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Pourquoi ?
Ce mot là, il l'avait pensé souvent étant enfant. Très souvent.
Pourquoi était-il né ? Pourquoi n'était-il pas à la hauteur ? Pourquoi existait-il ? Pourquoi n'avait-il pas une vie normale ?
Personne n'avait jamais répondu à ses questions. C'était comme ça, point. Il n'y avait rien à faire, ni à expliquer. Ces choses-là ne se décidaient pas. Elles arrivaient, sans prévenir, et bousillaient une vie, comme si ce n'était rien. Comme si ça n'avait aucune répercussion.
Sa vie à lui, elle était loin d'être pleine d'amour et d'insouciance. Oh, bien-sûr, il en avait reçu, de l'amour. Mais ça n'avait pas suffit.
Le passé peut effacer beaucoup de choses.
Mais il n'oublie ni ne meurt jamais.
Toute la souffrance refoulée, toute la rancœur étouffée, toute l'animosité réduite au silence par la crainte des conséquences d'une révolte.
Il ne l'avait pas oublié.
Enfant, il était contrôlé par la peur. La peur du mot de trop, du mouvement de travers qui déclencherait automatiquement une punition.
Il avait supporté, pardon, subi cet enfer pendant très longtemps. Des jours, des mois, des années, qui semblaient défiler devant ses yeux, tel un microfilm. Et plus le temps passait, plus sa peur se transformait en une colère froide et meurtrière. Les seuls moments où il n'était pas possédé par sa folie, c'était quand il était avec ses frères et sœur. Il n'y avait qu'eux qui pouvaient lui faire oublier réellement toute la démence qui le contrôlait, et qui menaçait d'exploser à tout instant.
Il aurait pu tuer pour eux. Il était prêt à commettre le pire des crimes pour continuer à les voir sourire.
Contre toute attente, ce furent eux qui causèrent sa perte.
En voyant son plus jeune frère défiguré au visage, il avait perdu toute maîtrise de soi. Il s'était déchaîné, et avait laissé sa folie prendre le dessus.
C'est ta faute
Il lui avait dit.
Il lui avait dit que s'il osait toucher à un seul de leurs cheveux, il lui ferait payer. Il l'avait prévenu.
Mais son père ne l'avait pas écouté.
Il ne l'avait jamais écouté.
Ses flammes avaient exterminé une partie de la maison et l'avait mutilé. Une partie de sa mâchoire, brisée, détruite.
Évaporée en même temps que son nom.
Ce coup de colère avait été si puissant et dévastateur qu'il était inconcevable qu'il ait survécu. Tout le monde l'avait cru mort, carbonisé par son propre feu.
Sauf qu'il était vivant. Mal en point, défiguré pour l'éternité, anéanti par le désespoir, mais vivant.
Il avait abandonné son nom. Il n'existait plus pour personne, de toute façon. Il était mort aux yeux du monde, devait-il considérer ça comme une chance de renaître ou une malédiction ?
Il n'avait pas mis longtemps à trancher. Depuis le début, il ne vivait que pour satisfaire la soif de pouvoir insatiable de son géniteur.
Et si, cette fois-ci, il vivait pour lui ? Et s'il ne faisait que ce qui lui plaisait ?
L'idée d'être libre après avoir passé tant d'années à suffoquer lui avait paru magnifique. Alors il avait pris une décision, une décision qui avait scellé son avenir et celui de beaucoup d'autres.
Toya Todoroki était mort.
Calciné par sa furie ardente.
Dabi était né.
Dégoulinant de rage froide.
Ce nom, il l'avait porté plus de dix ans. Il avait grandit, loin de sa famille, mais toujours plongé dans un univers noyé de violence. La survie avait été truffée d'embûche, mais il avait réussi à s'en sortir, il était débarrassé de ses chaînes qui l'entravaient. Il n'avait pas l'intention de rester caché dans l'ombre éternellement, cependant, oh non, loin de là.
Il voulait qu'ils payent.
Tous ceux qui savaient et n'avaient rien fait.
Tous ceux qui l'avaient abandonné.
Tous ceux qui lui avaient mentit.
Ils devaient payer le prix de leurs crimes. C'était de leur faute s'il était devenu un monstre.
Et sa propre famille ne faisait pas exception. Dans un sens, elle l'avait trahi lui aussi. Entre sa mère qui lui promettait que tout allait finir par s'arranger, son plus jeune frère qui lui avait juré qu'il ne deviendrait jamais comme leur père, et sa sœur qui lui répétait qu'elle serait toujours de son côté, il y en avait, des menteurs.
Ils l'avaient tous laissé tout seul. C'était des faux.
Et dans ce flot de mensonges, une lueur apparut.
