Chapitre 22


« 'Cause girl, you were made for me,
And girl I was made for you. »
I was made for Lovin' You — KISS

Line

« Alors c'est bon, tu nous abandonnes ? »

« Bonjour, mon mari me trompe mais je ne sais pas comment aborder le sujet... »

« C'était évident qu'elle allait se faire violer à force de montrer son cul »

« Va crever »

« Tana »

« Tu vas vraiment arrêter de poster comme ça ? Tu nous dois une explication. »

« Les anciens posts me manquent. »

« À bat le patriarcat ! »

« On devrait castrer les hommes. »

Je ferme mon ordinateur, dépitée de lire tout ça. Une semaine que je n'ai pas ouvert mon blog ni aucun message le concernant, et ce que je lis me désole au plus profond de moi-même. Comment peut-on être si méchants ? À quel moment mes publications sont devenues un dû à ma communauté ? Non. À quel moment ma communauté a-t-elle assez changé pour que ça devine un dû ?

Je trouve ça triste. Triste d'avoir écrit tout ça, triste d'avoir attiré autant de personnes malheureuses dans leur vie et mal dans leur peau. Triste de me retrouver avec tant de haine alors qu'il y a à peine un mois, je les conseillais sur la marche à suivre pour améliorer leur quotidien.

Dire que ça ne m'atteint pas serait un mensonge, mais ça ne m'atteint pas comme on le pense. J'ai mal pour ces gens. Qu'on me traite de tous les noms ne me fait ni chaud ni froid, mais voir que des personnes sont assez malheureusement pour pester sur quelqu'un qui justement, va mieux dans son corps et son esprit, ça fait pitié. Oui, c'est ça, j'ai pitié pour ces personnes.

Avant, je n'avais pas autant de notoriété. Mon blog passait le temps et les gens se retrouvaient dans mes dires, mais jamais de la vie j'aurai pensé remettre les blogs à la mode. Au fond, on a la communauté qu'on mérite. J'ai tellement craché sur les hommes, sur le monde, à cause d'une simple peine de cœur... Moi aussi, je faisais pitié. Je m'en rends compte maintenant.

À quoi ça sert de haïr un monde quand un seul facteur vous a blessé ? Certes, sur le moment, j'ai eu l'impression que mon monde à moi s'effondrait avec tous les idéaux que j'avais créé. Mais ce n'est pas une raison.

La douleur est de passage.

Le temps fait bien les choses, il faut juste accepter de le laisser passer et de pleurer un bon coup sur l'épaule de quelqu'un.

***

J'éclate de rire en voyant la tête de Claire. Sa bouche est repli de pâtes à la bolognaise et son menton est devenu aussi rouge que la sauce. Je sais qu'elle adore ça mais elle pourrait manger correctement !

—    Mais arrête de rire ! lâche-t-elle en s'essayant avec la petite serviette floquée au nom du restaurant italien. Je n'ai pas mangé ça depuis des siècles !

—    Une semaine, tu veux dire.

—    Nia, nia, nia !

La cuisine italienne et Claire, une vraie histoire d'amour.

Après une petite balade pour dégourdir les jambes de Mme Dubois, je l'ai ramené chez elle pour aller manger tranquillement avec ma meilleure amie, totalement impatiente de me raconter — de se défouler sur moi, plutôt — vis-à-vis de sa mère qu'elle ne supporte plus.

Aïssata Duquesne est l'une des plus belles femmes que je connaisse. Certes, comme Claire le dit si bien, elle peut être une vraie tortionnaire mais ça ne me dérange pas. En fait, dans ma tête, elle est l'image de ce que je me fais d'une mère. J'ai tellement eu de famille d'accueil que ma vision de la parentalité est faussée, je le sais. Mais depuis que je connais Claire et donc sa mère par la même occasion, elle est la parfaite image de ce que la petite fille en moi à toujours imaginé.

