Chapitre 31


« J'comprends pas pourquoi tu t'inquiètes quand tu prends du poids,
Pour moi c'est ça d'pris, ça fait toujours plus de toi. »
Paradis — Orelsan

Line

Je m'étire longuement avant de faire des tonnes de papouilles à Paul. La nuit a été longue pour tous les deux, lui faisant des allers et retours à sa litière et moi respirant à peine à cause de la maladie. Son poil blanc a l'air tout triste et ça me déprime plus qu'autre chose de voir mon chat dans cet état.

La décision d'accueillir Paul dans ma vie a toujours été une évidence. Dans toutes les familles qui m'ont accueilli, il y a toujours eu un animal. Furet, chat, chien, hamster, j'ai presque tout eu. Ce qui m'a toujours marquée blessée, c'est l'attachement que je ne pouvais pas avoir. Tenir à un animal, c'était prendre le risque de me faire arracher le cœur le jour où je partirai. Alors je me suis toujours promis que le jour où je serai autonome, avec un revenu convenable, je m'achèterai un chat. Paul était le petit dernier d'une portée d'un élevage à quelques kilomètres, alors ce fut une évidence que je l'ai vu tout petit et faible. Hors de question d'aller en animalerie, j'ai pris un taxi et je suis allée le prendre.

C'était et c'est toujours la meilleure décision de ma vie.

Quant à son prénom... J'avais une légère obsession — qui a duré deux mois à peine — sur Paul Rudd. En plus de ça, je trouve qu'un prénom humain pour un animal est extrêmement drôle donc le voilà rebaptisé !

Le pire, c'est que la fille de l'éleveuse à qui j'ai acheté le chat l'avait appelé Hello Kitty... Je n'ai rien contre la déconstruction des genres, mais un mini Ant-man est plus stylé qu'un chat japonais.

Bref. Voilà ma thèse sur Paul, j'espère valider un doctorat après ça.

Lentement, je soulève le chat de mes jambes pour le poser à ma gauche et enfin me lever de mon lit, mais c'est encore la sonnette de mon appartement qui m'oblige à m'activer.

Punaise, on ne peut jamais être malade en paix ? Non pas que le cadeau de Jake ne m'ait pas fait plaisir, au contraire, mais j'ai juste envie de pester sur mon rhume toute seule.

Rapidement, j'enfile un bas de pyjama pour éviter d'être en culotte et vérifie que mon t-shirt n'est pas indécent mais tout va bien, il dit juste « Toujours lire les petites lignes » et en-dessous, en plus petit, il y a écrit « Je suis enceinte... », puis en plus petit encore « T'y as cru, pauvre con ! ». J'aime bien ce t-shirt, même si je n'ai aucune idée de comment je le possède.

Pas pressée, je sors de ma chambre et me dirige dans l'entrée pour ouvrir à une Claire totalement hors d'elle. Ma meilleure amie éclate en sanglot quand elle voit mon visage et me tombe littéralement dans les bras. Surprise, je la retiens avant qu'elle ne tombe à genoux au sol, clignant des yeux plusieurs fois avant de comprendre la situation.

—    Claire, relève-toi, s'il-te-plaît... Que je ferme la porte.

Mon amie se redresse, renifle et essuie nonchalamment la morve qui s'écoule de son nez pour que je puisse fermer la porte. Ma meilleure amie retire ses chaussures, serrant les poings si fort que ses phalanges blanchissent. Ses yeux sont rouges, ses cheveux attachés en désordre et on dirait qu'elle est partie de chez elle dans la précipitation. Elle qui est toujours apprêtée, ça ne lui ressemble pas.

—    Qu'est-ce qu'il se passe, Claire ? Tu es bizarre...

Avec elle, je prends des précautions et je ne m'affole pas. Elle est... Comment dire ? Drama-queen ? Le nombre de fois où elle est rentrée chez moi dans cet état parce qu'elle n'avait pas eu ses chaussures ou ce vêtement en vente privée car elle s'y était prise trop tard... Ou encore la fois où elle avait terriblement envie d'une glace à la pistache à cause de ses règles et qu'un oiseau la lui a volée. Claire est plutôt extrême.

