[8] The one who can't forget the past
tw : mention de gore
20 novembre 1998 ; Volière de Poudlard
Perchée sur un rocher à l'écart de l'école de sorcellerie, une tour cherchait à rejoindre le ciel lourd de nuages de la Grande-Bretagne. De ses murs circulaires creusés d'alcôves, des hululements se mêlaient pour former un bourdonnement désagréable à l'oreille humaine. On apercevait parfois des ailes brunes ou blanches fendre les ouvertures avant de disparaître derrière un autre pan de pierres. De majestueux rapaces nocturnes s'échappaient du bâtiment pour délivrer la lettre d'un sorcier impatient d'offrir des nouvelles à ses proches et d'autres se précipitaient à l'intérieur en serrant un rongeur mort dans des serres acérées. Debout devant la porte en bois massif, une sorcière aux cheveux frisés observait les allées et venues des oiseaux. La main autour de la poignée, elle contemplait la beauté presque terrifiante de ses animaux aux plumes réfléchissant la lumière. Elle hésitait à venir déranger leur quiétude avec ses tracas et sa lettre où les remords et les excuses se suivaient dans de longues phrases. Un long soupir s'échappa des lèvres de la jeune femme et il se transforma en forme abstraite de condensation. Elle aurait pu rester debout sur le palier de la porte à divaguer en observant son propre souffle se fondre dans l'air frais de la fin du mois de novembre mais sa missive pesait lourd dans son sac.
« Tu peux le faire Hermione, se motiva-t-elle. Tu es une Gryffondor. »
Mais que signifiait être Gryffondor ? Son courage se perdait dans ses souvenirs douloureux et sa témérité s'amenuisait à chaque seconde passée dans ses cauchemars trop vifs. Son corps se marquait des séquelles. Hermione Granger n'était plus cette femme avide de savoir qui avait mis les pieds dans un monde dont elle ignorait presque tout. Son tempérament de feu n'existait plus. Hermione Granger était un vase fendu duquel s'échappait constamment un surplus d'émotions négatives. Mais elle ne pouvait pas se permettre de rester sur le seuil de la volière. Ron attendait une réponse à sa dernière lettre depuis plusieurs semaines et elle se refusait de le faire douter une seule seconde de plus. La poignée tourna dans sa main et le battant s'ouvrit dans un crissement sonore. Les grands yeux des oiseaux nocturnes se vissèrent sur sa silhouette comme si elle n'était qu'une vulgaire proie. Chacun de ses pas, brisant les ossements des petits rongeurs, l'approchait d'un animal familier.
La chouette aux sublimes plumages bruns claqua du bec en reconnaissant sa silhouette et elle accepta avec gourmandise la friandise que la jeune femme lui tendit. Même la douleur cuisante du pincement du bec contre la paume de sa main lui parut moins douloureuse que ses souvenirs de Bellatrix Lestrange. Une unique goutte de sang glissa de sa main et roula sur son avant-bras pour recouvrir la cicatrice insultante marquant sa peau. Comme parcourue par un coup de jus, son bras s'agita d'un spasme. Elle manqua de faire tomber son sac au milieu du désordre de la volière. La brune s'empressa de faire disparaître la trace rougeâtre marquant sa peau sur sa robe de sorcier et elle offrit un sourire timide à la chouette dont le hululement inquiet parvint à ses oreilles.
« Je vais bien. »
Hermione ignorait si elle s'adressait au rapace nocturne ou si ces trois mots lui étaient destinés. Le bec de l'oiseau caressa sa main et elle laissa ses doigts se perdre dans son plumage doux. Ressentait-elle sa douleur ou s'approchait-elle pour réclamer une nouvelle friandise ? Hermione n'en avait pas la moindre idée. Elle se plaisait à croire une chouette plus empathique que les êtres humains qui noircissaient ses nuits. Les silhouettes des Mangemorts se dessinaient dans ses pires cauchemars et elles se gravaient sous ses paupières pour hanter ses journées. Un frisson parcourut son échine alors que les mots glaçants de Bellatrix lui revenaient à l'esprit. La magie coulant dans ses veines était sale. Elle n'égalerait jamais le pouvoir des sorciers de sang pur. Elle ne méritait pas le don de Merlin. Encore et toujours ces mêmes phrases. Elles les entendaient depuis toujours et elles s'intensifiaient depuis la fin de la guerre. C'était comme si elle avait lancé le boomerang de ses angoisses en arrivant à Poudlard. Il lui revenait avec tant de puissance qu'elle parvenait à peine à gérer le surplus de panique.
Le bec froid de la chouette contre le dos de sa main l'arracha à ses pensées sombres. Les grands yeux de l'oiseau l'observaient avec curiosité et Hermione esquissa un sourire factice. Elle tendit une nouvelle friandise à l'oiseau qui l'engloutit avec une étrange délicatesse avant de mordiller la bandoulière de son sac. La sorcière effleura les plumes du rapace du bout des doigts puis plongea sa main à l'intérieur de son désordre organisé. Hermione chercha à l'aveugle la texture familière de l'enveloppe dans laquelle elle avait enfermé la lettre destinée à son petit ami. Elle la trouva entre un livre si épais qu'il n'aurait pas pu tenir dans son sac si elle ne l'avait pas ensorcelé et un paquet de parchemins froissés par des heures de travail. L'oiseau claqua du bec avec impatience lorsqu'il remarqua la forme familière de l'enveloppe. Les doigts de la sorcière se resserrèrent sur le papier alors qu'elle combattait l'envie de détruire la missive sur laquelle la culpabilité de ses larmes se mêlait aux lettres tremblantes dont l'encre s'effaçait par endroit. Ron allait lui en vouloir. Elle en était persuadée. Ils ne s'étaient pas vus depuis plusieurs mois et elle repoussait une nouvelle fois leur prochaine rencontre. Elle mourrait d'envie de retrouver son odeur rassurante et ses bras chaleureux, mais elle ne parvenait pas à se résoudre à quitter le foyer familial pour les fêtes de fin d'année. Elle avait abandonné ses parents trop de fois pour qu'ils lui pardonnent une nouvelle fois son absence.
Un nouveau claquement de bec retentit dans le brouhaha de la volière et l'oiseau mécontent pinça légèrement son annulaire pour attirer son attention. La douleur lui arracha une grimace et la ramena à la réalité. Elle construisait une nouvelle fois un film dans lequel elle imaginait le pire dans son esprit. Ronald et les autres Weasley n'avaient aucune raison de lui en vouloir pour son absence. Elle savait même qu'ils l'encourageraient à rejoindre sa famille s'ils entendaient ses hésitations. Inspirant une longue bouffée d'air embaumé par les excréments de rapace pour se donner du courage, la jeune adulte tendit l'enveloppe abîmée à la chouette. Cette dernière s'en empara avec enthousiasme et elle battit des ailes avant de s'élancer hors de la volière. Hermione trottina vers la sortie de l'oisellerie et elle observa le rapace disparaître dans les montagnes orange de l'Ecosse. Les feuilles mortes tapissaient les vallées et les plaines, apportant une touche de chaleur malgré les températures.
