Chapitre 15


« Pourquoi ton prénom me blesse,
Quand il se cache juste là dans l'espace ?
C'est quelle émotion, la haine,
Ou la douceur,
quand j'entends ton prénom ? »
Ma Meilleure Ennemie — Stromae et Pomme

Line

Paris pleut, et moi je meurs avec ses larmes. Quelle idée j'ai eu d'aller courir. Moi ? Courir ? La bonne blague. Je me suis prise pour Marie-Amélie Le Fur alors que je suis un gros gigot qui ne sait pas marcher droit. Oui je fais partie de ces gens qui ne peuvent pas lâcher les mains sur un tapis de course parce qu'ils ne savent pas marcher droit, et alors ?

Jake est loin devant moi, courant à son rythme tout en faisant demi-tour plusieurs fois pour revenir vers moi. C'est agréable de courir avec lui car il ne m'impose pas sa course mais s'adapte à la mienne, courant à mon allure ou à la sienne, revenant vers moi en courant plutôt que de m'attendre toutes les cinq secondes.

Il s'est mis à pleuvoir au bout de dix minutes mais étonnement, ce n'est pas dérangeant. Les gouttes rafraîchissent ma peau brûlante tandis que l'air glacial chatouille mes poumons. Le début du mois d'octobre marque la fin de la douceur de l'été pour laisser place aux saisons plus froides mais qui sont aussi mes préférées.

—    Allô ?

Je décroche la sonnerie de mon téléphone sans même le sortir du brassard à mon bras, parlant à même l'écouteur. Qu'est-ce que j'aime la technologie parfois !

—    Allô Line ?

—    Oh, coucou Claire ! Comment ça va depuis le temps ?

Aujourd'hui, mon amie était de repos, me laissant seule au travail. Heureusement que Mia était en excellente forme, compensant l'abandon de ma meilleure amie pour quelques heures.

—    Ça va super et toi ? T'as l'air essoufflée, tout va bien ? Ne me dis pas que tu copules avec Jake pendant mon coup de fil !

—    Mais ça va pas ! Je suis en train de courir, Claire.

—    Courir ? Toi ? Je ne te crois pas.

Moi non plus à vrai dire.

—    Bref, crois-moi ou non, je m'en fiche !

—    Mouais... Bon, t'as pas des trucs à me dire ? Mia m'a parlé de quelque chose de croustillant...

—    Mia ? Mais tu n'as pas bossé aujourd'hui.

—    Ça ne m'empêche pas d'avoir mes amies au téléphone ou par texto tu sais. La preuve... Enfin bref ! Oui, une petite histoire avec notre Jakounet...

—    La traîtresse !

Pendant ma journée, je n'ai pas pu m'empêcher de raconter ma soirée à ma patronne qui a littéralement bu mes paroles. Est-ce que ça m'étonne réellement qu'elle en ait parlé à Claire ? Absolument pas. Est-ce que je pensais qu'elle me laisserait un peu plus de temps pour lui en parler ? Totalement.

Bien évidemment que je comptais lui en parler, juste histoire de raconter un peu la nouvelle saison de ma vie comme toute bonne copine qui se respecte, mais si on ne m'en laisse pas le temps c'est injuste !

À bout de souffle mais amusée, je commence à raconter toute l'histoire à ma meilleure amie, changeant discrètement de sujet quand Jake se rapproche un peu trop. Je lui rajoute la partie inédite du coup du ménage en exclusivité, ce qui me vaut quelques cris stridents à en faire pâlir les mouettes ! Je ris tout bas et termine mon histoire avant de devoir raccrocher, Jake se rapprochant vraiment de moi. Claire m'insulte de tous les noms de la laisser pour un homme, surtout après lui avoir raconté tout ça mais je lui promets de débriefer avec elle bientôt.

—    Tu étais au téléphone ? me demande-t-il avec son adorable accent beaucoup plus fort quand il est fatigué.

—    Oui, Claire est un vrai pot de colle quand elle s'y met.

