Chapitre 26
« And if you go,
I wanna go with you,
And if you die,
I wanna die with you »
Lonely Day — System of a down
Jake
Elle était là, devant moi, et j'ai paniqué. Depuis les années qui la séparent de la photo que j'ai d'elle et maintenant, elle n'a presque pas changé. Son crâne rasé, son grand sourire, ses yeux d'un noir profond et sa peau ébène, tout correspond.
Quand ses yeux se sont posés sur moi et qu'elle a réagit, j'ai su qu'elle avait deviné. Comment ne pas le voir ? J'avoue que je ne m'attendais pas à cette réaction froide et calculatrice. Depuis une heure dans mon lit, je n'arrive pas à me débarrasser du souvenir de son regard sur moi, à me décortiquer de haut en bas comme si j'étais un vulgaire inconnu.
Mais c'est la vérité. À ses yeux, je suis un vulgaire inconnu. Et même si c'est le cas pour moi aussi, je n'arrive pas à le voir comme ça.
Un nouveau sanglot m'échappe, je n'arrive pas à le retenir. Voilà dix minutes que je pleure comme un idiot, trempant mes draps de mes larmes sans raison.
Je n'arrive pas à passer le cap.
Je pensais être assez fort pour encaisser le jour où ça arriverait, mais ça n'a pas été le cas. La seule chose qui m'a fait tenir bon jusque chez moi, c'est la petite main de Line dans la mienne. Au moment où ses doigts fins se sont glissés entre les miens, le poids que j'avais sur mes épaules s'est envolés avant de réapparaître que je l'ai laissée avec Paul sur le pas de sa porte. D'un seul coup, le monde m'a paru trop lourd pour moi, mes émotions trop fortes. Si j'avais pu aller courir à cet instant, je l'aurais fait. Mais mes allers et retours auraient dérangés Gabriel et Emma, et il est hors de question d'être un parasite dans leur vie.
Aïssata. Je ne connaissais pas son prénom jusqu'à ce que Line me le dise.
Moi qui comptais la chouchouter après cette soirée qui semblait éprouvante pour elle... Je suis égoïste. Je devrai être en train de lui préparer une tisane pendant qu'elle prend une bonne douche chaude, pas en train de pleurer comme un pauvre type dans mon lit.
— Jake ?
La voix de Gabriel me parvient derrière ma porte alors je me tais, comme si mon père m'avait pris en flagrant délit d'une partie de Mario Kart sous ma couette.
Même lui n'est plus là pour me dire que tout va bien.
— Je peux entrer ? Je sais que tu es réveillé.
Je ne réponds pas, faisant mine de dormir. Je ne veux pas que mon meilleur ami me voie dans cet état, c'est ridicule. En plus, je ne saurai pas quoi lui dire. « Mec, je l'ai vu et elle m'a mal regardé alors je pleure comme un bébé dans les draps que tu me prêtes, dans la chambre que tu me loues, dans l'appartement où tu me loges ». Non. Impossible.
— Je vais entrer si tu ne me réponds pas, idiot.
Je ne réponds pas. Il entre. Je fais le mort. J'entends ses pas sur le sol s'approcher doucement de moi. Merde, je n'ai pas mis ma tête sous ma couette. Je sens le visage de Gabriel tout proche du mien mais rien ne se passe jusqu'à ce qu'il saute au-dessus de mon corps pour se retrouver allongé derrière moi, face à mon dos. Deux bras m'enlacent sans un mot, me serrent fort.
— Qu'est-ce que tu fais, je marmonne en essayant de retenir mes larmes qui ne veulent pas arrêter de couler.
— Je croyais que tu dormais ?
— Arrête de faire le con...
Il rit doucement avant de me serrer plus fort. Je l'entends à peine chuchoter tellement il parle tout bas.
— Tu peux pleurer mec, je t'ai entendu. Je serai toujours là quand tu veux pleurer, ok ?
Je n'ai pas la force de faire plus que d'approuver et de me laisser aller dans les bras de mon meilleur ami jusqu'à ce le sommeil ne me rattrape.
***
Claire avance vers moi. Claire avance vers moi et elle n'a pas l'air ravie du tout. Claire avance vers moi avec détermination, sourcils froncés, bras croisés sur la poitrine. Son tablier cache une jolie robe noire qui doit lui aller à ravir, si seulement elle ne faisait pas cette tête à faire froid dans le dos.
— Jake Hawthorne.
— Oui, Claire ? Tu as mon café, peut-être ?
La femme lève les yeux au ciel avant de reprendre.
— Tu sais très bien que Line est en train de te le préparer avec quinze mille autres trucs dégoulinants d'amour. Non, ce n'est pas pour ça que je suis là.
Vu son attitude, je me doute qu'elle veut me parler de quelque chose. Et au vu de la situation, je pense qu'elle souhaite me parler d'hier soir...
— Je ne vais pas passer par quatre chemin, Jake, annonce-t-elle d'une voix grave.
— Je t'écoute Claire, je ne veux pas qu'il y ait un malaise entre nous.
— Est-ce que tu as couché avec ma mère ?
Est-ce que... quoi ? J'éclate de rire tellement sa connerie est grosse mais elle, ça n'a pas l'air de la faire rire plus que ça. Je tente de me calmer, tremblant à chaque respiration, mais je suis tellement hilare qu'elle doit attendre plusieurs secondes qui me paraissent des minutes avant de reprendre.
