Chapitre 28


« Keep you apart, deep in my heart,
Seperate from the rest, where I like you the best. »
Between The Bars — Elliott Smith

Line

Exténué, je me laisse tomber comme une merde dans mon lit, ce qui provoque un hurlement de la mort à Paul. Cet idiot n'était pas à sa place habituelle et je ne l'ai pas vu... Tant pis pour lui.

Je m'installe sous ma couverture, le coussin calé dans mon dos, puis sors mon portable. J'ai passé une excellente soirée avec Jake, même si la tentation de ses lèvres a été de plus en plus forte jusqu'à notre séparation il y a quelques minutes. S'il tient à tenir jusqu'au troisième rendez-vous, je respecte, mais je n'ai pas dit que je n'allais pas lui mettre des bâtons dans les roues. Honnêtement, je n'ai aucune envie d'attendre. Si ça ne tenait qu'à moi, je serais en train d'aller sonner chez lui pour l'embrasser à pleine bouche mais d'un autre côté, cette petite attente entretient quelque chose de plus fort. Pas un jeu ou ce genre de chose, mais une forme de respect qui me rassure.

Plus d'un auraient sauté le pas depuis bien longtemps. Pas lui.

Paul revient comme une fleur et s'installe près de moi quand mon téléphone m'annonce un message. Il doit être minuit ce qui est plutôt tard pour recevoir une notification mais je l'ouvre, surprise de voir le pseudo de mon inconnu s'afficher. « andwhoamI? » m'a envoyé une petite main en émoticone qui me fait salut. Je lui réponds de même, le sourire aux lèvres malgré la fatigue.

« Comment vas-tu depuis le temps ? »

C'est vrai qu'à chaque fois que l'on se parle, j'ai l'impression qu'une éternité s'est passée.

« Je vais très bien et toi ? »

« Très bien aussi. On ne se parle plus beaucoup, dis donc. »

« C'est vrai, nos vies sont chargées on dirait. »

« C'est le cas de mon côté. »

« Du mien aussi. »

Un petit vide s'installe, quelques secondes avant qu'il ne me réponde. La conversation est... bizarre. Je ne dirai pas que c'est gênant, mais il y a quelque chose d'étrange dans l'échange. Comme si pour une fois, nous n'avions rien à nous dire.

« Excuse-moi, je ne sais pas trop quoi te dire haha, c'est embêtant »

Il a lu dans mes pensées ! Au moins, le sentiment est partagé.

« Ne t'en fais pas, c'est pareil pour moi. Depuis que j'ai arrêté le blog, je n'ai plus grand-chose à raconter dans ma vie. Petit à petit, je me case et ça fait du bien. »

« Oh, c'est super ! Ça avance, donc. Je suis heureux pour toi. »

« Merci beaucoup, c'est vrai que ça fait du bien. »

« Ahaha, on est loin des publications que j'ai pu lire où tu tacles les hommes ! »

« C'est vrai que j'en suis loin maintenant... Mais ce n'était pas démérité. »

« Mais non, tu mens ! Tu t'es trompée sur notre compte, il faut le reconnaître :) »

Je commence à taper ma réponse mais un texto de Jake me fait tout interrompre. Une boule d'excitation dans le ventre, je quitte la conversation avec mon inconnu pour ouvrir ma messagerie ainsi que le texto de Jake.

« Bonne nuit à toi, j'ai passé une superbe soirée à tes côtés. »

Des centaines de petits papillons crépitent dans mon ventre tandis que je serre le smartphone contre ma poitrine en poussant un petit cri.

—    Regarde Paul ! Regarde ça !

Je montre à mon chat le téléphone mais il se contente de me lécher la main. J'ai envie de sauter sur mon lit ou de faire une danse de la joie ! Il m'a envoyé un message... Ahhh, je suis une gamine amoureuse c'est horrible !

Je me réinstalle à moitié allongé sur mon lit pour lui répondre. Qu'est-ce que je devrais mettre ? Le but c'est de faire durer la conversation, non ? Enfin bon, il est tard... On s'en fout ! Non je veux dormir. Et puis il n'est pas acquis. Et moi je ne suis pas acquise non plus. Soyons sobre mais mignonne.