Grande, fine, avec de longues jambes, des yeux noirs incroyables, des cheveux crépus qu'elle a rasé très courts, cassant tous les codes de ce que j'ai pu connaitre, sa peau ébène qui contraste avec celle plus claire de sa fille... Magnifique. Claire peut râler autant qu'elle veut sur elle, ça n'enlève en rien l'admiration que j'ai pour elle.

Quand nous sommes devenues plus intimes avec Claire, elle m'a confié n'avoir pas vraiment connu son père, décédé quand elle avait un an. J'avoue avoir été extrêmement mal à l'aise à cette révélation, ne sachant pas trop où me mettre étant donné que je n'ai jamais eu de deuil similaire, mais ça ne semble pas l'affecter. Elle l'aime, elle adore regarder les photos et lui envier ses cheveux blonds, elle ne le connait pas et ne ressent pas ce manque. Elle me l'a dit mots pour mots à l'époque, ça m'a rassuré.

—    Et donc tu as enfin arrêté ton blog ? Tu m'as dit vite fait que tu l'avais ouvert aujourd'hui.

—    Atroce ! Je ne t'en parle même pas ! Les gens sont si méchants...

—    Ça ne m'étonne pas, il y a toujours eu une drôle d'ambiance dans cet endroit...

—    Vraiment ? Tu ne me l'as jamais dit.

—    Tu étais tellement épanouie à écrire ces horreurs... Je voulais juste le bonheur de ma meilleure amie. Et même si ces derniers temps tu me faisais rire avec tes anecdotes loufoques de date, je me sens coupable avec ce qu'il s'est passé donc je suis heureuse que tu arrêtes.

Je pose mon verre de vin, fronçant les sourcils.

—    Tu n'y es pour rien, Claire. C'était mon choix, ma responsabilité. Je ne suis pas sûre de reprendre et c'est le principal.

—    Ça n'enlève rien à ma culpabilité mais bref. Tu auras plus de temps pour Jake comme ça...

Son petit sourire en coin n'augure rien de bon. Et le mien non plus... Je lui ai raconté la semaine dernière, sur les toits de Paris, elle était pendue à mes lèvres ! Depuis une semaine, on se croise régulièrement, on est même parti courir ensemble quand un rayon de soleil a frappé la ville, mais rien de plus. Je sens qu'il flirte avec moi, il n'y a rien de discret, mais entendre des compliments me fait du bien et me fait un peu oublier mon dernier rencard chaotique. Ça fait du bien de se sentir un peu importante et valorisée sans pour autant avoir d'arrière pensées.

Enfin je ne l'espère pas. Jake n'a pas l'air d'être ce genre d'homme. Connaissant un peu l'espèce, il aurait déjà tenté quelque chose depuis le temps s'il cherchait juste à me rajouter sur une liste en trophée de chasse... Et puis, les sous-entendus de Mme Dubois m'ont bien fait comprendre qu'elle lui a demandé de passer la 6ème ! Ce qui me fait bien rire.

—    Il faudrait que tu lui proposes un rendez-vous, affirme mon amie entre deux bouchées. Pas comme pour ton blog, non. Celui-là, tu le gardes pour toi et pour toi toute seule.

—    Je ne suis pas sûre...

—    Si tu me dis qu'il ne te fait pas du rentre dedans je te fais bouffer ta pizza par le trou du cul, Line ! Il en pince pour toi ! Tout le monde le sait depuis des siècles ! Vous êtes juste super lents pour faire le premier pas.

—    Mais on se voit ! C'est juste qu'on ne se connait pas tant que ça... Je ne veux pas me lancer dans quelque chose qui n'aboutira pas.

—    Mais pourquoi ça ne serait pas le cas ?

—    Parce qu'il n'habite pas ici !

—    Mais tu as dit qu'il y réfléchissait !

—    Oui mais je n'en sais rien Claire, je suis timide moi, jamais je n'aurais le courage.

