CHAPITRE 16 DES NOUVELLES OPPORTUNES

Le lendemain matin de bonne heure, avant que Ron et Hermione ne soient réveillés, Harry quitta la tente pour fouiller les bois alentour, à la recherche de l'arbre le plus vieux, le plus noueux, le plus résistant qu'il puisse trouver. À l'ombre de ses branches, il enterra l'œil magique de Maugrey Fol Œil et marqua l'endroit d'une petite croix qu'il creusa dans l'écorce du tronc à l'aide de sa baguette.

Ce n'était pas grand-chose, mais Harry sentait que Maugrey aurait préféré savoir son œil enterré là
plutôt que collé sur la porte de Dolores Ombrage. Puis il retourna vers la tente et attendit le réveil des trois autres pour qu'ils décident ensemble de leur destination suivante.

Harry et Hermione pensaient qu'il valait mieux ne pas rester trop longtemps dans le même endroit et
Ron et Sirius les approuva, à l'unique condition que leur prochain déplacement les amène à proximité d'un sandwich au jambon. Hermione annula les enchantements dont elle avait entouré la clairière pendant
que Harry et Ron effaçaient du sol toute marque, toute empreinte, pouvant indiquer qu'ils avaient
campé là. Puis ils transplanèrent aux abords d'une petite ville.

Lorsqu'ils eurent monté leur tente à l'abri d'un bosquet d'arbres et qu'ils l'eurent protégée par de nouveaux sortilèges, Harry mit sa cape d'invisibilité et partit à la recherche de nourriture. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu. À peine était-il entré dans la ville qu'un froid anormal, accompagné d'une nappe de brume et d'un assombrissement soudain du ciel, le figea sur place.

- Mais tu sais faire de magnifiques Patronus ! s'étonna Ron quand Harry revint à la tente les mains vides, le souffle court, et formant sur ses lèvres, sans le prononcer à haute voix, le mot « Détraqueurs ».
- Je n'ai pas pu..., haleta-t-il, une main plaquée sur son point de côté. Il ne voulait... pas venir.
Devant leur expression déçue, consternée, Harry eut honte. Il avait vécu un véritable cauchemar quand
il avait vu les Détraqueurs émerger de la brume et s'était rendu compte, dans le froid paralysant qui
oppressait ses poumons et l'écho des hurlements qui retentissaient au loin, qu'il était incapable de s'en protéger.
Il lui avait fallu toute la force de sa volonté pour s'arracher de cet endroit et courir vers la tente, laissant derrière lui les Détraqueurs sans yeux glisser parmi les Moldus qui ne pouvaient peut-être pas les voir mais ressentaient sans nul doute le désespoir que ces créatures répandaient partout sur leur passage.

- Donc, on n'a toujours rien à manger.
- Ni rien à boire. Grogna Sirius.
- Tais-toi, Ron, lança sèchement Hermione. Harry, que s'est-il passé ? À ton avis, pourquoi n'as-tu pas pu créer un Patronus ? Hier, tu y as parfaitement réussi !
- Je ne sais pas.
Il s'enfonça dans l'un des vieux fauteuils de Perkins, se sentant un peu plus humilié à chaque instant. Il
avait peur que quelque chose se soit déréglé en lui. La journée d'hier lui paraissait très lointaine : aujourd'hui, peut-être était-il revenu à l'âge de treize ans, à l'époque où il avait été le seul à s'évanouir dans le Poudlard Express.

Ron donna un coup de pied dans une chaise.
- Et alors, quoi ? grogna-t-il à l'adresse d'Hermione. Je meurs de faim ! Tout ce que j'ai mangé
depuis que j'ai failli être saigné à mort, c'est deux champignons !
- Dans ce cas, vas-y toi-même et débrouille-toi avec les Détraqueurs, répliqua Harry, piqué au vif.
- Je voudrais bien, mais j'ai le bras en écharpe, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué !
- C'est bien pratique.
- Qu'est-ce que tu veux dire par...