Il rit doucement avant d'essuyer les gouttes qui coulent sur son visage trempé. L'eau le rend terriblement sexy mais j'essaye de ne pas y penser, honteuse. Mon cerveau, mon cœur et ma raison sont en vrais conflits et je n'arrive pas à trouver une paix dans ce chaos infernal. La seule chose que je me suis répétée toute la journée, c'est de vivre ma vie. Je veux vivre. Je veux courir sous la pluie avec un ami sexy. Je veux chanter faux dans un karaoké devant des inconnus ou encore aller faire du pédalo avec des bouteilles de vodka. J'en ai marre de subir ma vie. Maintenant, c'est moi la capitaine du navire, plus ma tête.

—    Tu sais que tu es beau sous la pluie ?

Surpris, Jake se fige un léger instant, suspendant son geste dans le vide avant de me sourire de toutes ses dents. Légèrement décalées, son sourire n'a rien de parfait mais il donne un charme.

Je crois que ça me plait.

Mes joues rougissent mais j'essaye de garder le rythme de ma course l'air de rien, faisant comme si le regard amusé de Jake sur moi ne me dérangeait pas. Le pire c'est qu'il arrive à courir en arrière pour rester me regarder l'air de dire « Tu es vraiment sûre d'avoir dit ça ? ».

—    Comme toi quad tu souris, reprend-il en rappelant ses paroles plus tôt dans la journée.

Le souffle court, je lui rends une magnifique grimace bien exagérée mais seulement quelques secondes avant que je ne meurs sur place. Sans m'en rendre compte, j'ai accéléré le rythme en ignorant les tremblements de mes jambes. Mon cœur douloureux n'est pas uniquement dû à mon effort, je le sais bien, mais au moins, courir me permet de noyer l'angoisse de ma gêne dans ma sueur puante.

Mon Dieu ! Je lui fis qu'il est beau alors que je ressemble à un caniche mouillé et que je dois sûrement puer aussi fort qu'Emile dans Ratatouille ! Rien ne va.

Incapable de garder le rythme dans ces conditions, Jake se retourne pour venir à mes côtés et enfin courir convenablement. Manquerait plus qu'il se torde une cheville... Discrètement, je penche ma tête vers mon aisselle pour vérifier ma pire crainte, c'est-à-dire sentir le rat mort, mais j'ai l'impression que mon déodorant est plutôt efficace pour une fois.

Soulagée, je bombe le torse et garde l'allure sur les derniers mètres qui nous séparent de l'immeuble. Le silence est apaisant, même si je sais qu'au fond nous sommes justes trop essoufflés pour discuter, les fines gouttes n'aidant pas. Enfin, non, je rectifie, je suis essoufflée. Jake a l'air d'un dieu tout droit sorti de l'Olympe même après avoir créé une partie de l'Univers ! Personnellement, le rythme que j'ai moi-même imposé sur cette fin de course est si intense que je me maudis intérieurement tout en remerciant mentalement mon ami de rester à mes côtés.

Maudîtes petites jambes.

Maudit cardio.

Maudite pluie.

Maudite moi.

Jake accélère sur les deux derniers mètres pour ouvrir la porte et me faire pénétrer dans le hall sans m'arrêter. À peine nous sommes à l'abri qu'une plus grosse averse encore inonde la rue, nous hypnotisant par la même occasion.

—    La vache, lâche-t-il sans paraître crevé, on a eu chaud.

—    Tu trouves ? Je te rappelle qu'on court depuis un siècle sous la flotte et qu'on est littéralement trempés.

—    Trempés tu dis ?

Jake ricane sans que je comprenne, il réouvre la porte du hall et sort dehors sous l'averse. Les gouttes d'eau frappent violemment sa peau rougie par le froid, ce qui le force à entre-ouvrir les yeux pour ne pas avoir mal.

—    Mais qu'est-ce que tu fais ? ris-je en le voyant lever les bras pour tourner sur lui-même.

Il accueille la pluie avant le même sourire que tout à l'heure, grimaçant légèrement quand une goutte est un peu trop puissante.

—    Viens avec moi !

Sa voix rieuse m'invite mais j'hésite. Je suis morte de froid, une grosse flaque s'est formée sous mes pieds dans le hall et le vent qui rentre est glacial. Mon seul souhait se compose avec une bonne douche et Paul. Et un chocolat chaud si mon ventre le veut.

—    Aller Line ! On a qu'une vie sérieux !

