Chapitre 16


« Le ciel bleu sur nous peut s'effondre,
Et la terre peut bien s'écrouler,
Peu m'importe si tu m'aimes,
Je me fous du monde entier. »
Hymne à l'amour — Edith Piaf

Line

« Salut, comment tu vas ? »

Je souris seule comme idiote en brossant mes dents frénétiquement, brosse à dent électrique dans une main, téléphone dans l'autre. Jeu dangereux quand on dénombre le total de catastrophes qu'il peut arriver dans cette situation.

« Ça va et toi ? J'ai l'impression que ça fait une éternité que nous ne nous sommes pas parlé, l'inconnu. »

« C'est possible, je t'avouerai que je suis trop occupé en ce moment pour voir le temps passer. Et pour répondre à ta question, je vais très bien et toi ? »

« Je ne sais pas si je dois me sentir vexée ou non mais sache que c'est pareil de mon côté, le temps passe bizarrement très rapidement depuis notre dernière conversation. Et je vais très bien également. »

« Heureux alors, et non ne te vexe pas, c'est juste que ma vie est sans dessus-dessous sans raison, je pense que c'est moi qui fous du bordel sans que je ne m'en rende compte. »

« On est deux comme ça. »

Je crache le dentifrice et lave ma bouche avant de reprendre mon téléphone pour discuter avec mon inconnu. On prend principalement des nouvelles de l'un et de l'autre et je l'informe que j'ai un rendez-vous ce soir. Déjà deux jours que j'ai été courir et danser sous la pluie avec Jake et je suis heureuse de ne pas avoir attrapé de rhume. Après avoir fait un débriefing à Claire et Mia, qui sont toutes les deux totalement fan de ma nouvelle saison de vie — à croire que je suis une série Netflix — j'ai quand même décidé de faire un rendez-vous pour continuer notre deal avec mon inconnu. Je sais que c'est idiot, que j'aime bien Jake je le reconnais et que lui, peut-être aussi ? Je ne sais pas. Mais une partie de moi veux être sûre avant de passer le cap. Jake est un super ami, au fond je pense qu'une partie de moi voudrait plus surtout après ma réaction post bise intense mais en même temps ça serait bête de gâcher ça. Et puis, si j'ai quelqu'un dans ma vie, j'ai peur de ne plus parler à mon inconnu. C'est bête, mais parler avec lui de temps en temps me fait du bien, j'ai l'impression d'avoir quelqu'un qui me comprend en face, sans pour autant avoir à observer son jugement en face à face.

C'est compliqué dans ma tête, je le conçois, mais je veux laisser une dernière chance à l'application avant de me lancer dans une potentielle réelle relation.

Est-ce que je suis lâche ? Sûrement. Est-ce que c'est fuir et nier l'évidence ? Comme l'a si bien dit Claire, obviously. Mais j'ai dit que je reprenais ma vie en main, alors je veux être sûre de faire les bons choix.

***

—    Tu es sûre que tu veux y aller ? me demande Claire pour la centième fois.

—    Sûre de sûre, affirmé-je en appliquant une fine couche de gloss rose sur mes lèvres abimées.

—    Mais... et Jake ?

—    Nous ne sommes pas ensembles. Je fais ce que je veux et honnêtement, je veux juste être sûre de moi.

—    Mais tu m'as dit que tu étais sûre de base.

—    Je suis sûre de vouloir vérifier que je suis sûre.

—    Tu es compliquée, Line.

—    Est-ce que c'est nouveau ?

—    Touché.

Je range mes cheveux derrière mes oreilles, pas peu fière de ma nouvelle couleur qui redonne un semblant de vie à mon mauve. Ça ne plait pas à tout le monde, mais j'avoue que j'aime me sentir un peu unique quand je marche dans la rue.

—    Donc, si je résume, reprend ma meilleure amie en se levant pour marcher dans le vestiaire du restaurant. Tu vas à un rendez-vous pour continuer un accord avec un inconnu que tu aimes bien, mais tu vas à un rendez-vous alors que t'as une Sex machine qui t'attends juste au-dessus de ton appartement ? Tout ça pour vérifier que tu aimes vraiment bien cette Sex machine avant de tenter quelque chose, parce que tu ne veux pas ruiner une amitié qui n'en a jamais été une.

