CHAPITRE 28. XENOPHILIUS LOVEGOOD
Au flanc de la colline balayée par le vent sur laquelle ils transplanèrent le lendemain matin, ils avaient
une excellente vue du village de Loutry Ste Chaspoule. De leur position élevée, le village avait l’air
d’une collection de maisons de poupées illuminées par les rayons obliques du soleil qui perçaient
entre les nuages. Ils restèrent là une ou deux minutes à regarder en direction du Terrier, la main sur le
front pour se protéger les yeux, mais ils ne distinguèrent que les arbres et les hautes haies du verger
qui masquaient à la vue des Moldus la petite maison biscornue.
— C’est bizarre d’être si près et de ne pas pouvoir y aller, remarqua Ron.
Aria glissa sa main dans la sienne.
Et il lui sourit.
— Au moins, il n’y a pas longtemps que tu les as vus. Tu y étais pour Noël, lança froidement Hermione.
— Bien sûr que non, je n’étais pas au Terrier ! répliqua Ron, avec un rire incrédule. Tu crois que j’allais retourner là-bas et leur dire que je vous avais laissés tomber ? Fred et George ne m'auraient pas raté. Et Ginny ? Elle aurait sûrement été très compréhensive…
— Alors, où étais-tu ? s’étonna Hermione.
— Dans la nouvelle maison de Bill et de Fleur. La Chaumière aux Coquillages. Bill a toujours été
loyal avec moi. Il… Il ne s’est pas montré très admiratif quand il a entendu ce que j’avais fait, mais il
n’a pas insisté. Il savait que je le regrettais profondément. Personne d’autre dans la famille n’a su que
j’étais là-bas. Bill a dit à maman que Fleur et lui ne viendraient pas pour Noël parce qu’ils voulaient le passer seuls en amoureux. C’étaient leurs premières vacances depuis leur mariage. Je crois que Fleur ne tenait pas vraiment à y aller. Vous savez à quel point elle déteste Celestina Moldubec.
Ron tourna le dos au Terrier.
— Essayons là-haut, dit-il en les menant sur l’autre versant de la colline.
Ils marchèrent quelques heures, Harry caché sous la cape d’invisibilité, sur l’insistance d’Hermione.
Les collines basses qui s’étendaient autour d’eux semblaient inhabitées, en dehors d’un petit cottage,
apparemment désert.
— Tu crois que c’est leur maison et qu’ils sont partis pour Noël ? dit Hermione en regardant à travers
la fenêtre, ornée de géraniums, d’une petite cuisine propre et nette.
Ron ricana.
— Tu sais, j’ai bien l’impression que si on regardait à travers la fenêtre des Lovegood, on saurait tout de suite qui habite là. Essayons plutôt les collines voisines.
Ils transplanèrent quelques kilomètres plus loin vers le nord.
— Ha, ha ! s’écria Ron, le vent fouettant leurs cheveux et leurs vêtements.
Il montrait du doigt le sommet de la colline sur laquelle ils avaient atterri. Une maison des plus étranges se dressait verticalement contre le ciel, une sorte de grand cylindre noir avec une lune fantomatique suspendue derrière elle, dans la lumière de l’après-midi.
— La voilà, la maison de Luna, qui d’autre pourrait vivre dans un endroit pareil ? Il ne manque plus que le roi et la reine.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Ça n’a rien d’un palais, répliqua Hermione en regardant la bâtisse les
sourcils froncés.
— Non, je pensais à la tour noire d’un jeu d’échecs.
Ron, atteignit le premier le sommet de la colline. Lorsque Harry, Hermione, Sirius et Aria le rejoignirent, haletants, pliés en deux par des points de côté, il avait un large sourire.
— C’est bien là, dit Ron. Regardez.
Trois écriteaux peints à la main étaient cloués sur un portail délabré. Le premier indiquait :
LE CHICANEUR
Directeur : X. Lovegood
le second :
ALLEZ CUEILLIR VOTRE GUI AILLEURS.
le troisième :
NE PAS APPROCHER
DES PRUNES DIRIGEABLES.