Mon amie se débarrasse de son manteau qu'elle pose puis un petit cri de rage s'échappe d'elle.

—    Je suis malade Claire, tu ne devrais pas rester...

—    Je m'en fous ! Je ne peux pas aller autre part !

Mon amie se met à faire les Cent pas en direction de mon salon alors je la suis à la trace mais pas trop près pour ne pas lui faire chopper ma maladie. Ok, on partage tout, mais si je peux lui éviter d'avoir la Seine dans le pif, je le fais.

—    Claire, qu'est-ce qu'il y a ? J'ai mal à la tête, je voulais prendre un Doliprane et...

—    Ce qu'il y a c'est que je ne peux plus retourner chez moi !

—    À cause d'Aïssata ?

Dès que mes mots atteignent ses oreilles, mon amie cesse tout mouvement et se fige, piquée vive par mes paroles.

—    Je ne veux plus entendre parler de cette sorcière de mes deux ! Je la déteste tu m'entends !

J'ouvre la bouche pour dédramatiser la chose, dire qu'elle exagère sûrement un peu, mais son doigt menaçant vient se poser rapidement sur mes lèvres. Les yeux rouges de mon amie se plantent dans les miens, une expression que je ne lui ai jamais vu au visage.

Quelque chose ne va pas. Réellement, cette fois.

—    Tu vois, j'étais conciliante. Elle avait besoin de moi, elle a fait tant de choses pour moi que d'accord, je l'héberge. C'est ma mère après tout. Je supporte son caractère. Je me tais en faisant la bouffe car elle ne fait rien. J'accumule ses remarques. Mais, vois-tu, fouiller dans mes affaires, j'avais plus de mal qu'autre chose. Alors quand madame me laisse l'opportunité, la magnifique et belle chance de lui faire comprendre ce que c'est d'avoir quelqu'un qui fouille dans ses affaires, je la saisis. Un ordinateur laissé ouvert sur la table basse sur un document...

Elle retire vivement sa main, presque colérique.

—    Putain ! Mais n'importe qui aurait jeté un coup d'œil, même par hasard ou juste curiosité ! Qui laisse un document confidentiel ouvert à la vue de tous, merde !

Les sanglots de mon amie reprennent et je ne sais pas quoi faire. Elle est totalement dans un autre monde, dans un état second qui me dépasse totalement. La seule chose que je puisse faire c'est l'écouter. Tant que je ne saurai pas le centre du problème ou de ce qui l'a mis dans cet état, je ne pourrai rien faire de plus.

—    Je...

Claire détend ses épaules et se tourne de nouveau vers moi. Ses yeux chocolat s'accrochent aux miens, humides et perdus. Lentement, doucement, elle vient me prendre dans ses bras. Ma meilleure amie se blottit dans mon cou tandis que je passe mes mains autour de sa taille pour lui donner un peu de réconfort.

—    Je suis désolée Line.

J'essaye de me dégager doucement pour lui tirer les vers du nez, elle me serre plus fort. Puis c'est la décadence. Claire me chuchote au creux de l'oreille tout ce qu'elle a lu, tout ce qu'elle a vu, ma mâchoire m'en tombe. Muette, je réagis à peine, absorbant ce que ma meilleure amie me murmure.

Ce n'est pas possible.

Comment avons-nous pu passer à côté de cette information capitale ?

***

Jake

***

Depuis le dernier message de Line me remerciant hier soir du petit panier, je n'ai plus eu de nouvelles. Est-ce que c'est grave ? Non. Il faut qu'elle se repose, elle était très pale quand je l'ai vue alors bon. Je prends mon mal en patience, comme me dit souvent Gabriel.

Je n'ai pas attendu que Line reprenne le travail pour me rendre au café. Mine de rien, je dois avancer encore sur mes projets avant de rentrer chez moi.