—    Pourquoi tu dis une amitié qui n'en a jamais été une ?

—    Parce que vous sentez le sexe à plein nez. L'un comme l'autre, y a toujours eu une connexion.

—    Connexion ne rime pas avec sexe, Claire.

Mon amie fronce le nez avant de secouer ses boucles brunes.

—    Soit. Mais bon, ce que je ne comprends pas c'est que tu ailles en date alors qu'il s'est passé tout ça ! Il a dormi chez toi, vous avez dansé sous la pluie et tu as presque pleuré sur son épaule. Line, ouvre les yeux, je suis la première partisante du coup d'un soir, mais là tu as tout ce que tu as toujours voulu en face de toi et tu fais de la merde.

—    Sortir avec un mec ne veut pas dire faire de la merde, Claire.

—    Je ne te comprends pas toujours, Line Mazuret.

—    Et moi encore moins, Claire Duquesne. Je t'aime d'amour, tu le sais ça ? Fais-moi confiance, je sais ce que je fais. Je veux juste reprendre ma vie en main, ne pas me laisser aller et laisser ma guérilla contre les hommes de côté. Après ce qu'il m'est arrivé, je veux juste être sûre de ne pas souffrir à nouveau, tu comprends ?

La métisse arrive derrière moi et entoure mon cou de ses bras. Je sers fort ses mains contre moi, m'enveloppant de son réconfort pour enterrer mes doutes. Je comprends ce qu'elle me dit, elle a raison au fond. Mais je sais aussi que j'ai besoin de ça, de prendre mon temps. J'ai pris deux jours pour réfléchir à la meilleure façon de faire pour avoir le moins mal possible, et le résultat est inévitable. La seule chose que je peux faire, c'est continuer de vivre ma vie, faire ce que j'ai à faire, et voir les occasions qui se présentent. Si nous devons vivre quelque chose ensemble avec Jake, je veux que ça se fasse naturellement, pas parce que j'aurai été focalisée dessus.

—    Je t'aime aussi, Line. Mais comprends que tu n'es pas simple à suivre parfois.

—    Je le sais Claire, mais je te dis tout ce qu'il se passe dans ma tête, tu le sais bien.

—    Je ne veux pas que ça change, tu me le promets.

—    Pour toujours ma belle, maintenant que tu es mon amie je ne te lâcherai plus.

Je la sens sourire dans mon dos puis elle pose un baiser furtif sur mon épaule avant de me libérer. Je m'observe une dernière fois dans le miroir, grandit mon corps et rentre mon ventre. Je suis sûre de moi. Ou en tout cas, c'est l'impression que je veux donner.

***

« Bon rendez-vous, fais attention à toi. »

« Ne t'en fais pas, il m'a payé un taxi. »

« Je t'aurais remboursé sinon, ne t'en fais pas pour ça. »

« Je ne m'en fais pas, il me l'a payé donc tout va bien. Paris coûte assez cher comme ça, je ne peux pas me permettre de faire la star en évitant le métro. »

« Femme et métro ne riment pas ensemble, tu le sais. »

« Oui papa... Bon, je te laisse, je viens d'arriver. »

« Bonne soirée, mon inconnue. »

Je descends du taxi qui a été payé en ligne par mon rendez-vous, remercie quand même le gentil chauffeur et observe enfin autour de moi. La rue est vivante ce qui me rassure dans un premier temps car je ne connais pas du tout le lieu. On est bien loin des endroits touristiques de Paris dont j'ai eu le droit depuis le début de mes dates. Je vérifie l'adresse sur mon portable et on m'indique le bâtiment juste en face. Je traverse la rue, le nez sur l'écran, puis quelqu'un m'interpelle avant que j'arrive à la porte.