Le portail grinça lorsqu’ils l’ouvrirent. Le chemin tortueux qui menait à la porte d’entrée était envahi
de plantes étranges et diverses, notamment de buissons couverts de fruits orange, en forme de radis,
semblables à ceux que Luna portait parfois en guise de boucles d’oreilles. Harry crut reconnaître un
Snargalouf et contourna à bonne distance la souche ratatinée. Deux pommiers sauvages, âgés,
courbés par le vent, dépouillés de leurs feuilles, mais aux branches toujours chargées de fruits rouges, gros comme des baies, et de couronnes de gui touffues parsemées de boules blanches, se dressaient telles des sentinelles de chaque côté de la porte d’entrée. Un petit hibou avec une tête de faucon légèrement aplatie les regardait, perché sur l’une des branches.
— Tu ferais bien d’enlever la cape d’invisibilité, Harry, dit Hermione. C’est toi que Mr Lovegood veut aider, pas nous.
Il suivit son conseil et lui donna la cape qu’elle rangea dans le sac en perles. Elle frappa alors trois fois sur l’épaisse porte noire, incrustée de clous en fer et dotée d’un heurtoir en forme d’aigle.
Dix secondes plus tard, tout au plus, la porte s’ouvrit à la volée. Xenophilius Lovegood se tenait devant eux, pieds nus et vêtu d’une chemise de nuit tachée. Ses longs cheveux blancs, semblables à de la barbe à papa, étaient sales et broussailleux. Par comparaison, il s’était montré d’une rare élégance au mariage de Fleur et de Bill.
— Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? s’écria-t-il, d’une voix
haut perchée, grincheuse.
Il regarda d’abord Hermione, puis Ron et enfin Harry. Lorsqu’il le reconnut, sa bouche s’ouvrit en un
O parfaitement dessiné et passablement comique.
— Bonjour, Mr Lovegood, dit Harry en lui tendant la main. Je suis Harry, Harry Potter.
Xenophilius ne serra pas la main de Harry, mais l’un de ses yeux – celui qui n’était pas tourné vers
son nez – se fixa sur la cicatrice de son front.
— Pouvons-nous entrer ? demanda Harry. Nous voudrions vous poser une question.
— Je… Je ne suis pas sûr que ce soit raisonnable, murmura Xenophilius.
Il déglutit et jeta un rapide coup d’œil dans le jardin.
— C’est assez surprenant… Ma parole… Je… Je pense que je devrais…
— Ce ne sera pas long, promit Harry, légèrement déçu par cet accueil peu chaleureux.
— Je… Bon, d’accord, entrez vite. Vite. À peine avaient-ils franchi le seuil que Xenophilius claqua la porte derrière eux. Ils se retrouvèrent dans la cuisine la plus étrange que Sirius eût jamais vue. La pièce était parfaitement circulaire et donnait l’impression qu’on se trouvait à l’intérieur d’un gigantesque poivrier. Tout avait une forme arrondie pour s’adapter aux murs : la cuisinière, l’évier, les placards, l’ensemble décoré de fleurs, d’insectes et d’oiseaux peints avec des couleurs primaires et criardes. Harry crut reconnaître le style de Luna. L’effet produit dans un espace aussi fermé avait quelque chose d’un peu écrasant.
Au milieu, un escalier de fer forgé en colimaçon menait dans les étages supérieurs. Ils entendaient au- dessus de leurs têtes des claquements et des cliquetis. Harry se demanda à quoi pouvait bien s’occuper
Luna.
— Vous feriez mieux de monter, dit Xenophilius, toujours très mal à l’aise.
Il les entraîna derrière lui.
La pièce du dessus semblait un mélange de living-room et d’atelier. Elle était de ce fait plus encombrée encore que la cuisine. Bien que beaucoup plus petite et entièrement circulaire, elle ressemblait un peu à la Salle sur Demande, le jour inoubliable où elle s’était transformée en un
gigantesque labyrinthe surchargé d’objets qu’on y avait cachés au cours des siècles.
Sur chaque surface s’élevaient des piles et des piles de livres et de papiers. De délicates miniatures suspendues au plafond représentaient des créatures que Harry ne reconnaissait pas, dotées d’ailes qui battaient, ou de
mâchoires qui mordaient dans le vide.
Luna n’était pas là : la chose qui produisait un tel vacarme était un objet en bois doté d’une quantité de
rouages qui tournaient par magie. On aurait dit un croisement bizarre entre un établi et un meuble à tagères mais au bout d’un moment, Harry, voyant que la machine débitait des exemplaires du Chicaneur, en conclut qu’il s’agissait d’une vieille presse à imprimer.