- Bien sûr ! s'écria soudain Hermione, en se frappant le front.
Surpris, les trois autres se turent.
- Harry, donne-moi le médaillon ! Vite, dit-elle avec impatience.
Voyant qu'il ne réagissait pas, elle claqua des doigts vers lui.
- L'Horcruxe, Harry, tu l'as toujours sur toi !
Elle tendit la main et Harry ôta la chaîne d'or de son cou. Dès l'instant où le médaillon cessa d'être à
son contact, il ressentit une impression de liberté et d'étrange légèreté. Il ne prit conscience de la
moiteur de sa peau et du poids qui lui avait pesé sur l'estomac qu'au moment où ces deux sensations
eurent soudain disparu.
- Ça va mieux ? demanda Hermione.
- Oh oui, beaucoup mieux !
- Harry, dit-elle.
Elle s'accroupit devant lui et parla d'une voix qu'on réserve d'habitude aux gens gravement malades.
- Tu ne penses pas être possédé, n'est-ce pas ?
- Quoi ? Non ! répondit-il, sur la défensive. Je me souviens de tout ce que nous avons fait pendant
que je le portais autour du cou. Si j'étais possédé, je n'aurais plus conscience de mes actes, non ?
Ginny m'a raconté qu'il y avait des moments où elle ne se souvenait de rien.
- Mmh, marmonna Hermione en contemplant le lourd médaillon. Il vaudrait peut-être mieux ne pas
l'avoir sur soi. Nous n'avons qu'à le ranger dans la tente.
- Pas question de laisser traîner cet Horcruxe, déclara Harry d'un ton ferme. Si nous le perdons, si on nous le vole...
- D'accord, d'accord, admit Hermione. Elle le passa alors autour de son propre cou et le cacha sous
son chemisier.
- Mais nous le porterons à tour de rôle, pour que personne ne le garde trop longtemps sur soi.

- Parfait, commenta Ron d'un ton irrité, et maintenant que nous avons réglé cette question, est-ce
qu'on pourrait s'occuper de trouver quelque chose à manger, s'il vous plaît ?
- Bien sûr, mais on ira chercher ailleurs, dit Hermione en lançant un vague coup d'œil à Harry. Il ne
sert à rien de s'attarder dans un endroit sillonné par des Détraqueurs.
Ils finirent par s'installer pour la nuit dans un champ lointain qui appartenait à une ferme isolée où ils
purent se procurer des œufs et du pain.

- Ce n'est pas du vol, hein ? demanda Hermione, anxieuse, tandis qu'ils dévoraient des œufs brouillés sur toast. Puisque j'ai laissé de l'argent à côté du poulailler ?

Ron leva les yeux au ciel et répondit, les joues pleines :
- Her-mignonne, 'u es 'oujours 'rop inquiè'e. 'é'ends-'oi.
- En attendant, j'ai toujours rien à boire. Grogna Sirius.
Hermione lui donna une tape sur la tête.

Et en effet, il leur fut beaucoup plus facile de se détendre après avoir bien mangé. Ce soir-là, la dispute autour des Détraqueurs s'oublia dans les rires, et Harry se sentit joyeux, optimiste même, lorsqu'il prit le premier des quatre tours de garde.

Pour la première fois, ils se rendaient compte que rien ne vaut un ventre bien rempli pour être de bonne humeur alors qu'un estomac vide rend querelleur et maussade.

Harry ne fut pas le plus surpris
des quatre, car il avait dû endurer de longues périodes de quasi-famine chez les Dursley. Hermione
avait supporté raisonnablement les soirées où ils ne parvenaient à rapporter que quelques baies et des
biscuits rassis ; son caractère devenait toutefois un peu plus abrupt, ses silences plus butés. Ron, en
revanche, avait toujours bénéficié de trois délicieux repas par jour, assurés par sa mère ou par les elfes de maison de Poudlard, et la faim le rendait déraisonnable et irascible.

Chaque fois que le
manque de nourriture coïncidait avec le moment où son tour était venu de porter l'Horcruxe, il se révélait franchement désagréable.
Quand à Sirius il avait lui aussi subi de nombreuses privations, au cours de son enfance et la faim n'était pas un réel problème. En revanche, le manque de cigarettes, et d'alcool, ajouté à sa blessure, qui l'empêchait de quitter la tente, et le clouait au lit, le rendait acariâtre et incisif. Ses remarques acides, sarcastiques, et cinique étaient mal supportées par le reste du groupe.

