CHAPITRE 42. ABELFORTH

La voix d'Harry  lui parut grave et étrange, après les hurlements aigus de Voldemort.

— Il sait répéta t'il. et il va vérifier les cachettes des autres Horcruxes. Le dernier – il s’était mis debout à
présent – se trouve à Poudlard. Je le savais. Je le savais.
— Quoi ?
Ron le regardait bouche bée. Hermione se releva sur un genou, l’air préoccupée.
— Qu’est-ce que tu as vu ? Comment peux-tu en être sûr ?
— J’étais là au moment où il a appris ce qui s’est passé pour la coupe… Je… j’étais dans sa tête, il est…

Harry se rappela les meurtres.
— Il est très en colère, il a peur aussi, il n’arrive pas à comprendre comment nous avons pu
découvrir l’existence des Horcruxes et maintenant, il veut être certain que les autres sont bien en sûreté. Il va commencer par la bague. Il pense que le mieux protégé est celui de Poudlard, parce que Rogue est là-bas et parce qu’il serait trop difficile d’y entrer sans être repéré. Je crois que c’est le dernier qu’il ira vérifier, mais il se peut quand même qu’il y soit dans quelques heures…
— As-tu vu où se trouve l’Horcruxe de Poudlard ? demanda Ron en se relevant à son tour.
— Non, il songeait surtout à avertir Rogue, il ne pensait pas à la cachette…
— Attendez, attendez ! s’écria Hermione alors que Ron avait déjà ramassé la coupe d’or et que Harry
sortait à nouveau la cape d’invisibilité. Nous ne pouvons pas y aller comme ça, nous n’avons aucun
plan, il faut d’abord…
— Nous devons partir tout de suite, l’interrompit Harry d’un ton ferme.
Il avait espéré pouvoir dormir, impatient de s’installer sous la nouvelle tente, mais ce n’était plus
possible.
— Tu imagines de quoi il est capable quand il s’apercevra que la bague et le médaillon ont disparu ?
Qu’est-ce qu’on fera s’il décide que la cachette de Poudlard n’est pas assez sûre et qu’il déplace l’Horcruxe ?
- Et puis jusqu'ici, les plans ne nous ont pas trop réussi. Dit Sirius.

— Mais comment va-t-on s’y prendre pour entrer ? Demanda Hermione
— On s’arrêtera d’abord à Pré-au-Lard, répondit Harry. Nous essayerons de trouver un moyen quand nous aurons vu le système de protection de l’école. Viens sous la cape, Hermione, je veux que nous
restions ensemble, cette fois.
— Mais on ne tiendra pas tous les cinq.
— La nuit sera tombée, personne ne verra nos pieds.

Le battement produit par des ailes immenses résonna de l’autre côté de l’eau noire : le dragon avait
bu tout son soûl et s’élevait à présent dans les airs. Ils interrompirent leurs préparatifs pour regarder
monter de plus en plus haut sa silhouette devenue noire dans le ciel assombri, jusqu’à ce qu’il
disparaisse derrière une montagne.

Hermione s’avança alors et se glissa entre les deux autres, Aria et Sirius se serrerent contre Harry qui
déploya la cape en la faisant pendre le plus bas possible puis, d’un même mouvement, ils pivotèrent
sur place et s’enfoncèrent dans l’obscurité oppressante.

Les pieds de Sirius  touchèrent le revêtement d’une route. Il vit la grand-rue de Pré-au-Lard,
douloureusement familière : les façades sombres des magasins, le contour des montagnes au-delà du
village, la courbe de la route qui menait à Poudlard, un peu plus loin devant lui, la lumière que
déversaient les fenêtres des Trois Balais.  Au  moment où il
relâchait l’étreinte de ses doigts sur les bras de Harry et d’Hermione, quelque chose se produisit.

Un hurlement, semblable à celui qu’avait poussé Voldemort en apprenant le vol de la coupe, déchira
l’atmosphère, un cri que Sirius  sentit vibrer dans chaque nerf de son corps. Il comprit aussitôt que c’était leur arrivée qui l’avait déclenché. Alors qu’il regardait ses amis  sous la cape, la porte des Trois Balais s’ouvrit violemment et une douzaine de Mangemorts encapuchonnés se précipitèrent dans la rue, leurs baguettes brandies.