— Excusez-moi, dit Xenophilius.
Il s’approcha à grands pas de la machine, attrapa une nappe crasseuse, sur laquelle était entassée une énorme masse de livres et de papiers qui dégringola par terre, et la jeta sur la presse, étouffant plus
ou moins claquements et cliquetis. Puis il se tourna vers Harry.
— Pourquoi êtes-vous venus ici ?
Mais avant qu’il ait pu lui répondre, Hermione, l’air effarée, laissa échapper un petit cri.
— Mr Lovegood… Qu’est-ce que c’est que ça ?
Elle montrait du doigt une énorme corne grise de plusieurs dizaines de centimètres de longueur, en
forme de spirale, assez semblable à celle d’une licorne. Elle était accrochée au mur et pointait vers le
centre de la pièce.
— C’est une corne de Ronflak Cornu, répondit Xenophilius.
— Non, ce n’est pas ça ! protesta Hermione.
— Hermione, marmonna Harry, gêné, le moment n’est pas venu de…
— Mais Harry, c’est une corne d’Éruptif ! Un produit commercialisable de catégorie B qu’il est très dangereux de garder dans une maison !
— Comment sais-tu qu’il s’agit d’une corne d’Éruptif ? interrogea Ron en s’éloignant de l’objet aussi
vite qu’il le put, compte tenu du fouillis qui encombrait la pièce.
— On peut en lire une description dans Vie et habitat des animaux fantastiques ! Mr Lovegood, il faut
vous en débarrasser tout de suite, ne savez-vous pas qu’elle pourrait exploser au moindre contact ?
— Le Ronflak Cornu, répliqua Xenophilius, le visage buté, en détachant bien ses mots, est une
créature timide dotée de grands pouvoirs magiques et sa corne…
— Mr Lovegood, je reconnais les sillons caractéristiques autour de sa base, je vous répète que c’est
une corne d’Éruptif et qu’elle est extraordinairement dangereuse… Je ne sais pas où vous vous l’êtes
procurée…
— Je l’ai achetée il y a quinze jours à un charmant jeune sorcier qui sait à quel point je m’intéresse à
cette exquise créature qu’est le Ronflak, déclara Xenophilius d’un ton autoritaire. C’était une surprise
que je destinais à ma chère Luna pour son cadeau de Noël. Et maintenant, ajouta-t-il à l’adresse de Harry, pouvez-vous m’expliquer la raison exacte de votre visite, Mr Potter ?
— Nous avons besoin d’aide, répondit Harry, avant qu’Hermione ait pu à nouveau intervenir.
— Ah, dit Xenophilius. De l’aide. Mmmh.
Son œil normal se posa à nouveau sur la cicatrice de Harry. Il semblait à la fois terrifié et fasciné.
— Oui. L’ennui, c’est que… aider Harry Potter… est assez dangereux…
— N’êtes-vous pas de ceux qui ne cessent de répéter que leur premier devoir est d’aider Harry ?
demanda Ron. Dans votre magazine ?
Xenophilius jeta un coup d’œil derrière lui en direction de la presse à imprimer qui continuait de claquer et cliqueter sous la nappe.
— Heu… Oui, j’ai en effet exprimé ce point de vue. Néanmoins…
— C’est valable pour les autres, mais pas pour vous ? coupa Ron.
Xenophilius ne répondit pas. Il déglutissait avec peine, son regard passant de l’un à l’autre. Harry eut
l’impression qu’il livrait en lui-même un combat douloureux.
— Où est Luna ? interrogea Hermione. On va bien voir ce qu’elle en pense.
Xenophilius avala sa salive. On aurait dit qu’il s’armait de courage. Enfin, d’une voix tremblante, difficile à percevoir dans le vacarme que continuait de produire la presse, il répondit :
— Luna est descendue à la rivière pour aller pêcher des Boullus d’eau douce. Elle… elle sera contente de vous voir. Je vais aller la chercher et ensuite… oui, c’est ça. J’essaierai de vous aider.
Il disparut dans l’escalier en colimaçon et ils entendirent la porte d’entrée s’ouvrir puis se refermer.
Tous trois échangèrent des regards.