Un homme plutôt petit me salue de la main en arrivant à mes côtés. Il porte un beau mulet brun légèrement ondulé, une moustache rétro et des vêtements plutôt classiques du genre jean t-shirt. Des dizaines de tatouages marquent ses bras musclés et j'ai froid pour lui en constatant qu'il ne porte que des manches courtes. Il ne pleut plus depuis une petite heure mais je parie que ça va vite revenir, donc pari risqué pour lui.

—    Tu es Line, c'est ça ?

—    C'est bien moi, enchanté... euh...

—    Gabin, enchanté pareillement.

Il me fait deux bises mais je dois reconnaitre que la déception me refroidi. Aucune électricité, aucune réaction de mon corps. C'est comme si j'avais fait la bise à l'âne de Shrek.

—    Après toi.

Gabin m'invite à entrer dans le lieu de l'adresse, galant et souriant. J'avoue que malgré sa dégaine d'insensible, il est plutôt beau si on aime les mulets et surtout très avenant. En fait, ça me fait rire parce qu'il me fait penser aux mecs bizarres qui se trimballaient toujours avec des shorts et des manches courtes à l'école peu importe le temps. Des êtres à part dans le monde.

Un long couloir aux lumières de toutes les couleurs nous accueille, m'en mettant plein les yeux. Les LED éclairent les murs qui portent des tags, des peintures et des mots en tout genre aussi bien sur les murs que sur le plafond. Une musique lointaine nous parvient, mais on dirait plus une sorte de boite de nuit qu'autre chose. Enfin bon, il y a tellement de lieu à concept sur la capitale que je n'ai même pas cherché à me spoiler. J'ai lu Milady's Club Paris sur Google Maps, mais rien d'autre. Le but, c'est quand même la surprise du date en entier.

—    Tu viens ?

Je me tourne vers Gabin qui a avancé dans le couloir alors que je me suis arrêtée, perdue dans mes pensées et dans les graffitis.

—    Oui, pardon, je ne connais pas l'endroit alors je suis un peu surprise. J'aime beaucoup pour le moment.

Un rictus rieur illumine le visage de mon rencard, mais il n'augure rien de bon. Il ne me met pas mal à l'aise, au contraire, quelque chose dans sa dégaine, dans sa façon de marcher et de se mouvoir me donne une impression de grande ouverture. Tant mieux, en soit, mais d'un autre côté, j'espère qu'il ne m'envoie pas dans un club échangiste parce que c'est un non négatif.

—    Tu m'as demandé de te surprendre alors... Je le fais !

—    C'était le contrat, pour le moment c'est un sans faute.

—    Super, alors suis-moi.

Je m'exécute et le suis jusqu'au bout. Sur le trajet, nous croisons plusieurs groupes qui rient forts et roulent des clopes, des couples qui roucoulent et des personnes plus seules. Leurs tenues et leur attitude me donne vraiment l'impression d'aller dans une boite de nuit. Peut-être que le concept c'est une boite de nuit à 21 heures plutôt qu'une heure du matin ? Pourquoi pas mais bon, je ne pense pas être assez motivée et alcoolisée pour danser avec Gabin. Après tout, je ne le connais pas et sa gueule d'ange ne débloquera pas le balai que je risque d'avoir dans le cul s'il me trimballe en boite.

Si ça avait été Jake, je pense que j'aurais dansé jusqu'au bout du monde.

Nous arrivons au bout du couloir, celui-ci débouche sur une grande salle circulaire composées de tables un peu partout, de bars sur les côtés et de... scènes ? Il y a une sorte d'estrade telle une scène au milieu, et d'autres plus petites estrades un peu partout. Une légère musique s'élance des enceintes, mais je sens que tout le monde est transpirant, ayant déjà bien entamé leur soirée.

C'est bizarre, il n'y a pas de zone pour danser...

Gabin attrape ma main et nous fraie un chemin entre les gens agglutinés près des bars. On se faufile jusqu'à réussir à atteindre l'un des endroits, les gens ne protestent même pas de se faire passer devant. En fait, la plupart sont déjà servis mais bouchent juste l'accès.

—    Tu veux boire quoi ? me questionne Gabin en recoiffant son mulet.