Perchée sur la marche la plus haute menant à la volière, la jeune femme observa les tons orangés du ciel à cette heure où la journée devenait la nuit se fondre avec les paysages montagneux. L'école de sorcellerie britannique se dressait comme un mastodonte dans cette région rendue désertique par les sortilèges. Dans la cour tapissée de feuille morte, les élèves ressemblaient à des fourmis agitées. Ils se lançaient des sortilèges et se désarmaient dans des jeux magiques dont elle ignorait tout. Le cœur de la jeune femme se serra dans sa poitrine et elle envia l'insouciance des plus jeunes. L'oubli les acceptait facilement entre ses bras et les événements de la guerre se transformaient en souvenirs fantasmés. Hermione aurait tant voulu être comme eux. Elle aurait voulu ne plus ressentir cette rancune constante envers le monde qui habillait ses pires cauchemars. Elle aurait voulu effacer le sourire carnassier de Bellatrix de ses paupières et sa voix nasillarde de ses oreilles. Elle aurait voulu sourire avec cette insouciance qui l'avait abandonné dans le manoir Malefoy. Mais tout cela n'était pas possible et Hermione se sentait comme une cocotte-minute au bord de l'explosion. Cette rage qui ne la quittait plus remuait constamment la négativité de la guerre et elle avait fait disparaître les sourires sincères de ses lèvres.
Les éclairs multicolores s'échappant des baguettes des apprentis sorciers se rencontraient et formaient des étincelles envoûtantes. Hermione aurait pu les observer des heures durant si ses responsabilités ne s'étaient pas rappelées à elle. Prenant la voix morne du Professeur Binns, sa conscience lui rappelait l'échéance plus proche que jamais du parchemin d'Histoire de la magie qu'elle devait rédiger. Cet impératif lui fit quitter les escaliers de la volière en trottinant. Les lèvres pincées et les sourcils froncés dans une expression pensive, la jeune femme lista mentalement toutes les recherches à effectuer avant de se lancer dans la rédaction du moindre mot. Elle blêmit à la simple pensée des journées de travail. De longues heures passées la tête vissée dans des livres s'annonçaient et elle ne savait pas si elle avait le courage de se lancer à cœur perdu dans de nouvelles recherches. Au moins elle n'aurait pas à ressasser sa morosité et les souvenirs de la guerre pendant ce temps-là. C'était toujours ça de gagner.
« Granger ? »
A l'entente de cette voix masculine qui la tira de ses pensées, la jeune femme fit un bond en arrière et manqua de s'effondrer aux pieds des escaliers de la volière. Les yeux écarquillés et la bouche entrouverte pour incendier la personne qui venait de lui faire une telle frayeur, elle pivota en direction du propriétaire de la voix. Sa bouche se referma aussitôt lorsqu'elle reconnut les deux silhouettes qui se tenaient à quelques pas et ses réprimandes moururent sur ses lèvres. Son corps filiforme se noyant dans sa robe aux subtiles touches de vert, Théodore Nott l'analysait de ses yeux où l'inquiétude et l'incompréhension se combattaient. Ses mains enroulant une enveloppe émeraude sur laquelle son écriture élégante indiquait une adresse inconnue à la jeune femme et ses bras couverts pour se protéger des griffes des rapaces nocturnes, il ne semblait pas décidé à amorcer le moindre mouvement pour la dépasser. Hermione se demanda ce qu'il attendait. Son regard perçant procurait la sensation de centaines d'aiguilles dans sa chaire et elle dut se forcer pour ne pas esquisser la moindre grimace.
« Nott, le salua-t-elle dans l'espoir qu'il disparaisse dans son dos mais il n'en fit rien. Je peux faire quelque chose pour toi ? »
Sa bouche s'ouvrit et se referma sans qu'il ne prononce le moindre mot. Hermione voyait presque les rouages de son cerveau s'activer. Il devait certainement chercher une méchanceté quelconque à lui jeter au visage comme les élèves de la maison au serpent en avaient eu tant l'habitude durant les sept dernières années. La brune n'attendait rien de sympathique venant de la part d'une personne comme Nott. Son père avait été un fidèle de Voldemort comme il en avait existé des centaines et ses idées nauséabondes avaient probablement imbibé chaque pore de la peau de sa progéniture. Et elle refusait de s'infliger la moindre conversation désagréable.
« Si tu n'as rien à me dire, je vais...
— Si ! la coupa-t-il. Il fallait que je te demande un truc. »
Le corps de la jeune femme se tendit dès qu'il eut terminé sa phrase. Son esprit orchestrait déjà les pires scénarios et conversations possibles. A quoi pouvait-elle s'attendre de la part d'un Serpentard ? Les mains serrées autour de la hanse de son sac ensorcelé pour camoufler les tremblements incontrôlables de ses doigts, la sorcière attendit que les mots s'abattent sur elle comme de mortels coups d'épée. Elle n'avait plus la force d'encaisser les insultes de ses camarades. La moindre des paroles de Nott risquait de la plonger dans un état de rage comme elle n'en avait pas connu depuis la fin de la guerre. La cocotte-minute exploserait s'il se montrait désagréable. Elle n'avait pas besoin de suivre ces heures inutiles de divination pour en avoir conscience.
« Tu as réussi à avancer sur le parchemin de métamorphose ? osa-t-il après quelques secondes d'hésitation. Je ne comprends pas trop une notion, avoua-t-il en passant une main osseuse dans ses cheveux secs, et je me demandais si tu pouvais me donner un coup de main.
— Je... »
Jamais elle n'avait entendu son camarade de promotion parler aussi longuement en dehors d'une salle de classe et cela ne faisait qu'accentuer sa surprise. Théodore Nott lui demandait de l'aide pour un devoir de métamorphose. Hermione remercia ses cheveux indomptables de camoufler la pointe cramoisie de ses oreilles. Elle s'était attendue à bien pire. Cette requête paraissait presque trop simple pour être vraie. Depuis quand leurs maisons s'apportaient-elles de l'aide ? On aurait pu lui annoncer une pluie de météorites que cela lui aurait paru plus logique que cette demande.
« Si tu veux, hésita-t-elle. T'es disponible quand ?
— Demain après les cours ? proposa-t-il. Ça te va ?
— Oui.
— Parfait ! la chaleur de son sourire la décontenança. Blaise sera sûrement là. Il voulait te parler de vos devoirs communs de potions. »
Puis il disparut dans les escaliers de la volière, la laissant pantoise au milieu de la cour de l'école de sorcellerie. Il fallut plusieurs interminables secondes pour que la jeune femme reprenne ses esprits et la route en direction de la salle commune. Les discussions avec les élèves de Serpentard se montraient moins virulentes depuis le début de l'année scolaire. Jamais elle ne s'en était fait la réflexion. Ils partageaient les mêmes traumatismes et ils avaient tous mieux à faire que de se lancer dans des joutes verbales desquelles personne ne ressortait jamais grandi. Les cernes creusant les yeux de Nott prouvaient que ses nuits se montraient aussi agitées que les siennes et elle se sentit idiote de penser qu'une discussion avec lui ne pouvait que se terminer par des insultes. Théodore ne partageait pas l'obsession de sa maison à provoquer les autres. Lorsque Zabini et Malefoy ne lui tenaient pas compagnie, il passait la majeure partie de son temps avec ses livres et ses pensées. Il lui ressemblait plus qu'elle ne l'aurait bien voulu.