— Vieux croûton dégonflé, lança Ron. Luna est dix fois plus courageuse que lui.
— Il s’inquiète sans doute de ce qui leur arriverait si les Mangemorts découvraient que je suis venu
ici, fit remarquer Harry.
— Je suis d’accord avec Ron, dit Hermione. C’est un horrible vieil hypocrite, il conseille à tout le
monde de t’aider mais lui-même essaye de se défiler. Et pour l’amour du ciel, ne t’approche pas de cette corne.
Harry s’avança vers la fenêtre, à l’autre bout de la pièce. Il aperçut un cours d’eau semblable à un
ruban scintillant qui coulait au pied de la colline, loin au-dessous d’eux. La maison avait été bâtie très en hauteur. Un oiseau voleta devant la fenêtre lorsqu’il tourna les yeux vers le Terrier, devenu totalement invisible, masqué par un alignement de collines.
Ginny se trouvait là-bas, quelque part. Aujourd’hui, ils étaient plus près l’un de l’autre qu’ils ne l’avaient jamais été depuis le mariage de Fleur et de Bill, mais elle ne pouvait se douter qu’en cet instant, il regardait dans sa direction en pensant à elle. Il valait mieux s’en contenter pour le moment,
supposa-t-il. Car quiconque entrait en contact avec lui courait un grand danger. L’attitude de Xenophilius en apportait la preuve.
Il s’écarta de la fenêtre et vit alors une autre chose étrange posée sur le buffet arrondi et encombré :
un buste de pierre représentant une sorcière, belle mais austère, qui portait une coiffe des plus
insolites. Deux objets semblables à des cornets acoustiques dorés dépassaient sur les côtés. Une
minuscule paire d’ailes bleues et brillantes était fixée à une lanière de cuir attachée sur sa tête et un
radis orange ornait une autre lanière autour de son front.
— Regardez, dit Harry.
— Ravissant, commenta Ron. Je m’étonne qu’il ne soit pas venu avec ça au mariage.
Ils entendirent la porte d’entrée se fermer et un instant plus tard, Xenophilius était remonté dans la
pièce par l’escalier en colimaçon, ses jambes minces protégées à présent par des bottes montantes. Il tenait un plateau sur lequel étaient disposées des tasses de thé dépareillées et une théière fumante.
— Ah, vous avez découvert mon invention préférée, dit-il.
Il mit le plateau dans les mains d’Hermione et rejoignit Harry au côté de la statue.
— Modelée, avec un certain à-propos, sur la tête de la très belle Rowena Serdaigle. Tout homme s’enrichit quand abonde l’esprit !
Il montra les objets en forme de cornets acoustiques.
— Il s’agit de siphons à Joncheruines – pour débarrasser le penseur de tout ce qui pourrait le distraire dans son environnement immédiat. Ce que vous voyez là, poursuivit-il en pointant l’index sur les ailes minuscules, ce sont des ailes de Billywig destinées à élever l’esprit. Et enfin – il désigna le radis
orange –, une Prune Dirigeable, pour étendre sa capacité à accepter l’extraordinaire.
Xenophilius revint vers le plateau à thé qu’Hermione avait réussi à poser en équilibre précaire sur l’une des dessertes surchargées.
— Puis-je vous offrir une infusion de Ravegourde ? proposa Xenophilius. Nous la préparons nous- mêmes.
Pendant qu’il versait dans les tasses un liquide d’une couleur violet foncé, semblable à du jus de betterave, il ajouta :
— Luna est partie là-bas, de l’autre côté de Bottom Bridge, elle est ravie que vous soyez venus. Elle
ne devrait plus tarder, maintenant, elle a péché suffisamment de Boullus pour nous faire une bonne soupe. Asseyez-vous et prenez du sucre.
Il ôta d’un fauteuil une pile vacillante de papiers et s’installa en croisant ses jambes bottées.
— Alors, dit-il, en quoi puis-je vous être utile, Mr Potter ?
— Eh bien, voilà, répondit Harry, jetant un coup d’œil à Hermione qui l’encouragea d’un hochement
de tête. Il s’agit du symbole que vous portiez autour du cou, le jour du mariage de Fleur et de Bill.
Nous nous demandions ce qu’il signifiait.
Xenophilius haussa les sourcils.
- Vous voulez parler des reliques de la mort ?
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