Si je rentre.

La possibilité de rester en France me titille de plus en plus, surtout avec l'apparition de cette merveilleuse femme dans ma vie. Je sais pertinemment qu'un amour ne doit pas être pris en compte dans une carrière professionnelle ou dans un choix de vie tant que ce n'est pas réellement officiel depuis un certain temps — du moins, se sont les conventions qui veulent ça —, mais je ne sais pas. Je n'ai jamais suivi les chemins classiques. Je ne sais pas où nous irons avec Line, si ça aboutira à quelque chose, mais j'ai envie de tout mettre dans cette relation. Ça faisait bien longtemps que je ne m'étais pas senti aussi bien avec quelqu'un.

Je chasse toutes mes pensées d'un coup de tête, voulant me concentrer à nouveau sur mon taff quand la tête d'une femme que je ne connais que trop bien maintenant passe la porte d'entrée. Aïssata, de toute sa grandeur majestueuse, se dirige vers le bar en marchant vite. Mia, qui prépare quelque chose, se fait interpeller plutôt sèchement. Les deux femmes se mettent à parler, mais je suis trop loin pour entendre quelque chose.

La patronne de l'établissement secoue la tête en fronçant les sourcils puis son regard trouve le mien. Elle m'indique du revers de la main, mais quand la mère de Claire me trouve, elle grimace. Pas dupe, Mia secoue la tête en soupirant et passe côté salle pour venir ne ma direction.

Contrainte, Aïssata la suit vers moi, serrant son long manteau sur sa poitrine. Maquillée à la perfection, Mia fait beaucoup plus naturelle à côté d'elle.

—    Je peux vous aider ? demandé-je en levant un sourcil à l'intention d'Aïssata.

Fière, elle ne détourne pas le regard mais ne masque pas son dédain et son dégoût.

—    La mère de Claire cherche sa fille, explique la latina d'une voix douce. Tu ne saurais pas où se trouve ce bout de femme, par hasard ?

—    Hum...

Je réfléchis quelques instants, faisant le tour des endroits que pourraient fréquenter la jeune femme à cette heure, mais hormis chez Line, je ne vois pas où elle pourrait être.

—    Vous avez essayé d'aller chez Line ? demandé-je assez froidement.

—    Je... Je ne sais plus où elle habite, m'avoue-t-elle en baisant les yeux de gêne.

—    Mais, c'est la meilleure amie de votre fille depuis longtemps.

—    Oui, lâche-t-elle sèchement. Je sais. Merci. Mais je ne sais plus. C'est tout.

Gênée, Mia rit doucement, crispée, avant de nous laisser poliment pour retourner à ses cocktails.

—    Je peux vous y emmener, si c'est urgent, soufflé-je. Elle a fait une connerie ou quelque chose du genre ?

Aïssata ne répond pas, fuis mon regard. J'essaye d'insister haussant de plus en plus les sourcils dans l'attente d'une réponse qui me parvient presque inaudible.

—    Elle sait tout... Elle a fui d'un coup... Je suis allée aux toilettes, laissant mon ordinateur où il y avait des papiers... des papiers te concernant, marmonne-t-elle en rougissant.

—    Vous avez fait ça alors que votre fille était dans la même pièce que vous ? récapitulé-je, incrédule.

—    Oui... Je n'étais pas censée savoir qu'elle allait fouiller !

Nan mais j'hallucine ! Même moi je connais moins bien Claire et je sais que c'est le genre de personne à fouiller sans partir d'un mauvais sentiment !

—    Donc elle sait quoi, au juste ?

—    Tout...

—    Tout ?

—    Tout.

Et merde.

Plus motivé, je ramasse rapidement mes affaires que je balance en vrac dans mon sac, puis indique la sortie à la femme qui m'accompagne.

J'espère que Claire n'est pas chez Line. Que je me trompe. Car si c'est le cas, j'ai peur qu'elle m'en veuille. Beaucoup.

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