Cette pensée l'accompagna sur la route de la salle commune de la maison au lion. Elle chassa même ses obligations scolaires et la voix menaçante de son esprit pour un court instant. Il ne restait plus que cet étrange rendez-vous studieux prévu pour le lendemain et ses inquiétudes à l'idée de passer tant de temps avec les Serpentard. Ses amis remarquèrent ses traits préoccupés dès qu'elle franchit le portrait de la Grosse Dame. Elle leur adressa à peine un mot avant de se laisser tomber lourdement entre Neville et Harry sur un canapé en velours. Les yeux rivés sur le feu dansant dans l'âtre, elle repensa à cet échange avec le Serpentard.
« C'était bizarre, souffla-t-elle.
— De quoi tu parles ? l'interrogea Neville dont la voix se teintait d'une pointe d'inquiétude.
— Nott, répondit-elle. Je vais bosser un cours de métamorphose avec lui demain. »
Les prunelles vertes de son meilleur ami l'interrogèrent sans qu'il n'articule le moindre mot et elle ne parvint pas à lui offrir plus qu'un haussement d'épaules incertains. Elle non plus ne savait pas à quoi s'attendre de la part de Théodore Nott. Préparait-il un mauvais coup ? Avait-il simplement envie de travailler avec une personne aussi studieuse que lui ? Hermione ignorait tout cela et elle n'en ressortait plus que frustrée que la seconde précédente.
« Ça va aller, rassura-t-elle ses amis. Il ne va pas me tuer.
— Encore heureux ! gronda Harry. »
L'obstination de son meilleur ami se comprenait. Chaque personne de la maison au serpent s'était liguée pour faire de sa vie un véritable enfer durant sept années. Il ne s'était pas montré clément envers eux en réponse à leurs attaques. Enterrer la hache de guerre avec d'anciens ennemis offrait une étrange perspective sur l'avenir à la jeune femme. Elle ne pouvait pas oublier les méfaits des Mangemorts et les actions lâches des Serpentard. Aucun n'avait facilité leur victoire contre celui qu'ils nommaient le Seigneur des Ténèbres. Pouvait-elle accepter la moindre rédemption de leur part ? Hermione n'en savait bien et elle détestait cette sensation. Rien ne lui était plus désagréable que de rester dans le flou.
2 décembre 1998 ; Couloir du troisième étage
Des murmures incompréhensifs se répandant comme une traînée de poudre et des œillades suspicieuses enfermées derrière les toiles mouvantes animaient les couloirs du troisième étage de l'école de sorcellerie en cette nuit de décembre. Les couloirs déserts de cette aile de Poudlard se révélaient presque inquiétants. Les deux silhouettes fantomatiques qui s'étaient échappées avec précipitation de la salle commune de la maison au lion pour errer dans les couloirs appuyaient cette sensation de malaise qui animait les tableaux mouvants. Elles n'avaient pourtant rien de fantômes véritables. Seuls les cernes creusant leurs yeux et la lividité de leur peau que les rayons du soleil ne caressaient plus les transformaient en spectre. Elles déambulaient dans les couloirs labyrinthiques, s'approchant et s'éloignant de coassements inquiétants. De la pointe illuminée d'une baguette, les traits de leurs visages se transformaient en ces monstres auxquels les enfants donnaient vie dans leurs histoires. Hermione s'imagina en cette ombre cauchemardesque hirsute. Ses jambes lourdes peinaient à la maintenir debout mais elle ne pouvait pas se résoudre à abandonner la personne qui l'avait enlevé au confort de son lit.
La panique agitait le corps maladroit de Neville Londubat dont les mains tremblantes se serraient autour du tissu de son pyjama délavé dans une tentative vaine de calmer son esprit. Ses lèvres mordues et son front barré par l'inquiétude ne mentaient cependant pas sur son état d'esprit et Hermione se refusait à abandonner un ami dans un tel état. Même si elle mourait de fatigue et que la simple pensée de son lit la plongeait dans un désespoir toujours plus grand. Puis ce n'était pas comme si le confort de son matelas et la protection de la couette lui donnaient une place d'honneur dans les bras de Morphée. La divinité des rêves refusait toujours sa présence dans son monde paisible et elle la ramenait toujours dans cette marée noire de souvenirs violents.
« Je suis désolé de t'avoir réveillé Hermione, s'excusa le garçon en lui adressant un sourire discret pour la cinquième fois en moins de dix minutes. J'ai dû te réveiller.
— Ne t'inquiète pas, tenta-t-elle de le rassurer. Je ne dormais pas de toute façon. »
Hermione n'ajouta pas que les maigres heures de sommeil qu'elle volait aux inattentions du Dieu des rêves ne la reposaient plus. Elle se contentait de revivre les pires instants de son existence en boucle sans jamais trouver la quiétude nocturne sans que la moindre goutte violette ne glisse dans son œsophage. Et elle se détestait pour son besoin de potion pour sommeil sans rêves. Elle se retrouvait dans les chaussures de Malefoy et la simple idée de comprendre son esprit la rendait nauséeuse. L'appel de son ami lui avait au moins permis d'abandonner ses souvenirs sombres et sa culpabilité. Il avait besoin d'aide pour retrouver son crapaud dont le chant résonnait dans les couloirs sans que leurs pas ne les approchent de lui.
« Ce n'est pas lui là ? »
La pointe d'espoir animant les traits de son ami s'effaça dès que la lumière projetée par la baguette d'Hermione découvrit une nouvelle aspérité sur la pierre piétinée du couloir. Ils déambulaient depuis presque deux heures dans les corridors interminables du troisième étage et aucun indice n'appuyait la présence d'un crapaud entre les murs tapissés de tableaux animés. Si la peine des traits du plus maladroit de ses amis ne la touchait pas autant, Hermione se serait résignée sur la disparition de l'animal. Elle ne supportait cependant pas d'entrevoir un tel désespoir sur les traits de Neville. Malgré la guerre et ses nombreux monstres aux allures de spectres, le garçon parvenait toujours à entrevoir un avenir radieux. Il restait positif alors que tous broyaient du noir autour de lui. Neville Londubat était la personne la plus forte que la sorcière n'eut eu l'occasion de rencontrer.
« On va le retrouver, lui promit-elle alors qu'il fermait les yeux pour chasser les larmes montantes.