Sirius  saisit le poignet de Ron à l’instant où celui-ci levait sa propre baguette. Ils étaient trop
nombreux pour qu’ils puissent les stupéfixer. Le simple fait d’essayer trahirait leur position. Un
Mangemort agita sa baguette et le hurlement s’interrompit, son écho continuant de résonner dans les
montagnes lointaines.

— Accio cape ! rugit l’un des Mangemorts.
Harry serra les pans de la cape d’invisibilité mais elle n’esquissa pas le moindre mouvement : le
sortilège d’Attraction n’avait pas eu d’effet sur elle.
— Tu n’es pas sous ton emballage, Potter ? s’écria le Mangemort qui avait essayé de jeter le sortilège.
S’adressant à ses compagnons, il ajouta :
— Dispersez-vous et cherchez-le, il est ici.
Six Mangemorts coururent alors vers eux. Harry, Ron, Hermione, Sirius et Aria, battirent en retraite aussi vite que possible dans une petite rue adjacente et les Mangemorts les manquèrent de quelques centimètres.

Tous trois attendirent dans l’obscurité, écoutant les bruits de pas qui couraient en tous sens, les rayons
lumineux projetés par les baguettes magiques des Mangemorts flottant le long de la grand-rue.
— Partons ! murmura Hermione. Transplanons tout de suite !
— Excellente idée, approuva Ron.
Mais avant que Harry ait pu répondre, un Mangemort cria :
— On sait que tu es ici, Potter, et tu ne pourras pas t’échapper ! On te trouvera !
— Ils s’étaient préparés, murmura Harry. Ils ont mis ce sortilège en place pour être prévenus de notre arrivée. J’imagine qu’ils ont également fait ce qu’il fallait pour nous empêcher de repartir, pour nous prendre au piège…

— Et les Détraqueurs ? lança un autre Mangemort. Lâchons-les, ils le retrouveront vite !
— Le Seigneur des Ténèbres ne veut pas que Potter meure d’une autre main que la sienne…
— Mais les Détraqueurs ne le tueront pas ! Le Seigneur des Ténèbres veut la vie de Potter, pas son âme. Il sera plus facile à tuer s’il a d’abord été embrassé !

Il y eut des murmures d’approbation. Harry fut saisi de terreur : pour repousser les Détraqueurs, ils
devraient produire des Patronus, ce qui les trahirait aussitôt.
— Il faut qu’on essaye de transplaner, Harry ! chuchota Hermione.
Au même moment, il sentit un froid anormal s’insinuer dans la rue. Toutes les lumières furent aspirées, jusqu’à celles des étoiles, qui s’évanouirent. Dans une totale obscurité, il sentit Hermione lui serrer le bras et ils tournèrent sur place.

Mais c’était comme si l’atmosphère qu’ils auraient dû traverser était devenue solide : ils ne pouvaient
plus transplaner. Les sortilèges des Mangemorts se révélaient efficaces. Le froid glacé mordait de plus en plus la chair de Sirius. Ils  reculèrent. Ils suivaient le mur à tâtons en essayant de ne pas faire de bruit. Soudain, au coin de la rue, les Détraqueurs apparurent, glissant en silence. Au nombre de dix, ou plus, ils restaient visibles car leurs silhouettes, avec leurs capes noires et leurs mains
putréfiées couvertes de croûtes, étaient encore plus sombres que l’obscurité environnante.

Percevaient-ils de la peur à proximité ? Harry en était sûr. Ils semblaient avancer plus vite, il entendait leur lente respiration sifflante, semblable à un râle, qu’il détestait tant, un goût de désespoir se répandait dans l’air, ils se rapprochaient…
Il leva sa baguette : il ne pouvait, ne voulait  pas  subir le baiser d’un Détraqueur, quoi qu’il puisse arriver
par la suite. C’était à Ron et à Hermione qu’il pensait lorsqu’il murmura :
— Spero Patronum !

Le cerf argenté jaillit de sa baguette et chargea : les Détraqueurs se dispersèrent et quelque part, un cri
de triomphe retentit.
— C’est lui, là-bas, là-bas, j’ai vu son Patronus, c’était un cerf !

