Chapitre 25


« Aime-moi jusqu'à ce que les roses fanent,
Que nos âmes sombrent dans les limbes profondes,
Et la nuit, quand tout est sombre, je te regarde danser »
Amour Plastique — Videoclub

Line

Notre rendez-vous à trois s'est transformé en vraie soirée entre amis, Claire ayant invité Gabriel et Emma à se joindre à notre petite sortie. En vérité, je suis plutôt contente de me retrouver avec ces deux personnes que je ne connais pas tant que ça étant donné quelles ont l'air assez proches de Jake.

Depuis notre soirée aux chandelles, il y a eu un vrai tournant dans notre relation. Moi qui pouvais encore avoir des doutes quant à ses intentions, il m'en a clairement fait part avec notre écart chatouilles-qui-tournent-mal. Et ce n'est pas plus mal. Avec lui, je me sens bien, et je pense que c'est le principal.

J'ai l'impression de flotter sur un petit nuage de bonheur, oubliant tous mes malheurs pour me concentrer uniquement sur le beau sourire de Jake. Qu'est-ce que je suis niaise...

—    Line ? Tu m'entends ?

—    Hein, quoi ?

Claire éclate de rire en secouant la tête d'un air désespéré, puis elle me montre la carte qu'elle tient dans la main.

—    Qu'est-ce que tu veux boire ?

Merde, je n'en ai aucune idée. Ma meilleure amie le lit rapidement dans mes yeux et commande je ne sais quoi au serveur à ma place, m'évitant un énorme blanc de gêne. Elle me connait, je sais qu'elle a fait le bon choix. Avec ce temps de chien dehors, j'avoue qu'un bon vieux chocolat chaud ne m'aurait pas déplu.

En parlant de chocolat chaud, j'en connais un qui ne s'est pas fait prier pour venir récupérer son précieux dû au restaurant tout à l'heure... Quand j'ai vu sa petite tête brune passer la porte bâtante, je n'ai pas pu contenir le sourire qui s'est étiré sur mes lèvres. Le pauvre dégoulinait d'eau à cause de la pluie continue sur Paris, alors je lui ai fait le meilleur des chocolats avec un supplément crème et marshmallow.

—    Line ?

—    Hum ?

—    Ça va ?

Mon amie pose une main rassurante sur mon avant-bras, visiblement inquiète que je sois la tête dans les nuages.

—    Non, non. Tout va bien. Je suis juste un peu fatiguée, avoué-je avec un petit sourire.

—    Je comprends mais ne t'en fais pas, on ne va pas rester longtemps.

En face de moi, Jake rit doucement à une blague de Gabriel et nos regards se croisent sans se quitter. Il bouge légèrement les sourcils, l'air de me demander l'air de rien si ça va alors je hoche la tête. Tout va parfaitement bien mais je me sens un peu vaseuse. Comme s'il manquait quelque chose pour que tout soit parfait. Mais tout l'est, justement... Je dois réellement être fatiguée je pense.

J'avoue que la proposition de sortie avec Claire et les autres m'a emballée sur le moment, mais une fois le service terminé pour nous deux avant que d'autres prennent le relais et l'heure de partir arrivée, j'avais juste envie de retourner Paul et mon hideux canapé vert. Ma seule motivation est Jake. Et encore, si je lui demandais de rentrer maintenant, je pourrais mettre ma main a coupé qu'il accepterait.

Le serveur ne tarde pas à nous ramener nos boissons et je constate que Claire m'a commandé une bière rousse, tout ce que j'aime. Je la remercie doucement et paie son verre car j'en ai envie.

Nous trinquons et nos regards s'accrochent de nouveau ce qui me fait rougir. Ses boucles tombent sur son front, légèrement humides ce qui fait ressortir ses yeux d'un brun clair que j'ai rarement vu. Sûrement que j'exagère parce que je commence à ressentir des choses pour lui, mais en cet instant, se sont les plus beaux yeux de l'univers.

J'avale une gorgée du liquide ambré mais il ne me fait rien du tout. Je n'ai pas vraiment envie de boire ce soir, je sens que ce sera ma seule commande.

—    Donc vous vous connaissez depuis combien de temps ? nous demande Gabriel qui glisse ses cheveux blonds au carré derrière ses oreilles.

Je jette un coup d'œil à Claire qui répond avant moi.

—    Ça doit faire... 6 ans ? Un truc du genre ?

Je confirme d'un hochement de tête.

—    On a commencé à peu près au même moment au restau et depuis on est inséparables. C'est même plutôt drôle que je ne vous aie pas présenté avant la dernière fois.

—    Oui c'est vrai, après on n'a jamais eu vraiment d'occasion pour.    

Gabriel est un peu le genre de personne dont je connais l'existence et le visage, mais c'est tout. Comme Emma, sa compagne, ils font parti du décor de ma vie. C'est un peu horrible de dire ça comme ça, surtout parce qu'ils ont l'    air super sympa, mais je ne sais pas grand-chose d'eux.