— Trevor devient vieux, commença-t-il d'une petite voix, mais c'est un cadeau de mon grand-oncle Algie. Il me croyait cracmol. Il l'a acheté lorsque ma grand-mère a annoncé la réception de ma lettre pour Poudlard. Je suppose que c'est mon cadeau pour être un vrai sorcier. Je n'ai pas envie de le perdre lui aussi. »
Le cœur de la sorcière se brisa en mille morceaux à l'entente de la voix chevrotante de son ami. Tous avaient tendance à oublier que Neville avait grandi sans la présence rassurante de ses parents à ses côtés. Ils abordaient rarement le sujet et conservaient son sourire lorsque leurs noms franchissaient la barrière de ses lèvres. Si Hermione se fiait aux quelques anecdotes de son enfance, sa grand-mère Augusta endossait à la perfection le rôle de parent de substitution mais elle ne les remplacerait jamais. Elle ne cherchait pas non plus à les remplacer et elle ne l'interdisait pas à se rendre à l'hôpital Sainte Mangouste pour passer du temps avec eux. Hermione s'était souvent demandé si son camarade se souvenait d'instants heureux avec ses parents. Leur arrivaient-ils parfois de retrouver leur lucidité et de rire avec lui ? Partageaient-ils des moments heureux avant que Bellatrix ne vienne détruire leur vie ? Hermione ignorait tout cela. Sa curiosité la poussait à en apprendre plus sur l'enfance de son camarade mais elle retenait les mots sur ses lèvres. Elle ne voulait pas lui causer plus de peine.
« On va retrouver Trevor, répéta-t-elle pour effacer la question brûlant ses lèvres. Je te le promets. »
Les yeux lourds de fatigue de son camarade lui transmirent sa reconnaissance et Hermione se surprit à lui offrir un sourire sincère. La joie se montrait souvent capricieuse et elle gagnait rarement les traits de la sorcière. Elle ne la retenait pourtant pas et préférait ces rares instants où l'amertume et les cauchemars l'abandonnaient. Analysant sans répits les recoins abandonnés du couloir que sa baguette découvrait, la jeune femme se laissa guider par les coassements. Elle avait l'impression qu'ils étaient de plus en plus proches mais cela faisait plusieurs longues minutes qu'elle se répétait la même chose.
« On a joué aux cartes avec mes parents la dernière fois que je les ai vus. »
Hermione aperçut son sourire mélancolique du coin de l'œil. Le jeune homme affichait cette expression où la sérénité se mêlait au chagrin et ses prunelles expressives brillaient de l'amour intarissable qu'il ressentait pour ses parents. Les souvenirs inconscients des sbires du Seigneur des Ténèbres planaient toujours dans son esprit et le rire sournois de Bellatrix Lestrange sonnait comme un réveil désagréable. Hermione et Neville partageaient ce même dégoût pour cette femme maléfique mais lui seul parvenait à aller de l'avant. Il parvenait à afficher cette expression paisible par la vision éphémère de ses parents lucides. Neville gardait espoir.
« C'était un moment calme, expliqua-t-il. On était dans le réfectoire de la zone psychiatrique de Sainte Mangouste et ils s'amusaient de me voir perdre à chaque fois. Ça faisait des années que je ne les avais pas vus aussi heureux. »
La lueur du sortilège d'allumage vacilla durant un court instant, laissant une larme solitaire rouler sur les pommettes rondes de son camarade dans une intimité factice. La perle salée s'échoua sur le tissu céruléen de son pyjama et il chassa l'humidité de sa joue d'un geste du poignet alors que l'éclat froid de la magie illumina l'entièreté du couloir. Quelques tableaux se plaignirent de leur présence mais Hermione ignorait les jérémiades endormies des dizaines de toiles mouvantes. Son regard s'ancrait sur la silhouette de son ami maladroit et elle envia l'espoir brut qu'elle lut sur ses traits. Il percevait la lumière au bout du tunnel obscur. Il percevait le retour du bonheur dans son quotidien. Il percevait toutes ces choses que le cerveau de la jeune femme lui refusait.
« Trevor ! »
L'exclamation enjouée de Neville tira la jeune femme de ses pensées moroses. Elle secoua la tête pour reprendre ses esprits alors que son ami se précipitait vers la créature recroquevillée dans une irrégularité du mur. La gorge de l'animal se gonfla dès que ses pattes visqueuses se posèrent sur les paumes délicates de son propriétaire. Il se laissa porter par le lion maladroit dont les lèvres s'étirèrent dans une expression de soulagement pur. Hermione ne retint pas le sourire timide qui étira ses lippes. Les sentiments de Neville se montraient contagieux.
Ils reprirent leur route en direction de la salle commune dans une semi-obscurité. Les rayons froids de la lune offraient une visibilité suffisante pour qu'ils n'eussent pas à user du moindre sortilège. Les tableaux ne se plaindraient plus — ou moins — de leurs présences et la malchance de croiser un concierge de mauvais poil s'amenuisait grandement. Seuls les coassements de l'amphibien et leurs pas contre la pierre du sol perturbaient le silence de l'instant. Hermione aurait aimé se perdre dans les couloirs jusqu'au lever du jour — le sourire mauvais de Bellatrix se faisait moins vibrant lorsque ses paupières restaient ouvertes — mais la jeune femme ne parvenait pas à nier les besoins de son corps. Chacun de ses muscles lui hurlait de retrouver les bras de Morphée.
« Mes parents me manquent. »
Aveux murmurés au milieu de la nuit, la sorcière se surprit à prononcer de tels mots. Ils lui échappèrent comme une expiration vitale et happèrent les prunelles du brun. Sans quitter une seule fois le couloir disparaissant dans l'obscurité de ses yeux fatigués, elle sentit la curiosité de Neville brûler son échine. Le sujet de ses parents s'érigeait comme un tabou tacite que personne n'abordait jamais en sa présence. Ils n'appartenaient pas au monde magique et leurs existences ne croisaient celles des sorciers que par elle. Ils étaient ces figures abstraites touchées par une guerre qui ne les concernait pas. Ils étaient ces figures aimantes auxquelles Hermione avait retiré une partie de leur identité par peur de les voir souffrir. Ils étaient les résidus de sa culpabilité. Elle leur avait enlevé une partie entière de leur vie et ils ne seraient jamais plus les mêmes.
« J'ai réussi à conjurer le sortilège d'amnésie mais je demande toujours s'ils n'auraient pas été plus heureux sans ça, avoua-t-elle d'une voix tremblante d'émotion. Ils étaient heureux en Australie et je leur ai redonné leurs souvenirs par égoïsme.
— Tu leur as redonné leurs souvenirs parce que tu es un être humain, la contredit-il. Tout le monde a besoin de ses parents. Ils t'apportent cette forme d'espoir dont on a tous besoin en ce moment. C'est pour ça que je suis heureux quand mes parents sont lucides ; même si ça ne dure que quelques heures. Et c'est pour ça que tu leur as rendu leurs souvenirs.
— Tu ne penses pas qu'ils m'en veulent ?
