Chapitre 23
« I can't afford love,
I try to find reason to pull us apart,
It ain't workin' 'cause you're perfect,
And I know that you're worth it »
Die For You — The Weeknd
Line
Ding Dong !
Merde ! Surprise, je me lève d'un bon en faisant valdinguer Paul dans les airs dans un cri horrible.
— Pardon Paul !
Putain, je suis en pyjama tout doux avec des chaussettes aux motifs de chapeau de cow-boy et mes cheveux sont gras et relevés en un chignon qui fait tout sauf propre. Le summum de la classe mais c'est ce qui définit une bonne matinée de repos.
Et puis, qui sonne chez les gens le matin ? Sérieusement ? Il y a 90% de chances que la personne dans la pièce ne soit pas du tout dans un état apte à avoir de la visite. Ce qui est mon cas, on ne va pas se mentir.
Un petit passage dans le miroir pour vérifier que je n'ai rien de ridicule mais tout est ridicule. J'ai des tonnes de boutons à cause de mes règles, comme je les dis mes cheveux ne sont pas propres et j'ai les yeux éclatés.
J'espère que cette personne a une bonne raison de se pointer.
J'attrape mes clés, les glisse dans la serrure et ouvre la porte rapidement.
— Bonjour !
Jake m'envoie un de ses sourires radieux, propre sur lui et bien habillé pour aller travailler je suppose.
— Bonjour, Line.
S'il est surpris de me voir dans un tel accoutrement, il n'en montre rien du tout. Je sais que ça surprend parfois de voir des amis ou des personnes proches dans un contexte qui ne permet pas toujours d'être une bombe atomique, mais pas lui apparemment. Il le cache bien, même moi je me suis fait peur en me levant.
— Comment vas-tu ?
— Très bien et toi ?
— Bien aussi.
Paul arrive vers nous, se frotte longuement à la jambe de Jake en laissant une traînée de poils blancs sur son pantalon noir. Je n'arrive pas à me détendre, tout à l'air tellement robotique et... bizarre ? D'habitude, je lui parle facilement et on rit bien mais maintenant, il y a comme une drôle d'atmosphère autour de nous, comme ci... nous savions.
— Merde, tiens.
J'attrape le rouleau qui colle et le lui tend. Il me remercie et passe un coup rapide quand le chat est assez loin pour ne pas revenir à l'assaut. Lui aussi à l'air aussi tendu et mal à l'aise quoi moi. Je jurerais que ses joues sont rouges sous ses lunettes.
— Tu voulais ... ? demandé-je avec précautions. Non pas que je ne suis pas heureuse de te voir mais bon, je ne suis pas trop présentable et je vais vite avoir honte si on discute pendant trois plombes.
Il rit doucement en secouant la tête l'air de dire « n'importe quoi ».
— Je ne vais pas t'embêter longtemps, ne t'en fais pas. En fait, je voulais te demander si tu es libre ce soir ?
— Ce soir ? Si tu me proposes d'aller courir, je te préviens que je vais râler !
— Non, du tout, rit-il doucement en me redonnant le rouleau. Je voulais te proposer un dîner, mais rien de très apprêté ou quoi que se soit ! Emma et Gabriel ne sont pas là de la soirée, alors je me suis dit que je pourrais te faire un dîner.
Oh my God. Oh my God. Oh my God.
— C'est un rencard ? demandé-je pour être sûre.
— Si tu veux que ça le soit, oui, s'en est un. Sinon, c'est juste un repas entre amis. J'enlèverai les chandelles.
Quand je vais dire ça à Claire...
Mon cœur s'emballe. Il attend une réponse. Merde. Je ne sais plus parler. Je m'appelle comment déjà ? Putain, je suis en pyjama, je ressemble à rien et il me demande ça maintenant ! Est-ce que je me suis brossé les dents ? Merde, est-ce que je bosse ? Mais non couillone, repos aujourd'hui on a dit.
— Ok ! Je suis partante, mais j'amène l'apéritif alors.
— Marché conclut, sourit-il en tendant sa main que je serre solennellement. C'est bien connu, l'apéro et les Français...
