Chapitre 27


« And as your shrinking figure blows a kiss,
I catch and smash it on my lips »
Sweet Dreams, TN — The Last Shadow Puppets

Line

Je décroche alors que le numéro de Claire s'affiche. Mince, je dois rejoindre Jake pour une surprise et elle m'appelle maintenant... On s'est vue toute la journée au boulot, certes entre deux clients, mais bon, avec sa mère qui squatte depuis deux jours chez elle, je comprends qu'elle ait les nerfs.

—    Allô ?

—    Allô ma copine préférée ?

—    C'est elle-même.

Je vérifie que j'ai tout mis dans mon petit sac à main, que mon rouge à lèvre n'a pas coulé, puis quitte mon appartement. On doit se rejoindre dans le hall donc je ne suis pas si en retard que ça.

—    Je t'aime ma Claire chérie, mais Jake m'attend, je te rappellerais plus tard si ça ne te dérange pas ?

—    Ah oui, mince ! J'avais oublié, excuse-moi. Je deviens folle avec l'autre timbrée dans mon appart...

—    Ne parle pas comme ça de ta mère...

Je sais que Claire adore sa mère, mais j'avoue qu'Aïssata est du genre envahissant, ce qui ne plait pas à mon amie. Elle qui aime découcher quand elle le souhaite, fumer une clope à son balcon avec un verre de vin ou encore danser en sous-vêtements la fenêtre ouverte, elle doit être bien restreinte.

—    Punaise ! Elle part acheter je ne sais quoi au proxi, chuchote-t-elle, surexcitée. Je vais pouvoir fumer ma clope peinarde.

—    Je croyais que tu avais arrêté, marmonné-je.

Mon amie se tait avec de m'avoue qu'elle n'a pas réussi, la volonté n'y étant pas. Mais elle me promet qu'avant nos 30 ans, elle arrêtera.

Et mon cul c'est du poulet.

—    Bref, je vais te laisser mon chou.

Je m'arrête au dernier palier pour raccrocher, mon instinct me disant que Jake est déjà dans le hall d'entrée de l'immeuble.

—    Oui, oui ! Juste, tu as pris des médocs hein ? Comme tu n'es pas en forme depuis quelques jours...

—    Oui Claire...

—    Et tu n'as pas oublié pour la soirée d'Halloween bientôt, hein !

—    Oui Claire...

—    Oups, je t'agace donc je te laisse, gros bisous.

—    Gros bisous aussi ma belle.

Elle raccroche et je ne peux pas m'empêcher de rire. Elle m'a parlé de la fête d'Halloween ce matin mais évidemment, elle ne doit déjà plus s'en souvenir. Entre sa mère et son cerveau hyperactif, elle ne sait plus où donner de la tête.

—    Hey ?

Jake penche sa tête dans la cage d'escalier, un sourire aux lèvres.

—    Salut ! Désolée, j'étais avec Claire qui est en train de péter un câble avec Aïssata.

Il me dépose un petit baiser sur la joue qui a le don de me faire rougir puis nous sortons dans la rue. Il n'a pas pointé le bout de son nez au restaurant aujourd'hui, alors il m'a textoté pour savoir si j'étais disponible ce soir. Hormis mon lit et mon chat, je n'avais rien de prévu alors j'ai accepté qu'on se voit. Je regrette un peu de ne pas avoir profité de notre dernière sortie avec nos amis. Il était attentionné et j'ai juste été absente. Je compte bien me rattraper.

—    Où m'emmènes-tu ? demandé-je quand il attrape ma main dans la sienne.

Il ne fait pas chaud dehors alors il a enfilé une jolie écharpe avec son long manteau beige. Très chic avec ses cheveux bien coiffés et ses joues bien rasées pour l'occasion. Je suis heureuse d'avoir enfilé ma robe blanche avec mes jolies bottes roses et ce petit trench bien français qui rend tout classe.

—    C'est une surprise...

Jake n'en dit pas plus mais presse doucement ma main, réchauffant mes doigts congelés par le froid de la soirée. Après un peu de route dans le métro, pressée entre les parisiens occupés, nous descendons non loin du musée Grevin que je n'ai jamais visité de ma vie. Mais étonnement, ce n'est pas là qu'il me dirige. On se promène doucement entre les rues de Paris sans un mot, riant de temps à autre quand l'un marche dans une flaque d'eau ou trébuche sur un pavé. C'est ça que j'aime avec Jake, nous parlons quand nous avons des choses à nous dire et pourtant, le silence n'est pas lourd ou gênant, au contraire. On profite l'un de l'autre tout autant.

D'un coup, il s'arrête et me désigne un petit bar de la main.

—    C'est... nannn, m'interrompis-je à cause de mon rire.

—    Un karaoké ! lâche-t-il, tout fier de lui.

Nous entrons tandis que je ris toujours, suspendue à son bras, et l'ambiance me plait de suite. La partie bar est très così, avec un comptoir noir, des étagères en bois tout comme les tables tandis que les sièges sont d'une couleur orange ou verte. Tout à fait le style que j'aime, un mélange de récent et d'ancien. Jake m'explique qu'il a réservé une pièce pour nous deux ce qui me rassure un peu. Non pas que chanter devant tout le monde soit un problème, c'est plus pour lui que je dis ça...

Nous nous retrouvons directement dans une petite pièce avec un grand sofa et une petite table pour poser nos boissons. Un écran dans un mur nous permet de commander directement sans nous déplacer et un autre projètera je suppose le karaoké.

Prévenant, il m'aide à retirer ma veste qu'il pose sur un portant puis nous commandons de suite nos boissons avant d'entamer les hostilités.