— C'est à eux de te répondre, lui sourit-il, mais je suis certain qu'ils sont heureux d'avoir eu une fille comme toi. Tu restes la sorcière la plus brillante de ta génération, blagua-t-il en lui donnant un coup d'épaule amical.
— Idiot. »
Mais dans cette nuit de décembre où les nuages se mouvaient comme des ombres fantomatiques autour de la lune, Neville Londubat était parvenu à lui faire retrouver une once de ce sentiment disparu depuis la guerre. Hermione retrouvait cette pointe d'espoir oublié. Aussi infime soit-elle, une lueur ténue apparaissait à l'autre bout du tunnel et elle refusait de la voir disparaître.
Date inconnue ; Lieu inconnu
Loutry Sainte Chaspoule se démarquait des autres villages de la région par son nombre important d'étranges individus habillés de tenue extravagante. Les robes et les froufrous des temps anciens ornaient encore leurs garde-robes et des chapeaux de toutes les formes couvraient leurs cheveux. La plupart des habitants ne s'indignaient plus de l'apparence étrange de leurs voisins depuis plusieurs générations. Ces familles n'apportaient jamais de préjudices à quiconque et elles se mêlaient rarement aux autres. Il arrivait parfois que de jeunes adultes se fondent aux habitants normaux mais ils usaient sans cesse de ces mots que personne ne comprenait jamais. Quelques-uns s'étaient même inquiétés de la présence d'une secte dans ce minuscule village. Que voulaient donc dire des mots comme moldu ou cracmol ? Pourquoi leur demandait-on parfois l'utilité des canards en caoutchouc ou des téléphones comme si ces inventions venaient d'apparaître sur la surface de la Terre ? Ils l'ignoraient mais ils ne s'en offusquaient plus. Ils observaient cette famille constituée de curieux individus aux mèches rousses échanger avec eux avant de s'éloigner vers les collines, à cet endroit où la végétation dense avalait la vie humaine. Ils ne connaissaient pas l'existence de cette maison, dont le maintien relevait du tour de magie tant les quatre étages s'agençaient de façon peu naturelle, dans une immense prairie camouflée au cœur de la forêt.
La prairie connaissait pourtant plus d'animation en cet après-midi que le petit village n'en connaîtrait durant le mois entier. Les rires fusaient autour de la longue table garnie de nourriture en tout genre. Les treize personnes présentes, camaïeu de cheveux roux et bruns, s'échangeaient des banalités et des anecdotes autour du repas le plus copieux que Hermione Granger n'eut jamais vu. Les plats ne désemplissaient pas ; il y avait toujours de nouvelles saveurs venant remplacer les précédentes. Son estomac ne tarderait pas à exploser et elle se demandait comment son petit ami parvenait à déguster avec appétit tout ce qui parvenait à son regard. Incapable de tolérer le moindre aliment pour les prochaines heures, voire les prochains jours, la jeune femme porta ses prunelles à ses parents à l'autre bout de la table. Arthur les assaillait de questions sur les nouveautés du monde moldu qu'il ne comprenait pas. Elle l'imaginait aborder le téléphone ou les composteurs dans les gares comme d'incroyables inventions. Il hochait la tête à chaque information donnée par les seuls moldus présents autour de la table et il murmurait des commentaires fascinés dès qu'il apprenait quelque chose qu'il ignorait. Et il apprenait de nouvelles choses toutes les secondes. Un sourire tendre naquit sur les lèvres de la sorcière. Ses parents semblaient s'amuser et la joie d'Arthur Weasley se montrait plus communicative que jamais.
« Fred ! George ! »
La réprimande, hurlée depuis la cuisine de la maison où une fumée violette s'échappait d'une fenêtre avant de disparaître, arrachant un sursaut à Hermione. Des taches colorées recouvraient les cheveux flamboyants et la peau découverte de Molly. Les mains posées sur les hanches dans un énervement palpable, la mère de famille pointait une cuillère en bois menaçante en direction de ses fils farceurs. Ces derniers s'esclaffèrent lorsque leurs prunelles jumelles se posèrent sur la silhouette de la victime de leur farce. Ils n'eurent pas besoin d'articuler la moindre syllabe pour que Hermione ne perçoive leur satisfaction. Leurs paumes se rencontrèrent dans un mouvement victorieux et Fred chassa une larme rieuse du coin de son œil. Ils n'allaient pas tarder à passer un sale quart d'heure, mais Molly se trouvait trop loin pour les atteindre.
« On ajoute ça au magasin ? demanda Fred.
— Assurément ! valida George.
— Vous n'êtes pas croyables, souffla Percy dont le timbre se teintait d'exaspération.
— Tu n'as pas d'humour, remarquèrent les jumeaux d'une même voix. »
La couleur du visage de Percy se fondit à la racine de ses cheveux orange et il chercha à camoufler sa gêne derrière une moue boudeuse. Les boutades des deux farceurs l'atteignaient toujours autant et ceux-là ne s'arrêteraient jamais tant que les réactions de leur aîné se montraient aussi amusantes. Les plats chauds disparurent de la table avant que les joues de Percy ne retrouvent leur couleur originelle. Hermione ignorait si le rouge de ses pommettes s'expliquait par un résidu de gêne ou un coup de soleil. Elle le découvrirait bien avant la fin de la soirée.
« Vous êtes insupportables, les réprimanda la mère de famille en assénant une légère claque à l'arrière du crâne de ses enfants. Vous avez gâché un des cheesecakes de Mr. et Mrs. Granger.
— Pardon, s'excusèrent-ils.
— Ne vous inquiétez pas, sourit Mrs. Granger. Il en reste au moins un, compléta-t-elle en désignant le plat unique trônant au centre de la table. Ça sera suffisant. »
Rien n'était moins certain avec une famille comme celle des Weasley. Le regard perplexe du Survivant croisa le sien et elle haussa les épaules pour répondre à ses interrogations silencieuses. Elle ne se servirait pas de dessert mais ce n'était certainement pas le cas des autres personnes attablées. Son estomac se serra à la simple pensée d'avaler la moindre bouchée sucrée et l'odeur de la crème onctueuse la rendit nauséeuse. Les traits satisfaits des gourmands découvrant les saveurs des cheesecakes de Londres arrachèrent un sourire à Hermione. Elle n'avait pas besoin de plus. Le bonheur des autres la comblait et ils paraissaient tous heureux de découvrir ce dessert.