Vivre. C'est ce que je me suis promis en courant. Je fronce le nez, tiraillée entre mon nouveau mind set et mon corps qui me fait clairement comprendre mon mécontentement.

—    Line, ne me laisse pas seul, y a des gens qui me regardent par la fenêtre, marmonne-t-il en baissant les yeux.

Sa mâchoire tremble légèrement et on voit d'ici sa peau mate qui frissonne. Il va chopper froid si ça continue. À moitié convaincue, — mais surtout parce que je ne suis pas sûre de pouvoir le refaire une fois dans ma vie —, je m'élance dehors sans me poser de questions. La pluie est carrément plus forte, elle claque violemment contre ma pluie et me fait aussi plisser les yeux. En deux secondes à peine, je suis déjà trempée de la tête aux pieds, regorgeant mes vêtements d'eau. Heureux, mon ami saisit ma main et me fait tournoyer sous la pluie. Je ris et me laisse faire, dansant avec lui comme des idiots en plein milieu de la rue. Heureusement que peu de voitures passent par là, parce que ça briserait le moment.

Le brun finit par me lâcher pour s'allonger au sol. Littéralement le dos collé contre le bitume, il écarte les membres comme s'il faisait un ange dans la neige...sans neige. On dirait clairement un enfant.

Je laisse mes doutes de côté et le rejoins sur une pulsion. Je sens la crasse de l'extérieur se coller à mes vêtements et à mon corps, mais tant pis. Je me console en m'imaginant, allongée sur le sol sous la pluie battante. Mon cœur se gonfle de joie et mes zygomatiques deviennent douloureux. Jake tourne la tête vers moi, toussant quand l'eau afflue un peu trop.

—    Pourquoi tu t'es allongée avec moi ? demande-t-il en riant.

—    Pourquoi pas ? Je n'ai jamais dansé sous la pluie. Encore moins m'allonger sous la pluie.

Jake se décroche de moi et redresse sa tête, les yeux fermés vers le ciel.

—    Il n'y a rien de mieux que d'être sous la pluie, parfois, avoue-t-il tout bas. C'est hors du temps.

—    Hors du temps, c'est exactement ça, soufflé-je à mon tour.

Nous restons quelques minutes comme ça je pense, à laisser l'eau couler sur nos corps. Je me sens poisseuse mais en même temps libérée, zen. C'est un klaxon qui nous sort de notre torpeur, nous faisant nous lever en quatrième vitesse, pliés de rire l'un comme l'autre. Comme des adolescents fautifs, Jake m'attire à nouveau dans le hall mais ne s'y arrête pas. Nous fonçons dans l'escalier, semant de l'eau sur notre passage tout comme de nombreux rires.

Il s'arrête devant ma porte, serrant un peu plus ma paume dans la sienne.

—    Surtout, tu prends vite une bonne douche pour ne pas tomber malade, ok ? Et vérifie que c'était bien étanche ton truc pour téléphone. Et mange un truc, bois de l'eau aussi et...

—    Jake, c'est bon, je n'ai pas cinq ans ! le coupé-je en m'esclaffant. Je ne veux pas tomber malade donc une bonne tisane avec un plaide sera de rigueur.

—    Ok, c'est bien ça même si je ne sais pas ce que c'est une tisane.

—    C'est comme un thé, tu sais de l'eau chaude et des feuilles dans un sachet.

Il hoche la tête avec un sourire puis passe une main dans ses cheveux trempés. Ses boucles sont plus formées que d'habitude à cause de l'eau, c'est vraiment beau.

Je dis beaucoup trop qu'il est beau aujourd'hui, on est d'accord ?

Bref. Je sens mes joues qui s'échauffent malgré le froid de canard, puis Jake se penche vers moi. Pendant la micro seconde la plus LONGUE de ma vie, mon cœur à le temps de s'affoler, mes lèvres de se gercer, mes poumons de me dire fuck et mes doigts de pieds de se crisper. Je vois flou, il est possible que je louche et que je fasse une grimace, mais les lèvres roses de Jake viennent simplement se poser sur ma joue. Il me fait deux bises puis s'éloigne avant de me saluer de la main et disparaître dans l'escalier, me laissant épouvantée devant mon appartement.

C'était la bise la plus sexy de toute ma vie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top