- « Où va-t-on, maintenant ? » était devenu le refrain habituel de Ron. Lui-même ne semblait pas avoir
d'idées, il attendait simplement que Harry et Hermione proposent quelque chose pendant qu'il restait
assis à se morfondre devant l'insuffisance de leurs provisions, à l'instar de Sirius.

De leur côté, Harry et Hermione
passaient des heures stériles à essayer de déterminer les endroits où ils pourraient trouver les autres
Horcruxes et à chercher un moyen de détruire celui qu'ils possédaient déjà, leurs conversations devenant de plus en plus répétitives, en l'absence d'informations nouvelles.

Comme Dumbledore avait dit à Harry qu'à son avis Voldemort avait caché les Horcruxes dans des endroits importants pour lui, ils ne cessaient, en une sorte de terrible litanie, de réciter la liste des lieux où le Seigneur des Ténèbres avait vécu ou qu'il avait visités. L'orphelinat dans lequel il était né et avait été élevé, Poudlard où il avait fait ses études, Barjow et Beurk où il avait travaillé à sa sortie de l'école, puis l'Albanie où il avait passé ses années d'exil : ces divers éléments formaient la base de
leurs spéculations.

- C'est ça, on n'a qu'à aller en Albanie. Il ne nous faudra pas plus d'un après-midi pour fouiller le
pays, lança Ron, sarcastique.
- Sans moi, l'Albanie.. Reusuz Sirius.
- Il ne peut rien y avoir là-bas. Il avait déjà fabriqué ses Horcruxes avant de s'exiler et Dumbledore
était certain que le serpent est le sixième, répondit Hermione. Or, nous savons que le serpent ne se
trouve pas en Albanie, il quitte rarement Vol...

- Ne t'ai-je pas demandé de ne plus prononcer ce nom ?
- D'accord ! Le serpent quitte rarement Tu-Sais-Qui... Tu es content comme ça ?
- Pas spécialement.
- Je ne le vois pas cacher quoi que ce soit chez Barjow et Beurk, reprit Harry.

Il avait souvent souligné ce point, mais il se répéta une fois de plus pour briser le silence déplaisant qui s'était installé.
- Barjow et Beurk étaient experts en objets de magie noire, ils auraient tout de suite reconnu un Horcruxe.

Ron bâilla volontairement. Réprimant une forte envie de lui jeter quelque chose à la figure, Harry
poursuivit laborieusement :
- Je crois toujours qu'il aurait pu cacher quelque chose à Poudlard.
Hermione soupira.
- Dumbledore l'aurait trouvé, Harry !
Il exposa à nouveau l'argument en faveur de cette hypothèse.
- Dumbledore a dit devant moi qu'il n'avait jamais eu la prétention de connaître tous les secrets de
Poudlard. Je vous le répète, s'il y a un endroit que Vol...
- Hé !
- TU-SAIS-QUI, d'accord ! s'écria Harry, excédé. S'il y avait un endroit important pour Tu-Sais- Qui, c'était bien Poudlard !

- Arrête, répliqua Ron d'un ton moqueur. Son école ?
- Ouais, son école ! Elle a été sa première maison, l'endroit qui a fait de lui un être à part, elle signifiait tout, à ses yeux, et même après l'avoir quittée...
- C'est bien de Tu-Sais-Qui qu'on parle ? Pas de toi ? interrogea Ron.
Il tirait la chaîne de l'Horcruxe passée autour de son cou et Harry éprouva le désir de s'en servir pour
l'étrangler.
- Harry à raison. Répliqua Sirius. Tous ceux qui ont eu une enfance difficile, solitaire, considèrent Poudlard comme un foyer. Tout le monde n'a pas la chance d'avoir des parents aimants et attentionnés.

- Parce que les profs sont aimants et attentionnés ? Répliqua Ron.. Je me souviens parfaitement combien Rogue était attentionné. Répliqua Ron, d'un ton sarcastique.

- Je parle pas des profs, quoique... Mais.. Poudlard, c'est un endroit fantastique, pour des gosses.

- Vous voulez vraiment aller à Poudlard ? Avec Rogue comme directeur, ça doit grouiller de mangemort.
- Il a raison. Renchérit Sirius.
- Tu nous as raconté que Tu-Sais-Qui avait demandé à Dumbledore de lui confier un poste d'enseignant après son départ, dit Hermione. Sans prêter attention aux interventions de Ron et Sirius.

