Chapitre 20


« I'll be there as son as I can,
But I'm busy mending broken,
Pieces of the life I had before. »
Unintended — Muse

Line

Je ne suis pas dans mon lit.

Punaise, j'ai l'air d'une voleuse à enfiler en sautillant mes pauvres chaussettes qui semblent avoir vécu la guerre, dégueu.

Je ne suis pas dans ma chambre.

Tout est plutôt sobre : des murs blancs, un lit qui sent la lessive, une commode qui doit servir de dressing et deux tables de chevets, tout juste ce qui peut tenir dans cet endroit.

Je ne suis pas dans mon appartement.

Doucement, je pousse la porte de la chambre après avoir vérifié que j'étais bel et bien habillée, et non nue chez un inconnu. J'ai quand même senti l'odeur de Jake sur ses draps et dans la pièce en général, mais le lit était froid.

Je ne me souviens pas bien de ma soirée de la veille. Je me souviens de la fois d'avant, de la cuite avec Claire, de mon mal de crâne le lendemain, de Mme Dubois et sa chute de tension... Merde ! Madame Dubois ! Est-ce qu'elle va bien ? Est-ce qu'elle est restée seule chez moi ? J'espère que je ne l'ai pas inquiétée...

—    Ça va ? Tu fais une tête pas possible.

Comme prise en flagrant délit de je ne sais quoi, je me fige dans mon mouvement, tétanisée. Jake me dévisage avec un rictus amusé sur les lèvres. Derrière l'îlot de la cuisine, une douce odeur d'œuf et de pancake vient narguer mes narines et réveiller mon ventre.

—    Viens avec moi, je t'ai préparé de quoi bruncher.

—    Bruncher ?

—    Oui, il est midi, je ne pense pas que tu veuilles d'un petit déjeuné à cette heure-là.

Midi. Mon cœur fait un looping dans ma poitrine. Est-ce que je bossais aujourd'hui ? Je ne sais plus. Dites-moi que je n'ai pas séché mon propre taff.

—    Ton téléphone est sur la table basse, me répond Jake comme s'il avait lu dans mes pensées. Je l'ai chargé dans la nuit.

—    Mon Dieu tu es le meilleur.

Comme s'il m'avait donné le feu vert pour bouger à nouveau, je me précipite jusqu'à mon précieux pour trouver mon planning et le soulagement est immédiat quand je vois que je bosse ce soir et non ce matin.

—    Soulagée ? Les œufs doivent être cuits.

J'abandonne mon portable et rejoins Jake. L'îlot comporte quelques chaises hautes alors je m'installe sur l'une d'elle, face au cuistot qui pose une jolie assiette sous mon nez. Du bacon en forme de sourire, deux œufs en guise d'yeux et tout ça sur un pancake, je suis obligée de rire.

—    Je n'ai pas 8 ans, tu sais ?

—    Oui, mais pour obtenir un sourire comme le tien, je suis prêt à tout.

Il vient vraiment de dire ça ? Déjà que je suis persuadée de porter un de ses t-shirt actuellement — toujours aucune idée du pourquoi du comment —, je crois que je vais devenir aussi rouge que Lady Bug. Mon colocataire de la soirée s'assoit à son tour, nous sert un jus d'orange qui semble avoir été pressé par ses mimines puis mord férocement dans un bout de pain-fromage. Ses cheveux sont en désordres, avec des boucles emmêlées qui prouvent qu'il n'est pas réveillé depuis plus longtemps que moi. Lui aussi porte un t-shirt du même style que le mien mais beaucoup plus serré sur lui que sur moi, et je n'ai pas eu l'occasion de voir son bas.

Il se rend compte que je le dévisage et je crois mourir sur place. Les sourires qu'il me lance sont si craquants, même Mme Dubois tomberait sous son charme s'il lui souriait comme ça.

—    Tu vas bien ?

Merde, sa joie est communicative, c'est ouf.

—    Oui, je crois. Merci pour le brunch, c'est gentil de ta part.

—    Je t'en prie. Après la soirée que tu as passée... N'en parlons pas si tu ne veux pas, d'accord ?

Une vive douleur dans la poitrine me rappelle mon rencard laborieux et cette sensation sur mon corps que je voudrais oublier à jamais. Un frisson me secoue et j'en profite pour m'arracher aux yeux de Jake, honteuse mais surtout parce que j'ai les larmes aux yeux. J'aimerais juste tout oublier, faire comme si de rien n'était.

—    Oh, merde ! Excuse-moi, Line, je ne voulais pas...

—    Ça va, chuchoté-je. Je voulais juste savoir, qu'est-ce qu'il s'est passé hier après le toit ? Je ne me souviens pas de grand-chose.

Pour ne pas dire rien. Je n'ai même pas bu mais tout ce que je sais, c'est que j'ai vu Jake, il m'a amené sur le toit et on a parlé. Les lumières qui illuminaient Paris étaient si belles malgré la pluie qui menaçait de tomber à tout moment.

