Chapitre 40
« In another life I would be your girl,
We keep all our promises be us against the world,
In another life I would be your girl,
So I don't have to say you were the one that got away. »
The One That Got Away — Katy Perry
Line
Je ne tiens plus en place. Depuis le message de Jake, je suis comme une enfant à qui on a promis d'aller au parc de jeux de la ville. Je coiffe rapidement mes cheveux sans les lisser, même si le fait qu'ils rebiquent aux pointes m'agace au plus profond, mais je passe outre. J'applique un peu de mascara, des paillettes sur mes joues car une vie sans paillettes ne serait pas une vie et applique un petit gloss qui, je le sais, va durer le temps que je sorte de la salle de bain. Avoir la bouche toute collante n'est pas forcément des plus agréables.
Pour notre premier rencard en temps que couple — AHHHHHHH (moi intérieur qui hurle) —, j'ai décidé de porter une longe jupe blanche avec un tissu transparent décoré de fleurs jaunes au-dessus ainsi qui joli pull orange, tirant vers le corail. Avec un long manteau s'il ne pleut pas et des Converses, ça devrait faire l'affaire.
Je sors de la salle de bain et tombe nez à nez avec Madame Dubois qui semblait attendre de pieds fermes que je sorte de la pièce. La petite dame ne dit rien et s'avance pour attraper le premier tissu de ma jupe. Ses mains expertes détaillent les motifs épars, remontant jusque mon pull que j'ai glissé dans mon bas.
— Peux-tu me décrire les couleurs, s'il-te-plaît ?
Je lui explique chaque couleur, le plus précisément possible, faisant appel à ses souvenirs en comparant avec des choses qu'elle puisse connaitre, et je l'aide à toucher les différentes matières. Le long de ma tirade, elle hoche frénétiquement la tête, un peu nostalgique.
Ce matin, on m'a encore appelé à cause d'une nouvelle chute de tension. Têtue comme elle est, elle refuse de passer plus de temps à l'hôpital alors je me suis portée garante pour la mettre à la maison avec Paul. Encore une fois, elle a totalement refusé que j'annule mon rendez-vous avec Jake, me confiant qu'un homme que lui, je n'en trouverai pas deux. Ses paroles m'ont touché, bien qu'elle ne cache pas réellement sa déception quant au fait que je sois avec quelqu'un. Je sais bien qu'elle souhaite mon bonheur, mais je sens qu'elle a toujours plus ou moins espéré que je finisse ma vie heureuse avec des chats. Une façon pour elle de m'avoir pour elle seule, je suppose.
— Madame Dubois ?
— Oui, Line ?
— Je voulais vous dire... merci.
La vieille dame s'écarte un peu, libérant ma jupe.
— Merci d'avoir été là depuis mes 19 ans, de m'avoir loué cet appartement pour presque rien du tout quand vous m'avez vu distribuer ces pauvres tracts de recherche de logement à l'époque.
— Tu étais jeune et à la rue, je n'allais pas te laisser dehors alors que les services sociaux ne pouvaient plus rien pour toi...
— Non, vous ne comprenez pas. Je... J'allais mal, j'aurais pu tourner mal si vous ne m'aviez pas loué cet appartement, si vous n'aviez pas parlé de moi à Mia, si... enfin bref. Vous avez toujours été comme une mère pour moi, depuis 7 ans, et je ne veux pas que vous pensiez que je puisse vous abandonner un jour.
La vieille femme éclate de rire, se retenant à sa canne pour ne pas tomber à la renverse.
— Ma petite Line, je sais bien que tu ne m'abandonneras jamais pour Godzilla ! Je suis sûre qu'il est incapable de gagner face à l'émission de Jean-Luc Reichmann et qu'il ne sait pas faire de perfect...
Ok, elle m'a un peu perdu, mais ce n'est pas trop dénigrant pour Jake, si ?