- Exact, confirma Harry.
- Et Dumbledore pensait qu'il voulait revenir simplement pour essayer de trouver quelque chose, sans doute un autre objet ayant appartenu à l'un des fondateurs, afin de le transformer en Horcruxe ?
- Oui.
- Mais il n'a pas obtenu ce poste, n'est-ce pas ? poursuivit Hermione. Il n'a donc jamais eu l'occasion de s'emparer d'un tel objet et de le cacher dans l'école !
- Très bien, d'accord, admit Harry. Tu as gagné. Oublions Poudlard.

Sans autre piste à suivre, ils se rendirent à Londres et, cachés sous la cape d'invisibilité, cherchèrent
l'orphelinat dans lequel Voldemort avait été élevé. Hermione se faufila dans une bibliothèque et
découvrit dans les archives que l'endroit avait été démoli de nombreuses années auparavant.

Quand ils allèrent sur place, ils se retrouvèrent devant une tour de bureaux.
- On pourrait peut-être essayer de creuser dans les fondations ? suggéra Hermione sans grande
conviction.
- Ce n'est pas là qu'il aurait caché un Horcruxe, répondit Harry.
Il le savait depuis le début : l'orphelinat était le lieu dont Voldemort avait résolu de s'enfuir. Jamais il n'y aurait dissimulé une partie de son âme. Dumbledore avait expliqué à Harry que Voldemort
cherchait dans ses cachettes une certaine grandeur ou une puissance mystique. Ce sinistre coin grisâtre de Londres était aussi éloigné que possible du château de Poudlard, du ministère de la Magie ou d'un édifice comme Gringotts, la banque des sorciers, avec ses portes d'or et ses sols de marbre.

Même dépourvus de nouvelles idées, ils continuèrent de parcourir la campagne, plantant la tente dans
un endroit différent chaque soir pour des raisons de sécurité. Au matin, ils s'assuraient de ne laisser derrière eux aucun indice pouvant trahir leur présence, puis partaient en quête d'un autre lieu retiré et solitaire, transplanant vers des forêts, des crevasses obscures au flanc des falaises, des landes pourpres, des montagnes aux pentes couvertes d'ajoncs et même, un jour, la plage de galets d'une crique abritée. Toutes les douze heures environ, ils se passaient l'Horcruxe, comme dans une version
dénaturée, au ralenti, d'un jeu de furet où ils redoutaient que la chanson s'arrête car le prix à payer
s'élevait à douze heures d'angoisse et de peur.

Harry continuait de ressentir des picotements dans sa cicatrice. Il remarqua que le phénomène se
produisait plus souvent lorsque c'était lui qui portait l'Horcruxe. Parfois, il ne pouvait s'empêcher de
réagir à la douleur.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu as vu ? demandait Ron lorsqu'il voyait Harry grimacer.
- Un visage, marmonnait celui-ci à chaque fois. Toujours le même. Celui du voleur de Gregorovitch.

Ron détournait alors la tête sans chercher à dissimuler sa déception. Harry savait qu'il espérait avoir
des nouvelles de sa famille, ou des autres membres de l'Ordre du Phénix mais, après tout, il n'était pas une antenne de télévision. Il pouvait seulement voir ce que pensait Voldemort à un moment donné,
et non pas se brancher sur ce qu'il souhaitait, au gré de sa fantaisie.

Apparemment, Voldemort n'avait
plus en tête que le jeune inconnu au visage réjoui, dont Harry était sûr que le Seigneur des Ténèbres ignorait tout autant que lui le nom et le lieu de résidence. Tandis que sa cicatrice continuait de le brûler et que le joyeux jeune homme aux cheveux blonds flottait dans sa mémoire, telle une image inaccessible, Harry apprit à dissimuler tout signe de douleur ou de malaise. Les trous autres, en effet, s'irritaient d'entendre toujours parler du voleur. Harry ne pouvait entièrement les en blâmer, en un
moment où ils cherchaient si désespérément une piste qui puisse les mener aux Horcruxes.

À mesure que les jours s'étiraient en semaines, il commença à soupçonner Ron, Hermione et Sirius d'avoir
des conversations sans lui et sur lui.

