Chapitre 3
« You do somethin' suspect,
this cute ass bye-bye »
Good Graces — Sabrina Carpenter
Jake
« C'est d'accord, quel est votre deal qu'on en finisse ? Je vous préviens, je ne suis pas sûre que les femmes qui me suivent vont apprécier que je me mette à parler des sites de rencontres mais bon... je suis une bonne âme et mon chat est d'accord avec moi : donnez-moi le nom du site, et dites ce que vous voulez que je fasse. »
Depuis hier soir, je relis en boucle le message, esquissant des brides de réponses sans jamais réussir à la formuler correctement. Mon français est très bon en général, mais comme ça faisait un moment que je n'étais pas venu en France, j'ai besoin de me remettre dedans.
J'éteins l'écran de mon portable une énième fois avant de sortir mon ordinateur portable de son étui, et ainsi commencer la vraie raison de ma présence ici. J'ai un scénario de film à terminer, j'ai assuré à mes collègues qu'il sera bientôt près, je dois m'y tenir. Le problème reste l'inspiration. Mon voyage en France est un stupide prétexte pour trouver cette inspiration manquante, mais je ne suis pas sûre que les jolies rues de paris arrivent à me faire oublier la monotonie de ma vie en général, et de cette panne d'imagination dont mon cerveau souffre. J'ouvre le fichier qui contient uniquement les premières lignes du scénario quand mon téléphone se met à vibrer sur la table du petit café où je me suis posé. Malgré l'automne qui laisse place à un hiver qui s'annonce mémorable, le temps est plutôt doux, presque printanier. C'est agréable.
— Gabriel, comment tu vas ? Désolé, je suis parti tôt ce matin.
— T'excuses pas Jake, c'est moi qui m'excuse mille fois pour la scène d'hier avec Emma. Elle me gave avec son blog à la con pour meuf célibataire alors qu'on est fiancés... Enfin bref, ce n'était pas du tout le lieu ni le moment pour parler de ça, surtout devant toi alors pardon.
Je grimace mais ne peux pas m'empêcher de sourire en me rappelant leur engueulade d'hier. Gabriel et Emma vivent ensemble depuis un moment maintenant, mais c'est vrai que l'addiction de celle-ci pour les réseaux sociaux et tout ce qui en découle commence fortement à fatiguer Gabriel, mon meilleur ami, qui se sent un peu nul face à cette vague de célibat que mange Emma comme du petit pain. Hier n'a pas fait exception, ils étaient en train de se gueuler dessus quand je suis rentré de ma balade, au point qu'ils ont oublié de venir m'ouvrir l'immeuble quand j'ai envoyé un message à Gabriel. Merci à la jeune femme de m'avoir sauvé des griffes de la vieille dame hystérique puis de m'avoir laissé pénétrer dans le hall.
— Ne t'en fais pas, ça arrive à tout le monde ce genre de choses... Concentre-toi sur ton application avant tout.
— Oui c'est vrai... Son lancement n'est pas aussi bon que je le pensais, ça craint. Mais je garde espoir, on travaille déjà sur de nouvelles fonctionnalités, il faudra que tu testes ça !
— Non merci, je ne suis pas venu ici pour batifoler avec de jolies françaises je te rappelle, j'ai un scénario à finir pour mon producteur...
— Excuse-nous monsieur le scénariste en herbe digne d'Hollywood ! Détends un peu ton string et profite d'être à Paris pour faire autre chose que bosser. Ce soir on est que tous les deux de toute façon, on va aller boire un verre dans un chouette bar et oublier nos vies minables.
Vies minables, il exagère. Avec mon salaire et les projets qu'on me propose à tout bout de champs, je ne suis vraiment pas à plaindre. Mon travail commence à être réellement reconnu dans mon milieu, au point que ce scénario pourrait faire décoller ma carrière, je ne dois pas me foirer. Quant à lui, il est quand même un super développeur, entouré d'une fiancée super chouette malgré sa petite taille et son caractère explosif. Parce que oui, Emma me fait peur de temps en temps malgré son même pas mètre cinquante.