Les Détraqueurs avaient fui, les étoiles réapparurent et les bruits de pas des Mangemorts se firent de
plus en plus proches. Mais avant que Harry, pris de panique, n’ait pu décider de ce qu’il allait faire, le
mécanisme d’une serrure grinça, une porte s’ouvrit du côté gauche de la rue étroite et une voix rude
lança :

— Potter, vite, ici !
Il obéit sans hésiter : ils se précipitèrent à travers l’ouverture.
— Montez là-haut, gardez la cape sur vous, taisez-vous ! marmonna un homme de haute taille qui passa devant eux pour sortir dans la rue et claqua la porte derrière lui.
Au début, Harry n’avait aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient, mais bientôt, à la lueur vacillante d’une unique chandelle, il reconnut le bar crasseux, au sol recouvert de sciure, de La Tête de Sanglier.

Ils coururent derrière le comptoir puis franchirent une autre porte qui donnait sur un escalier de bois délabré dont ils montèrent les marches aussi vite qu’ils le purent. Ils arrivèrent dans un salon au tapis usé. Au-dessus d’une petite cheminée était accrochée une grande peinture à l’huile représentant une fillette blonde qui contemplait la pièce avec une sorte de douceur absente.

Des cris s’élevèrent de la rue. Toujours recouverts de la cape d’invisibilité, ils s’avancèrent
silencieusement et regardèrent par la fenêtre aux vitres sales. Leur sauveur, en qui Sirius reconnaissait à présent le barman de La Tête de Sanglier, était la seule personne qui ne portait pas de capuchon.

— Et alors ? hurlait-il au visage de l’une des silhouettes masquées. Et alors ? Si vous envoyez des
Détraqueurs dans ma rue, moi, je leur envoie un Patronus ! Je ne veux pas les avoir à côté de chez moi, je vous l’ai déjà dit, je n’en veux pas !
— Ce n’était pas ton Patronus ! répliqua un Mangemort. C’était un cerf, celui de Potter !

— Un cerf ! rugit le barman.
Il sortit une baguette magique.
— Un cerf ! Espèce d’idiot… Spero Patronum !
Une forme immense et cornue surgit de la baguette : tête baissée, elle chargea en direction de la
grand-rue et disparut.
— Ce n’est pas ce que j’ai vu…, dit le Mangemort, avec moins de certitude, cependant.
— Tu as entendu le bruit, le couvre-feu a été violé, intervint l’un de ses compagnons. Quelqu’un était
dans la rue, contrairement au règlement…
— Si je veux faire sortir mon chat, personne ne m’en empêchera et au diable votre couvre-feu !
— C’est toi qui as déclenché le charme du Cridurut ?
— Si je réponds oui, qu’est-ce qui se passera ? Vous allez m’expédier à Azkaban ? Me tuer pour avoir
osé mettre le nez dehors devant ma propre porte ? Allez-y, si ça vous amuse ! Mais j’espère pour
vous que vous n’avez pas appuyé sur votre petite Marque des Ténèbres pour l’amener ici. Il ne serait
pas très content que vous l’appeliez simplement pour me voir moi et mon vieux chat, vous ne croyez
pas ?

— Ne t’inquiète pas pour nous, répliqua l’un des Mangemorts, c’est plutôt toi qui devrais te faire du
souci pour avoir violé le couvre-feu !
— Et comment vous vous y prendrez, tous autant que vous êtes, pour continuer votre petit trafic de
potions et de poisons quand mon pub sera fermé ? Comment vous ferez pour arrondir vos fins de mois ?
— Tu nous menaces ?
— Je ne vous ai jamais dénoncés, c’est pour ça que vous venez ici, non ?
— Et moi, je te dis que j’ai vu un Patronus en forme de cerf ! s’écria le premier Mangemort.
— Un cerf ? gronda le barman. C’est un bouc, idiot !
— D’accord, on a fait une erreur, admit le deuxième Mangemort. Mais si tu violes à nouveau le
couvre-feu, on ne sera plus aussi indulgents !

D’un pas énergique, les Mangemorts retournèrent dans la grand-rue. Hermione exprima son
soulagement en poussant un petit gémissement. Elle se dégagea de la cape et s’assit sur une chaise aux
pieds branlants. Harry ferma soigneusement les rideaux, puis ôta la cape d’invisibilité qui les
recouvrait encore, Ron et lui, Sirius et Aria étant également sortis de dessous la cape.

Ils entendirent le barman verrouiller à nouveau la porte du rez-de-
chaussée et monter l’escalier.
L’attention de Harry fut alors attirée par un objet posé sur le manteau de la cheminée : un petit miroir
rectangulaire appuyé contre le mur, juste sous le portrait de la fillette.
Le barman entra dans la pièce.

