Chapitre 18


« Et quand tu es seule pendant un instant,
Ramasse-moi,
Quand tu voudras,
Embrasse-moi,
Quand tu voudras. »
Je te laisserai des mots — Patrick Watson

Jake

Je ne peux pas m'empêcher de sourire en voyant le dernier post de mon inconnue. Bien dit, bien fait, il était temps.

Entre les commentaires désobligeants qu'elle a pu recevoir, je suis heureux de constater qu'elle a enfin pris la parole pour les envoyer chier poliment, reprenant la main sur son blog. Après tout, il ne faut pas se forcer à poster ce qui ne nous ressemble plus.

« Alors, on sort ses griffes ? »

La réponse ne tarde pas à arriver, quelques secondes à peine après avoir envoyé mon message amusé.

« Haha, il fallait bien ! Je ne supportais plus toute cette pression, l'impression que ma vie sur les réseaux débordait sur ma vie personnelle. Je n'ai plus la patience ni l'envie de me plier à leurs exigences. Ce n'est pas la vraie vie. Je ne veux pas me laisser être touchée par des inconnus. »

« Tout est dit, je m'incline ! Mais réellement, je suis heureux de lire ça. Tu ferras toujours des rendez-vous ? Bien évidement, je comprends si ton envie a disparu, c'est normal. »

« Non, non. J'ai même un rendez-vous ce soir en vérité... Ma meilleure amie m'a convaincue hier (elle adore mes débriefings sur les rencards bancals que j'enchaine). Mais sans te mentir, je ne pense pas continuer ce jeu encore longtemps. »

« Par rapport aux inconnus ? »

« Oui, un peu. Parce que je ne veux pas rentrer dans ce système où l'on me dicte ce que je dois faire ou non. Je crois que je commence à être bien dans ma vie, ou du moins ça ressemble à quelque chose. Et aussi parce que j'ai rencontré quelqu'un que j'aime bien, et ce n'est pas correct d'avoir des rencards si je comprends qu'il s'intéresse à moi. »

Ce qu'elle me dit me fait chaud au cœur. On part de loin, avec cette haine des hommes qu'il a fallu déconstruire petit à petit. Je suis content d'y avoir contribué et de voir qu'en quelques temps, elle a évolué sur ce point-là.

« Je suis vraiment content de l'apprendre, mais encore une fois, notre deal peut s'arrêter quand tu veux. Je pense qu'on a tous les deux rempli notre part du contrat. »

« Ne t'en fais pas, je ne me sens pas obligée. »

« Super alors ! J'espère que ton rendez-vous se passera bien. »

« Honnêtement, tant qu'il ne se met pas en free-boules devant moi, tout ira bien. Excuse-moi, je vais te laisser, j'ai une migraine de l'enfer. »

« Haha, oui file te reposer avec une aspirine. »

« Merci beaucoup, à plus ! »

« :) »

J'éteins l'écran de mon téléphone mais j'ai à peine le temps de me lever de mon lit qu'un numéro s'affiche. Une de mes collègues m'appelle des États-Unis, sûrement pour prendre des nouvelles de mon scénario qui avance bien.

—    Allô ?

—    Hello Jake ! It's Olympe. (Salut Jake ! C'est Olympe.)

Mon amie me répond en anglais, normal mais déstabilisant quand on sait que tout autour de moi est en français. Depuis que je suis ici, mon français s'est amélioré mais mon accent reste, rien d'horrible quand on voit l'accent des Français qui parlent anglais... Bref. Ça n'empêche que c'est extrêmement bizarre d'entendre un anglais si parfait au téléphone, ça débouche les tympans.

—    Hello Olympe, How are you ? (Salut Olympe, comment tu vas ?)

—    It's going well. I came to the news because of the scenario. We've got a producer interested in the bit you sent us, so that's good. I mainly came to the news. (Ça va bien. Je venais aux nouvelles par rapport au scénario. On a un producteur intéressé par le bout que tu nous as envoyé donc c'est bien. Je venais principalement aux nouvelles.)

—    Ah yes ! The scenario is really well advanced, almost to the end after all. I'm glad to have someone on board ! (Ah oui ! Le scénario est vraiment bien avancé, presque à la fin finalement. Je suis heureux d'avoir quelqu'un sur le coup !)

