Chapitre 14


« You see It's not the wings that makes the angel,
Just have to move the bats out of your head. »
U-Turn (Lili) — AaRON

Jake

Sans surprise, mon crâne veut ma mort. Et encore, je remercie intérieurement Line de m'avoir filé un médicament avant de m'endormir comme une merde sur son canapé.

Je frotte mes yeux, la lumière du jour entre déjà dans l'appartement, m'indiquant qu'il n'est pas si tôt. Une masse blanche est installée dans le creux de mon bras, se soulevant au rythme de ses respirations. Je ne sais plus le nom du chat de Line, mais il semble m'apprécier depuis que j'ai calmé la crise de panique de sa maîtresse. La pauvre, j'avais beau voir des licornes boire du Jäger Bomb en faisant un strip-tease, sa détresse était si forte qu'elle embaumait tout l'appartement. Ayant déjà été confronté à ce genre de situation, j'ai essayé de l'aider comme je pouvais à travers cette porte et ça a marché. J'avoue que caler sa respiration sur la mienne m'a fait autant de bien qu'à elle, ça a un peu calmé ma peine.

Hier soir, je ne sais pas pourquoi j'ai dérapé comme ça. Je pensais que tout allait bien, mais ma discussion avec Gabriel n'a fait que me revenir en pleine gueule, comme si le monde me hurlait que mon père est mort. Je me suis réconforté dans l'alcool le temps d'un soir, et je suis reconnaissant envers l'Univers de m'avoir mis sur la route de Line.

Pour moi, ce n'est pas le hasard mais un coup du destin.

Je me lève en essayant de ne pas embêter le chat qui finit par se lever en poussant un râle horrible tel un cochon qu'on égorge. Il crache puis file vers la cuisine où je pense que sa litière se trouve. Ma chemise n'a plus rien de lisse et mon pantalon de costume est bon à jeter. Super.

Je m'étire, réveillant mes muscles endoloris par la fatigue et mon crapahutage de la veille, puis je me rends compte que Line n'est pas là. Sa chambre est grande ouverte et une douce odeur de frais règne dans son apparement. Je devais dormir à poings fermés pour ne pas l'entendre...

Dans la cuisine, un petit mot qui m'est attribué est posé sur le plan de travail.

« Je travaille jusqu'à 16 heures, fais comme chez toi. J'ai posé des médicaments à côté de ce mot, je pense que tu en auras besoin. PS : tu pourras enlever les crottes de Paul avant de partir ? J'étais à la bourre ce matin, pas eu le temps. Et aussi, sors discrètement, je n'ai pas envie que l'univers pense à des choses bizarres. Bonne journée. Line. »

Je relis deux fois le mot avec toujours le même étonnement. Line est incroyable. Elle me laisse champ libre dans son appartement sans aucun problème, comme si les tueurs en série et divers psychopathes n'existaient pas. Je le laisse sur le comptoir et prends un temps pour tout observer autour de moi. Sans vraiment que ça ne m'étonne, tout est bien rangé, épuré, ce qui rend l'endroit sain. Quelques objets un peu plus fun comme des affiches de groupes de musique, des objets colorés et des lampes fantasy ornent le tout sans le surcharger. Vraiment à l'image de Line.

J'attrape ma veste de costume, remet mes chaussures et file hors de l'appartement sans me faire prier. Objectif grande douche et surtout brossage de dent. Entre deux, je me rends compte que j'ai laissé mon portable chez elle mais ce n'est pas grave, j'ai une idée en tête. Je m'habille, me parfume, brosse mes dents et coiffe mes cheveux puis quitte l'appartement de Gabriel en un rien de temps. Discrètement, je descends jusque chez Line et rentre une nouvelle fois chez elle sans que personne ne me voit. Paul a retrouvé sa place sur le canapé, l'appartement est silencieux. J'en profite pour appeler Gabriel quand je me rends compte qu'il m'a appelé une dizaine de fois entre hier soir et tôt ce matin, sûrement avant d'aller bosser. Il répond aux bouts de deux sonneries à peine.

—    Salut ma couil...