Les minutes s'écoulèrent à toute vitesse. Un coup habile de baguette chassa les dernières traces du repas de la longue table pour les remplacer par un gramophone couvert d'une fine pellicule de poussière. Le disque grésilla sous l'aiguille mais personne ne prononça la moindre réflexion. Hermione fredonna le rythme populaire sans quitter le confort de sa chaise et elle observa les autres danser avec cette attendrissante maladresse. Les jumeaux provoquèrent l'hilarité générale dans leurs mouvements improvisés et la satisfaction de leur trait prouvait qu'ils rencontraient leur but à chaque geste. La baguette de Percy décrivit de complexes figures entre ses doigts et des paillettes multicolores s'en échappèrent, captant les regards émerveillés des parents de la sorcière aux indomptables boucles. La candeur qui brillait dans leurs prunelles rappela à la jeune femme sa découverte du monde magique. Chaque petit détail l'avait tant fascinée qu'elle s'était plongée dans d'immenses ouvrages trop lourds pour ses bras frêles pour en apprendre plus. Une main familière fit irruption dans son champ de vision et la tira de ses pensées. Elle posa ses yeux sombres sur la silhouette de son amant dont le sourire malicieux l'invitait à la rejoindre sur la piste de danse improvisée. Ses sourcils se froncèrent instinctivement. La maladresse de Ronald Weasley le transformait en terrible danseur et il ne s'engageait jamais sur une piste sans en recevoir l'ordre.
« Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de Ronald Weasley ? blagua-t-elle en nouant ses doigts aux siens.
— Un homme amoureux qui veut faire danser son adorable petite amie, répliqua-t-il. »
Un large sourire étira ses lèvres alors qu'il remarquait les rougeurs s'étendant de ses pommettes à la pointe de ses oreilles. Il claqua un rapide baiser sur ses lèvres avant qu'elle ne puisse le traiter d'idiot et il l'entraîna au cœur des autres silhouettes qui se mélangeaient sur la piste de danse improvisée. Ils durent éviter les mouvements amples des jumeaux et elle chassa une raillerie d'un mouvement de la main. Ils se contentèrent de se mouvoir maladroitement et de suivre le rythme de la musique. Hermione ne put s'empêcher de penser que le terme "danser" ne qualifiait pas vraiment leurs mouvements. Ils gigotèrent en rythme sous un soleil estival et elle se fichait de leur ridicule. Lâcher prise et se focaliser sur l'instant présent lui firent un bien fou. Elle se sentait comme perdue dans le temps et elle aurait aimé rester ainsi pour le reste de sa vie.
Puis des nuages camouflèrent l'astre diurne, les privant de son agréable chaleur. Ils éclatèrent cette bulle hors du temps qui les étreignait. La jeune femme analysa les vagues sombres et cotonneuses qui alourdissaient le ciel. Leur gris terne se transforma en une couleur sanguine sous les rayons cuisants du Soleil. C'était comme observer une mer de sang défiant les lois de la gravité. Un frisson parcourut l'échine de la sorcière et les battements assourdissants de son cœur remplacèrent le son de la musique dans ses oreilles.
Boum. Boum.
Sa gorge se noua.
Sa bouche s'assécha.
Ses mains devinrent moites autour de la nuque de son petit ami.
Boum. Boum.
Un serpent vert traversa les nuages rougeâtres.
Cette vision arracha un cri silencieux à la jeune femme. Ses prunelles paniquées se posèrent sur la silhouette de Ronald. Son corps se tenait encore dans la clarté estivale. Des mèches d'or ondulèrent dans ses cheveux roux et son sourire doux se figea sur ses lèvres. Il dansait toujours. Elle sentait encore la caresse de ses mains sur ses hanches et ses pieds maladroits écrasaient toujours ses orteils. Il se tenait juste là, en face d'elle, mais elle ne l'entendait plus.
Boum. Boum.
La terre trembla sous ses pieds et l'horizon ondula au loin. Hermione se sentit chuter alors que son corps luttait pour rester debout. Des spasmes agitèrent ses muscles et ses ongles se plantèrent dans la nuque de son amant dont le sourire amoureux ne se fana pas comme s'il ne ressentait pas son angoisse.
Boum. Boum.
Une goutte tomba du ciel pour s'écraser sur son visage et elle glissa sur ses joues pour rejoindre ses lèvres tremblantes. Le goût ferreux assaillit ses sens alors que la pluie se levait. Sa main droite, tremblant d'appréhension, quitta l'épaule de Ronald et elle caressa sa pommette humide. La pulpe de ses doigts s'échoua dans un liquide visqueux. Le rouge assaillit son champ de vision et son hurlement mourut sur ses lèvres alors qu'elle réalisait que les nuages pleuraient une pluie de sang.
L'averse s'intensifia à chaque seconde s'écoulant. Elle se transforma en une tempête sanguine de laquelle la sorcière se retrouvait seule prisonnière. Ses vêtements poisseux alourdirent son corps et ses boucles brunes s'engluèrent autour de son visage. Elle devina ses traits déformés par l'horreur alors que ses prunelles cherchèrent une silhouette réconfortante. Elles se posèrent sur le corps immobile de Ronald et un hurlement silencieux quitta ses lèvres lorsqu'elle découvrit les deux orbes béants et le sourire carnassier qui lui était adressé. Son espoir de trouver une quelconque aide s'évaporait dans cette atmosphère ferreuse. L'angoisse parcourut son corps et noua sa gorge avant qu'elle ne crache une bile acide sur la silhouette monstrueuse de son amant.
« Non ! Non ! Non ! Non ! »
Hermione psalmodia ce mot unique comme s'il possédait le pouvoir d'éclaircir le ciel monstrueux et de faire regagner la chaleur des traits de son amant. Rien ne vint. Le corps inhumain de Ronald la rejoignit sous la pluie de sang et l'hémoglobine marqua sa peau. Il serra ses avant-bras entre ses griffes avant même qu'elle ne puisse amorcer le moindre mouvement de fuite. Les trous béants de ses yeux aspirèrent son énergie et elle flancha sous l'emprise horrible de cet homme à l'apparence familière. Son sourire abominable s'accentua et son index traça le chemin d'une veine. Le sang bouillit sous sa peau lisse et un hurlement déchira ses cordes vocales. Elle pria pour que tout cela s'arrête et pour que quelqu'un lui vienne en aide. Ses prunelles, noyées de larmes et de sang, cherchèrent une silhouette amicale dans la foule cauchemardesque. Elle ne trouva que des monstres aux allures familières. Ses proches avaient disparu et personne ne lui viendrait en aide. Elle se retrouvait seule avec cet homme aux sourires mauvais. Elle ferma les yeux de toutes ses forces dans l'espoir vain de faire disparaître les apparitions terrifiantes.
Un rire mauvais quitta alors les lèvres du monstre et le sang de la jeune femme se glaça. Elle connaissait ce rire. Elle ne le connaissait que trop bien. La pression du doigt s'accentua sur son avant-bras et l'ongle creusa sa peau de lettres. Une douleur cuisante traversa son corps et ses yeux s'ouvrirent brusquement. Ses prunelles croisèrent celles démentes d'une femme dont les boucles noires camouflaient le visage. Hermione devina les dents cariées et les traits creusés par la folie de cette femme affreuse. Son doigt continua de tracer des lettres brûlantes sur sa peau. Chacune apparut sous les yeux paniqués de la jeune femme qui se débattit dans une tentative d'échapper à l'emprise torturante de son bureau. Son sourire carnassier luisant derrière la barrière de cheveux s'élargit à chacun de ses mouvements. Ils raffermissaient tous la prise de la sorcière et permettaient au doigt crochu de continuer sa lente course sur son avant-bras, incrustant cette insulte dans sa chaire sans qu'elle ne puisse l'en empêcher. Parce qu'elle ne racontait que cette terrible vérité à laquelle elle ne pourrait jamais échapper.