— Jamais de la vie je ne coucherai avec ta mère, Claire. Tu es folle ou quoi ?
— Alors c'était quoi cette réaction hier ? Vous aviez l'air de mon connaitre, marmonne-t-elle en plissant les yeux.
Légèrement rouge, elle ressemble à une petite fille d'un seul coup. Elle qui a une prestance de malade en toute situation semble réellement bouleversée par ce qu'elle a pu voir hier alors qu'en vérité, je ne sais même pas quoi lui dire. Lui dire la stricte vérité maintenant, en plein travail dans un restaurant à moitié vide, n'est même pas envisageable.
— Claire, je suis désolé que tu aies cru un truc du genre mais ce n'est vraiment pas le cas. Je crois la connaitre, oui, mais je ne sais pas vraiment d'où, mentis-je en sentant aussi le rouge me monter aux joues. Sa réaction m'a surpris alors j'étais en train de réfléchir à qui peut-elle être...
Peu convaincue et surtout un peu perdue, Claire soupire et s'assoit nonchalamment sur la chaise en face de moi avant de prendre sa tête dans ses mains.
— Vous devez vous connaitre, marmonne-t-elle. Je ne sais pas comment mais elle, elle a l'air de te connaitre. Elle m'a pris le chou toute la soirée en m'interdisant de passer du temps avec toi. Quand je lui ai appris que vous traînez ensemble avec Line, c'est limite si elle n'a pas réveillé tout le voisinage en pestant.
Une vive douleur se plante dans ma poitrine mais je feinte un sourire devant la brune qui semble vraiment affectée par cette situation. De ce qu'elle me dit, me voir n'a pas dû faire plaisir à Aïssata et c'est un peu dur à encaisser. Je ne pensais vraiment pas la voir dans ces circonstances, certes, mais delà à ce qu'elle s'emporte, rien qu'à cause d'une soirée... Je n'ose même pas imaginer la suite.
— Claire, je t'assure que pour le moment, je ne vois pas qui elle est même si je pense qu'effectivement, je la connais. Ne te mine pas par rapport à ça...
J'hésite avant de reprendre.
— En fait... je ne veux pas semer le bordel autour de moi, autour de vous... Sì jamais ça empire... Je suis prêt à m'éloigner, pour apaiser tout le monde... Sì c'est mieux pour tout le monde.
Elle se redresse d'un coup, fronçant ses sourcils et plaquant brutalement ses mains sur la table.
— Alors là, tu rêves ! Maintenant que tu es un peu engagé auprès de Line, parce qu'on ne va pas faire semblant, vous flirtez ensemble, il est hors de question que tu te casses sans un mot à cause de ma folle de mère ! J'ai encore le droit de choisir qui je fréquente ou non. Et entre nous, tu n'as rien du con qu'elle a l'air de décrire pour me faire fuir. Elle me cache quelque chose, et je compte bien le trouver !
Merde. Un pic de stress me monte mais je le contiens avec les faibles talents d'acteur que j'ai. Connaissant également un peu Claire, ce n'est pas du genre à lâcher le morceau. Mais pas du tout... Je savais que ça arriverait un jour ou l'autre. Je le savais, mais je ne pensais pas comme ça. On en a longuement parlé ce matin au petit déjeuner avec Gabriel et Emma, et ils sont tous deux du même avis : que je dise la vérité avant que ça n'éclate. Au fond, je suis d'accord avec eux. Cacher ce genre de chose, même si je ne veux pas, peut faire beaucoup de mal autour de moi. Mais révéler ça... c'est aussi dur pour moi que d'avouer au Grinch qu'il aime Noël.
Je sais que je venais en France pour ça. Il le fallait. C'était ma raison de tenir le coup après la mort de papa. Mais face aux faits... je n'ai plus la même énergie, la même envie ni la même détermination. Quand j'ai vu ses yeux d'un noir profond et son corps qui se tend, j'avais tellement honte ! Honte d'être qui je suis, d'être là, face à elle, autour d'eux. Je n'ai rien fait de mal. Je cherche la vérité.
Y aurais-je le droit un jour ?
— Jake ?
— Hum... ? Oh, excuse-moi, j'étais dans mes pensées.
— Ne t'en fais pas.
Claire se lève en lissant son tablier puis s'étire longuement.
— Je dois retourner bosser, mais avant ça, je dois te dire une chose. Ma mère est extrême, mais je suis prête à prendre le risque de t'inclure dans nos vies selon ce que veut Line. Ne me fais pas regretter, d'accord ? Et je te rappelle en toute amitié que si tu fais du mal à un seul cheveu de ma meilleure amie, je te fais bouffer tes couilles et je te couds l'anus.
Je grimace à cette image ce qui ne la fait même pas rire tellement elle semble sérieuse.
— Ne t'en fais pas, je ne compte pas lui faire de mal.
Claire acquiesce, me fait un pouce puis s'éclipse pour reprendre son service et accueillir gaiement deux hommes qui viennent de passer la porte d'entrée.
Cette menace ne me donne plus le choix. Si je veux garder Line et faire un minimum de dégât, je vais devoir parler et arracher le pansement. Et ça risque de me faire mal.
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