Chapitre 32
« You talk to the walls when the party gets bored of you,
But I don't get bored,
I just see you through,
Why wait for the best when I could have you ? »
Love — Lana Del Rey
Line
Je regarde encore l'appel de Jake, laissé sans réponse, encore une fois. C'est au moins la sixième fois qu'il tente de me joindre, mais je n'arrive jamais à décrocher. En vérité, je ne suis pas en colère comme Claire peut l'être, loin de là, mais je ne sais juste pas comment réagir. Personne n'aurait pu prévoir ce genre de secret, ce genre de révélation.
Claire et Jake sont frères et sœurs d'un père différent.
Je me demande quel choc ça ferait de prononcer ça à voix haute... Même si ça ne me regarde pas réellement, les deux ont une place tellement importante dans ma vie que mon avis est requis. Normal, j'ai envie de m'en convaincre, mais en même temps, j'aurais préféré qu'on me laisse en dehors de tout ça.
Le fait d'apprendre ça par ma meilleure amie, en larmes dans mes bras, ce n'était pas le meilleur évènement de ma vie. Je ne sais pas si l'apprendre par Jake aurait été préférable, peu importe en fait. J'essaye de garder un certain recul sur la situation, de ne pas me hâter à pointer du doigt telle ou telle personne. Je veux agir comme quelqu'un de mature. Me prouver à moi-même que malgré tout, je peux raisonner la rage de Claire et écouter les explications de Jake.
Depuis quelques minutes, Claire a réussi à s'endormir dans mon lit. Tout irritée à cause des larmes, je lui ai posé plus de mouchoirs sur la table de chevet, au cas où. Ça me tue de la voir dans cet état, si perdue alors que sa vie vient de se faire chambouler. Je ne sais pas vraiment ce que ça peut faire de découvrir qu'on a un frère alors qu'on a toujours vécu seuls. Je ne peux pas imaginer que ça m'arrive un jour car mon inconscient a rayé cette possibilité à l'instant où j'ai été assez grande pour comprendre ce que ça veut dire d'être orpheline. Je sais que sa réaction est légitime, que même si elle s'engueule avec Aïssata tous les quatre matins, apprendre que sa mère lui a caché l'existence d'un demi-frère, c'est compliqué à encaisser.
Jake est son frère.
Penser ça, c'est étrange. Ils sont tellement opposés... Claire est indescriptible, totalement loufoque et dans un modernisme qui dépasse beaucoup de personnes. Jake est plus réservé, moins exubérant et impulsif. La seule chose qu'ils peuvent avoir en commun, c'est cette liberté qui semble les ronger tous les deux. Entre Claire qui refuse qu'on lui dicte ce qu'elle doit faire ou non — au risque qu'elle fasse exprès tout l'inverse — et Jake qui semble être un électron libre, ils se ressemblent sur ce point. Mais même physiquement, j'ai beau chercher les points qui m'auraient mis sur la piste, mais je ne trouve rien.
Certes, Jake a la peau mate, mais ça n'a rien à voir avec la peau plus sombre et métissée de Claire. Leurs yeux sont totalement opposés, leur physique aussi. Il faudrait les coller l'un à l'autre pour pouvoir faire les différences en direct !
Toc, toc, toc.
Un frisson parcourt mon corps. Je sais. Je sais que c'est Jake derrière cette porte. Je n'ai pas besoin de prédire quoi que se soit, mon corps me le crie, mon instinct me le souffle. Mon cœur se met à battre très fort tandis que j'avance lentement vers l'entrée, un peu peureuse que Claire se réveille à cet instant précis.
La poignée s'enfonce sous ma main et le visage tiré de Jake m'apparaît. Rouge, on dirait qu'il a couru. Ses mâchoires sont serrées, ses yeux me regardent furtivement comme s'il était nerveux et ses cheveux sont en pagaille.
— Line... chuchote-t-il d'une voix tremblante qui me fait frissonner.
Je pose doucement mon doigt sur ma bouche pour l'implorer de se taire le temps que je ferme la porte, nous laissant seuls sur le palier. Claire n'est pas en état de le voir pour le moment.
— Est-ce que Claire est là-dedans ? demande-t-il en jetant un coup d'œil sur la porte fermée.
— Oui, elle dort. Elle a été un peu secouée par sa mère...
Une pointe de soulagement détend son visage quand il se prend le visage dans les mains.
— Sa mère est au pied de l'immeuble, m'explique-t-il. Je refuse de la faire monter comme ça, elle m'a pété un scandale mais je m'en fous. C'était hors de question qu'elle monte voir où tu habites pour vous harceler. Claire a besoin de temps.
Cette petite attention me touche. Aïssata est du genre enfant gâtée, quand on la connait bien. Jake l'a bien cernée.
— C'est aussi ta mère... du coup... relevé-je pour enfin aborder le sujet qui fâche.
Ses bras retombent mollement le long de son corps.
— Génétiquement... oui. Je suis tellement désolé, Line. Je... Je voulais te le dire, ok ? Je voulais le dire à tout le monde, mais ce n'est pas si simple. Honnêtement, ça ne veut rien dire sur ce que je ressens pour toi, crois-moi. C'est juste qu'il y a des personnes impliquées qui devaient savoir avant... Je comprends si tu m'en veux, si tu as l'impression d'avoir été utilisée mais, c'est tellement faux, putain.