— Je te fais confiance sur la bouffe et tu es Américain, c'est une grande preuve d'am... d'affection !
Trop conne. Trop conne. Trop conne.
— Parfait alors ! On se dit à ce soir.
J'ouvre la bouche pour lui répondre mais rien ne sort quand ses lèvres se posent sur ma joue.
Erreur du système.
Il me salue une dernière fois avant de dévaler les escaliers et de disparaître de ma vue tandis que je suis toujours comme une cruche les yeux dans le vague à sentir ses lèvres sur ma joue. Comme une groupie, j'ai l'impression que je ne devrai jamais la laver, j'ai des papillons dans le ventre et...
Merde ! J'ai des papillons dans le ventre !
Est-ce que je souris ?
Je pose une main sur mes lèvres, toujours figée dans l'entrée, et oui, elles sont étirées niaisement. Et le pire dans tout ça, c'est que ça me fait sourire encore plus.
***
— HIIIIIIIIIIIIIIIII !
J'écarte le portable de mon oreille pour m'éviter des acouphènes du cri strident de ma meilleure amie qui vient d'apprendre que j'ai un date avec mon voisin. Si on m'avait dit que mes rendez-vous se solderaient par un rencard avec mon voisin, ami d'amis de mes amis, mais aussi la bête noire de ma mère de cœur, je ne l'aurai jamais cru.
J'ai l'impression que ma première interaction avec lui date d'il y a des années alors que ça fait quoi, deux mois maximums ? Je ne sais plus. Ce n'est pas comme si j'avais compté les jours depuis notre rencontre, je ne suis pas ce genre de psychopathe à la Poppy dans Mille Baisers pour un garçon.
— Mais du coup qu'est-ce que tu as mis là ? Décris-moi TOUTE ta tenue ! Et je veux un rapport écrit et pages numérotées à la fin.
— Plusieurs pages carrément ?
— En deux exemplaires ! Mia me dit à côté qu'elle veut tout savoir aussi.
— Elle n'est pas censée aller vomir dans les toilettes au lieu de s'intéresser à ma vie ? ris-je en taquinant ma patronne qui doit sûrement entendre le haut parleur.
— Hé ! se plaint-elle. C'est vraiment chiant quand ça arrive.
Claire la coupe en l'implorant de ne pas donner les détails de sa grossesse, elle qui a horreur des enfants. Je les laisse papoter tranquillement le temps de mettre un dernier coup de mascara sur mes cils, mais ma meilleure amie revient à l'assaut, n'oubliant que ce qu'elle a envie d'oublier.
— Ta tenue, Line !
— C'est si important ?
— Oui !
Je soupire, pose le produit puis place ma dernière barrette rose à paillettes.
— Alors, j'ai mis mon pantalon cargo rose pâle.
— Celui qui te fait un boule de malade ?
— Celui-là même !
— Je valide.
— J'ai mis mon petit pull mauve avec des fleurs roses dessus, mes cheveux sont lâchés mais avec des barrettes roses à paillettes et je vais mettre des escarpins noirs.
— Tes bijoux ?
— Du noir, ne t'en fais pas.
Elle ne dit rien mais j'entends son corps acquiescer d'ici. Il m'a dit que c'était une soirée sans prise de tête, je n'ai pas envie d'arriver en robe moulante ou ce genre de choses. J'ai assez donné avec tous les rencards que j'ai pu avoir dernièrement.
— Je vais te laisser, Claire. Et Mia, rajouté-je en entendant les murmures de la femme derrière ma meilleure amie. Bon service à vous deux !
— Merci, ma belle ! Passe une bonne soirée ! N'oublie pas le rapport !
— C'est ça oui...
Je raccroche en première en vérifie la batterie de mon téléphone même si je ne compte pas m'en servir. Chaussures, sac, bouteille et cake à la courgette dans le tote-bag, je suis prête. Un dernier bisou à Paul avant de partir puis je m'engouffre dans la cage d'escalier, montant jusqu'au palier du dessus, le cœur battant la chamade.