« Je t'ai dit la même chose tout à l'heure, copieur ! Mais je n'ai absolument pas changé d'avis, j'ai adoré me faire dévisager par des passants tandis qu'on dansait dans la nuit. »

« Ahaha ! C'est vrai que cette partie là était fun, mais j'ai préféré t'entendre chanter Creep. Le nombre de fausses notes en une chanson... impressionnant ! »

« Eh ! Oh ! On en parle de toi ! »

« Un chanteur né, tu as le droit de le dire. »

« Le jour où tu seras un chanteur, les poules auront des dents ! »

En réponse, il m'envoie un gif de poule avec une dent qui me fait mourir de rire instantanément.

« Allez ma belle, au lit, il est tard. »

« Oui papa... »

« Je ne déconne pas, il est tard, tu devrais aller te coucher, je te rappelle que tu travailles demain. »

« Tu es beaucoup plus responsable que moi, c'est injuste. »

« Je t'apprendrais un jour ;) En attendant, au plumard ! »

« Oui, oui... Bonne nuit Jake. »

« Bonne nuit Line. »

J'éteins l'écran et le rapporte contre mon cœur tout mou. Un soupir en fixant le plafond et j'ai l'impression d'être sur un nuage entrain de planer.

Qu'est-ce que j'en ai de la chance.

***

—    Je te jure que je vais lui faire la peau. Je ne la supporte plus !

Claire tourne en boucle depuis le début de la journée, râlant sur sa mère qui squatte toujours chez elle.

—    Et il y a cette histoire avec Jake... J'espère vraiment qu'ils ne couchaient pas ensemble sinon... beurk !

—    Mais non Claire... On commence à le connaitre, je pense qu'il nous l'aurait dit si c'était le cas. Et puis, honnêtement, ça n'a pas l'air d'être son délire les coups d'un soir.

—    Tu crois ?

—    J'en suis sûre.

Désespérée, elle se prend la tête dans les mains. Je comprends qu'elle la trouve bizarre, moi aussi je trouve cette histoire étrange, mais hormis l'écouter attentivement, je ne peux pas faire grand-chose.

Aïssata a toujours été une femme particulière, qui prend beaucoup de place. Claire est un peu comme ça aussi mais moins extravagante, plus mesurée. Ensemble, je sais qu'il y a toujours eu des étincelles, alors ce n'est pas moi qui vais changer grand-chose.

—    Mais elle va bien retourner chez elle un jour, ne t'en fais pas.

—    Ça n'a pas l'air...

—    Arrête de râler Claire. Il fait beau aujourd'hui, la Terre tourne, Paul n'a pas fait caca à côté de sa litière et Mia est aussi aimable qu'un bébé tortue. Et pas les tortues alligators.

Elle semble réfléchir à mon propos puis acquiesce doucement.

—    C'est vrai. Ça lui passera. Je m'excuse d'être une amie exécrable en ce moment.

—    Mais non, tu es géniale. La preuve, la première chose que tu as fait ce matin c'est de me demander comment s'est passé mon rendez-vous avec Jake. Et ensuite tu m'as demandé s'il était bien membré. Ok, je ne peux pas avoir une meilleure amie normale. Mais je fais avec.

Ma meilleure amie me tape gentiment l'épaule avant de me faire signe qu'elle m'abandonne, un client entrant dans le restaurant. Je retourne à mon nettoyage des verres, pensant à la course qui m'attend ce soir. Jake m'a proposé d'aller courir et, en bonne fangirl, j'ai accepté.

Évidemment que je n'aime toujours pas courir. Évidemment que je vais me plaindre tous les cent mètres. Évidemment que j'y vais pour son beau petit cul et ses beaux yeux. C'est tout ce qui me motive en ce moment.

***

—    On est bientôt arrivé, râlé-je en marchant tant la pente est raide de ce côté de Montmartre.

—    Bientôt, Line. Promis.

Je râle de plus belle et accélère le pas. Jake court tranquillement devant moi, faisant des allers et retours quand il me distance. Exactement comme la première fois que nous sommes allés courir ensemble. La seule différence est que je suis incapable de courir avec cette pente. Même avec toute la volonté du monde, je suis incapable de prendre de la vitesse. En pleine marche active, j'ai l'impression de faire tellement de mal à mes poumons qu'ils vont me créer une maladie pour me punir.