— Si tu veux mais il faut absolument que j'écrive des trucs dans la journée. Et au fait, garde ton téléphone près de toi s'il-te-plaît j'ai trop peur que ta voisine me saute dessus quand je rentre...
— Tu parles de Line ?
— Line ?
— Bah oui, tu sais la meuf aux cheveux mauves qui, entre nous, est vraiment super belle. Elle, c'est une de françaises à pécho tant que t'es ici ! Même si je crois qu'elle n'aime que son chat...
C'est vrai qu'elle a une tête à avoir un chat.
— Mais non idiot ! Je te parle de la vieille dame qui fait des doits d'honneur et me compare à Godzilla !
— Ahhhhh ! Mme Dubois ? Oui, oui, mais tu sais, elle est gentille au fond. Je pense que c'est une marque d'affection.
— D'affection mon cul !
— Ah bah tu vois ! Quand tu dis ce genre de choses tu perds ton accent américain tout moche !
— Rahhh ta gueule Gabriel...
— Encore mieux !
— Je te laisse...
— Bisous ma couille !
— Bisous sur la fesse droite !
Je raccroche et souffle malgré mon grand sourire. Gabriel est vraiment un très bon ami que je me suis fait par hasard lors d'un voyage en Irlande. Il parlait un peu anglais grâce à son métier donc on a sympathisé et nous voilà des années plus tard comme ça, à presque trente ans, lui presque marié. Le temps passe vite quand on y repense...
— Monsieur ?
Je me tourne à gauche où une jeune femme métisse me lance un grand sourire blanc presque charmeur en remettant une mèche bouclée derrière son oreille. Elle porte le tablier du café et un petit calepin donc je suppose qu'elle travaille ici.
— Vous souhaitez quelque chose ?
— Je vais prendre... hum... un café froid ? Ice coffee and... Zut...
— Do you want to speak English ? Me propose-t-elle avec gentillesse.
— Non, non, je réponds en riant doucement. Désolé, ça fait un moment que je ne suis pas venu et mon français est un peu rouillé pour quelques termes. C'est un gâteau avec du citron, mais je n'ai plus le terme exact.
— Une tarte au citron meringuée ?
— Oui ! C'est ça ! Merci beaucoup madame.
— Je vous en prie. Je vous apporte ça.
Je la remercie une nouvelle fois et elle disparaît dans le café d'angle, remuant son derrière comme si c'était une mannequin en plein défilé. Merde, je matte son cul sans vergogne, la honte. Déjà que j'oublie la base du français quand je dois parler... C'est souvent comme ça quand je dois parler dans une autre langue que l'anglais avec quelqu'un, je panique et j'oublie tout ce que je connais. Ridicule.
Je secoue la tête, reprend mon ordinateur en main et commence à bosser comme un acharné. Mon scénario est un peu naze alors je fais des pauses en sirotant le café qu'elle m'a apporté mais aussi en alternant avec d'autres projets moins urgents, histoire d'avancer dans tout ce que j'entreprends. Le temps passe rapidement puis midi approche. L'heure de midi est sacrée pour moi, généralement je me refuse à travailler en mangeant, bien que je sois du genre à ne jamais me poser.
La femme revient prendre ma commande du midi — autant rester manger là, sous les fausses plantes au dessus de ma tête — puis je sors mon téléphone que j'avais laissé bien au chaud toute la matinée. Je visionne une vidéo sur les capybaras que m'a envoyé Gabriel, réponds à un ou deux mails perso, puis mes doigts me guident sur le blog « youknowyouloveme? » et sur les messages privés qu'on s'est échangés. Après la bagarre d'Emma et Gabriel hier soir, j'ai voulu aller jeter un coup d'œil à ce qui révolte tant mon ami... et j'ai compris.
Cette femme — parce qu'elle le dit elle-même — est totalement barjot. Tout ça parce qu'elle a eu des problèmes avec son ex, elle remet la faute sur tout l'Univers et tous les hommes qui existent. Je comprends sa frustration et sa douleur mais ce qu'elle raconte dans ses postes, c'est clairement de la merde qui te retourne le cerveau.