— Bande d’imbéciles, dit-il d’un ton rude en les regardant tour à tour. Qu’est-ce qui vous a pris de
venir ici ?
— Merci, répondit Harry, nous ne pourrons jamais vous être assez reconnaissants. Vous nous avez
sauvé la vie.

Le barman grogna. Harry s’approcha de lui et le dévisagea, essayant de distinguer ses traits à travers
sa barbe et ses cheveux, longs, filandreux, d’un gris de fil de fer. Derrière ses lunettes aux verres
sales, ses yeux étaient d’un bleu perçant, brillant.
— C’est votre œil qui était dans le miroir.
Un silence tomba dans la pièce. Harry et le barman se regardèrent.
— Vous nous avez envoyé Dobby.
Le barman acquiesça d’un signe de tête et chercha Dobby des yeux.
— Je pensais qu’il serait avec vous. Où l’avez-vous laissé ?
— Il est mort, dit Harry. Bellatrix Lestrange l’a tué.

Le visage du barman resta impassible. Au bout d’un moment, il murmura :
— Je suis navré de l’apprendre. J’aimais bien cet elfe.
ll se détourna, allumant les lampes d’un coup de baguette magique, sans regarder aucun d’entre eux.
— Vous êtes Abelforth, dit Harry à l’homme qui lui tournait le dos.
Ne cherchant ni à confirmer ni à démentir, il se pencha pour allumer le feu.

— Comment vous êtes-vous procuré ceci ? demanda Harry.
Il s’avança vers le miroir de Sirius, identique à celui qu’il avait brisé près de deux ans auparavant.
— Je l’ai acheté à Ding il y a environ un an, répondit Abelforth. Albus m’a expliqué ce que c’était.
J’ai essayé de garder un œil sur vous.
Ron sursauta.
— La biche argentée ! s’exclama-t-il, surexcité. C’était vous ?
— De quoi parles-tu ? s’étonna Abelforth.
— Quelqu’un nous a envoyé un Patronus !
— Avec un cerveau comme le tien, tu pourrais devenir Mangemort, fiston. N’ai-je pas montré il y a un instant que mon Patronus était un bouc ?
— Oui, c’est vrai…, admit Ron. En tout cas, j’ai faim ! ajouta-t-il, sur la défensive, alors que son
estomac grondait bruyamment.
— J’ai de quoi manger, répondit Abelforth.

Il sortit de la pièce et revint quelques instants plus tard avec une grande miche de pain, du fromage et
une cruche d’étain remplie d’hydromel, qu’il posa sur une petite table devant le feu. Ils mangèrent et
burent avec avidité et pendant un moment, on n’entendit plus que le craquement des bûches, le
tintement des coupes et les bruits de mastication.

— Bien, alors, reprit Abelforth lorsqu’ils eurent mangé à satiété, et que Harry et Ron se furent affalés
dans des fauteuils d’un air somnolent. Il faut réfléchir au meilleur moyen de sortir d’ici. On ne peut rien tenter la nuit : dès que le charme du Cridurut se sera déclenché, ils vous tomberont dessus comme des Botrucs sur des œufs de Doxy. Je ne pense pas que j’arriverai une deuxième fois à faire
passer un cerf pour un bouc. Attendez l’aube, quand le couvre-feu sera levé, vous pourrez alors remettre votre cape d’invisibilité et partir à pied. Sortez tout de suite de Pré-au-Lard, allez dans les montagnes et là, vous pourrez transplaner. Vous verrez peut-être Hagrid. Il se cache dans une grotte, là-haut, avec Graup, depuis qu’ils ont essayé de l’arrêter.

— On ne s’en va pas, répliqua Harry. Il faut que nous entrions à Poudlard.
— Ne sois pas stupide, mon garçon, dit Abelforth.
— Nous devons y aller, insista Harry.
— La seule chose que vous ayez à faire, poursuivit Abelforth en se penchant en avant, c’est partir
d’ici le plus loin possible.

— Vous ne comprenez pas. Il ne reste pas beaucoup de temps. Il faut absolument que nous allions au
château. Dumbledore… je veux dire, votre frère… voulait que nous…
La lueur des flammes rendit les verres sales des lunettes d’Abelforth momentanément opaques, d’un
blanc brillant, uni, et Harry se souvint des yeux aveugles d’Aragog, l’araignée géante.