Malgré mon pull pas si épais, j'ai l'impression qu'il fait mille degrés autour de moi et que je suis en plein arrêt cardiaque. En général, je ne suis pas si nerveuse à l'idée de voir un homme, alors pourquoi maintenant, c'est le cas ?
— Line ?
Je relève la tête les yeux écarquillés en voyant la porte de l'appartement grande ouverte donnant sur Jake qui me lance un grand sourire. Quand a-t-il ouvert ? Je ne l'ai même pas entendu. La honte.
— Entre, ne reste pas là.
— Merci.
Je m'exécute et me joins à lui.
— Tu veux que j'enlève mes chaussures ? demandé-je tandis qu'il referme la porte derrière moi.
— Mes colocataires ne sont pas trop regardants donc fais comme tu veux !
Bon, je les garde pour le moment alors. Je sais que je vais vite avoir mal aux pieds de toute façon, même si normalement, nous n'allons pas rester debout. Jake me passe devant à toute vitesse, allant guetter le four dans la cuisine d'où une douce odeur chatouille mes narines. Tout comme ce qu'il m'a promis, il n'est pas habillé en smoking ou très glamour, mais porte un t-shirt blanc tout simple ainsi qu'un pantalon noir droit. Par-dessus, un tablier de chef moule son corps comme jamais. Je n'avais même pas fait attention.
Je le rejoins et m'assoie à une chaise de l'îlot pour le regarder remuer les frites.
Yes, pas de frites baignées dans l'huile !
— Qu'est-ce que tu prépares de bon ?
— Surprise ! Tu verras bien assez tôt. Tu peux aller dans le salon si tu veux, j'arrive.
Je me retourne pour guetter le canapé. La cuisine est ouverte sur le salon mais bon, autant rester ici surtout s'il me mijote un bon petit plat.
Je décide de rester à ma place, sors la bouteille de vin rouge que j'ai ramené et le cake à la courgette.
— Tu as un couteau s'il-te-plaît ?
Aussitôt demandé, aussitôt dans les mains. Je coupe de petits carrés de mon plat préféré au monde qui s'utilise dans n'importe quelle situation tandis que Jake nous sert en vin. Il rajoute des tomates cerises et des chips qu'il a préparé dans un petit plateau à compartiment.
— Le saucisson !
Il se précipite pour récupérer le Saint Graal et nous voilà prêt pour un bon apéritif. C'est plus pratique que d'être sur la table basse, comme ça je pourrais profiter de lui tandis qu'il cuisine je ne sais quoi. Je saisis mon verre et le tends vers mon rencard qui ne cesse pas de sourire. Avec ses lunettes sur le nez, il est craquant. Je crois même qu'aujourd'hui, c'est l'une des premières fois que je le vois avec.
Ou alors je le remarque uniquement maintenant.
— À nous deux ! m'exclamé-je en amenant le verre vers lui.
— À toi surtout ! Sans cette personne vraiment jolie et colorée, je serai actuellement seul dans mon lit à surfer sur le net.
— « Surfer sur le net », c'est un peu ringard, ris-je doucement.
— Qu'est-ce que je peux dire alors ? On m'a appris ça.
— Tu peux dire que tu scrollais, un truc du genre.
— D'ac ! Mais à toi quand même !
Nous trinquons et je bois une gorgée du liquide ambré un peu amer. S'il n'est pas le meilleur du monde, Jake ne laisse rien paraître et tape dans mon cake. Je vous rassure, je tape dedans juste après.
— Oh, pendant qu'on mange et discute.
Il se coupe et fonce dans sa chambre d'où il revient avec une petite imprimante, tout fier de lui.
— Je veux que tu m'imprimes tous tes crashs honteux grâce à ça, m'explique-t-il en posant l'imprimante à ma droite.
— Mais, pour quoi faire ?
— Chutttt, pas de questions ! Tu verras ! Elle se connecte par Bluetooth.
J'acquiesce et sors mon téléphone, peu convaincue de ce qu'il me fait faire. Je me connecte à la petite imprimante et m'exécute tandis qu'on grignote et qu'il prépare le repas. Je ne pose pas plus de questions mais je trouve ça étrange. Après tout, est-ce que notre relation est normale ? Non. Donc je ne m'inquiète pas plus que ça.
