette.
Sa phrase eut le don de jeter un froid, faisant taire instantanément les jérémiades de ses camarades. Le regard de Sasha et de Connie s'assombrit, une boule se formant dans leur gorge, n'arrivant soudain plus à parler. Marlowe et Hitch n'avaient rien dit. Annie avait ouvert les yeux, une vive douleur s'étant réveillée dans sa poitrine. Et là, c'était trop. Elle se leva, posant ses mains sur la table pour accélérer son geste. L'instant d'après, elle quittait la tablée et la salle, allant se réfugier dans sa chambre, quand bien même elle n'y était pas autorisée en journée.
Elle ferma la porte un peu trop brusquement, s'appuyant contre cette dernière en prenant soin de tourner la clef dans la serrure. C'était trop. Jean qui ne parlait plus comme avant, c'était trop. Sasha et Connie qui se taisaient de cette manière, c'était trop. Marlowe et Hitch qui ne savaient pas quoi dire, c'était trop. Tout était trop. La phrase était de trop. Le fait que Jean la prononce, qu'il la dise avec autant de calme dans la voix mais tant de peine dans le regard.
C'était trop. Tout avait refait surface. D'ordinaire, la journée, la blonde parvenait à rester la tête haute et à ne pas y penser. Il lui suffisait de ne pas croiser Jean. Mais là, elle n'aurait pas pu tenir. Elle n'aurait jamais réussi à retenir ses larmes devant eux.
Alors elle s'était laissé glisser contre la porte, sa frange venant coller contre ses joues humides, ramenant ses genoux contre sa poitrine.
« Je suis désolée... » souffla-t-elle avant d'enfouir sa tête dans ses bras.
Ce fut le seul bruit qu'elle fit avant de retomber dans un silence de mort, son souffle à peine audible dans la chambre aux volets clos. Les larmes dévalèrent ses joues alors que les images repassaient en boucle dans sa tête. Et plus elle y pensait, plus c'était horrible. Plus c'était dur de respirer et d'oublier. Ce n'était pas comme la nuit. La nuit elle était seule. Elle parvenait à se calmer. Là, elle n'y arrivait pas. Bien que la pièce était plongée dans l'obscurité, elle n'y arrivait pas. Ce n'était pas son moment à elle. Elle n'était pas seule.
Il y avait le bruit de la poignée qui s'était abaissée sans que la porte ne s'ouvre. Puis une voix étouffée par l'épaisse planche de bois.
« Annie t'es là ? C'est moi. »
Hitch. Annie se vit esquisser un sourire sans que ce ne soit réellement le cas. Toujours à se mêler de ce qui ne la regardait pas... La blonde avait beau lui faire comprendre qu'elle ne voulait pas faire amie-amie avec elle, la brune s'obstinait. Cela semblait être ancré dans son caractère...
« On doit patrouiller cet après-midi, tu te souviens ? »
Elle eut envie de lui répondre, mais elle n'en avait pas la force. Bien sûr qu'elle s'en souvenait. Elle n'était juste tellement pas d'humeur. Elle ne pouvait pas effacer ses larmes et ouvrir la porte comme si de rien était. Ses larmes roulaient toujours le long de ses joues sans discontinuer. Elle ne parviendrait pas à se calmer. Elle allait sûrement devoir faire face à ses supérieurs le lendemain pour quelques explications. Tant pis...
« Bon, t'as gagné... je dirai à nos supérieurs que t'as fait une indigestion. Mais c'est la dernière fois que je t'aide à faire le mur j'te préviens ! » s'écria la voix derrière la porte.
La blonde eut envie de rire. Une indigestion. C'était bien sa veine ça.
« Repose-toi... » souffla la brune plus doucement.
Des bruits de pas et Annie comprit qu'elle s'en allait.
Idiote.
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