—    Hum, je ne sais pas... Tu prends quoi toi ?

—    Je ne bois pas encore, je dois te préparer une surprise mais avant je veux être sûre que tu es bien installée.

Oula, c'est quoi ce délire ? Le but d'un rencard, c'est d'être avec la personne, pas d'être abandonnée avec un verre d'alcool pour consoler sa peine.

—    T'en fais pas, je reviens après hein, tente-t-il de me rassurer en voyant ma tête blasée. Je peux vraiment pas t'en dire plus.

—    Mmh... Peu importe alors, mais je te préviens, je ne suis pas venue ici pour souffrir, ok ?

—    T'en fais pas, tout se passera bien.

Gabin me commande je ne sais quel cocktail et je m'en fous. Je le remercie quand il me le paye et le salue quand il m'abandonne à une table, seule. Gênée, je commence à boire et j'avoue que c'est plutôt bon. Il me faudra pas mal d'alcool pour supporter la soirée, je pense. Surtout quand on voit le nombre de regards perturbants qu'on m'envoie. Je me sens un peu comme une proie actuellement, c'est très gênant.

Soudain, alors que plusieurs personnes passent de table en table pour se rapprocher discrètement de la mienne, la lumière baisse. Un son. Puis un deuxième plus fort. La musique se lance. Les gens applaudissent, sifflent et crient. Certains se lèvent, s'approchent du bord de la scène comme si un concert allait être donné. Après tout, c'est peut-être ça en fait. Je ne connais pas Gabin, mais il doit faire parti d'un groupe qui se produit ce soir. C'est plutôt classe si c'est le cas.

Attentive, je me redresse en arrêtant de siffler mon verre à toute vitesse, et me plonge dans l'ambiance de la mélodie qui sort des enceintes. Les lumières changent, plus chaudes dans des tons dorés, bruns et rouges. Étonnant comme choix, mais j'aime bien.

Les cris redoublent et à droit de la scène, sortant de ce que je suppose être un énième couloir, une dizaine de personnes, hommes et femmes, arrivent d'une démarche féline vers l'estrade.

Je fronce les sourcils pour mieux voir dans la pénombre, un peu plus loin que le public qui s'est principalement agglutiné vers le spectacle.

De la danse peut-être ? Comme il n'y a pas d'instruments, ça serait plus logique.

Les danseurs montent sur scène, et mon cœur tombe dans mon estomac, littéralement.

Ce ne sont absolument pas des tenues pour des danseurs ça. Sauf si c'est normal de porter des portes-jarretelles, de la lingerie et des slips en cuir pour danser.

Non, non, non, non.

Lumière sur scène, sur les « danseurs » qui se bougent sensuellement, musique qui change de rythme, langoureux, aguichant...

Érotique.

Les femmes s'élancent sur les barres de pole dance qui étaient restées tapies dans l'ombre jusqu'ici, les hommes entament une danser lente sous les cris du public.

Je dois être aussi rouge qu'une tomate. Me ratatinant dans mon siège, je jette un regard discret autour de moi mais tout le monde a l'air dans son élément. Je me fais le plus petit possible, avale presque d'une traite le cocktail, puis je me lève discrètement. La sortie à vers ma gauche, Gabin ne me verra pas si je m'enfuie.

J'avance en laissant mon verre vide à un des bars par politesse, puis me fraie un chemin vers le couloir duquel je viens. Je l'atteins, un peu tremblante et gênée, quand un cri retentit dans l'assemblée. Mon cœur s'emballe et je me tourne vers la scène, m'attendant au pire mais ce n'est pas ce que j'imaginais. Gabin est au milieu des hommes, dansant NU devant les gens. Les bouts de tissu qui cachait leur virilité ont totalement disparu, révélant leurs parties à tout le monde.

—    Oh my god.

Mon sang ne fait qu'un tour et je prends mes jambes à mon cou, composant le numéro d'un taxi pour qu'on vienne me chercher au plus vite.

Pourquoi ça n'arrive qu'à moi ce genre de chose !

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