— Enfin bon, j'ai tout cet immeuble et au moment de ton apparition, j'avais un couple qui déménageait. J'ai assez d'argent pour tenir toute une vie, ou plutôt le reste de celle-ci, alors un peu moins de thunes et en échange un joli cœur comme toi, ce n'est rien. Moi aussi, Line, je suis heureuse de t'avoir dans ma vie. Je pense même que tu es la seule personne qui m'ait fait changer d'avis.
— Changer d'avis ? demandé-je sans voir où elle veut en venir.
Madame Dubois se recule et pose ses fesses sur le rebord du canapé pour être plus stable.
— Oui, grâce à toi, je sais que la vie mérite d'être vécue. Avant toi, je n'avais personne, je n'ai jamais eu personne et je pensais que ça serait comme ça jusqu'à ma fin. Tu sais, quand on a un handicap comme le mien et aucune famille digne d'être considérée comme telle, c'est facile de s'isoler, de devenir la vieille conne du quartier. Même si j'ai toujours su que ma vie finirait entre quatre planches, seule, tu as chamboulé tous mes plans. Une petite fille comme toi, maladroite, franche et casse-pieds, ça ne pouvait que me plaire. Tu es ma famille Line, même si on ne se le dit jamais et qu'on passe du temps ensemble sans mettre de mot sur ces moments, je te considère presque comme la fille que je n'ai jamais eue. Je sais que ces mots sont forts et que tu n'as jamais eu de réelle vision d'une famille, mais sache que tu pourras toujours compter sur moi.
Mes yeux sont grands ouverts pour ne pas pleurer et ruiner le peu de maquillage que j'ai appliqué, mais Madame Dubois ne se fait pas prier en essuyant les larmes qui coulent de ces yeux.
— Tu sais, poursuit-elle avec un petit rire sans joie, je n'ai jamais choisi la vie que j'ai eu. Tout n'est qu'une question de destin, de décisions qui nous mènent à telle ou telle issue. Je ne pense pas avoir fait de mauvais choix, encore moins quand je vois le bonheur que tu peux m'apporter sans t'en rendre compte. Alors même si je te fais souvent chier, sache que je t'aime, Line.
— Moi aussi, je vous aime Madame Dubois...
— Oh, pitié, arrête de m'appeler comme ça ! Si j'ai tenu tant d'années, c'est vraiment parce que tu ne m'as pas laissé l'occasion de te taper sur les doigts !
J'éclate de rire malgré ma grimace qui doit faire peur. C'est vrai que j'ai toujours essayé d'avoir cette distance entre nous deux, étant donné qu'elle est quand même la propriétaire de l'immeuble, mais rien n'y fait. Notre attirance l'une pour l'autre a été plus forte, faisant de nous une drôle de famille peu conventionnelle.
— D'accord, Annette... Je vais faire des efforts mais pour le vouvoiement, je ne garantis rien.
— C'est mieux que rien, mais l'autre couillon n'a pas intérêt de m'appeler par mon prénom !
— Aucun risque !
Au même moment, la sonnerie de mon appartement nous indique l'arrivée de Jake et je demande à Annette d'aller lui ouvrir le temps que je chausse mes Converses blanches. Je m'empresse de les mettre et de rejoindre les deux personnes les plus insolites de ma vie — même si Claire mériterait clairement de faire partie de cette catégorie — et m'assure que la vieille dame peut rester seule. Elle me le confirme quinze fois avant de perdre patience et de me mettre littéralement à la porte de chez moi ce qui fait bien marrer mon copain.
— Il était turquoise son bandeau aujourd'hui, remarque Jake en prenant ma main dans la sienne pour descendre les escaliers.
— Oui, pourquoi ?
— Non, rien... Un des personnages de mon scénario est un peu de ce style, mais au lieu de porter un bandeau rouge comme Madame Dubois, il est turquoise. Le fait de la voir avec une couleur autre que du rouge ou mauve me fait tout bizarre.
— Il faut croire qu'elle avait envie de changement. Je ne sais pas, elle était étrange ce soir... Elle m'a tout un tas de choses mais... je ne veux pas y penser. C'est trop sentimental pour moi.