— Mon frère Albus voulait toujours beaucoup de choses, l’interrompit Abelforth, et les gens qui
l’entouraient avaient la mauvaise habitude de prendre des coups chaque fois qu’il exécutait ses plans
grandioses. Ne t’approche pas de cette école, Potter, et quitte le pays si tu le peux. Oublie mon frère et ses savantes machinations. Il est parti là où tout cela ne peut plus lui faire de mal et tu ne lui dois rien.
— Vous ne comprenez pas, répéta Harry.
— Ah, vraiment ? murmura Abelforth. Tu crois que je ne peux pas comprendre mon propre frère ?
Tu penses que tu connaissais Albus mieux que moi ?

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, répondit Harry, dont le cerveau devenait plus lent sous l’effet
de l’épuisement et d’un excès de nourriture et de vin. C’est… Il m’a confié un travail.
— Voyez-vous ça ? Un travail agréable, j’espère ? Facile ? Le genre de choses qu’un jeune sorcier non diplômé peut accomplir sans trop se casser la tête ?

Ron eut un petit rire sinistre. Hermione paraissait tendue.
— Je… non, ce n’est pas facile du tout, dit Harry. Mais il faut que je…
— Il faut ? Pourquoi « Il faut » ? Il est mort, n’est-ce pas ? répliqua Abelforth avec brusquerie. Laisse tomber, mon garçon, sinon, tu vas bientôt le suivre ! Sauve ta propre vie !
— Je ne peux pas.
— Et pourquoi ?
— Je…
Harry se sentit dépassé. Ne pouvant donner d’explication, il préféra prendre l’offensive.

— Vous aussi, vous combattez, vous êtes membre de l’Ordre du Phénix…
— Je l’étais, répondit Abelforth. L’Ordre du Phénix est fini. Vous-Savez-Qui a gagné, c’est terminé, et tous ceux qui prétendent le contraire se font des illusions. Tu ne seras jamais en sécurité, ici, Potter, il
a trop envie de te retrouver. Pars à l’étranger, cache-toi, sauve ta peau. Et emmène ces là avec toi, ça vaudra mieux.

D’un geste du pouce, il montra Ron, Hermione, Sirius et Aria.
- Nous ne pouvons pas faire ça. Dit Sirius. Il reste encore une carte à jouer, et nous devons aller jusqu'au bout.
- C'est de la folie. Répliqua Abelforth.
- Sans doute. Reconnut Sirius. Mais..je préfère mourir en luttant contre l'oppression, que vivre vieux en me cachant comme un lâche.
- Alors tu seras satisfait, parce que c'est ce qui t'attend si tu vas au château.
Sirius haussa l'epaule.
- J'ai toujours aimé Poudlard. Dit il. Je l'ai toujours considéré comme la maison. C'est un bel endroit, pour y mourir.

- De toute façon, Je ne peux pas partir, affirma Harry. J’ai un travail…
— Confie-le à quelqu’un d’autre !
— Impossible. C’est à moi de le faire. Dumbledore m’a bien expliqué…
— Voyez-vous ça… Et est-ce qu’il t’a vraiment tout dit, est-ce qu’il a été sincère avec toi ?
De tout son cœur, Harry aurait voulu répondre oui, mais ce simple mot n’arrivait pas à franchir ses lèvres. Abelforth sembla deviner ses pensées.
— Je connaissais mon frère, Potter. Il a acquis le goût du secret sur les genoux de ma mère. Le secret
et le mensonge, c’est là-dedans que nous avons été élevés et Albus… était très doué pour ça.

Les yeux du vieil homme se tournèrent vers le portrait de la fillette, au-dessus de la cheminée. En
regardant plus attentivement autour de lui, Harry s’aperçut que c’était le seul tableau accroché dans la
pièce. Il n’y avait par ailleurs aucune photo d’Albus Dumbledore, ni de qui que ce soit d’autre.
— Mr Dumbledore ? demanda Hermione d’une voix plutôt timide. Est-ce votre sœur ? Ariana ?
— Oui, répondit simplement Abelforth. On dirait que vous avez lu Rita Skeeter, ma petite demoiselle ?
Même à la lueur rosâtre du feu, on voyait nettement qu’Hermione avait rougi.
— Elphias Doge nous en a parlé, intervint Harry, essayant d’épargner Hermione.
— Ce vieil imbécile, marmonna Abelforth.
Il but une autre gorgée d’hydromel.
— Il a toujours pensé que mon frère répandait le soleil par tous ses orifices, il en était convaincu.
Comme beaucoup d’autres, d’ailleurs, y compris vous cinq si j’en crois les apparences.
- Euh, moi je ne le connaissais pas. Dit Aria. Mais de toute façon, ce n'est pas pour lui qu'on est là. Moi je suis Australienne. Mais j'ai de la famille, ici, et je veux pouvoir vivre avec eux dans un monde en paix. C'est pour la liberté et le droit d'exister quelque soit mon sang, mon nom, mon statut.