— Donc je ne sais pas vraiment si je veux rentrer aux États-Unis ou non, m'avoue-t-il après m'avoir expliqué tout le principe de son métier et ce qu'on attend de lui.
Il a une sacrée pression sur les épaules mais je n'ai pas l'impression que ça le pèse réellement. En fait, de toute ce qu'il me dit, j'ai l'impression que son travail est très secondaire dans sa prise de décision. Il m'a bien dit que tout le monde l'attend au tournant sur son scénario, que la mort de son père a penché dans la balance sur le fait de partir, mais que tout quitter comme ça pour un autre pays... il en faut une sacrée paire.
— Mais tu peux travailler à distance ? Je veux dire, ce n'est pas un travail qui nécessite que tu sois dans le pays. Tout peut se faire en ligne... Après, je ne te force pas à rester parce que je t'aime bien, hein ! Juste, tu te crées un faux problème en me donnant l'excuse du travail.
Jake grimace mais sa tête me confirme que j'ai tiré dans le mille.
— Tu as raison. Le travail ne me retient pas.
— Qu'est-ce qui te retiens alors ?
Il se retourne, faisant mine de s'occuper de ce qui cuit dans la casserole. Ah non ! Avec moi, on ne fuit pas ! S'il y a bien une chose que m'a transmise Claire, c'est sa détermination.
— On va prendre le problème dans l'autre sens, qu'est-ce qui fait que tu veux rester ici ?
Je vois son dos se raidir, il ne bouge plus. Merde, on a affaire à une impasse, j'en ai bien peur.
— Oublie, je ne veux pas te forcer à parler.
— Non, non, soupire-t-il en se retournant pour boire une gorgée de liquide bordeaux.
Il plisse le nez à l'amertume de la boisson puis gobe une tomate.
— En fait, je cherche quelqu'un, m'avoue-t-il en s'asseyant. Ce n'est pas ça qui me convainc de rester ici, attention. J'aime la ville, j'aime les amis que j'ai, j'aime tout ce que Paris et la France représentent. Mais je cherche quelqu'un, que j'ai trouvé, mais c'est compliqué.
C'est bizarre. Je comprends bien qu'il ne parle pas de moi, ça s'entend, ça se voit, tout comme je comprends bien qu'il ne parle pas d'amour ou de relation quelconque. C'est plus... profond ? Je ne saurai pas l'expliquer mais dans tous les cas, ça à l'air de lui faire sacrément mal de m'en parler.
— Si tu as une gogo-danseuse qui se cache dans ta chambre, t'as le droit de me le dire, ris-je pour détendre l'atmosphère devenue trop lourde d'un coup.
Jake fronce les sourcils, penche la tête. Quelques secondes s'écoulent avant que son visage ne s'éclaire.
— Oh ! Je n'avais pas compris ! Non, non ! Du tout !
— Je rigole, Jake ! Calme-toi.
Il me tire la langue, mi-vexé mi-amusé.
— Il n'y a personne dans ma chambre. Et c'est juste que je ne veux pas trop en parler pour le moment. Je ne sais pas vraiment comment l'aborder alors...
— Alors je serai là le jour où tu veux m'en parler, dis-je en souriant. Comme tu l'as fait pour moi, je ne te force à rien.
— Merci... Bon ! On mange si tu as faim !
C'est vrai que nous avons fini de picorer l'apéritif et mon ventre commence à me rappeler à l'ordre. En plus, avec toutes ces odeurs dans la cuisine...
— On peut manger si tu veux !
— Nice, il faut juste qu'on mette la table...
— Un truc simple, Jake. Ne t'embête pas, prends l'essentiel.
Il me fixe un instant pour être sûre de ce que je dis alors je lui confirme d'un hochement de tête amusé. Il finit par hausser les épaules et sortir deux gros bols.
— Qu'est-ce qu'on mange de beau du coup ? demandé-je, intriguée.