—    Putain Jake ! Tu étais où ? Tu préviens quand tu rentres pas pour aller baiser avec je ne sais qui !

—    Bonjour à toi aussi Gab.

—    Je rigole pas Jake, on a eu peur avec Emma.

Je suis obligé de tirer une grimace. C'est vrai que je ne l'ai pas prévenu de ma petite tournée des bars mais tout simplement parce que je ne pensais pas rester coincer à parler au carrelage de l'immeuble ! De base, je devais vraiment rentrer dormir, quitte à ce qu'il me voit dans un mauvais état, je m'en fous. Mais bon, mes plans ont changé entre temps...

—    Je suis désolé, sincèrement. J'avais bu et...

—    À cause de ce qu'on s'est dit ? Mec, je suis vraiment désolé, j'ai peut-être mal réagi mais t'es mon meilleur pote, je ne veux que le meilleur pour toi. Alors ne me mens plus, s'il-te-plaît, et explique-moi tout...

—    Je ne peux pas encore, Gabriel. Mais promis, bientôt.

Mon meilleur pote ne me répond pas de suite mais je l'entends soupirer dans le téléphone. Même si je déteste lui mentir, c'est trop tôt pour tout dire.

—    Ok, mais dis moi au moins chez qui tu as dormi ?

—    Chez Line, répondis-je du tac au tac.

—    Attends... Line Mazuret ? Ma voisine ?

—    Oui, elle m'a trouvé et j'ai dormi sur son canapé. Là je vais faire le ménage chez elle pour la remercier

—    La ménage... Parfois, t'es trop bizarre mec, une bouteille de champagne ou de vin suffit.

—    Non, elle mérite plus que ça.

Il s'arrête de nouveau, puis éclate de rire. Son rire franc me fait sourire et me réchauffe le cœur. Je n'aime pas quand on s'embrouille.

—    Ok, ok. Je ne vais pas chercher à comprendre, elle est aussi barrée que toi donc elle sera contente. Je te laisse, on se voit ce soir, ok ?

—    Oui, promis.

—    Bisous sur la fesse droite.

—    Bisous sur la gauche.

Il raccroche et me laisse avec mon sourire idiot sur le visage. J'aime vraiment ce mec, je ne veux pas le perdre. Bon, on cesse de plaisanter ou de se déconcentrer, maintenant que j'ai pu discuter avec Gabriel, il faut que j'entame la réelle partie qui m'intéresse et surtout celle pour laquelle je suis venu à la base.

Première étape : enlever les crottes de Paul.

Je mets un moment avant de trouver cette litière qui se trouve simplement dans un coin de la cuisine, blanche très simple qui se marie avec le reste de l'environnement. J'enlève le couvercle prudemment pour ne rien casser, puis c'est le drame. Une odeur infâme se dégage des toilettes du chat pour venir chatouiller mes narines sensibles. Un haut-le-cœur remonte le long de mon thorax, me faisant fuir de la cuisine en un rien de temps. Malheureusement, celle-ci étant ouverte sur le salon, il ne faut pas moins de deux secondes pour que la puanteur contamine tout l'espace, m'asphyxiant au passage. Une crise de haut-le-cœur me prend, déchirant mes poumons et ma gorge à chaque soubresaut même quand je me rue à la fenêtre pour l'ouvrir. Paul dort pendant ce temps, un air satisfait au visage.

—    Petit con ! Depuis quand un petit trou du cul comme le tien peut lâcher un truc aussi immonde ?!

Nouveau haut-le-cœur. Je cours mettre mon nez dehors pour respirer l'air glacial et mordant d'aujourd'hui, mais ça ne change rien pour mon corps qui semble s'être roulé dans la merde de chat. Je reste cinq bonnes minutes pour tenter de retrouver un minimum de convenance et retourne à l'assaut de la litière, mon t-shirt sur le nez en guise de masque à gaz. Je me précipite sous l'évier, là où sont rangés la plupart des produits ménagers chez les Français, et bingo ! Des dizaines de petits flacons sont tous bien rangés, tout comme des sacs poubelles neufs que je cherchais.