« Sang de bourbe. »
La silhouette monstrueuse siffla cette insulte à l'instant précis où ses prunelles se plongeaient dans les siennes. Hermione reconnut ses propres traits se mêler à ceux de Bellatrix Lestrange. Ces trois mots brillèrent sous cette pluie de sang. Un rire mauvais résonna dans cette atmosphère lourde et Hermione sentit son corps se soulever alors qu'un hurlement strident s'échappait de ses lèvres. Ses mains s'enfoncèrent dans le matelas de son lit et ses jambes se battirent avec son drap. Il fallut quelques minutes pour que son esprit ne se réveille complètement.
Dehors, les premiers flocons tombaient du ciel et tapissaient le paysage d'un duvet blanc.
Dehors, les premiers flocons tombaient du ciel et son esprit peinait à oublier les tortures de Bellatrix Lestrange.
Dehors, les premiers flocons tombaient du ciel et ce mot gravé sur sa peau envahissait son esprit comme si rien d'autre ne pourrait jamais la caractériser.
17 décembre 1998 ; Sortie Sud de Poudlard
De microscopiques flocons blancs tombaient du ciel par millier et s'échouaient au milieu des feuilles mortes que l'automne avait abandonnées dans son sillage. Leurs couleurs chaudes formaient un contraste saisissant avec les premières neiges de l'année. Comme des gouttes de sang frais sur la poudreuse. Hermione ne parvenait pas à chasser cette pensée de son esprit exténué par les nuits blanches. Depuis le pont de la sortie sud de l'école de sorcellerie, elle avait une vue prenante sur tous ces minuscules détails qui transformaient les Highlands en un endroit magique. Tant de personnes avaient perdu la vie dans ces vallées et ces montagnes. Elle devinait une silhouette s'effondrer à chaque élément dans son champ de vision. Leurs souvenirs et leurs ombres se mouvaient comme des fantômes et ils se perdaient à perte de vue.
Les coudes appuyés contre la rambarde, la sorcière observait leur danse fantasmée et paisible disparaître dans la buée de son souffle régulier. Les nuages de condensation se fondaient avec les flocons avant de s'évaporer. La sorcière se sentait sereine pour la première fois depuis plusieurs mois malgré la noirceur de ses pensées ; comme si les flocons chassaient ses angoisses dans leur beauté féérique. Ils apportaient dans leur sillage les températures froides et les conversations chaleureuses. Ils apportaient avec eux cette bulle apaisante que la sorcière recherchait tant. Les flocons s'amassaient dans leur chute et se transformaient en un fin duvet que les traces de pas n'avaient pas encore détruit. Ils semblaient se laisser porter à la surface du lac et leurs mouvements envoûtaient la jeune femme.
Tant de personnes avaient perdu la vie sur ces terres. Leurs fantômes se déplaçaient sans laisser la moindre trace sur le duvet blanc et ils disparaissaient derrière les arbres imposants de la Forêt Interdite où les créatures sensibles aux esprits invisibles les attendaient. Hermione s'imaginait leurs visages sereins malgré la violence de leur disparition. Seuls les vivants souffraient des conséquences directes des guerres. Seuls les vivants connaissaient la violence de la culpabilité et la persistance cruelle des pensées intrusives. Hermione détestait cette douleur cuisante qui s'emparait de son corps dès qu'elle avait le malheur de rejoindre le monde où Morphée régnait en roi. Et les flocons balayaient ses pensées noires dans leur chute immaculée. La splendeur des paysages enneigés chassait tout.
Hermione aimait tant cet endroit.
Ce constat la frappa de plein fouet alors qu'elle offrait sa main au ciel pour que les flocons s'échouent au creux de sa paume brûlante. Les souvenirs de la guerre hantaient chaque seconde de sa vie et ils s'attachaient presque tous à Poudlard. Mais elle ne parvenait pas à détester cet endroit. L'école de sorcellerie représentait trop de choses à ses yeux : l'insouciance de cette enfant avide de connaissances à qui une nouvelle vie se dévoilait, les rires francs partagés avec ses amis au coin du feu, les prises de tête qui la poussaient à comprendre une mécanique du monde sorcier dont elle ignorait tout, et tant d'autres petites choses. Poudlard et ses habitants avaient forgé certaines facettes de sa personnalité et Hermione Granger n'existait pas sans ce monde.
Un impact glacé contre l'arrière de son crâne l'arracha à ses pensées dans un gémissement plaintif. Hermione devina la poudreuse se perdre dans ses mèches frisées pour y former d'insupportables nœuds dans sa fonte. Les sourcils froncés et les lèvres affaissées dans une moue de colère exagérée, elle porta ses prunelles sombres en direction du coupable à l'origine du tir. Un sourire de fausse innocence que deux yeux verts pétillants de malice contredisaient se dessina à l'entrée du pont. Hermione saisit le discret mouvement de sa baguette dans son dos et elle esquiva de justesse une nouvelle boule de neige.
« T'es sûr de vouloir te lancer là-dedans Potter ? l'apostropha-t-elle.
— Evidemment puisque je ne peux pas perdre contre toi, rétorqua-t-il sans se défaire de son sourire mutin. »
La main droite de la sorcière fondit en direction de sa baguette dans sa poche pour riposter aux attaques amicales du Survivant. Trois nouvelles boules s'échouèrent sur son uniforme avant qu'elle ne puisse répondre aux offensives. L'humidité glaciale se propagea dans les fibres du tissu de ses vêtements et provoqua le hérissement de ses poils dans une chair de poule incontrôlable. Elle parvint à stopper la progression de la quatrième boule de neige avant que celle-ci ne parvienne à sa cible et elle la renvoya en direction de son attaquant. Un rire franc et joyeux s'échappa de ses lèvres lorsque celle-ci s'écrasa au milieu de son visage. Il chassa les résidus de neige de ses lunettes rondes du revers de sa manche et répondit aussitôt à son offensive.
Les minutes s'écoulèrent à toute vitesse dans leur combat amical. Chacun reçut autant de boules de neige qu'il en envoya — Hermione certifiait qu'elle sortait victorieuse de cette bataille mais son meilleur ami affirmait la même chose — et les deux jeunes adultes s'écroulèrent contre le rebord du pont dans un fou rire. Sa poitrine se soulevant au rythme de son souffle court, la sorcière laissa tomber sa tête contre l'épaule de son meilleur ami et elle noua ses bras aux siens. Cela faisait un bien fou de rire à gorge déployée. Hermione avait presque oublié les sonorités de son propre rire au cours des derniers mois. Elle redécouvrait ce léger couinement séparant deux esclaffements et les larmes se formant au coin de ses yeux comme un trésor rare. Ça lui avait tant manqué.
« Merci, souffla-t-elle lorsqu'elle retrouva une respiration régulière.