—    Comment tu as eu cette idée ? demandé-je en cherchant la première musique que nous allons chanter.

—    Aucune idée, je me suis dit que ça serait le genre de choses qui te plairait.

Son sourire me fait fondre. J acquiesce gaiement et lance la première chanson sans le prévenir. J'attrape le micro, pleine d'énergie, et me lève du siège, un sourire malicieux aux lèvres. Jake m'observe les yeux écarquillés, mort de rire quand je commence à faire la star le temps que les paroles se lancent.

—    Chez moi les forêts se balancent, et les toits grattent le ciel ! crié-je en faisant le show. Les eaux des torrents sont violence et les neiges sont éternellessss !

Jake éclate de rire, l'air perdu tant ça va vite.

—    Chez moi les loups sont à nos portes et tous les enfants les comprennent ! On entend les cris de New York et les bateaux sur la Seine !

J'attrape Jake de la main pour l'inciter à se lever et danser avec moi tandis que je hurle l'autre couplet d'un air sérieux. Ses yeux trouvent les miens, et je souris en les voyant plus sombres que d'habitude. Il est pendu à mes paroles, peu importe si je chante faux ou non.

Je suis Céline. Je vis Céline. Je respire Céline.

Le refrain arrive et il attrape le deuxième micro d'un air déterminé.

—    J'irai où tu iras ! OUHOUHOUH ! Mon pays sera toi ! OUHOUHOUH, nous chantons en cœur.

Nous continuons le reste de la chanson à danser et hurler les paroles, parfois seule quand ça va trop vite pour lui. Quand le refrain reprend, il chante en cœur avec moi, son accent américain ressortant fois mille. Le reste de la soirée se poursuit de la même façon, alternant les chansons françaises où Jake baragouine ce qu'il peut et les chansons d'une autre langue où c'est moi qui baragouine. Les verres s'enchaînent eux aussi mais je ne vois pas le temps passer, trop occupée à rire et me dépenser avec un Jake énergique et déchainé. Il me fait tourner, reprendre des scènes culte de film ou encore incarner des chanteurs en tout genre. On pleure sur Titanic, on se déhanche sur Grease, on rit sur Fatal Bazooka. La culture musicale de mon compagnon est assez impressionnante, surtout en français quand on voit tout ce qu'il connait, même sans savoir forcément les paroles.

Quand vient déjà l'heure de nous quitter, j'insiste pour payer la soirée et il me laisse faire sans soucis. Comme on a mangé chez lui la dernière fois, c'est normal que ça soit mon tour.

—    J'ai passé une superbe soirée, lui confié-je en marchant tranquillement pour nous rapprocher du métro.

Contrairement à ce que je croyais, il n'est pas tard du tout.

—    Moi également, même si tu es une tueuse ! Je ne pensais pas découvrir ce type de monstre, tu t'es révélée, rit-il doucement en attrapant de plus belle ma main.

—    Eh oh ! Tu ne t'es pas vu ! Sur Justin Bieber, tu te transformes aussi !

—    Je plaide coupable, c'est mon péché mignon.

Je me mords doucement la lèvre en baissant la tête pour observer le sol. Depuis que je passe autant de temps avec lui, j'ai l'impression que ma vie est toute rose, ce qui n'est pas la réalité mais pourtant, j'ai envie d'y croire. Je traine des pieds, éclairés par les lampadaires de la ville, aucun de nous ne relève. Alors quand le métro approche, je ne peux plus me retenir. Je ralentis un peu le pas, l'obligeant à en faire de même.

—    Jake ?

—    Oui, Line ?

À cause du karaoké, son accent est un peu plus revenu dans la soirée, ce qui fait sonner mon prénom différemment.

—    Est-ce que ça compte comme un rendez-vous ? demandé-je en prenant soin de ne pas croiser son regard.

Jake ralentit un peu plus, son regard pesant sur moi.

—    Hum... Oui, pourquoi ça ?

J'hésite mais l'alcool absorbé me donne un peu plus de courage que d'habitude.

—    Eh bien... la dernière fois, tu n'as pas voulu m'embrasser. Tu m'as dit que ça serait au troisième rendez-vous.

Un rire rauque retentit dans la nuit.

—    Oui, dit-il tout bas. J'ai dit ça.

Il s'interrompt un instant puis reprend avant que je ne puisse dire quelque chose.

—    Et même si je meurs d'envie de poser mes lèvres sur les tiennes, je compte m'y tenir. Mais bien évidemment, tu peux faire le décompte avec ce rendez-vous. Parce que s'en est bien un.

Quelque chose réchauffe mon cœur et je me sens toute niaise. Jake tire sur mon bras d'un coup sec pour m'amener vers lui. Déstabilisée, je tourne sur moi-même et me retrouve contre son torse, le cœur battant la chamade. La bouche entre ouverte, ses lèvres s'étirent doucement tandis que ses yeux me décortiquent d'une lueur nouvelle. Il déglutit lentement, mon regard dévie de ses yeux clairs à ses lèvres roses.

Hypnotisée, je m'avance doucement vers lui, les jambes légèrement tremblantes, mais quand nos nez se touchent presque, il m'éloigne tout doucement en me faisant tourner sur moi-même. S'enchaînent des pas de danses bancals, guidés par l'américain qui rythme le tout d'une musique invisible. Des inconnus nous dévisagent, d'autres nous observent sans un mot, mais je ne fais pas attention. Je me laisse porter par cet homme qui me dévoile un peu plus de son extraordinaire tous les jours.

Cette fois, pas de pluie pour nous accompagner mais juste le battement de nos cœurs fatigués, bercés par les souvenirs de la soirée passée. Et ça suffit amplement.

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