Jake m'emmène jusqu'au taxi qui nous attend en bas de la rue. J'ai beau essayer de lui extorquer des informations, il ne lâche aucune information quant à notre destination ce qui me rend plus nerveuse que jamais. L'homme au volant nous dépose dans une rue bien vivante pour le début de cette soirée et je me laisse entraîner je ne sais où par Jake.
— Là, je veux que tu fermes les yeux à partir de maintenant, m'indique-t-il avec un petit sourire malicieux.
— Comment ça ? Jamais de la vie ! Je vais tomber au bout de deux pas...
— Je te tiendrai, c'est juste pour ne pas gâcher la surprise.
— Mmh, ok...
Je ferme les yeux et Jake enroule son bras autour de ma taille, provoquant un long frisson le long de mon échine. Ce n'est pas désagréable, mais les idées salaces qui viennent s'immiscer dans mon esprit me dérangent plus qu'elles ne me donnent envie.
— Avance doucement.
J'essaye de lui faire confiance, marchant lentement pour ne pas trébucher, puis il m'indique quand tourner et quand il y a un obstacle. Quand nous arrivons au bon endroit, je l'entends pousser une porte et nous montons une marche. Une douce odeur de pâtisserie, de café et de toutes sortes de confiseries se dégage de l'endroit jusque dans mes narines, me faisant saliver d'avance. Puis soudain, alors que j'entends uniquement le doux bruit des gens qui rient et discutent, un étrange bruit me fait réaliser où nous sommes.
— MIAOUW !
J'ouvre brutalement les yeux et lâche un cri silencieux.
— Oh mon Dieu ! Il y a des chats partout, ahhhhhh !
Incapable de me retenir, je fonce vers un arbre à chat où un joli British Shorthair se roule dans l'attente de caresses que je lui offre volontiers tandis qu'un American Curl vient se frotter contre ma jambe. J'abandonne le premier pour caresser le deuxième quand un Sphynx qui semble aigri passe près de moi. Je l'attrape à la volée, lui faisant lâcher un petit râle surpris, et le serre contre moi, des étoiles pleins les yeux.
— C'est toi que je veux !
Je colle ma tête contre la sienne, lui faisant le plus de papouilles possible face à Jake qui a attrapé un Ragdoll.
— Je suis en train de remplir ton Pokédex là, ricane-t-il.
— J'ai toujours rêvé d'avoir un Sphynx comme celui-là, avoué-je.
— Mais il est tout nu !
— Non, il n'est pas tout nu, il n'a pas de poils.
— C'est pareil.
— Non, je regrette.
Une jeune femme d'une vingtaine d'année portant un tablier à l'effigie du café vient vers nous, toute gaie.
— Bienvenue au Anita's and Pets coffee shop, nous accueille-t-elle chaleureusement. Vous avez réservé une table ?
— Oui, au nom de Hawthorne, confirme Jake en posant le chat au sol qui n'attend même pas une seconde pour aller trouver des caresses auprès des autres clients.
— Très bien, je vais regarder ça. Faites attention mademoiselle, Minouche est du genre... aigrie, indique la femme en parlant du chat que je tiens. Elle peut aussi bien vous embrasser que vous mordre.
— C'est bien noté, confirmé-je. Tu ne vas pas me rouler une pelle quand même ?
Le chat grogne et ça me suffit comme réponse pour le reposer et lui laisser vivre sa vie.
— C'est l'amour vache, expliqué-je à Jake sans un regard pour Minouche. Je suis sûre qu'elle finira par m'aimer.
Jake rit et la femme revient nous voir pour indiquer notre table. Mon copain m'explique qu'il faut toujours réserver dans cet endroit à cause de la forte demande. Il était déjà venu avec Emma une fois, et il est tombé amoureux de ces boules de poils qui viennent toutes de refuge. Nous nous installons et je commande un chocolat chaud avec un supplément de chantilly. Jake, lui, commande un café latte et une tonne de pâtisseries qui feront sûrement notre repas et ça me va.