Sirius jeta à sa jeune nièce un regard admiratif. Ron entoura les épaules d'Aria, et e'le posa sa tête aux creux de son épaule.
- Bien dit Aria.

- Et puis, Le professeur Dumbledore aimait beaucoup Harry, dit Hermione à voix basse.
— Voyez-vous ça ? s’exclama Abelforth. Il est curieux de voir combien de gens que mon frère aimait beaucoup se sont retrouvés dans une situation bien pire que s’il les avait laissés tranquilles.

— Que voulez-vous dire ? demanda Hermione, le souffle coupé.
— Ne cherchez pas à savoir, répliqua Abelforth.
— Mais ce que vous affirmez est très grave ! insista Hermione. Vous voulez… Vous voulez parler de
votre sœur ?

Abelforth lui lança un regard mauvais. Ses lèvres remuèrent comme s’il mâchait les mots qu’il
s’efforçait de retenir. Enfin, il explosa :
— Lorsque ma sœur avait six ans, elle a été attaquée, agressée, par trois Moldus. Ils l’avaient vue
pratiquer la magie en l’épiant à travers la haie du jardin. C’était une enfant, elle n’arrivait pas à contrôler ses pouvoirs, aucun sorcier ne le peut, à cet âge. J’imagine que ce qu’ils avaient vu les avait effrayés. Ils se sont introduits dans le jardin à travers la haie et comme elle était incapable de leur montrer le « truc » qui permettait d’en faire autant, ils se sont un peu emportés en voulant empêcher le petit monstre de recommencer.

À la lueur des flammes, les yeux d’Hermione paraissaient immenses. Ron semblait pris de nausée.
Abelforth se leva, aussi grand qu’Albus, soudain terrible dans sa colère et l’intensité de sa douleur.
— Ce qu’ils lui ont infligé l’a détruite. Elle n’a plus jamais été la même. Elle ne voulait plus entendre
parler de magie mais elle ne parvenait pas à s’en débarrasser. Alors, la magie, enfermée à l’intérieur, l’a rendue folle, elle explosait hors d’elle quand elle n’arrivait pas à la contrôler, et parfois elle se montrait étrange, dangereuse même. Mais la plupart du temps, elle était douce, craintive, inoffensive.
« Mon père s’en est pris aux voyous qui avaient fait cela, poursuivit Abelforth, il les a attaqués. C’est
pour cette raison qu’on l’a enfermé à Azkaban. Il n’a jamais dit pourquoi il avait agi ainsi, parce que
si le ministère avait su ce qu’était devenue Ariana, elle aurait été bouclée pour de bon à
Ste Mangouste. Ils l’auraient considérée comme une menace grave pour le Code international du
secret magique, instable comme elle l’était, avec toute cette magie qui jaillissait d’elle quand elle ne
pouvait plus la retenir.
« Nous avons dû la garder dans le silence et l’isolement. Nous avons déménagé, nous avons prétendu
qu’elle était malade et ma mère s’en est occupée, elle a essayé de la calmer, de la rendre heureuse.
« J’étais son préféré, ajouta-t-il, et quand il prononça ces mots, on aurait dit qu’un petit garçon
crasseux venait d’apparaître derrière les rides et la barbe en broussaille d’Abelforth. Ce n’était pas
Albus qu’Ariana aimait le mieux. Lui, quand il était à la maison, il restait toujours là-haut dans sa
chambre, à lire des livres et à compter ses récompenses, à entretenir sa correspondance avec « les
personnalités magiques les plus remarquables de son temps ».
Abelforth ricana.
— Il ne voulait pas qu’on l’embête avec sa sœur. C’était moi qu’elle préférait. J’arrivais à la faire
manger lorsqu’elle refusait d’avaler quoi que ce soit avec ma mère, je parvenais à la calmer quand
elle était prise d’un de ses accès de rage, et quand elle se tenait tranquille, elle m’aidait à nourrir les
chèvres.

