Chapitre 7
« Baby you can't fix me,
I was born with a broken heart »
Born with a Broken Heart — Damiano David
Jake
Je toque doucement à la porte de la vieille femme, les poids hérissés. J'entends quelqu'un bouger dans l'appartement, la télévision s'éteint puis les pas se rapproche. On triture la serrure puis Madame Dubois m'ouvre enfin. Minuscule, recroquevillée sur elle-même, elle me guette sans pouvoir me voir. Comme la dernière fois que je l'ai vue, un bandeau de pirate est posé sur sa tête tandis qu'elle porte une longue chemise de nuit que toutes les grand-mères doivent avoir dans leur penderie.
— Oui ? C'est qui ?
J'ouvre la bouche mais rien n'en sort. Merde, c'est toujours au pire moment que je panique et perds mon français.
— Hum... Ça sent le Godzilla ça.
Elle ne dit rien de plus et se pousse pour m'inviter à entrer mais je décline l'offre poliment.
— Je suis désolé Madame Dubois, je venais juste apporter votre courrier. Comme on m'a parlé de votre handicap et que nous sommes partis sur de mauvaises bases... Je voulais faire un geste vers vous.
La femme me toise longuement, renifle l'air puis brandit son doigt d'honneur. Je ne l'ai vu qu'une fois mais ça ne me surprend plus.
— Ça, c'est pour m'avoir pris pour une handicapée sénile.
Elle en brandit un autre, je reste aux aguets au-cas-où elle perde l'équilibre. Certes elle est en forme pour son âge, mais quelque chose me dit qu'elle n'est vraiment pas jeune.
— Celui-là c'est pour ne pas m'avoir aidé la dernière fois. Heureusement que ma petite Line est venue à ma rescousse, blaireau.
Je ne l'ai pas volé celle-là. J'avoue avoir été tellement choqué et timide sur l'instant que je n'ai pas aidé cette femme comme il se doit. Mais honnêtement, avec son accent très français et sa vitesse de parole, je n'avais pas compris la moitié de ce qu'elle me racontait.
— Mais merci pour le courrier, finit-elle par dire en tenant la main pour que je lui donne le tout. On fait à moitié la paix, ne vous emballez pas trop.
J'hoche la tête puis acquiesce verbalement quand je me rends compte qu'elle n'a toujours pas retrouvé la vue. Idiot.
— Je vous en prie. N'hésitez pas si vous avez besoin de quelque chose, je vis chez Emma Garnier et Gabriel Perrin pendant quelques temps.
— Ohh, ma petite Emma... Vous lui passerez le bonjour de ma part.
— Évidemment.
Nous nous saluons une dernière fois mais avant que je ne me retourne pour rentrer chez mes amis, la vieille femme m'interpelle.
— Jake ?
— Oui ?
— Ne fais pas de bêtises. J'ai vu comment tu la regardais.
— Mais...
— Si tu me dis que je ne peux pas le voir, je te frappe.
Un rire m'échappe mais Madame Dubois semble très sérieuse ce qui me donne un petit coup de pression je l'avoue.
— Je ne suis pas ici pour ça, lui expliqué-je avec bienveillance. J'ai un scénario à finir puis je retourne en Californie.
— Je sais. Mais je sais aussi qu'elle ne te laisse pas indifférente que tu t'en sois rendu compte ou non.
J'hausse les épaules, incapable de confirmer ou non. Line est une très belle femme, il faut le dire, mais je ne la connais pas. Jusqu'à hier, elle semblait me détester pour rien mais quand je l'ai vue seule sur le trottoir hier, je n'ai pas pu m'empêcher d'aller la voir. Dans un autre contexte, sans personne autour, elle était vraiment sympa. On a rit, discuté de tout et de rien puis son rendez-vous est arrivé. Je n'ai jamais vu un mec aussi superficiel que lui. Même si Lin est plutôt extravagante avec ses cheveux mauves et son caractère bien trempé, j'ai vu qu'il ne lui correspondait pas au premier coup d'œil. Et quand on a discuté, quelque chose au fond d'elle me hurlait de la sortir de là, qu'elle avait juste envie de fuir.
— Je ferai attention, je vous le promets.
— C'est une chouette fille. Sa vie n'a pas été facile et je la trouve assez triste comme ça, ne lui faites pas de mal, surtout si vous savez que vous partez juste après.
— Ne vous en faites pas, de toute façon je pense qu'aucun de nous n'est open pour avoir un rendez-vous. Elle voit du monde et moi je dois rester focus.
— Hum...
Elle ne semble pas convaincue mais ne renchérit pas. Bien au contraire, elle me ferme la porte au nez ! Décidément, cette femme est spéciale. Mais je viens de comprendre ce que Line lui trouve : elle semble vraiment proche des personnes de l'immeuble. Qu'on veuille de loin sur quelqu'un comme elle le fait, ça fait chaud au cœur.