Olympe m'explique quelques trucs relevés lors des réunions mais j'écoute d'une oreille. J'avoue que je suis plutôt sérieux quand il s'agit de travail, mais surtout de l'écriture. Le reste, je fais confiance à ma petite équipe.

—    But anyway, we'll talk about it when you come back home, won't we ? (Mais de toute façon, on en parlera quand tu reviendras chez nous, non ?)

Revenir aux Etats-Unis. La question qui me trotte dans la tête depuis quelques jours. J'adore ma vie là-bas, le travail que j'exerce et l'euphorie américaine. Mais j'avoue que ce que la France m'a offert est aussi précieux que ce que j'ai là-bas. J'ai des amis que je pourrais considérer comme ma famille un jour, je pourrais avoir un logement si je le souhaite, l'environnement est propice à la création et je pense que le télétravail serait possible... En fait, j'ai passé 28 ans de ma vie dans ce pays qui m'a vu grandir, auprès de mon père qui n'est plus. Toute la douleur est là-bas, y retourner serait comme me plonger dans des tourments évitables.

—    Honestly, I'm not going to lie to you, I don't know. I love what I do here, but I love you too. We'll talk about that later, but for now, the goal is to finish the script. (Honnêtement, je ne vais pas te mentir, je ne sais pas. J'aime ce que je fais ici, mais je vous aime aussi. On en reparlera mais pour le moment, l'objectif est de terminer le scénario.)

—    It's your life, Jake. Enjoy it. But either way, you have to finish the script. I'll be leaving soon, I've got a meeting. (C'est ta vie, Jake. Profite. Mais dans tous les cas, il faut que tu finisses le scénario. Je ne vais pas tarder à te laisser, j'ai une réunion.)

—    But... Where are you ? Considering the time... (Mais... Où es-tu ? Vu l'heure...)

—    Haha ! I'm in Europe, but I'm just going back and forth, I'll be back later. Oops, gotta go Jake ! (Haha ! Je suis en Europe mais je fais juste un aller-retour, je rentre tout à l'heure. Oups, je dois te laisser Jake !)

—    Oh, yes ! Olympe ? One more thing. (Oh ! Oui ! Olympe ? Une dernière chose.)

—    I'm listening. (Je t'écoute.)

—    Can you find someone to put flowers on my father's grave, please ? It's important to me, she must be a bit sad at the moment. (Tu pourras trouver quelqu'un pour fleurir la tombe de mon père, s'il-te-plaît ? C'est important pour moi, elle doit être un peu triste en ce moment.)

—    Sure, Jake. Take care of yourself, okay ? (Bien sûr, Jake. Prend soin de toi.)

—    Say hi to everyone. (Tu diras bonjour à tout le monde.)

    I will. (Compte sur moi.)

—    Have a good meeting. (Bonne réunion.)

—    Bye, Jake. (Au revoir.)

J'ai la tête farcie après cette conversation mais je me sens soulagé de savoir que la tombe de mon père sera fleurie le temps de mon absence. On ne doit pas négliger nos morts.

Cette fois, je me lève vraiment de mon lit avec une énergie nouvelle, près à écrire. Déjà habillé et prêt, je fonce dans l'entrée pour enfiler mes chaussures et mon long manteau en daim que j'adore. Mes lunettes sur le nez et mon sac en bandoulière sur l'épaule, je dévale les escaliers en marquant un arrêt devant la porte de Line.

Ma voisine était dans un sale état hier, si sale que Claire a dû venir demander de l'aide chez mes amis. Gabriel étant en déplacement, Emma a pris la décision de venir me réveiller pour qu'on aide la métisse à mettre son amie au lit. Les deux avaient tellement picolé que Line devait sûrement voir un monde parallèle ! Mais bon, je l'ai balancé sur son lit à la demande de Claire qui a tenu compagnie à Line toute la nuit. J'avoue ne pas avoir bien dormi en sachant l'état des deux et qu'une mort par étouffement dans son vomi est vite venu. Mais bon, Claire m'a envoyé un message de remerciement ce matin en m'affirmant que tout allait bien. Je ne suis pas leurs parents, je n'ai rien à leur dire.

Cependant, on en a parlé avec Emma au petit déjeuner ce matin et la blonde avait l'air très amusée de la situation, faisant des sous-entendus toutes les six secondes. Je crois que l'intérêt que je porte pour Line commence à se voir, aussi bien pour les autres que pour moi-même.