Claire lâche sa fourchette qui vient taper contre la table dans un bruit atroce, puis place ses mains en coupe pour accueillir son menton. Plus sérieuse que jamais, j'ai presque l'impression qu'elle fume de l'intérieur.

—    Qu'a-dit Fievel ?

—    Pardon ?

—    Non, excuse-moi, qu'a-dit Henri ?

—    Henri ?

—    Le pigeon.

—    Ahhhh, punaise Claire, tu me parlais en énigme là !

—    J'attends...

—    « Il ne faut jamais dire jamais », je cite en marmonnant.

Satisfaite, elle se redresse.

—    Ai-je besoin de mettre la chanson ?

—    Je t'en supplie Claire, si tu fais ça, je t'égorge devant tout le monde.

Ma meilleure amie hoche la tête, pas mécontente d'elle, puis se lève en chantonnant la chanson du dessin animé.

—    Je vais aux toilettes, annonce-t-elle avec un air angélique.

—    C'est ça, noie-toi dans la cuvette, râlé-je assez bas pour qu'elle ne m'entende pas.

Jamais dire jamais. Elle n'a pas tort. Mais pas raison non plus. Lui avouer ça serait synonyme de ma propre perte. Donnez-lui trop souvent raison et c'est fini, elle ne se sentira plus pisser !

Un peu gênée d'être seule d'un coup, je sors mon téléphone et commence à fouiller dedans sans rien avoir à me mettre sous la dent. Je fais semblant d'aller sur des applications quelconques, certaines que je n'ai pas ouvert depuis des années, mais la personne qui m'interpelle et me fait enfin lever le nez n'est absolument pas Claire qui a fini son tour au pipi room.

Victor.

Un grand sourire sur le visage, il est plus radieux que jamais. Ses yeux verts que j'ai longtemps contemplés m'observent, à la fois amusés et étonnés. En quelques mois, il n'a pas changé d'un trait. Sa peau métissée est encore plus parfaite qu'avant — à croire qu'il a fait de la chirurgie —, son corps athlétique semble toujours bien entretenu tout comme sa mâchoire carrée qui a fait tourner les têtes lorsque nous étions ensemble. Ses boucles brunes sont plus longues qu'avant, bien que rasées sur les côtés. On dirait un mannequin.

Mon cœur se serre mais pour une fois, les larmes ne me montent pas aux yeux.

—    Victor ? demandé-je plus pour me rassurer qu'autre chose.

—    Comment tu vas, Line ? Ça fait un bail.

Normal. Je ne t'ai pas revu depuis que tu m'as largué par message.

Je me lève, forçant mes membres raides par la frayeur et lui fait la bise. Il est froid. Ou alors c'est moi que le ressens ainsi ?

—    Je crois que ça va, et toi ?

—    Super bien ! Je te présente Annette !

Une petite femme rousse aux magnifiques taches de rousseurs s'avance en faisant un petit salut gêné de la main. Elle est vraiment très belle, toute en rondeur mais avec un charme unique. Je n'avais jamais vu quelqu'un comme elle. Elle remonte ses grandes lunettes noires sur son nez, visiblement embarrassée d'être là.

Peut-être qu'elle sait qui je suis ?

—    Enchantée, je m'appelle Line, lui dis-je poliment sans m'avancer pour faire la bise.

On ne va pas abuser, je ne la connais pas, et vu son état, elle non plus n'a pas envie de venir coller sa joue à la mienne.

—    On vient de finir de manger, m'avoue-t-il en prenant la main d'Annette.

Ok, le message est passé, connard.

—    Oh, super ! C'est très bon ici, j'étais avec...

—    Victor.

Claire. Ma meilleure amie arrive en trombe, plus droite et grande que jamais pour montrer les deux centimètres de différence qu'ils ont. Son regard me fait peur, tout comme il semble effrayer Victor qui pâlit un peu plus.