Armé de mon t-shirt sur le nez, de mon sac et de ma détermination, je m'approche à pas de loup de la bête, prêt à en découdre. Je me saisis de la petite pelle trouée qui permet de faire le tri entre l'immondice et la litière, respire un bon coup mais pas trop fort pour ne pas mourir, puis plonge la pelle dans la litière. Le caca se cale proprement dedans, je secoue un peu pour enlever l'excès de copeaux et au même moment, une vague d'odeur vient de nouveau chatouiller mes narines.

Mes hauts-le-cœur reprennent.

Rapide, tremblant et à moitié en train de dégueuler dans mon haut, je nettoie la litière puis celle bien proprement le sac poubelle que j'abandonne pour le moment dans un coin. Nouvelle course jusqu'à la fenêtre et je revis. Mes narines et mon cerveau me donnent de violentes baffes, énervés de leur avoir infligé ça mais c'est pour la bonne cause. Line m'a uniquement demandé ça, c'était le minimum pour la remercier.

Punaise, j'ai l'impression d'avoir le goût de l'odeur sur la langue...

Quand l'appartement redevient respirable et que Paul daigne enfin se lever pour me tenir compagnie après que je lui ai balancé toutes les atrocités du monde, je file remettre le couvercle et entamer un vrai ménage du lieu.

J'ai conscience que faire le ménage chez quelqu'un est assez intime et au fond, j'espère ne pas heurter Line en faisant ça. Pendant trois bonnes heures, j'astique chaque endroit sans rentrer dans son intimité, soulevant uniquement ce qui est nécessaire mais le remettant juste après au millimètre près. Même si tout est propre en général, l'odeur de javel et de frais est la chose la plus agréable possible quand on rentre chez nous.

Je passe un coup d'aspirateur, de serpillère trouvée dans la salle de bain, puis range toute trace de mon passage. Paul miaule en frottant son corps contre ma jambe, validant mon travail impeccable.

Comme il me reste encore un peu de temps avant 16 heures, je monte chez Gabriel pour emprunter de quoi nettoyer les vitres de Line. Rien n'est plus satisfaisant que de passer un coup de raclette pour enlever toute la crasse de l'air accumulée.

C'est après ça que je me retrouve au milieu du salon, mains sur les hanches, le t-shirt un peu transpirant avec un air satisfait sur le visage quand j'entends la poignée de la porte d'entrée se presser doucement. Line apparaît dans la petite entrée, ses cheveux fins relevés négligemment en un gros chignon bancal, un pull énorme sur le corps qui ne doit même pas être assez chaud pour la température extérieure. Ses yeux s'arrondissent quand elle me voit, puis je vois ses narines bouger comme pour renifler quelque chose. Elle regarde autour d'elle en entrant dans le salon sans prendre la peine d'enlever ses Converses — ce qui fait un peu mal à mon petit cœur —, elle observe chaque recoin, un peu paniquée mais elle ne dit rien pour autant. Je n'ose pas bouger de peur qu'elle réagisse mal mais pas du tout, son air étonné se repose sur moi, ses yeux d'un bleu foncé indescriptible légèrement rougis. Sûrement le froid.

—    Tu as fait le ménage ?

Elle me désigne le produit des vitres que je n'ai pas eu le temps de ramener chez Gab.

—    Oui, mais promis je n'ai rien touché, j'ai juste soulevé les choses puis reposé. Pas lu de journal intime ou reniflé tes petites culottes.

—    Je ne sais pas si je dois être rassurée ou non que tu me dises ça, ricane-t-elle.

Elle a de grosses poches sous les yeux, signe que sa journée a dû être épuisante. En même temps, je ne suis pas certain qu'elle ait passé une excellente nuit.

—    Mais pourquoi tu as fait ça ? C'est adorable, hein, mais pourquoi ? Je t'avais juste demandé d'enlever les crottes de Paul comme je n'ai pas eu le temps ce matin mais... pas tout ça !

Elle illustre ses paroles en tournant sur elle-même, les bras écartés. Je suis obligé de lâcher un petit rire devant elle tellement elle ne semble pas savoir où donner de la tête.