Plusieurs fois, ils s'interrompirent brusquement en le voyant entrer dans la tente et à deux reprises, il les surprit par hasard, à quelque distance, leurs têtes penchées
l'une contre l'autre, en train de parler précipitamment. Les deux fois, ils se turent à son approche et firent semblant de s'affairer à ramasser du bois ou à remplir un seau d'eau.
Sirius et Ron étaient enfin rétablis. Et Sirius avait transplané, profité de leur visite à Londres, pour faire le p'ein de cigarette et d'alcool. Ce qui avait grandement contribué à améliorer son humeur.

Harry ne put s'empêcher de se demander s'ils avaient accepté de l'accompagner, dans ce qui apparaissait à présent comme un voyage futile et incohérent, uniquement parce qu'ils avaient cru tout d'abord qu'il avait un plan secret dont ils apprendraient les détails en cours de route. Ron ne faisait aucun
effort pour dissimuler sa mauvaise humeur et Harry avait peur qu'Hermione, elle aussi, soit déçue
par son incapacité à diriger les opérations. Sirius ne disait rien.. Et son masque impassible, ne permettait pas de savoir ce qu'il pensait. Harry, avait cependant la désagréable impression de l'avoir déçu.

Dans une tentative désespérée, il essaya de penser à d'autres lieux où pourraient se trouver les Horcruxes mais le seul qui lui revenait régulièrement en tête était Poudlard. Et comme cette hypothèse paraissait improbable aux deux autres, il cessa d'en parler.

L'automne s'installait dans la campagne qu'ils ne cessaient de parcourir. Ils montaient à présent leur tente sur des couches de feuilles mortes et des brumes naturelles s'ajoutaient à celles répandues par
les Détraqueurs. La pluie et le vent aggravaient leurs soucis. Le fait qu'Hermione ait appris à mieux
identifier les champignons comestibles ne pouvait suffire à compenser leur isolement continu, le
manque de compagnie ou leur totale ignorance de ce qui se passait dans la guerre contre Voldemort.

- Ma mère, dit Ron, un soir où ils étaient installés dans la tente sur la berge d'une rivière galloise,
est capable de faire surgir dans les airs de délicieux petits plats.
L'air morose, il piqua sa fourchette dans les morceaux de poisson grisâtres et carbonisés rassemblés
dans son assiette. Harry jeta machinalement un regard en direction de son cou et vit briller, comme il s'y était attendu, la chaîne d'or de l'Horcruxe. Il parvint à réfréner l'envie d'insulter Ron dont
l'attitude, il le savait, s'améliorerait légèrement quand le moment serait venu pour lui d'enlever le
médaillon.

- Ta mère ne peut pas faire surgir de la nourriture du néant, répliqua Hermione. Personne ne le peut.
La nourriture est la première des exceptions principales à la loi de Gamp sur la métamorphose
élémentaire...
- Tu ne peux pas parler normalement ? l'interrompit Ron en arrachant une arête d'entre ses dents.
- Il est impossible de faire apparaître de bons petits plats à partir de rien ! On peut utiliser un sortilège d'Attraction si on sait où ils se trouvent, on peut les modifier, on peut en accroître la quantité si on en a déjà...

- Surtout, ne te donne pas la peine d'accroître la quantité de ce truc-là, c'est dégoûtant, coupa Ron.
- Harry a péché le poisson et j'ai fait ce que j'ai pu pour le préparer ! Je constate que c'est toujours moi qui finis par m'occuper de la cuisine. Sans doute parce que je suis une fille !
- Non, c'est parce que tu es censée être la meilleure en magie ! rétorqua Ron.

Sirius se leva, et retroussa ses manches,
- Elle fait ce qu'elle peut ! Et c'est toujours plus que ce que toi tu fais... Personne ne t'as force à venir, si ça te plaît pas, tu peux repartir. Mais ne t'en prends pas à elle.

Hermione se leva d'un bond et des morceaux de brochet rôtis glissèrent de son assiette en étain, tombant sur le sol.
- Demain, c'est toi qui t'occuperas de la cuisine, Ron, c'est toi qui te procureras les ingrédients et c'est toi qui trouveras les formules magiques pour les transformer en quelque chose de mangeable. Moi, je resterai assise à ronchonner en faisant des grimaces et tu verras comment tu...