—    Hum... Tu allais mal et on a discuté, puis tu t'es endormie sur mon épaule à force de pleurer. Comme je n'ai pas osé aller réveiller Mme Dubois au-cas-où — c'est elle qui m'a prévenu de ton absence —, je lui ai envoyé un message vocal que je ne suis pas sûr qu'elle ait lu, puis je t'ai couchée.

J'ouvre la bouche pour m'assurer qu'il ne m'a pas déshabillée mais il me devance.

—    Tu étais trempée alors je t'ai juste prêté un t-shirt propre qu'Emma t'a enfilé. Oui, j'ai peu les réveiller en rentrant mais ils n'ont pas posé de questions. Gab et elle sont partis tôt ce matin mais ils m'ont dit de te dire bonjour. Ils étaient sacrément de bonne humeur, je n'ai pas trop compris pourquoi...

Je pense avoir ma petite idée quant à cette bonne humeur soudaine.

—    Merci Jake, et je suis désolée de m'être endormie sur toi.

—    Ne me remercie pas pour ça, tu es mon amie, tu pourras toujours t'endormir sur mon épaule un soir d'orage. Toujours.

Ses paroles me touchent plus que je ne le pense car les larmes pointent de nouveau le bout de leur nez. Prévoyant, Jake me tend un mouchoir avec son inlassable sourire bienveillant puis je le remercie doucement avant de manger correctement. Ce qu'il a cuisiné est divinement bon et pour une fois, je dévore tout avec appétit.

Nous discutons de tout et de rien pendant notre repas, évitant le sujet qui crève mon cœur. Il m'explique que son scénario est presque fini mais qu'il ne sait pas vraiment s'il veut rentrer aux Etats-Unis pour le moment. Mon cœur sourit à l'idée de le savoir à Paris, mais je n'en laisse rien paraître. Comme il l'a dit, nous sommes amis, c'est tout. Pour le moment. Et s'il reste... Non. Je ne veux pas y penser.

—    Merci pour tout, sincèrement. Promis je ne te gênerais plus.

—    Haha, on en reparle ce soir ? Ça devient une habitude à force.

—    Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer.

—    Ris, Line. Ris jusqu'à en crever si tu le souhaites, mais ne laisse plus tes larmes couler pour des idiots qui ne méritent pas un millième de toi.

—    Merci.

J'ai à peine soufflé ce dernier mot. Je le salue mollement de la main avant d'entamer ma descente jusqu'à mon palier. J'avoue que c'est à contre-cœur, mais je n'ose pas imaginer l'état de Paul si je le laisse une heure de plus avec Mme Dubois.

J'entre ma clé dans la porte, rassurée de voir que rien n'a été volé dans mon sac à main — vu l'état dans lequel j'étais, ça ne m'aurait pas étonnée d'avoir tout perdu dans la rue —, mais un calme olympien m'accueille. Seul le petit bruit de la télévision allumée m'informe que ma voisine est toujours chez moi.

—    Mme Dubois ?

Pas de réponse. J'enlève mes chaussures, pose mon tas de vêtement et mon sac sur le sol, puis fonce dans le salon sans pouvoir respirer. Heureusement, Mme Dubois est bien dans le canapé avec Paul, vivante, respirante et étonnement détendue.

—    Oh, Line, c'est toi. Comment vas-tu ?

—    Bien et vous...

—    Très bien. Ce n'est pas dans ton genre de découcher mais bon, il en a une grosse ?

—    Pardon ?

—    Godzilla, dit-elle en montrant la télévision qui affiche le même film, il en a une grosse ? Ne me fais pas croire que tu es rentrée puis que tu as disparu pendant plusieurs heures avant de réapparaître. Es-tu nue ?

—    Vous savez quoi ? Je vais aller prendre une douche. Froide.

***

Mme Dubois : déposée chez elle.

Paul : crottes nettoyées, distributeur de croquettes opérationnel, eau en place.

Moi : propre, épuisée, mais vivante.

—    Pardon ?! Line, on doit aller porter plainte là, c'est grave.

Claire : plus en forme que jamais, choquée de ma soirée.

Honnêtement, je n'avais pas envie de raconter ce qu'il s'est passé mais dès que j'ai vue ma meilleure amie, j'ai eu besoin de lui raconter. En fait, dire tout ce qu'il s'est passé à une autre personne, c'est comme si j'encrais dans le présent cet événement. Je ne l'ai pas rêvé, je ne l'ai pas grossi, je ne l'ai pas imaginé ou non vécu. Il est là, je dois vivre avec.

—    Non mais après c'était sympa comme soirée, hein... Juste je n'ai pas dû comprendre comme lui, c'est tout. J'étais naïve...

—    Nan mais Line ! Tu vas arrêter tes conneries un peu ? Non, tu n'as pas été naïve. Ok, il a peut-être cru que c'était ok sur le moment mais ça ne justifie pas son forcing !!

—    Mais je n'ai pas dit non clairement, il a dû...