Puis, quand elle a eu quatorze ans… Je n’étais pas à la maison, vous comprenez, continua Abelforth.
Si j’avais été là, j’aurais pu la calmer. Elle a eu une de ses crises de fureur et ma mère n’était plus si
jeune, alors… il y a eu un accident. Ariana n’a pas pu se contrôler. Et ma mère a été tuée.

Harry ressentit un mélange effroyable de pitié et de répulsion. Il ne voulait pas en entendre davantage,
mais Abelforth poursuivit son récit et Harry se demanda combien de temps s’était passé depuis la dernière fois où il avait parlé de tout cela. Il se demanda même s’il en avait jamais rien dit à personne.

— Et donc, Albus a dû renoncer à son voyage autour du monde avec le petit Doge. Tous les deux sont venus à la maison pour assister aux funérailles de ma mère, puis Doge est parti tout seul et Albus a pris la place de chef de famille. Ha ! Ha !

Abelforth cracha dans les flammes.
— J’aurais été d’accord pour m’occuper d’elle, je le lui ai dit, je me fichais bien de l’école, je serais
volontiers resté à la maison pour m’en charger. Mais il m’a répondu que je devais finir mes études et
que ce serait lui qui remplacerait ma mère. C’était une dégringolade pour Mr Fort-en-Thème, on ne reçoit pas de prix ou de récompenses pour avoir pris soin d’une sœur à moitié folle en l’empêchant de faire sauter la maison tous les deux jours. Mais il s’en est bien sorti pendant quelques semaines…
jusqu’à ce qu’il arrive.

Une expression ouvertement menaçante apparut sur le visage d’Abelforth.
— Grindelwald. Enfin, mon frère avait un égal à qui parler, quelqu’un d’aussi brillant, d’aussi talentueux que lui. S’occuper d’Ariana devint alors très secondaire, pendant qu’ils mijotaient leurs plans pour établir un ordre nouveau chez les sorciers, et chercher les reliques ou faire je ne sais quoi encore qui les intéressait tant. De grands projets qui devaient bénéficier à toute la communauté
magique, et si on négligeait de prendre soin d’une fillette, quelle importance, puisque Albus
travaillait pour le plus grand bien ?

« Mais au bout de quelques semaines, j’en ai eu assez, vraiment assez. Le moment était presque venu
pour moi de retourner à Poudlard, alors je leur ai dit, à tous les deux, face à face, comme je vous
parle en ce moment… – Abelforth regarda Harry et il ne fallait guère d’imagination pour se le
représenter en adolescent efflanqué et furieux, se dressant contre son frère aîné –, je lui ai dit : « Il
vaudrait mieux que tu laisses tomber, maintenant. Je ne sais pas où tu as l’intention d’aller, mais on ne
peut pas la déplacer, elle n’est pas en état, tu ne peux pas l’emmener avec toi pendant que tu passeras ton temps à prononcer de beaux discours en essayant de rassembler des partisans. »

- Ça ne lui a pas plu, poursuivit Abelforth, et ses yeux furent brièvement occultés par le reflet des flammes sur les verres de ses lunettes qui brillèrent à nouveau d’un éclat blanc, aveugle. Grindelwald n’a pas du tout aimé. Il s’est mis en colère. Il m’a dit que j’étais un petit imbécile qui essayait de leur faire obstacle à
lui et à mon frère si brillant… Ne comprenais-je donc pas que ma pauvre sœur n’aurait plus besoin de
rester cachée lorsqu’ils auraient changé le monde, permis aux sorciers de sortir de la clandestinité et
appris aux Moldus à demeurer à leur place ?

« Il y a eu une dispute… J’ai sorti ma baguette, il a sorti la sienne et le sortilège Doloris m’a été jeté
par le meilleur ami de mon propre frère… Albus essayait de l’arrêter et nous nous sommes affrontés
tous les trois. Les éclairs de lumière, les détonations ont provoqué une crise, elle ne pouvait plus le
supporter…
Le visage d’Abelforth pâlissait à vue d’œil, comme s’il avait subi une blessure mortelle.
— Je crois qu’elle a voulu aider mais elle ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait et j’ignore qui de nous trois était responsable, ce pouvait être n’importe lequel d’entre nous… En tout cas, elle était morte.

Sa voix se brisa en prononçant ces derniers mots et il se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche.
Les joues d’Hermione étaient humides de larmes et Ron était presque aussi blafard qu’Abelforth.
Sirius observait le portrait, le regard sombre. Aria était assise dans un fauteuil, pensive..