—    Claire. Comment vas-tu ?

—    Mieux depuis que tu es parti.

—    Euh... Je vais y aller. Je ne voulais pas faire de scandal mais bon, il faut croire qu'il y a des personnes qui ne changent pas, crache-t-il avec dédain.

Choquée, Claire porte une main à son cœur, accentuant ses mimiques au maximum. Merde, ça dégénère alors que tout allait bien.

—    Annette ? intervins-je avec un sourire.

Se sentant concernée, la petite femme se tourne vers moi, ses joues rouge pivoine.

—    Passez une bonne soirée, d'accord ? Et si tu bosses dans un restaurant, évite de faire la plonge avec ton téléphone près de toi. Ça t'évitera des mauvaises surprises.

Dans l'incompréhension totale, elle hoche doucement la tête en lançant un regard interrogateur à son copain qui me lance des éclairs avec les yeux.

Je ne dis pas que le voir maintenant me fait rien. Je sens mon cœur qui tambourine dans ma poitrine à cause de l'adrénaline. Et dire que ses yeux-là me regardaient comme la 8ème merveille du monde il y a quelques temps...

—    Bonne soirée, lâché-je avec moins d'animosité mais plus de lassitude.

—    De même, me répond Annette dans un sourire.

—    C'est ça, bonne soirée, répond Victor en attirant sa nouvelle meuf vers lui.

Je ne laisse le temps à personne pour répondre à repars m'assoir à ma place où il reste les croûtes de ma pizza à déguster. Claire met une bonne minute avant de revenir à mes côtés.

—    Qu'est-ce qu'il vient de se passer... Tu vas bien ? Enfin, pas envie de pleurer ? De vomir ? D'aller taguer sa voiture ou de tirer les cheveux de sa nana ?

Je ricane, me rappelant toutes les choses qui me sont passées par la tête le jour où il m'a largué.

—    Non, Annette à l'air mignonne.

—    Je ne pensais pas qu'il sortirait un jour avec une fille comme elle.

—    Moi non plus. Sachant les remarques qu'il a pu faire sur mon corps, j'espère qu'il ne se comporte pas pareil avec elle parce qu'elle est vraiment belle.

—    C'est clair. Mais bon, elle est avec l'ennemi.

—    Il n'y a pas d'ennemi, Claire.

Sans me lâcher du regard, elle boit une gorgée de vin.

—    Comment ça ?

—    Qu'il fasse sa vie, j'explique simplement en haussant les épaules. Je dois vivre la mienne.

Mon amie se pince les lèvres avant de souffler d'un seul coup.

—    Line, je suis fière de toi. Tu as pris ça avec beaucoup plus de maturité que moi, j'étais à deux doigts de lui arracher les couilles pour lui faire bouffer le jour où il venait par hasard au restaurant.

—    Mia n'aurait pas voulu.

—    Je pense que pour ce cas, elle m'aurait laissé un pass droit.

—    Tu m'épuises.

—    Mais tu m'aimes.

—    Évidemment.

***

« Hello. »

« Hello, mon inconnue. Comment vas-tu aujourd'hui ? »

« J'ai vu mon ex. »

« Aie... Et... ça va... ? »

« Oui. Sa copine est très jolie et à l'air gentille. »

« Double aie... Tu veux en parler ? »

« Il n'y a rien à dire, ça va. Vraiment. »

« Si tu le dis, je te crois. »

« Crois-moi. J'en ai marre de vivre pour les autres, j'ai décidé de vivre pour moi et je le fais progressivement. »

« Tu as bien raison, qu'il aille se faire foutre. »

« Qu'il aille se faire foutre. »

« En tout cas, je suis là si tu veux cracher sur lui. »

« Mon inconnue ? »

« Tu ne réponds plus. »

« J'espère que tu ne t'es pas fait kidnapper. »

« Vu l'heure, tu as dû t'endormir. Passe une bonne nuit. »

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