- Silence ! trancha Harry, en se levant à son tour, les deux mains tendues devant lui. Plus un mot !
Hermione parut scandalisée.
- Comment peux-tu prendre son parti, il ne fait pratiquement jamais la cuisine...
- Hermione, tais-toi, j'entends quelqu'un.

Il tendit l'oreille, les mains toujours levées pour les empêcher de parler. Mêlées au bruit de la rivière
dont les eaux sombres bouillonnaient et clapotaient à côté d'eux, il entendit à nouveau des voix. Il jeta un coup d'œil au Scrutoscope. Il ne bougeait pas.

- Tu as jeté l'Assurdiato ? murmura-t-il à Hermione.
- J'ai fait tout ce qu'il fallait, chuchota-t-elle. Assurdiato, Repousse-Moldu et sortilèges de
Désillusion, tout. Quels qu'ils soient, ils ne devraient ni nous entendre ni nous voir.

Des grattements, des raclements, auxquels s'ajoutaient des bruits de pierres ou de branchages remués,
leur indiquèrent que plusieurs personnes descendaient la pente boisée et escarpée qui menait vers la
berge étroite où ils avaient planté leur tente. Ils sortirent leurs baguettes, attendant. Les sortilèges qu'ils avaient jetés autour d'eux auraient dû suffire, dans l'obscurité quasi totale, à les dissimuler aux yeux de Moldus ou de sorciers normaux. Mais s'il s'agissait de Mangemorts, leurs défenses allaient peut-être subir pour la première fois l'épreuve de la magie noire.

À mesure que les nouveaux
venus avançaient vers la rive, leurs voix devenaient plus sonores mais pas plus intelligibles. Harry estima que le groupe devait se trouver à cinq ou six mètres mais avec le bruit
de cascade de la rivière, il était impossible d'en être sûr. Hermione attrapa le sac en perles et fouilla
dedans. Au bout d'un certain temps, elle en retira deux Oreilles à rallonge et en jeta deux à Harry, Sirius et
Ron qui enfoncèrent aussitôt dans leurs propres oreilles l'extrémité de la ficelle couleur chair, dont
ils déroulèrent l'autre bout à l'entrée de la tente.

Quelques secondes plus tard, Harry entendit une voix d'homme au ton las :
- Il devrait y avoir des saumons, ici, ou tu crois que c'est trop tôt dans la saison ! Accio saumon !
Il y eut des clapotements caractéristiques puis les claquements d'un poisson qui se débattait entre les mains de l'homme.

Quelqu'un poussa un grognement appréciateur. Sirius enfonça plus profondément l'Oreille à rallonge dans la sienne. Par-dessus le murmure de la rivière, il percevait d'autres voix, mais elles ne parlaient pas anglais ni aucune autre langue humaine qu'il eût jamais entendue. C'était un langage rude, dissonant, une suite de sons gutturaux, grinçants. Apparemment, il y avait deux personnes qui s'exprimaient ainsi dont l'une avait une voix plus basse, plus lente que l'autre.

Des flammes jaillirent et dansèrent de l'autre côté de la toile. De grandes ombres passaient entre le feu et la tente. Un délicieux fumet de saumon braisé flotta jusqu'à eux, tentateur. Puis ils entendirent des cliquetis de couverts et d'assiettes et le premier homme parla à nouveau :

- Tenez, Gripsec, Gornuk.
« Des gobelins » dit Hermione en formant silencieusement le mot sur ses lèvres.
Harry approuva d'un signe de tête.
- Merci, répondirent ensemble les deux gobelins, en anglais.
- Alors, il y a combien de temps que vous êtes en fuite, tous les trois ? demanda une nouvelle voix,
mélodieuse et agréable à l'oreille.
Elle était vaguement familière à Harry qui imagina un homme au visage jovial et au ventre rebondi.

- Ted ! Murmura Sirius. C'est Ted Tonks. Le père de Dora.
-- Mais.. Qu'est ce qu'il fait là ?
- C'est un né moldu, il a du fuir. Reponfit Sirius. Comment a t'il pu laisser Andro ? Bella risque de s'en prendre à elle pour qu'elle lui dise ou il se trouve. Et il y a Rem, et Dora.
- Il n'a sans doute pas eu le choix. Répondit Hermione.