—    Attends, juste pour me situer un peu par rapport à vous, je sais que tu as... 27 ans, Claire ?

—    26, corrige-t-elle au blond.

—    Oups. 26 ans donc. Line ?

—    25, je réponds.

Claire et moi avons un an de différence presque pile. Je suis née le premier juin tandis qu'elle est née le 2, ce qui nous fait avoir le même âge un jour dans l'année.

—    Et toi ? renchéris-je histoire de participer un peu à la conversation.

—    27 ans pour moi ! Quant à Emma, elle a 26 comme Claire.

—    Tu sais, je peux répondre, rétorque l'intéressée en levant les yeux au ciel.

—    Pardon ma chérie.

Il lui pose un petit baiser sur la joue.

—    Et moi 28, du coup, intervient Jake en riant. Je suis le vieux de la bande, super !

—    Bouhhhh le vieuxxxx !

Gabriel éclate de rire en voyant sa petite amie huer Jake qui plaide coupable. Je savais qu'il avait 28 ans mais c'est vrai que parfois il peut faire moins, pas physiquement mais plus dans son comportement.

Un débat sur l'âge s'engage mais je n'ai pas la force de commenter et de participer. J'écoute l'échange d'une oreille distraite, sirotant ma boisson en pensant à tout et à rien. J'observe les gens dans le bar, riant et bavardant avec animation.

D'un coup, je repense à mon inconnu avec qui je n'ai pas bavardé depuis un moment. C'est vrai qu'entre mon arrêt du blog et mon rapprochement avec Jake, je n'ai pas pensé à lui envoyer de message pour savoir comment il va. Je sais que les réseaux sociaux ou tout ce qui touche au virtuel ne dure jamais bien longtemps et qu'il est compliqué de créer une relation à partir de ça, surtout avec quelqu'un d'un autre pays, mais une partie de moi regrette un peu tout ça. Dans une autre vie, peut-être que nous aurions pu développer quelque chose ? Je ne sais pas. En tout cas, il avait raison sur une chose, je le reconnais, tous les hommes ne sont pas des cons.

La soirée passe plus vite que je ne l'aurai pensé. J'étais tellement ailleurs que je n'ai pas vraiment pris le temps de faire pleinement connaissance de Gabriel et Emma mais tant pis. Mon petit doigt me dit que nous aurons le temps de nous revoir prochainement.

—    Tiens, ton manteau.

Jake m'aide à l'enfiler après que j'aie fait un tour au petit coin, alors je le remercie.

—    Il pleut moins alors ça devrait le faire pour rentrer à pied, explique Gabriel en sortant du bar.

—    Je vais déposer Claire chez elle avant de rentrer à l'immeuble, bonne soirée à tout le monde !

Gabriel et Emma me saluent avant de s'éloigner pour attendre Jake qui semble confus.

—    Allez-y, leur indique-t-il en se joignant à nous deux. Je ne veux pas que Line rentre seule après avoir déposée Claire.

—    D'accord, à toute !

Claire presse discrètement mon bras avant d'ouvrir la marche. Comme l'a dit Gabriel, la pluie s'est vraiment atténuée, on peut presque voir le ciel au-dessus de nos têtes. Les étoiles doivent briller fort derrière les nuages et loin de la pollution lumineuse de la ville. C'est dommage qu'elles n'apparaissent pas pour guider nos pas à cette heure tardive.

—    Tu étais bien sage ce soir, Line, commence Claire en tenant fermement sa veste pour ne pas chopper froid.

J'hausse les épaules, évite un poteau.

—    Je suis fatiguée, pour de vrai ce n'est pas un mensonge. J'ai peut-être un rhume, ou quelque chose comme ça. Je vais prendre une tisane et du paracétamol avant d'aller me coucher je pense.

—    Ça ira pour cette nuit ? intervient Jake, visiblement inquiet que je m'avoue sûrement malade.

—    Oui, un simple rhume. Ça ira. Merci.

Jake hoche la tête et retire l'écharpe qu'il portait pour l'enrouler autour de mon cou. Je le laisse faire, observant ses doigts experts qui nouent l'écharpe avec minutie.

—    Merci, chuchoté-je à peine quand je sens son souffle chaud près de mon visage.

Il ne me répond pas mais se contente d'un sourire discret avant que l'on ne reprenne la route. Claire ne fait que parler, une vraie pie. Comme je n'ai pas le cœur à lui répondre, Jake discute avec elle sans arrêter de me lancer des regards. J'ai hâte de rentrer.

On bifurque dans la rue de Claire mais d'un coup, sans prévenir, Claire s'arrête net. Jake me rattrape de justesse avant que je ne fonce dans ma meilleure amie qui est figée, la mâchoire serrée, les yeux brillants.

—    Claire ?