Le début de la soirée se passe merveilleusement bien. Avoir la main de Jake qui se pose sur la mienne, pouvoir se partager la nourriture, dire des trucs niais sans qu'on nous juge... Le paradis. On discute de tout et de rien, on roucoule comme des amoureux et on planifie une balade sur les quais de la Seine avant de rentrer. Je n'ose pas lui dire que ça ne me dit rien étant donné les derniers souvenirs que je détiens de cet endroit, mais je ne lui en parle pas. Je sais que s'il avait fait le lien, il ne m'y emmènerait pas cependant, je me dis qu'en y allant avec lui, ça chassera tous les mauvais souvenirs qui me hantent encore de temps en temps.
— Et du coup...
— Et du coup...
— Le sujet qui fâche, lâche-t-il en avalant un bout de tarte.
— Il faudra bien qu'on en parle un jour, j'ajoute en haussant les épaules.
C'est vrai que même si notre relation est vraiment au début, je veux savoir où on va et quels sont nos projets respectifs. Après les aveux d'Annette, je ne suis pas sûre de vouloir quitter Paris tant qu'elle sera encore de ce monde et que je pourrai profiter d'elle. En plus de ça, ces chutes de tension sont de plus en plus fréquentes, si je ne suis pas présente, elle n'a personne à mettre sur sa liste de numéros d'urgences. Je pourrai bien demander à Claire, elle accepterait, mais ça ne règle pas le problème du temps trop court et de la vie qui n'est pas éternelle.
— Écoute, j'ai bien réfléchi, annonce-t-il en posant sa fourchette. Je crois que je suis prêt à venir ici, en France.
Un petit sentiment de panique remue mon cœur.
— Avant que tu ne t'emballes ou que tu ne prennes peur, j'y pensais déjà avant qu'on se mette ensemble. J'ai des amis chez moi, mais ce n'est rien comparé à ici. Mon père était ma seule réelle attache dans ce monde, et maintenant qu'il n'est plus parmi nous, je n'ai plus rien qui m'empêche de vivre ma vie. Je sais que c'est une grosse décision, que ça ne se fera pas en un clin d'œil, mais sache que je compte emménager ici. Pas chez toi, pas chez Gabriel et Emma, mais quelque part dans Paris. J'aime cette ville, j'ai mes amis, je t'ai toi... Je ne veux rien de plus en fait.
Je ne m'attendais vraiment pas à ça. J'appréhendais un peu cette conversation car je n'étais pas prête à quitter ma vie parisienne pour une vie américaine, mais le fait qu'il souhaite venir à Paris sans même être forcé, ça me soulage. C'est égoïste, mais je suis heureuse que ça soit lui qui change une part de sa vie.
— Je... je ne sais pas quoi te dire, Jake. Je suis vraiment contente ! Je t'avoue que partir de France ne me ravissait pas alors... j'aurai tenté quelque chose à distance, lui confié-je un peu honteuse. Mais maintenant que tu me dis ça, je suis juste heureuse que tu prennes cette décision sans prendre en compte notre relation. Jamais je ne t'aurai forcé à rester ici.
— Et moi donc ! La nourriture française est nettement meilleure que chez moi. Je te ferai quand même découvrir tout ça, ce beau pays que j'aime quand même de tout mon cœur. Mais malgré ça, je pense que ma vie est ici pour le moment. Je pense réellement que tout me prouve que je dois rester là.
Nous finissons notre rendez-vous sur le travail, il m'explique comment il compte procéder, il m'explique un peu le fonctionnement de sa drôle de boite et nous nous rassurons l'un et l'autre quant au fait qu'il emménage potentiellement près de chez moi. On se promet d'aller souvent dans son pays pour qu'il me fasse rencontrer son père et sa ville, puis nous quittons les chats après avoir eu notre bonne dose de câlins. C'est main dans la main que nous allons doucement vers les quais de la Seine, nous faire bercer par les bateaux-mouches et les couples amoureux dont nous faisons dorénavant parti.
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