Je relis le dernier message qu'elle m'a envoyé, et c'est enfin le moment de répondre. Je ne vais pas fuir indéfiniment, sachant qu'elle a accepté d'écouter mon deal.
Gabriel vient réellement de lancer une application de rencontre qui ne rencontre pas un réel succès depuis son lancement, il y a une semaine. Alors je me suis dis autant faire une pierre deux coups. Si la femme derrière l'écran change d'avis sur les hommes et arrête son blog, Emma arrêtera ses conneries avec Gabriel. Et en même temps Gabriel aura peut-être du succès sur l'application. Quant à moi, j'aurai peut-être des idées pour mon scénario. L'histoire étant une jeune femme paumée qui tente de redonner du peps à sa vie avec tout et n'importe quoi. Mon idée est simple, mais c'est presque trop fou pour que cette mystérieuse femme accepte.
« Heureux de lire ça. Le deal est simple : vous parlez de l'application sur votre compte, et je vous aide à avoir plus de visibilité. C'est bien ce que vous cherchez ? L'application propose bientôt une nouvelle fonctionnalité qui vous fera matcher avec des hommes au pif. Je vous propose de rencontrer ces hommes sans regarder le profil au préalable, vous aurez le droit d'en parler sur votre réseau pour critiquer encore plus — ou non — les hommes et les rendez-vous que vous avez obtenu. En soit, pas réellement besoin de promouvoir à bloc l'application, ça se fera par le biais de tout ça. »
J'envoie, pas trop sûr de mes explications, mais la réponse me parvient à peine une minute plus tard.
« C'est un peu bizarre votre truc, je n'ai rien en échange en fait... j'ai déjà assez de visibilité. »
« La possibilité de retrouver l'amour ? »
« Des conneries. »
« Ma reconnaissance ? »
« Je ne sais même pas qui vous êtes. »
« J'ai juste besoin de vous... Ça ne fera qu'un plus dans votre vie. Je n'ai pas d'argent à vous offrir ou je ne sais quoi. Juste du fun. »
« Du fun ? »
« Oui, du fun. »
« Ok. »
« Ok ? »
« Oui, c'est bon pour moi. Envoyez-moi le lien de l'application et ça me va. Faire des dates au pif, ça peut être drôle. »
Si je m'attendais à ça... J'y suis allé au culot sans vraiment attendre de réponse à la base, mais qu'elle rentre dans le jeu si facilement sans demander de contrepartie, cette femme est folle. Je commence à comprendre ce qui peut attirer Emma dans la personnalité de cette inconnue. J'ouvre l'application de mon pote et mets quelques minutes à envoyer le lien à la femme, puis éteins mon téléphone quand une jeune femme aux cheveux mauves arrive face à moi. Nos regards se croisent et je la reconnais. C'est la fille du hall.
Ses yeux d'un bleu foncé s'agrandissent mais elle dépose tout de même mon plat avec les joues rougies. Je la remercie et propose de payer de suite mais elle me dit que je paierai plus tard, après le repas au complet. Elle se retourne avec un « Bon appétit » poli, mais je ne peux pas m'empêcher de la retenir.
— Encore merci pour hier, je ne sais pas comment j'aurai pu faire autrement.
— Je vous en prie, votre ami est vraiment naze pour vous avoir enfermé dehors.
Je lui souris un peu timidement. J'avoue que Gabriel ne fait pas passer ses potes avant sa copine...
— Il s embrouillait avec sa chérie, je ne peux pas lui en vouloir de m'avoir abandonné avec la vieille folle.
Ses sourcils se froncent, son visage devient sévère.
— Cette vieille folle s'appelle Madame Dubois, respectez-la sinon vous aurez affaire à moi. Bon appétit.
Son ton sec me fait presque sursauter mais je ne réponds pas. Merde, c'est venu tout seul, je n'ai même pas pensé un seul instant qu'elle puisse être amie avec la vieille dame pirate. Quel idiot je fais. En plus, elle vient de partir et vu son attitude, je pense que sa collègue va vite revenir s'occuper de moi, ne me laissant pas l'occasion de m'excuser...
Les Français me fascinent.
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