La première fois qu'il l'avait vu, c'était à la télé, dans une vidéo tournée à la va-vite. Il disait vouloir annihiler tout les faux héros, que rien ni personne ne pouvait l'en dissuader.
Et ça lui avait plu. Beaucoup plu, même.
Alors il avait décidé de faire comme lui, de tuer les mauvais héros. Parce que ça lui avait semblé juste.
Il avait rejoint la Ligue des vilains, enchaîné les meurtres et les flambés. Plus rien ne pouvait l'arrêter, lui et sa folie meurtrière. Il avait un plan, très précis, et tout comme Stain, rien ni personne ne pouvait l'arrêter.
Du moins, c'était ce qu'il pensait.
Revoir son amour d'enfance après dix ans de séparation lui avait fait un choc.
Keigo ne l'avait pas reconnu. Ce n'était pas surprenant, il avait quand même changé radicalement physiquement, mais ça avait quand même fait putain de mal.
Il avait hésité.
Il avait hésité à tout arrêter. À dire "fuck" à la Ligue et à Shigaraki qui commençait à lui taper franchement sur les nerfs. À tout raconter à Keigo, qui s'était rejoint à eux.
Il avait vacillé. Un geste, un mot aurait pu le faire flancher.
C'était fou comme tout et rien pouvait bouleverser une vie.
Il n'avait rien dit, il avait joué son rôle comme si de rien n'était. Et il l'avait très bien joué, personne ne l'avait soupçonné.
Sa folie avait repris le contrôle d'un coup. C'était comme si elle ne l'avait jamais quitté.
Il avait brûlé Keigo qui s'était avéré être un traître à la ligue, ce qui ne l'avait même pas étonné ou énervé. Il avait appuyé sa chaussure sur son visage en ricanant frénétiquement, et avoué son nom dans un souffle.
L'expression partagée entre l'horreur et l'anéantissement qu'avait affiché Keigo avait été hilarante. Il n'avait pas pu s'arrêter de rire comme un fou.
Il avait hurlé à son corps d'arrêter. Il l'avait supplié.
Mais il n'avait pas pu. Il était contrôlé par sa haine, qui le rongeait de l'intérieur.
Il n'avait pas tué Keigo. Un élève de Yuei, un camarade de classe de son frère, l'en avait empêché.
Et là, tout s'était enchaîné. Il avait fait son grand retour auprès de sa famille, non pas en tant que Toya Todoroki, mais en tant que Dabi le super vilain.
La tête qu'avait tiré son père était encore plus hilarante que celle de Keigo. Sérieusement, ça avait été le plus beau jour de sa vie. Après son "coming-out", il avait attaqué son petit frère, et l'avait carbonisé dans une étreinte mortelle.
Il s'était senti plus vivant que jamais, brûlant liens du sang et liens du coeur sans réfléchir une seule seconde à ce que pouvaient ressentir les autres. Il s'en fichait.
Il s'en fichait, de la souffrance du petit frère qu'il avait juré de protéger, du désespoir de l'homme qu'il avait tant aimé.
Il s'en fichait. Il devait s'en ficher.
Sauf que non.
Il ne s'en fichait pas.
Il n'y arrivait pas. Il en était incapable.
Il s'en était rendu compte quelques semaines après la bataille qui avait opposé Héros et Vilains. Évidemment, il était toujours fermement décidé à tuer son père. Rien ne pouvait l'en faire changer d'avis. Cet homme l'avait traité comme une machine les quatorze premières années de sa vie, comme si son existence et son âme lui appartenait. Comme s'il était son petit produit.
Il ne pouvait pas lui pardonner.
Mais Shoto ?
Qu'avait-il fait de mal ?
Rien.
Il n'avait rien fait. Naître avec une combinaison parfaite d'alter n'était pas de sa faute. Ça ne l'avait jamais été.
Il lui en avait toujours voulu d'avoir pris sa place auprès de son père. Mais ça lui avait apporté plus de douleurs qu'autre chose. Il s'était fait défiguré. Il avait subi les mêmes entrainements que lui, en pire peut-être. Qui plus est, c'était le seul avec lui à avoir connu ces entrainements de l'enfer. Fuyumi et Natsuo ne savaient pas ce que c'était, comme ils n'intéressaient pas leur géniteur. Ils représentaient des gênes, des déceptions, des ratés, alors qu'aux yeux de Toya, ils étaient parfaits. Tout simplement parfaits.
Mais Toya était mort depuis longtemps, ne laissant que sa haine derrière lui.
Cette haine, c'était Dabi.
Le meurtrier, le super vilain, le tueur en série recherché dans tout le Japon.
Celui qui était incapable de pleurer parce que ses canaux lacrymaux avaient grillé sous la chaleur amer de ses flammes bleues.
Le fou. Le cramé. Le cinglé. L'assassin. Le psychopathe.