Pensif et un peu perdu, je retourne chez mes amis qui ne sont pas là pour la journée. On est dimanche, et ils ont décidés d'aller se promener à deux. Leur couple est tellement fort, je ne comprends pas comment on peut autant s'engueuler et s'aimer à la folie en même temps. Se sont vraiment des exemples.
Je prends une douche, mange rapidement avant qu'ils ne rentrent pour pouvoir les laisser seuls, puis je rejoins la chambre d'amis qu'ils me prêtent. Ils sont loin de manquer d'argent pour avoir un tel appartement à Paris. Calé dans les draps, je prends mon ordinateur pour écrire quelques lignes de mon nouveau scénario. L'inspiration vient petit à petit, mais j'essaye de faire quelque chose d'original pour ne pas être refoulé à peine rentré aux USA.
Très vite, je divague et n'arrive plus à rien. Les phrases n'ont pas de sens, je ne sais plus où je veux aller, je trouve mes personnages fades et trop niais. Ça m'énerve.
Je décide d'aller sur internet pour me perdre quelques temps avant de reprendre. Parfois, il suffit d'un rien pour que l'inspiration revienne. Je zappe les actualités, regarde quelques clichés de mes amis Américains puis ma page m'amène sur un nouveau post du compte avec qui je communique. La femme à la tête du blog explique son dernier date catastrophique après avoir scrollé au pif comme convenu. Directement, je lui envoie un message pour la remercier d'avoir tenté et elle me répond aussitôt.
« Je vous en prie. C'était catastrophique et j'ai perdu de l'argent mais bon, pour l'expérience on a dit... »
« Je peux vous rembourser si vous le souhaitez... Ce n'est pas conventionnel mais je me sens un peu coupable de vous avoir envoyé dans ce bourbier. Cet homme était vraiment spécial. »
« C'est le cas de le dire. Après il n'était pas désagréable, ce n'était juste pas ce que je recherche. »
« Et... désolé de dire ça mais, vous comptez réessayer ? »
« De ? »
« Les rendez-vous ? »
Elle ne répond pas de suite alors je décide de fermer mon ordinateur quand sa réponse me parvient. Après une telle expérience, je comprendrais qu'elle ne veuille plus aller sur le site de rencontre. En plus de ça, elle a eu autant de commentaires heureux de ce nouveau format que de commentaires critiquant sa nouvelle direction. Résultat, elle a posté une dizaine de post dans la journée pour compenser le nouveau format. Des propos tous plus tristes les uns que les autres, cette femme me fait mal au cœur.
« Je ne sais pas. Je pense oui. Après tout, c'est sympa et ça me change les idées. Puis, une amie m'a fait comprendre que je dois faire les choses pour moi, pas pour ce blog. »
« Oui, j'ai vu les commentaires mitigés... Honnêtement, je ne comprends pas. C'est plus divertissant que vos rubriques anti-hommes à bloc. »
« Vous exagérez... »
« Exagérer ? Relisez-vous, vous comprendrez que c'est faux et juste extrêmement déprimant ! Je pense que vous aidez surtout certaines personnes à développer une haine des hommes. »
Encore plusieurs minutes de pause avant d'avoir une réponse.
« Vous n'avez pas tort. Je me laisse un peu emporter parfois et ça me soulage. Vous savez, je ne vois pas les gens derrière l'écran, personne ne sait qui je suis et moi de même. »
« Vous de-même quoi ? »
« Je ne suis pas sûre de savoir qui je suis. »
Mon cœur se serre un peu dans ma poitrine. J'entends la porte se déverrouiller puis des éclats de rires dans l'entrée me parviennent. Mes amis doivent être un peu éméchés je pense, mais s'ils rigolent, je suis heureux pour eux.
« Je vous comprends, je ne suis pas sûr de savoir qui je suis non plus. »
« Je peux vous poser une question ? »
« Allez-y. »
« Vous venez d'où ? Je sais que c'est curieux de demander ce genre de choses, mais ce soir je ne vais pas très bien pour être honnête. Savoir que je parle à un réel humain derrière mon écran, avec des sentiments, une vie et une famille, ça me fera un peu de bien. »
« De Californie en Amérique. Et vous ? Aussi, vous n'avez pas d'amis à qui parler ? C'est bête de rester seule quand ça va mal. »
« Je viens d'Île de France. Et si, j'ai des amies, mais dans ce genre de situation, personne ne peut rien faire. »
Je comprends ce qu'elle veut dire. Ce soir, moi aussi je me sens un peu morose. Le fait de ne pas avoir réussi à avancer mon scénario aujourd'hui n'aide pas, je suppose. Les rires de mes amis non plus. Le travail est quelque chose qui prend énormément de place dans ma vie de tous les jours, je n'ai jamais réellement eu le temps d'avoir quelqu'un à mes côtés. Si j'ai déjà eu des copines, dans mon cercle, c'est assez compliqué d'avoir quelqu'un qui vous aime réellement, sans les intérêts derrière. J'en ai fait des tapis rouges aux côtés d'actrices sans qu'on sache qui je suis — les avantages d'être dans l'ombre des films —, mais c'était trop pour moi. Le rythme de vie de chacun est très peu compatible. C'est comme ça.