Harry ne ressentait que du dégoût : il aurait voulu n’avoir jamais entendu cette histoire, il aurait voulu
pouvoir l’effacer complètement de son esprit.
— Je suis… Je suis navrée, murmura Hermione.
— Partie, murmura Abelforth d’une voix rauque. Partie pour toujours.
Il s’essuya le nez d’un revers de manche et s’éclaircit la gorge.
— Évidemment, Grindelwald a tout de suite filé. Il avait déjà un dossier, dans son propre pays, et il ne voulait pas qu’on ajoute la mort d’Ariana à la liste de ses méfaits. Quant à Albus, n’était-il pas libre, désormais ? Libre du fardeau que représentait sa sœur, libre de devenir le plus grand sorcier de…

— Il n’a jamais été libre, l’interrompit Harry.
— Je vous demande pardon ? dit Abelforth.
— Jamais, répéta Harry. Le soir où votre frère est mort, il a bu une potion qui lui a fait perdre la tête.
Il s’est mis à crier, à supplier quelqu’un qui n’était pas là. « Il ne faut pas leur faire de mal, par pitié…
C’est à moi qu’il faut faire du mal. »

Ron, Hermione et Sirius  regardaient fixement Harry. Il n’avait jamais raconté les détails de ce qui s’était
passé sur l’île, au milieu du lac : les événements qui s’étaient produits après que Dumbledore et lui
furent revenus à Poudlard avaient complètement éclipsé le reste.
— Il se croyait de retour là-bas, avec vous et Grindelwald, je le sais, poursuivit Harry qui se rappelait
Dumbledore gémissant, suppliant. Il croyait voir Grindelwald en train de vous faire du mal, à vous et
à Ariana… Pour lui, c’était une torture, si vous l’aviez vu à ce moment-là, vous ne diriez pas qu’il
était libre.

Abelforth avait l’air perdu dans la contemplation de ses mains noueuses aux veines saillantes. Après un long silence, il répondit :

— Comment peux-tu être sûr, Potter, que mon frère n’était pas plus intéressé par « le plus grand
bien » que par toi ? Comment peux-tu être sûr que tu n’es pas une quantité négligeable qu’on peut laisser tuer, comme ma petite sœur ?
Harry eut l’impression qu’une pointe de glace lui transperçait le cœur.
— Je n’y crois pas. Dumbledore aimait Harry, assura Hermione.

Pourquoi ne lui a-t-il pas conseillé de se cacher, dans ce cas ? rétorqua Abelforth. Pourquoi ne lui
a-t-il pas dit : « Prends soin de toi, voici comment survivre ? »
— Parce que, répliqua Harry avant qu’Hermione ait pu répondre, parfois il faut penser à autre chose qu’à sa propre sécurité ! Parfois, il faut penser au plus grand bien ! Nous sommes en guerre !

— Tu as dix-sept ans, mon garçon !
— Je suis majeur et je vais continuer à me battre même si vous, vous avez abandonné !
— Qui te dit que j’ai abandonné ?
— « L’Ordre du Phénix est fini, répéta Harry. Vous-Savez-Qui a gagné, c’est terminé, et tous ceux qui
prétendent le contraire se font des illusions. »
— Même si ça ne me plaît pas, c’est la vérité !
— Non, répondit Harry. Votre frère savait comment venir à bout de Vous-Savez-Qui et il m’a transmis ce savoir. Je continuerai jusqu’à ce que je réussisse… ou que je meure. Ne croyez pas que j’ignore comment les choses pourraient finir. Je le sais depuis des années.

Harry s’attendait à ce qu’Abelforth se moque de lui ou conteste ses affirmations, mais il n’en fit rien.
Il se contenta d’afficher une mine renfrognée.
— Nous devons entrer à Poudlard, répéta Harry. Si vous ne pouvez rien pour nous, nous attendrons l’aube, nous vous laisserons tranquille et nous essayerons nous-mêmes de trouver un moyen. Mais si
vous pouvez nous aider… ce serait le moment de nous le faire savoir.

Abelforth resta figé dans son fauteuil, fixant Harry de ses yeux si extraordinairement semblables à
ceux de son frère. Enfin, il s’éclaircit la gorge, se leva, contourna la petite table et s’approcha du portrait d’Ariana.
— Tu sais ce que tu dois faire, dit-il.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top