—    Jakeeeee...

—    Lineeee... répond-t-il sur le même ton las.

—    J'ai mal....

—    Encore un mini effort !

Un cri plaintif s'échappe de ma gorge alors il vient derrière moi pour me pousser et m'aider un peu à avancer. Mes jambes sont tellement douloureuses que j'ai peur de ne plus pouvoir me relever quand je vais m'assoir.

—    Aller, un bébé effort encore... Je te jure que ça vaut le coup.

Quand faut y aller... J'essaye de mettre un peu plus d'énergie et remercie l'Univers quand un peu de plat revient. Jake me libère et repart courir tranquillement, pas très loin de moi pour me montrer le chemin. Honnêtement, je ne sais pas où nous sommes tellement je n'ai pas regardé autour de moi depuis le début. Incapable de réfléchir, je tourne où il tourne et m'arrête où il me dit de le faire.

—    Regarde !

Je tourne la tête vers l'endroit qu'il me montre, et souris malgré ma douleur. Devant nous, un mur bleu se dresse derrière des grilles vertes. Grand de deux ou trois mètres, il s'élève derrière un petit square tout vert.

—    Tu aimes ? me demande-t-il doucement en posant un bras autour de ma taille.

—    C'est le mur des je t'aime, je chuchote entre deux toux.

Il acquiesce doucement avant d'observer le mur qui se dresse face à nous. Sur le bleu carrelé du mur, des centaines d'écritures blanches se dessinent, toutes s'unissant d'une même voix pour dire je t'aime. Dans toutes les langues imaginables, des « je t'aime ».

—    Je t'aime, ti amo, ngiyakuthandza, commencé-je à lire en plissant les yeux.

De là où nous sommes, c'est un peu compliqué de tout déchiffrer, surtout que beaucoup de langues n'ont pas la même écriture ou le même alphabet que nos pays respectifs.

—    Lùbim ta, ti voglio bene, I love you, poursuit Jake.

Alors qu'il essaye de desceller quelques mots encore, mon regard dévie vers lui. Contre lui, sa main sur ma hanche, je me sens bien. Je n'ai pas l'impression d'être dans le froid de l'automne, autour des feuilles mortes et de la pluie qui menace de tomber. Jake a tout de la personne parfaite mais avec ses défauts. Plus je l'entends dire tous ces je t'aime à voix haute, plus je tombe un peu plus amoureuse de lui.

Parce que oui. Je suis indéniablement amoureuse de lui.

—    Comme l'a dit Bella, le coupé-je alors qu'il parlait dans une langue que je ne connais pas. Un, tu es l'un des hommes les plus étranges que je connaisse. Deux, une part de toi m'est encore inconnue mais je n'ai étrangement pas peur de la découvrir. Trois, je suis follement et irrévocablement amoureuse de toi.

La mâchoire lui en tombe, et je vois dans son regard qu'il ne sait pas quoi me dire sur le moment. C'est la première fois que je dis ce genre de chose, mais je n'ai pas honte. Ce que je lui dis, je le sens. Transpirante, essoufflée, c'est face à ce mur que je devais lui dire ça.

—    Ne réponds pas Jake, je veux juste te poser une question.

Pendu à mes lèvres, il hoche lentement la tête.

—    Est-ce que ce moment peut compter comme un rendez-vous ?

Jake ouvre la bouche pour répliquer mais un petit rire s'échappe avant qu'il ne réponde. Tendre, il bouge pour me caler face à lui, ses deux mains autour de moi.

—    Line Mazuret. Ça serait un réel plaisir, mais je regrette de devoir décliner malgré cette magnifique réplique digne d'un film que tu viens de me faire.

Il ne doit pas avoir la référence car c'est presque totalement tiré d'un film.

—    Mais, pourquoi ? je demande, déçue.

—    Parce que le jour où je t'embrasserai, c'est-à-dire à notre prochain vrai rendez-vous, je veux que tout soit parfait. Tu mérites que tout soit extraordinaire, pour toi.

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