« Vous voulez en parler ? »
« Oh, c'est gentil de votre part mais il n'y a rien à dire. Je ne suis qu'une femme qui a été larguée et qui a dû mal à tourner la page. Il faut laisser le temps faire les choses. »
« Mais en attendant vous allez mal... »
« C'est la vie, non ? On souffre, on est sur un petit nouage et on souffre à nouveau. »
« C'est pour ça le blog ? Pour votre ex ? »
« Ce n'est pas pour lui, c'est pour moi avant tout. »
« Pardon, je me suis mal exprimé. Le français n'est pas ma langue natale alors je ne maitrise pas toutes les subtilités. »
« Pour un Américain, vous parlez très bien français je vous assure. »
« C'est gentil, merci. »
Je ne sais pas trop quoi lui répondre. Je n'ai jamais été le meilleur pour réconforter les gens, surtout une inconnue mais bon, je lui ai proposé mon aide, si jamais ça va mal, elle pourra compter sur moi. C'est elle la première à renvoyer un message.
« Je suis fatiguée, je vais aller me coucher. Encore merci pour...tout ça. Je vous tiens au courant pour le prochain date. »
« Ne vous sentez pas obligé surtout. »
« Je ne me sens pas obligée, je pense que c'est un mal pour bien. »
« D'accord, passez une bonne nuit. »
« Merci, vous aussi. »
Je quitte la page et réouvre mon fichier de scénario. C'est ça qu'il me manque, une héroïne qui a vécu. Comme si j'avais été frappé par la foudre, je me mets à écrire pendant de longues heures sans m'arrêter, sans même entendre mes amis coucher ensemble à quelques mètres de moi.
***
— Bonjour Jake.
Claire, l'amie de Gabriel, vient me saluer en posant mon premier café de la journée face à moi. Je n'ai pratiquement pas dormi de la nuit et je suis toujours plein d'idées. Cette petite discussion avec mon inconnue dans la nuit m'a bien aidé, au point que j'ai totalement réécrit le personnage principal. Il me fallait quelque chose de plus frappant, de plus commun à tout le monde. Le problème avec beaucoup de films, c'est que les personnages sont trop incroyables, souvent parfaits et avec une vie globalement agréable : je ne veux pas de ça. L'inconnue du blog m'a donné envie d'écrire une histoire avec une femme blessée par ses amours, par la vie qu'elle mène, les petits échecs qui s'accumulent. Après tout, on est tous un peu comme ça.
— Bonjour Claire, comment vas-tu ?
— Mieux que toi on dirait, tu es conscient que tu as plus de cernes que ma patronne qui est enceinte ?
— Oui et pourtant j'ai mis de l'anti-cernes histoire d'être présentable. Mais je n'ai pas beaucoup dormi de la nuit.
— Petite sortie en boite ?
— Du tout, une inspiration soudaine pour le travail.
La jolie métisse lâche un sourire rayonnant, dévoilant un piercing sous sa lèvre supérieure.
— Tu as trouvé ta muse ?
— Muse je ne sais pas, mais c'est bien une femme qui m'a débloquée la situation.
— Heureuse pour toi ! Je t'abandonne, si ma patronne me voit discuter elle va m'enlever l'une de mes centaines de pause clope et je ne vais pas y survivre.
Je ris et la libère pour qu'elle puisse travailler tranquillement. J'aime beaucoup ce café au milieu de Montmartre, il met une ambiance chaleureuse et typiquement parisienne qui me motive à écrire. Après tout, c'est pour ça que je suis venu en France.
Je reste toute la journée à ma place, renouvelant les cafés toutes les heures. En vérité, malgré mon taff qui avance bien, j'espérais voir passer Line mais personne en vue. Pas de bol, ça doit être son jour de congé. Les paroles de la vieille folle m'ont un peu retourné, ce qui m'a fait me poser quelques questions quant à Line. Je ne sais même pas où j'en suis dans ma vie alors comment je pourrais savoir si quelqu'un me plait ?
Peut-être que je devrais demander de l'aide à Claire ? Non, elle me fait un peu trop peur. Son énergie est vraiment particulière, j'ai même quelques doutes sur le fait qu'elle essaye de me caser avec son amie. Elle m'aiderait un peu trop justement. Et le pire c'est que je ne suis même pas sûr, ça serait juste un rendez-vous comme ça, pour voir si on s'entend... Aahhh il faut que j'arrête de me prendre la tête. Je suis là pendant quelques temps, le temps fera les choses.
Ou pas.
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