Son désespoir me fait mal au cœur. Je ne lui en veux absolument pas.
— Je... Merde je me sens idiot ! J'allais t'en parler. J'ai rencontré Aïssata il n'y a pas si longtemps, on a discuté et, elle est tout sauf ma mère. C'est ma génitrice. Point barre. Te mettre au courant c'était prendre le risque de mettre au courant Claire, ou de te faire mentir aussi. C'était inconcevable pour moi... Et je t'en supplie, ne pense pas que tout ça, dit-il en faisant des gros mouvements pour illustrer son propos, c'est du vent. Ce n'est pas le cas. Je ne vous ai pas approché parce que ma génitrice est liée à vous, pas du tout, ok ? C'était un putain de hasard. Je te le promets sur tout ce que j'ai, Line. Je ne veux pas te perdre de cette façon, ça serait trop con.
Un petit sourire triste m'échappe. Il est essoufflé, ses yeux me supplient de le croire. Mais je le crois, il n'a pas à se justifier.
— Jake...
Je m'avance doucement, prends sa main dans les miennes. Il est froid, glacial même.
— Je le sais, tout ça. C'est peut-être ma naïveté qui parle ou le fait que je sois amoureuse de toi, mais je te crois. Honnêtement, si je n'avais pas le choix et qu'un choix était nécessaire, Claire est celle qui a toujours été là pour moi alors... tu devines. Mais c'est ma meilleure amie, elle ne veut que mon bonheur, alors même si elle décide de te détester jusqu'à sa mort, je sais aussi qu'elle prendra sur elle. Jamais de la vie elle ne me demandera de faire un choix. Et puis, je n'ai rien à voir là-dedans. Pourquoi tu aurais dû m'en parler ? Comme tu l'as dit, j'aurais été contrainte de mentir à mon amie, et ça c'est trop dur. Toute cette histoire ne me concerne pas, il concerne juste les personnes les plus importantes de ma vie. Je suis prête à vous épauler, à comprendre comment on a pu passer à côté de cette information, mais pas à interférer dans votre vie. C'est vos problèmes, vos histoires de famille, pas les miennes. Ça serait égoïste de ma part de t'en vouloir pour quelque chose qui ne me concerne même pas.
Je l'entends renifler, puis son regard remonte pour s'ancrer au mien. Il a les yeux rouges, signe qu'il lutte pour ne pas pleurer.
— Tu...
Il ne finit pas sa phrase, riant en s'étranglant avec ses émotions.
— Je ?
— Tu es amoureuse de moi ?
J'éclate de rire. Tout ce qu'il a retenu de ma tirade, c'est que j'ai dit que j'étais amoureuse ? Il va presque me vexer là !
— Je pensais que c'était évident, ronchonné-je entre deux rires. Oui, Jake. Je suis tombée amoureuse de toi à l'instant où je t'ai vue face à Mme Dubois. Je suis tombée amoureuse quand tu as attendu mon rendez-vous avec moi pour ne pas qu'on me fasse du mal ou bien même quand tu as porté mes talons pour soulager mes pieds. Je suis tombée amoureuse de toi quand tu m'as emmené chanter ou que tu m'as fait courir jusqu'au mur des je t'aime. Et je tomberai encore amoureuse de toi à notre prochain rendez-vous, aussi loufoque soit-il, et que tes lèvres se poseront enfin sur les miennes. Parce que je n'attends que ça, Jake.
Il ouvre la bouche pour répondre mais je l'en empêche.
— Mais avant tout ça, je dois être présente pour mon amie. Tu comprends ? Je ne t'oublie pas, je priorise juste Claire le temps qu'elle aille mieux.
— C'est normal, articule-t-il en déglutissant.
Je libère sa main, recule un peu jusqu'à la porte de mon appart.
— Pendant les prochains jours, pense à ça, ok ? Je suis amoureuse de toi, mais Claire a besoin de moi. Elle m'a toujours soutenue alors c'est à moi de le faire, maintenant. Je n'ai pas fait de choix, je n'en ai pas à faire. Prend du temps pour toi, et je suis juste assez égoïste pour te demander de m'attendre.
Jake recule aussi, un petit sourire triste sur les lèvres.
— Tu as le droit d'être égoïste, confirme-t-il. Explique notre conversation à Claire, s'il-te-plaît. Je ne veux pas qu'elle me déteste. Aïssata est toujours sa mère, pas la mienne, peu importe le sang que nous avons en commun. Par contre, si Claire est ouverte à avoir un frère, je suis prêt à découvrir ce que c'est d'avoir une sœur.
J'acquiesce et presse doucement la poignée pour ne pas faire de bruit.
— Oh, et Line ?
— Oui ?
— Moi aussi, je suis tombé amoureux de toi à l'instant où Mme Dubois me traitait de monstre.
Il penche la tête tendrement puis s'échappe rapidement pour rejoindre sûrement la mère de Claire qui attend dehors. Moi, je rentre chez moi, en silence, un peu perdue. Vaseuse, je rejoins ma meilleure amie qui dort fermement et me blottis contre son dos. Paul nous rejoint très vite, fatigué d'avoir dormi toute la journée, et je m'endors près d'elle.
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