—    Arrête de lui trouver des excuses merde ! Ce mec est un porc. Tout ce que tu me décris, tout tes ressentis, c'était un non. On ne va pas me faire croire que parce que tu ne l'as pas dit verbalement, il n'avait pas senti que tu ne voulais pas ! Tout ton corps hurlait non ! Je te connais putain, quand tu ne veux pas quelque chose, tu ne le veux pas, ça me dégoûte que quelqu'un ait pu te faire ça.

Je ne dois pas pleurer. Je ne dois pas pleurer. Je ne dois pas pleurer.

Claire s'avance vers moi, essuyant ses mains humides sur son tablier brun, puis elle me serre contre elle de toutes ses forces. Pendant un instant, je laisse mes bras le long de mon corps, ne sachant pas trop si j'ai besoin de ce réconfort ou non, mais la larme qui coule sur ma joue me révèle que si, j'en ai besoin. Légèrement tremblante, je passe mes bras dans son dos et rend l'étreinte de mon amie sans un mot.

—    Je suis là, Line. Si jamais tu décides d'aller le castrer ou de taguer sa voiture un jour, je viendrais avec toi, me murmure mon amie au creux de l'oreille.

—    À la Confessions Nocturnes ?

—    Je serai ta Mélanie.

—    Merci, Claire.

***

« Hello, comment vas-tu mon inconnu ? »

« Bonjour, ça va et toi ?

« J'ai connu mieux... »

« Mince, tu veux en parler ? Promis, je serai une tombe ! »

« Ahaha, c'est gentil mais je n'ai pas trop envie d'en parler. Je commence à assimiler ce qu'il s'est passé alors... je veux prendre du recul. »

« Je comprends, mais sache que je suis là si tu as besoin. »

« Merci. Donc, lié à ça, je voulais te dire que je vais arrêter les rendez-vous pour le moment. Je ne sais pas si je reprendrais mais avec hier soir... bref. Je ne suis pas sûre. »

« Non, non, je comprends totalement ! On en a déjà parlé de toute façon, tu as fait plus que ce que j'espérais donc merci, ne te sens pas contrainte. Et, c'est lié à ton rencard... ? »

« Malheureusement oui. La soirée n'a pas été joyeuse. »

« Zut, c'était le jour on dirait, j'ai une amie qui a aussi eu un très mauvais rendez-vous. L'état dans lequel elle était... j'espère que ça ira pour toi quand même. »

« Désolée pour ton amie, j'espère qu'elle s'en remettra. Et moi je crois que ça ira. Enfin je ne sais pas. Je pense ? Je ne sais pas. Tant que je n'y pense pas, ça va donc bon. De toute façon, la vie continue, n'est-ce pas ? »

« Eh oui, le monde continue de tourner... Mais si tu as besoin d'une oreille attentive, je serais toujours dispo. »

« Merci, ça me fait chaud au cœur. »

« C'est normal, je te considère comme mon amie bien qu'on ne se connaisse pas personnellement. »

« C'est plutôt drôle quand on y pense, deux amis qui ne se connaissent pas. Je pourrais être une tueuse en série que tu n'en saurais rien ! »

« Toi ? Tueuse ? J'aimerais voir ! Je n'y crois pas un seul instant. Tu es bien trop gentille pour ça. »

« Gentille ? As-tu lu ne serait-ce qu'un dixième de mon blog ? »

« J'ai tout lu, et tout ce que je vois, c'est une femme qui a souffert. Au fond et avec tout ce que j'ai pu voir, tu es merveilleuse. »

« C'est gentil, ça me touche ce que tu me dis. »

« Je t'en prie. Mais... j'avais une question. »

« Je t'écoute. »

« Nous sommes amis ? »

« Évidemment. »

« Est-ce qu'on va continuer de parler ? Même si tu arrêtes les rencards et sûrement la productivité sur ton blog ? »

« En toute honnêteté, se serait te mentir que de te dire oui. Je serais forcément moins connectée et... j'ai besoin de me ré-ancrer au réel, tu vois ce que je veux dire ? J'adore discuter avec toi mais... en ce moment, je change tellement, tout change tellement que parler avec toi serait remuer le couteau dans la plaie. Je t'adore, tu es merveilleux mais virtuel. Je ne sais pas qui tu es derrière, je ne veux pas m'accrocher à quelque chose que je ne peux pas attraper, surtout dans ma situation. »

« Je comprends, c'était logique. »

« Rassure-moi, tu n'es pas tombé amoureux de moi ??? »

« Non, non ! Haha ! À vrai dire, quelqu'un me plait dans la vraie vie, comme tu le dis, et je pense que se ré-ancrer dans le réel comme tu dis est une bonne chose. On se parlera de temps en temps quand même ? J'espère qu'un jour on se rencontrera. »

« Oui, évidemment, mais pas tous les soirs comme d'habitude ! Et oui, moi aussi. Sauf si tu es un tueur en série et à ce moment-là, je dis non au remake de Dahmer ! »

« Ne t'en fais pas, j'ai juste cinq personnes dans mon sous-sol. »

« Pas drôle de rire de ça... »

« Mais je suis sûr que tu souris. »

« Toujours. »

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