Celui que tout le monde jugeait sans connaître la vérité.
Il n'avait plus rien en commun avec cet enfant brisé et pourtant si plein d'espoir qu'était Toya Todoroki. Plus rien. Il en était sûr.
Presque sûr.
Mais il passait sa vie à se gourer. Il ne faisait que ça. Se tromper, faire les mauvais choix, croire les mauvaises personnes, duper les mauvaises personnes, tuer les mauvaises personnes. Rejoindre la Ligue des vilains, obéir aux ordres de Shigaraki, tuer sur commande ou par pur impulsivité, mentir à Keigo, et ainsi de suite.
Un ramassis de belles conneries, voilà ce que c'était.
Il ne faisait que des erreurs. Le pire, c'était qu'il le savait, il le savait très bien, qu'il foutait sa vie en l'air, qu'il détruisait toutes ses chances d'un quelconque retour. Il le savait. Et il s'en fichait.
Mais ça ne pouvait pas durer éternellement. Il ne pouvait pas continuer à s'en ficher. Et ça, il ne le savait pas.
Lorsque Shigaraki s'était élancé vers Shoto, la paume de la main droite grande ouverte, le temps s'était comme arrêté.
Il n'avait pas vu l'apprenti héros à bout de forces, tenant à peine sur ses jambes tremblantes et lacérées, la figure barbouillée de sang et blessé à l'épaule.
Il avait vu son petit frère. Son petit frère adoré, son trésor, son petit soleil, qu'il n'avait pas réussi à protéger. Celui pour qui il s'était damné, s'était métamorphosé en monstre rien qu'à la vue de son visage défiguré. Pour lui, il avait multiplié ses efforts, repoussé ses limites à supporter ses flammes, accepté tout les entrainements de son père jusqu'à en vomir et dégager la même odeur que de la viande trop cuite, rien que pour garder toute son l'attention, et ainsi éviter que son géniteur ne s'intéresse à lui. Mais bien sûr, ça n'avait pas suffit, ça aurait été trop facile, de seulement se massacrer la santé. Toutes les fois où il l'avait rassuré, lui avait juré qu'il ne laisserait jamais personne lui faire du mal, lui avait garanti qu'il serait toujours là pour le défendre, toutes ces promesses d'enfants, parties en fumée, détruites par sa propre haine.
Toya Todoroki était mort. Rien ne pouvait faire changer ça. Il en avait été persuadé, il ne s'était d'ailleurs jamais posé la moindre question à ce sujet pendant plus de dix ans, tant ça lui paraissait évident.
Mais une fois de plus, il s'était trompé.
Et pour une fois, il était content de s'être complètement planté.
Son corps avait bougé tout seul. Il n'avait même pas réfléchi. C'était comme si il avait agi par pur réflexe, comme s'il avait simplement écouté son instinct.
Dabi avait étroitement enlacé son petit frère, le serrant très fort contre lui comme lorsqu'ils étaient enfants.
La main de Shigaraki s'était écrasé contre son dos. Le bleu avait tellement écarquillé les yeux en reconnaissant son allié qu'ils auraient pu sortir de leurs orbites sans aucune difficulté.
Le super vilain déchu resserra son étreinte. Ça, ce n'était pas une erreur.
-Pardonne moi, petit frère. Je t'aime.
Il avait senti le jeune héros trembler, presque grelotter dans ses bras. Il venait de réaliser ce qui s'était passé, et ce qui allait se passer.
Le monde entier l'avait réalisé, ils étaient en direct à la télévision.
Le monde entier avait vu le super vilain Dabi donner sa vie pour sauver celle de Shoto Todoroki.
Peut-être que Keigo regardait, lui aussi. Peut-être que sa mère, toute sa famille le regardait.
Kei', je suis désolé.
Maman, pardon d'avoir été un fils aussi merdique.
Papa, je te hais. T'as intérêt à prendre soin d'eux. Putain de sac à merde.
Le corps de Toya Todoroki se désintégra en quelques secondes dans les bras tremblants de Shoto.
Le bicolore tituba, ses jambes lâchèrent d'un coup, vidées de leur énergie et il se retrouva à genoux. Sa tête lui paraissait lourde comme du plomb, il parvenait à peine à la remuer. Ses oreilles ne percevaient plus aucun son, tout était calme et silencieux. Comme si rien ne s'était passé.
L'adolescent muet releva lentement ses mains secouées de violents spasmes.
Elles étaient maculées des cendres de son frère.
Les spasmes s'intensifièrent et sa vision se troubla, des larmes s'écrasant sur ses paumes de plus en plus agitées. Son dos se courba, son front vint frapper le sol dur brutalement.
Shoto Todoroki hurla à s'en arracher les cordes vocales.
Son frère venait de mourir sous ses yeux.
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