Sirius fit mine de sortir, mais Harry l'arrêta
- Non, personne ne doit savoir qu'on est là.
- Mais.. C'est pas des mangemorts..
- Même. C' est autant pour leur sécurité que pour la notre.
Sirius soupira, et se rassit, la mine boudeuse.

- Et toi, qu'est-ce qui t'a décidé à partir, Ted ? reprit l'homme.
- Je savais qu'ils venaient me chercher, répondit la voix mélodieuse de Ted.
La semaine dernière, j'ai entendu dire qu'il y avait des Mangemorts dans le coin et j'ai décidé qu'il valait mieux m'enfuir. J'avais refusé de me faire
enregistrer comme né-Moldu, par principe, tu comprends ? Je savais donc que ce n'était plus qu'une
question de temps. Finalement, j'aurais été obligé de partir. Ma femme ne devrait pas avoir de
problème, elle est de sang pur. Ensuite, j'ai rencontré Dean... c'était quand, fiston ? Il y a quelques
jours, non ?
- Oui, répondit une autre voix.
Harry, Ron, Hermione et Sirius échangèrent un regard. Ils restèrent silencieux, mais ils avaient du mal à
contenir leur fébrilité, car ils étaient sûrs d'avoir reconnu la voix de Dean Thomas, leur condisciple
de Gryffondor.

- Tu es né moldu, hein ? demanda le premier homme.
- Pas sûr, répliqua Dean. Mon père a quitté ma mère quand j'étais enfant. Mais je n'ai aucune preuve
que c'était un sorcier.
Pendant un moment, le silence ne fut troublé que par des bruits de mastication, puis Ted parla à
nouveau :
- Je dois dire, Dirk, que je suis surpris de tomber sur toi. Content, mais surpris. La rumeur courait
que tu avais été arrêté.
- C'est vrai, répondit Dirk. Mais à mi-chemin d'Azkaban, je me suis enfui, j'ai stupéfixé Dawlish et
je lui ai volé son balai. C'était plus facile qu'on ne l'aurait cru. Je crois qu'il n'est pas en très bonne
forme, ces temps-ci. Il a peut-être subi un sortilège de Confusion. Si c'est le cas, j'aimerais bien
serrer la main du sorcier ou de la sorcière qui lui a jeté le sort, ça m'a sans doute sauvé la vie.
Il y eut une nouvelle pause. Le feu crépitait, l'eau de la rivière bouillonnait. Enfin, Ted reprit :
- Et vous deux, comment vous vous situez ? Je... heu... j'avais l'impression que dans l'ensemble,
les gobelins étaient partisans de Vous-Savez-Qui.
- C'était une fausse impression, répliqua le gobelin à la voix plus aiguë que l'autre. Nous ne
prenons pas parti. C'est une guerre entre sorciers.
- Dans ce cas, pourquoi vous cachez-vous ?
- J'ai estimé que c'était plus prudent, répondit le gobelin à la voix grave. Ayant refusé de me
soumettre à une exigence que je jugeais impudente, je voyais bien que ma sécurité personnelle était
menacée.
- Que vous ont-ils demandé ? interrogea Ted.
- D'accomplir des tâches incompatibles avec la dignité de mon espèce, répondit le gobelin, la voix
plus rude et moins humaine. Je ne suis pas un elfe de maison.
- Et vous, Gripsec ?
- Mêmes raisons, dit le gobelin à la voix aiguë. Gringotts n'est plus sous le seul contrôle de mes semblables. Et je ne reconnais aucun maître parmi les sorciers.

Dans un murmure, il ajouta quelque chose en Gobelbabil et Gornuk éclata de rire.
- C'était quoi, la blague ? demanda Dean.
- Il a dit, expliqua Dirk, qu'il y a aussi des choses que les sorciers ne reconnaissent pas.
Il y eut un bref silence.
- Je ne comprends pas l'astuce, avoua Dean.