Inquiet, l'accent de Jake a refait surface mais pour une fois, je ne trouve pas ça mignon. Le visage fermé de ma meilleure amie est la seule chose qui me préoccupe. Je me libère doucement de Jake, posant une main sur son bras pour le rassurer, puis je cherche l'endroit vers lequel Claire s'est figée. Je tourne la tête jusqu'à trouver la porte de son immeuble où une femme semble attendre patiemment quelque chose.

Grande, sûrement mince sous son manteau noir, la femme est fondue dans l'ombre de l'immeuble. Je plisse les yeux, essayant de discerner un visage mais avant que je ne puisse reconnaître qui que se soit, la femme se tourne vivement vers nous, plantant ses yeux noirs dans ceux de Claire.

Aïssata Duquesne explose de joie en voyant sa fille, se précipite vers elle pour la prendre dans ses bras. Du haut de son mètre 90, la mère de Claire semble presque aussi grande que Jake qui doit la dépasser de quelques centimètres à peine.

—    Ma fille chérie que j'aime de tout mon cœur, qu'est-ce que tu m'as manquée !

La détresse dans les yeux de ma meilleure amie me ferait presque rire si je n'avais pas peur que sa mère vienne me prendre dans ses bras comme elle le fait pour sa fille. C'est à peine si elle peut respirer !

Quand Aïssata se décolle enfin Claire, elle nous remarque enfin et me salue chaleureusement.

—    Ma petite Line ! Comment vas-tu depuis le temps ? J'ai l'impression que ça fait une éternité que nous ne nous sommes pas vues !

Je lui fais la bise puis elle se tourne vers Jake qui ne sourit pas. Comme Claire tout à l'heure, mon ami est totalement stoïque face à Aïssata qui se fige en voyant son visage. Tendus, leurs joues se touchent pour se saluer sans qu'un mot ne sorte.

—    Maman, je te présente Jake, le presque petit copain de Line.

—    Ah.

Digne de Denis Brogniart à ce stade...

Aïssata se décale, tenant son sac à main Louis Vuitton à deux mains en observant l'homme de haut en bas, un rictus étrange sur le visage. Sans traîner, elle se tourne à nouveau vers sa fille, se mettant dos à Jake qui semble aussi perturbé que ma troisième mère — la première étant inexistante, la deuxième étant Mme Dubois.

—    Il y a une panne d'électricité chez moi ! s'exclame Aïssata d'un air désespéré. Cet appartement va me rendre folle !

—    Et donc ... ?

—    Et donc je viens chez toi le temps qu'ils règlent tout ! Tu crois quoi ! Je suis ta mère, je te ferai à manger, promis. Bon, je t'aime de tout mon cœur ma petite Line, mais il est tard et je suis épuisée !

Claire ouvre la bouche pour protester mais Aïssata la prend par le bras sans lui laisser la possibilité de contester.

—    Bonne nuit ! chantonne-t-elle tandis que Claire fait mine de mourir.

—    Bonne nuit, marmonne mon amie en arrêtant ses conneries avant que sa mère ne la crame.

—    Bisous, je réponds doucement ne les saluant de la main avant qu'elles ne disparaissent.

Quand elles ne sont plus visibles, je fais signe à Jake qui semble ailleurs puis nous faisons marche arrière pour rentrer à l'immeuble. Sans un mot de plus, j'attrape sa main et cale ma paume contre la sienne. Doucement, il me serre et trace de petits cercles invisibles du bout de son pouce.

Au bout de cinq minutes de marche, je décide enfin de briser ce silence qui me réconforte autant qu'il me pèse après son changement d'humeur.

—    Tu connaissais Aïssata ?

Concerné, Jake tourne sa tête vers moi. Sous les réverbères et la toute petite pluie que se met à tomber, sa peau bronzée brille.

—    Qui ça ? demande-t-il en penchant la tête sur le côté.

—    Aïssata, la maman de Claire. Vous sembliez vous connaitre.

Il hausse les épaules, l'air de réellement ne pas savoir.

—    Peut-être... Elle me dit quelque chose mais sa réaction m'a perturbé à vrai dire. On verra bien si Claire m'en parle.

—    La connaissant, elle risque de ne pas te louper dès que l'occasion se présentera...

—    Hum, hum...

Jake sert un peu plus ma main contre la sienne et clôt la conversation par la même occasion. Quelque chose me dit qu'il me ment plus ou moins, mais d'un autre côté, ça ne m'étonnerait pas que la réaction d'Aïssata l'ait perturbé. Cette femme est assez transparente et franche, impressionnante selon les situations. Je me dis que si elle a réussi à me rendre mal à l'aise juste avec cette drôle de réaction, je comprends que Jake se soit senti étrange à son contact.

Mais bon. Maintenant que le colis est déposé, il n'y a plus qu'une chose que je souhaite faire. M'effondrer dans mon lit.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top