Son sourire refait surface après avoir un peu disparu lors de notre discussion, puis il replace ses cheveux bruns qui partaient dans tous les sens.
— Une Poutine ! Un ami canadien m'a plus ou moins appris à en faire.
Punaise, cet accent quand il prononce le nom du plat...
— Je ne connais pas du tout, avoué-je comme si c'était un crime.
— Ne t'en fais pas, tu vas adorer la mienne.
— Je n'en doute pas une seconde.
***
Comme une enfant, j'attends assise sur le canapé que Jake daigne me rejoindre. Militaire, il m'a ordonné de rester dans le salon et de ne surtout pas regarder dans la cuisine. Depuis dix minutes, dès qu'il croise mon regard, il fronce les sourcils et me force à regarder autre part que ce qu'il mijote. Un vrai gamin.
— C'est bon, Jake ? Tu n'as pas besoin d'autant de temps pour un dessert... Tu sais, un yaourt m'ira très bien après ce qu'on a mangé.
— C'est bon ! J'arrive !
Fier de lui, il contourne l'îlot pour venir près de moi, ce qui ressemble à un gâteau dans les mains. Il pose la nourriture sur la table basse, un air satisfait sur le visage, puis enlève les gants de cuisine qu'il portait.
— Il est froid, tu ne te bruleras pas avec.
— Et les gants du coup ?
— Tout pour le style.
Je ris et il vient se joindre à moi. D'un coup sérieux, il se tourne pour m'avoir en face.
— On va faire un truc, et vu ta réaction de tout à l'heure, tu ne dois pas connaitre.
Ma réaction de tout à l'heure ? Qu'est-ce qu'il me baragouine ?
— Est-ce que tu peux coller les trucs que tu as imprimé tout à l'heure sur des cure-dents, s'il-te-plaît ?
Il semble tellement fier de lui que je n'ose pas lui dire non. La soirée est vraiment agréable, je me sens bien avec lui mais là, il commence à partir dans des trucs aussi chelous que les dates dans mon palmarès. Sans un mot, je colle avec du scotch les portraits de gens dont je ferai bien connaissance en nature, puis le signale à mon ami quand tout est bon.
— Super ! Attends.
Sautillant, il installe son téléphone en face de nous sur la caméra.
— Pourquoi tu nous filmes ? demandé-je encore plus curieuse et perdue que jamais.
— J'ai perdu un pari avec Gabriel, donc je dois faire ça avec toi. En gros, il faut que tu dises ton crash honteux que tu as dans ta main et tu le piques dans le gâteau, face à la caméra.
— Et ça sert à... ?
— Rien, mais c'est fun, lâche-t-il en haussant les épaules. Après, si tu ne veux pas, c'est rien. Je serais juste condamné à aller courir dans la rue avec du journal en guise de slip.
Pourquoi les hommes font toujours de drôles de paris ?
— Non, non, on va le faire ton truc. Mais c'est... original.
— Je te revaudrai ça.
Je sais qu'il le fera en plus. Il se prépare puis appuie sur le bouton d'enregistrement. Nerveuse, je me tortille sur le siège, mal à l'aise d'être filmée comme ça. Je n'aime pas les photos, les vidéos, tout ce genre de choses. Je trouve que ça nous écarte des moments présents, et petite, j'ai toujours été jalouse de mes amis qui me montraient leur chien, leur chat, leur famille. Je n'ai jamais eu ça. Du moins, réellement. Et on ne va pas se mentir non plus, je me trouve hideuse sur toutes les photos qu'on peut avoir de moi, et seule Claire peut vous dire à quel point c'est difficile de m'avoir dans sa galerie !
— Alors, on va faire le gâteau de la honte avec Line ! explique-t-il avec aisance à la caméra. Pour commencer, je mets Starfire des Teen Titans !
Je veux me marier à son accent.
— Mais c'est pas honteux ça ! La moitié des hommes de l'univers a déjà bandé sur elle en étant petit, ronchonné-je en voyant qu'il rit déjà.
Il se bouche l'oreille en posant la fille aux cheveux roses sur le gâteau.
— Bon, moi je pose...