—    Eh bien, tu m'as aidé hier donc je voulais te rendre la pareille. Ce n'était rien, sauf les crottes de Paul. Plus JAMAIS je ne touche à cette litière de l'horreur ! Comment c'est possible qu'il pue autant ?

—    Beaucoup de chats puent, mais Paul fait des cacas atomiques, c'est vrai, rit-elle en pinçant ses lèvres roses.

—    Tu savais ?

—    Tu crois que c'est pourquoi que je te l'ai demandé ? Certes je n'ai pas eu le temps, mais si pour une fois je peux donner cette responsabilité à quelqu'un d'autre, je le fais !

Line éclate de rire en voyant mon visage qui doit être dégouté, et c'est la plus belle chose du monde. Les sanglots d'hier se transforment en éclat de joie à ce moment, et je ne peux pas m'empêcher de la regarder rire aux éclats. Ses joues sont rougies par la différence de chaleur entre ici et dehors, ses lèvres roses sont légèrement gercées et même si elle semble épuisée, son rire est le plus beau du monde en cet instant. Mon cœur se met à tambouriner dans mes tympans, mon cerveau se déconnecte pour que je n'entende plus que son rire qui résonne dans la pièce, et je souris. Je souris comme un adolescent amoureux et je n'ai même pas honte. Line est belle, je ne peux même pas le nier.

—    Tu es belle quand tu souris, lâche-je sans faire exprès.

Le rire de Line s'atténue, la rendant plus sérieuse d'un seul coup, puis un air gêné s'installe sur son visage. Ses yeux trouvent les miens et je me trouve scotché par sa beauté d'un seul coup, comme une bonne baffe dans la tronche. J'ai clairement l'impression de me faire frapper par Georges Saint-Pierre.

Line me dévisage un instant, la bouche ouverte, marmonnant des syllabes bégayantes.

—    Pourquoi tu me dis ça, finit-elle par dire en riant nerveusement.

—    Parce que c'est vrai. Tu es belle quand tu ris. J'avais envie que tu le saches.

Elle se remet une mèche rebelle derrière l'oreille, son nez rougit.

—    Merci... Mais... euh...

—    N'en doute pas, dis-je simplement en reprenant un peu conscience. C'est un fait et maintenant que tu le sais, c'est bien. Je suis désolé mais je vais te laisser, je dois aller courir.

Line semble perdue et étonnée à la fois, ne sachant plus où se mettre dans sa propre maison. Elle alterne un pied sur l'autre comme si elle avait une envie pressante, fuit mon regard et ne pipe pas mot quand je la dépasse clairement en direction de l'entrée, mon produit vitre dans les mains. J'enfile ma paire de basket et ouvre la porte pour partir, un peu chamboulé par mon cœur serré, quand elle m'interpelle une dernière fois.

—    Jake ?

—    Oui ? lui demandé-je en me retournant d'un seul coup comme une star.

Un sourire illumine de nouveau son visage puis elle se met à regarder ses pieds nerveux.

—    Je peux venir avec toi ?

—    Avec moi ?

—    Courir, élucide-t-elle en plaisantant.

—    Mais tu as l'air épuisée... et puis tu as mal dormi hier et...

Elle se redresse d'un seul coup, des éclairs dans les yeux. Lui faire remarquer ses cernes ne serait peut-être pas la meilleure idée, je reconnais.

—    Dois-je te rappeler que tu sors d'une cuite de l'espace ?

—    Il faut combattre le mal par un autre mal...

—    Bah voilà, c'est tout pareil, je te rejoins.

Sa détermination dans le regard ne ment pas. Et puis, honnêtement, elle me fait un peu peur sur le moment, je n'ai pas trop envie de la contredire.

Tu pourras passer plus de temps avec...

—    Ok, on se donne rendez-vous dans dix minutes en bas ?

—    Parfait pour moi !

—    Nickel, à tout de suite.

Elle me fait un pouce avec ses deux mains ce qui me fait rire puis le ferme la porte sur moi, la faisant disparaître de ma vue. Bon, je ne vais pas dire que ça ne me fait pas plaisir, ça serait mentir. Maintenant, il faut juste que je me motive réellement à y aller...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top