— Pourquoi tu me remercies ? »
Hermione n'eut pas à poser son regard sur la silhouette de son meilleur ami pour deviner que ses sourcils cherchaient à se rejoindre au milieu de son nez. Il cherchait certainement à comprendre les rouages de son esprit et son expression se transformait en une moue sérieuse à mesure que les explications lui échappaient. Il réagissait ainsi depuis qu'ils se connaissaient. La jeune femme laissa échapper un rire discret et serra la main de son ami dans la sienne.
« Merci de me faire rire, précisa-t-elle. Ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé.
— C'est pareil pour moi, avoua-t-il dans un souffle. J'ai parfois l'impression que ça n'arrivera plus jamais. »
Cette triste réflexion traversait sans cesse l'esprit de la sorcière. Elle avait parfois l'impression que sa joie de vivre s'écrasait sous le poids de sa rancœur et de son amertume. Incapable de rendre les journées plus belles et de chasser les ombres cauchemardesques des nuits, sa bonne humeur se dissolvait comme du sucre dans un thé bouillant. Elle apercevait pourtant quelques touches colorées se répandre dans ses journées en nuances de gris. Elle devait tout cela à la présence de toutes ses personnes qui l'entouraient.
« Ça fait beaucoup de bien de rire, continua son meilleur ami. Je me sens un peu plus léger. Un peu comme si on venait de survivre après une grosse année scolaire. »
Etouffant un esclaffement derrière la manche trempée de son uniforme, la sorcière ne put retenir un acquiescement. Leur vie s'était vue bouleverser par des épreuves toujours plus dangereuses chaque année depuis qu'ils avaient franchi le seuil de l'école de magie. La malchance s'accrochait à Harry Potter comme une limace. En découvrant le monde magique à la réception de sa lettre pour Poudlard, la jeune femme s'était figuré un monde riche en nouvelles découvertes. Jamais elle ne s'était imaginé les heures à combattre les forces des ténèbres entre deux cours.
« Je me demande parfois si je suis reconnaissante pour le troll dans les cachots, blagua-t-elle. Vous auriez continué de me détester si Quirrell n'avait pas eu la merveilleuse idée de fusionner avec Voldemort.
— Tu as sauvé ma vie scolaire, renchérit-il. Ça aurait été beaucoup plus compliqué sans toi.
— Vous auriez fait comme tout le monde et révisé les cours.
— Ce qui est beaucoup plus fatigant que de consulter une encyclopédie vivante. »
La jeune femme répondit à la provocation de son meilleur ami par un léger coup de coude dans les côtes. Son geste accentua l'hilarité du Survivant et elle le rejoignit dans cette allégresse. Cela faisait plusieurs mois que la sorcière ne s'était pas sentie aussi légère. Les jeunes adultes se remémorèrent leurs souvenirs avec nostalgie. Ils rirent de leur maladresse des premiers jours et de leur premier pas au cœur du Chemin de Traverse. Cette découverte de ce monde nouveau et ses singularités avaient paru grandioses à leurs yeux naïfs. Puis ils avaient plongé à pieds joints dedans. Des créatures toujours plus dangereuses — du chien à trois têtes que Hagrid chouchoutait au dragon cracheur de feu — s'étaient dressées sur leur route et les forces des ténèbres s'étaient mêlées à leur vie quotidienne sans qu'ils ne puissent rien y faire. Les heures de cours se mêlaient à cette curiosité qui ne cessait jamais de mettre leur vie en danger.
« Tu penses qu'on ira mieux un jour ? demanda-t-elle dans un instant de blanc.
— C'est compliqué à dire. »
Sa voix pensive fana le sourire de la jeune adulte. Elle se redressa pour plonger ses prunelles sombres dans celles de son meilleur ami. Elle se noya dans les nuances de verts dans lesquelles la peine se fondait avec une douleur toujours plus cuisante. Elle sentit alors une colère immense se répandre dans ses veines comme un poison mortel. La capitulation de son meilleur ami à l'envie humaine de retrouver une vie plus heureuse la frappa comme une gifle. Pourquoi se sentait-elle tant en colère face à l'abattement de Harry Potter alors qu'elle ne parvenait pas à oublier ses propres douleurs ? Pourquoi l'accablement de Harry Potter la frappait autant alors qu'elle souffrait des mêmes maux ? Ils étaient pathétiques.
« Où est passée la bravoure des Gryffondor ? s'énerva-t-elle. On va vraiment se laisser mourir à petit feu sans tenter de reprendre le contrôle de notre vie ?
— Je sais pas si j'en ai la force Hermione, prononça-t-il dans un souffle.
— Il faut au moins qu'on essaie ! la force de sa propre voix lui arracha un sursaut. Je sais que ça ne va pas être facile. Je sais qu'on va avoir beaucoup de mal à se remettre debout et à vivre comme avant. Mais je veux essayer. Je veux arrêter de me détester. Je veux faire disparaître la silhouette de Bellatrix. Je veux pouvoir sourire sans me sentir coupable. Je veux aller mieux. »
Les larmes roulèrent sur ses joues, creusant des sillons rougeâtres dans leur sillage. Ses mains s'agitèrent sous le torrent d'émotions qui l'assaillit. Elle chercha à chasser les sanglots de son visage du revers de sa manche mais elle parvint seulement à ajouter des résidus de sel sur ses manches déjà humides. Les bras de son meilleur ami se refermèrent autour de sa taille et elle retrouva cette place rassurante contre son torse. Les mains de Harry s'activèrent dans son dos et calmèrent les soubresauts de ses épaules. Il la berça durant plusieurs minutes et lui murmura ces paroles rassurantes qu'elle avait tant besoin d'entendre.
« T'es une personne incroyablement forte, le sourire du Survivant se percevait dans son timbre. Tu es une des personnes les plus fortes que je connaisse.
— Promets-moi qu'on ira mieux, murmura-t-elle.
— Je te le promets. »
Pour la première fois depuis la fin de la guerre, Hermione Granger crut en la promesse de son meilleur ami. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, la lumière au bout du tunnel persistait. Pour la première fois depuis la guerre, elle voulait croire qu'elle pourrait aller mieux. Ils allaient tous aller mieux.
ça fait presque un an que je n'avais pas publié un nouveau chapitre de parce mihi et je pourrais trouver des dizaines d'excuses pour expliquer cette absence sur cette histoire. mais la vérité c'est que j'avais la flemme d'écrire quelque chose de compliqué et parce mihi est compliqué à écrire. mais je reviens dessus ! je veux terminer la première partie de l'histoire avant la fin de l'année.
je suis relativement satisfaite de ce chapitre. j'ai beaucoup aimé écrire certains passages comme le cauchemar (il devait être moins sanguinolent à la base) et j'ai moins aimé écrire d'autres passages comme à chaque fois. mais je trouve qu'il rend plutôt bien et qu'on commence à voir un peu plus de légèreté.
j'espère que votre lecture vous a plu. on se retrouve bientôt pour la suite (promis ça sera pas dans un an).
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