- J'ai eu ma petite revanche avant de partir, reprit Gripsec en anglais.
- Bravo, bonhomme..., approuva Ted. Bongobelin, devrais-je dire, rectifia-t-il aussitôt. Vous n'avez
quand même pas réussi à enfermer un Mangemort dans l'une de vos vieilles chambres fortes inviolables ?
- Si c'était le cas, l'épée ne l'aurait pas aidé à forcer la porte, répondit Gripsec.
Gornuk s'esclaffa à nouveau et Dirk lui-même eut un petit rire sec.
- Encore quelque chose qui nous a échappé, à Dean et à moi, dit Ted.
- Il y a aussi quelque chose qui a échappé à Severus Rogue, mais il ne le sait pas encore, reprit Gripsec.

Les deux gobelins éclatèrent d'un grand rire féroce.
À l'intérieur de la tente, l'excitation de Harry devint telle qu'il avait du mal à respirer. Ils se regardèrent avec Hermione, tendant l'oreille pour ne pas perdre le moindre mot.
- Tu n'as pas entendu parler de ça, Ted ? demanda Dirk. Les mômes qui ont essayé de voler l'épée
de Gryffondor dans le bureau de Rogue, à Poudlard ?
Figé sur place, Harry eut l'impression que chaque nerf de son corps était parcouru d'un courant électrique.
- Jamais rien su, dit Ted. Ils n'en ont pas parlé dans La Gazette ?
- Ça m'étonnerait, répondit Dirk en gloussant de rire. C'est Gripsec qui me l'a raconté. Il l'a entendu
dire par Bill Weasley qui travaille pour la banque. L'un des mômes qui ont essayé de voler l'épée était
la jeune sœur de Bill.

Harry jeta un coup d'œil à Hermione et à Ron qui s'accrochaient tous deux à leurs Oreilles à rallonge
comme s'il s'était agi d'un filin de sécurité.
- Elle et deux autres amis se sont introduits dans le bureau de Rogue et ont fracassé la vitrine dans
laquelle il gardait l'épée. Rogue les a surpris au moment où ils essayaient de s'enfuir dans l'escalier.
- Dieu les bénisse, dit Ted. Pensaient-ils pouvoir se servir de l'épée contre Vous-Savez-Qui ? Ou
contre Rogue lui-même :
- Je ne sais pas ce qu'ils avaient en tête mais, en tout cas, Rogue a estimé que l'épée n'était plus en
sécurité là où elle était, poursuivit Dirk. Deux jours plus tard, sur l'ordre de Vous-Savez-Qui,
j'imagine, il a envoyé l'épée à Londres pour qu'elle soit conservée à Gringotts.
Les gobelins recommencèrent à rire.
- Je ne vois toujours pas ce qu'il y a de drôle, remarqua Ted.

- C'est un faux, répondit Gripsec d'une voix râpeuse.
- L'épée de Gryffondor !
- Oui. C'est une copie - une excellente copie, il est vrai - mais fabriquée par des sorciers. La vraie a
été forgée il y a des siècles par des gobelins et elle était dotée de certaines propriétés que seules les
armes produites par les gobelins possèdent. J'ignore où se trouve la véritable épée de Gryffondor,
mais ce n'est certainement pas dans un coffre de Gringotts.

- Je comprends, dit Ted. Et bien entendu, vous ne vous êtes pas donné la peine d'en informer les Mangemorts ?
- Je ne voyais aucune raison de les importuner avec ce genre de détails, répondit Gripsec d'un ton suffisant.
Cette fois, Ted et Dean joignirent leurs éclats de rire à ceux de Gornuk et de Dirk.

Dans la tente, Harry ferma les yeux. Il souhaitait ardemment que quelqu'un pose la question si importante pour lui et au bout d'une minute qui lui parut dix fois plus longue, ce fut Dean qui exauça son vœu. Lui aussi (Harry tressaillit à ce souvenir) avait été le petit ami de Ginny.
- Qu'est-ce qui est arrivé à Ginny et aux autres ? Ceux qui ont essayé de voler l'épée ?
- Oh, ils ont été punis, et cruellement, répondit Gripsec d'un ton indifférent.
- Ce n'est pas trop sérieux, j'espère ? demanda précipitamment Ted. Les Weasley n'ont vraiment pas
besoin qu'un autre de leurs enfants soit blessé.

- Autant que je le sache, ils n'ont rien subi de grave, assura Gripsec.
- Une chance pour eux, remarqua Ted. Avec les antécédents de Rogue, on peut s'estimer heureux
qu'ils soient toujours vivants.

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