Pour le coup, j'ai vraiment honte de ce que j'ai choisi. Depuis quand je suis autant à la lettre les consignes d'un jeu douteux ?
— Simon des Chipmunks...
Jake éclate de rire en voyant la sorte d'écureuil-souris-hamster que je pique dans le cake, les joues plus rouges que jamais.
— Au moins, c'est plus original que toi ! râlé-je tandis qu'il se tord dans tous les sens pour contenir son hilarité. Tout le monde aimait Alvin...
Entre deux larmes, il pose Honey Lemon des Nouveaux Héros et je pose Gill dans Le Monde de Nemo. Trop charismatique comme poisson. Nous enchaînons entre Volt, Malcolm, Vaiana, Deuce Gorgon, Spirit ou même Gabriel Attal. Il ne m'en reste plus qu'un en main, mais après tous les rires et la honte accumulée, je pense qu'il passera comme une lettre à la poste.
— Je posé Capitaine Gantu de Lilo et Stitch, annoncé-je avec fierté, plus détendue que tout à l'heure.
— Ohhh, mais tellement ! Trop sexy comme alien.
— On est d'accord.
Je pique le personnage puis me redresse toute droite, dans l'attente du dernier personnage de Jake. Il fait durer le suspense, regardant discrètement son image en me la cachant, feintant la révélation jusqu'à la faire réellement.
— Je pose Minion de Megamind.
J'éclate de rire mais il m'ignore, le menton haut en posant minutieusement la sorte de poisson horrible dans un corps mécanique.
— Mais il n'a rien pour lui ! m'exclamé-je en serrant mon ventre, au bord des larmes.
— Hé ! Je t'interdis de parler mal de lui ! Il est touchant !
Morte de rire, je me laisse aller contre le canapé sans réussir à calmer mon fou-rire. Jake vient aussitôt à l'assaut, me chatouillant les côtes pour me faire regretter. Je me tortille, hurlant de rire entre la situation et ses chatouilles.
— Excuse-toi après de lui !
— Jamais !
Il revient à l'assaut jusqu'à ce que je n'en puisse plus et déclare forfait. À moitié allongée et lui sur moi, nous sommes tous les deux aussi hilares qu'essoufflés. C'est quand mon cœur se calme un peu qu'il se remballe aussitôt en voyant mes mains sur ses épaules et les siennes sur mes hanches.
Alerté par mon calme soudain, Jake cesse de rire aussi, plantant ses yeux bruns dans les miens. Je n'avais jamais fait attention mais ils sont si clairs sur les côtés... Je sens mon pouls battre dans mes tempes, ma respiration devient laborieuse. Je ne peux pas m'empêcher de descendre sur ses lèvres roses, légèrement gercées sur celle du bas à cause du froid de l'automne qui s'achève.
Je n'ai jamais eu autant envie d'embrasser quelqu'un.
Aucun de nous ne bouge, sûrement parce que personne n'ose franchir le cap qui nous sépare. Même si j'en meure d'envie, une partie de moi est totalement terrorisée à l'idée de poser mes lèvres sur les siennes, de peur qu'il ne s'emballe et n'aille trop loin.
J'ai confiance en lui. Plus que personne. Mais les souvenirs sont trop frais.
Jake finit par me sourire sans jamais quitter mes yeux, puis il soupire doucement.
— J'aimerais vraiment t'embrasser maintenant, m'avoue-t-il à mi-voix. Mais je ne veux pas faire ça là, comme ça, maintenant. Tu mérites mieux encore et je ne veux pas me précipiter.
Je crois que je hoche la tête mais je ne suis pas sûre. La connexion entre mon corps et mon esprit est rompue pour le moment.
— Promets-moi de m'accorder un autre rendez-vous, et au bout du troisième, je commencerai à me demander si dévorer ces lèvres ne serait pas le meilleur qui puisse m'arriver.
Nouveau hochement de tête. Jake rit doucement de sa voix rauque.
— Je prends ça pour un oui alors.
Il se redresse, le vide m'engouffrant d'un froid soudain qui me déplaît.
— On le mange ce gâteau ?
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