Je lâche un sourire et dévale le reste des marches jusqu'à sentir le froid mordant du début d'hiver sur ma peau. Directement, je regrette de ne pas avoir pris une petite écharpe pour épargner le froid à ma gorge, mais tant pis. Dans les rues de Paris, je profite des pavés, de l'architecture et de tout ce qui m'entoure y compris la bonne humeur matinale des Parisiens.

Paris ou la Californie.

Telle est la question.

***

Le bruit de la porte, quelqu'un rentre ce qui me fait sursauter comme un idiot tellement j'étais à fond dans l'écriture. En rentrant du café, je n'ai pas réussi à décrocher du travail donc j'ai décidé de poursuivre en attendant le retour de Gabriel et Emma.

—    C'est moi ma couille ou ma chérie ! Je ne sais pas !

Je ris, la voix rauque et légèrement enrouée de Gabriel résonnant dans la petite entrée. J'entends des chaussures être balancées en vrac, un manteau aussi, puis mon meilleur ami passe enfin sa tête dans la cuisine ouverte sur le salon. Sa chemise blanche est froissée, légèrement ouverte ce qui révèle sa peau blanche légèrement halée qui bronze en un rien de temps au soleil, ses cheveux dorés sont coiffés en middle part bien coupée mais les poches sous ses yeux révèlent qu'il n'a pas beaucoup dormi de la nuit.

—     Comment c'était ? demandé-je en lui faisant une bise.

—    Top ! J'ai choppé quelques cartes, mon nouveau projet semble intéresser les investisseurs donc ça me fait plaisir.

Je suis content qu'il réussisse à mener ses projets avec brio. Je sais à quel point il travaille dur, comme Emma d'ailleurs, pour mener la vie qu'il souhaite tout en faisant sa passion. Être développeur n'est pas de tout repos !

—    Et toi, ta journée ? coupe-t-il avant que je puisse répondre.

—    Super, j'ai eu Olympe au téléphone et on a discuté du scénario qui a déjà trouvé preneur !

—    Ta réputation devient folle mon gars !

—    Peut-être pas non plus, mais voilà, c'est bien. Donc l'inspiration est venue et je n'ai pas levé le nez de mon clavier depuis !

Gab se sert un verre d'eau, écoutant attentivement ce que je lui explique de technique par rapport à Olympe et le potentiel producteur. Nous discutons une bonne demi-heure avant qu'Emma ne pointe le bout de son nez, râlant à cause d'une vieille dame qui lui a fait la misère pour un bon de transport à l'hôpital où elle travaille.

—    Je vais te couler un bon bain, mon amour, propose gentiment son copain en massant doucement ses épaules.

—    Merci mon chat. Je vais juste appeler ma mère avant et j'arrive.

La blonde pose un petit bisou sur les lèvres de mon pote avant de s'éclipser dans la chambre. Ils sont adorables tous les deux, c'est impressionnant. Certes, ils s'engueulent fort très souvent, mais je ne pourrai jamais remettre en question leur amour.

Gabriel contourne le comptoir pour se diriger vers la salle de bain où il s'apprête à réaliser sa promesse, mais c'est plus fort que moi, je le retiens par le poignet.

Étonné, il s'arrête, me questionnant du regard.

J'hésite.

Je les aime de tout mon cœur, et après réflexion, est-ce que je ne devrai pas lui révéler toute la vérité ? Si j'envisage de rester à Paris, je ne pourrai pas me pardonner d'avoir omit consciemment des détails de ma vie à mon meilleur ami. Il me loge, il sait que je ne lui parle pas de quelque chose mais me laisse, il ne me force pas.

Je ne devrai pas avoir de secret pour lui.

—    Gab... Faut qu'on parle de ce que je viens faire ici.

—    Hormis ton scénario, tu veux dire ?

J'hoche la tête et il jette un regard vers la chambre.

—    Emma devrait venir écouter, ça risque d'être un peu long...

—    Ok, le bain sera pour plus tard.

J'inspire profondément et réfléchit aux phrases que je dois dire le temps qu'Emma nous rejoigne. Je ne peux plus garder ça pour moi. Je dois la vérité à mes amis. Quoi qu'il se passe.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top