Déréalisation
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Intervalle 1 : l'éveil
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Les songes de Jungkook lui avaient momentanément fait oublier l'endroit où il se trouvait, dans ce train de campagne qui parcourait des coins jonchés d'une nature presque sauvage. La vie humaine semblait avoir déserté les environs, au point que le brunet restait surpris lorsqu'il apercevait, au-delà de la vitre, une maisonnette isolée, plantée en plein milieu d'un champ de blé.
Ennuyé de contempler le même paysage depuis des heures, il avait fini par s'assoupir, serrant son sac à dos noir entre ses bras comme un enfant ennuyé aimait serrer son doudou.
La banquette vieillie du compartiment s'était vidée progressivement, et pas un seul passager ne s'était décidé à le réveiller.
Son poing frotta ses yeux encore alourdis par le sommeil et après quelques secondes d'observation, il finit par s'apercevoir que le train était totalement à l'arrêt.
Le terminus.
La fin du voyage.
Il avait raté sa destination !
Soudainement paniqué à l'idée de ne pas pouvoir rejoindre son patelin avant la tombée de la nuit, Jungkook se leva d'un bond de son siège et laissa derrière lui l'intérieur boisé de la rame, rejoignant l'extérieur et sa brise chaude caractéristique d'une fin d'été.
Il se précipita sur le quai, tournant frénétiquement la tête à la recherche d'une personne, n'importe qui, pouvant l'aider à faire demi-tour.
Seulement la gare était tout aussi vide que la locomotive qu'il venait de quitter.
Jungkook avait beau parcourir de long en large l'intérieur de la vieille bâtisse, son cœur n'était habité que par l'écho de quelques oisillons, les guichets où se trouvaient habituellement les employés étant tout aussi désertiques que le lieu qui les abritait.
Revenant sur ses pas pour jeter un œil au tableau indiquant les départs, un léger tremblement se mit à gagner ses membres lorsqu'il réalisa que les trains qui passaient par ici n'allaient que dans une seule direction, et que la gare qu'il arpentait constituait le dernier arrêt.
Le jeune étudiant se retrouvait dans un endroit isolé, sans personnes aux allants-tours, ni aucun moyen de rejoindre sa vraie destination.
Son voyage se résumait donc à un aller simple.
Regagnant le quai, Jungkook tomba un peu plus des nues lorsqu'il s'aperçut que les rails ne comportaient qu'une seule voie, un couloir unique qui achevait sa course un peu plus loin et qui se confondait avec le taillis le dévorant, comme si les habitants de coin n'avaient jamais terminé sa construction.
Les muscles de sa gorge se resserrèrent et un sentiment d'oppression lui compressa la poitrine alors qu'il prenait conscience de sa situation.
Il était coincé, forcé d'arpenter la ville pour trouver un moyen de rejoindre la maison de campagne de son père, située surement à une bonne distance de sa localisation.
Ignorant cette sensation que les murs de briques de la gare se resserraient autour de lui, Jungkook tituba jusqu'à la sortie, zieutant les environs à la recherche d'une indication quelconque.
Mais encore une fois, rien.
Pas un panneau, pas une information même vague sur le nom de la ville, ou plutôt du village dans lequel il avait atterri.
La mairie ne faisait clairement pas son travail.
Son seul horizon était cette route, longée par des champs de fleurs et plus loin, les surplombant, une forêt épaisse qui s'étendait à perte de vue.
Ses doigts passèrent dans ses cheveux fraichement coupés avant de s'insulter mentalement de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il avait toujours son portable qui était resté fourré à l'arrière de sa poche. Dans quelques secondes, il serait en mesure de joindre son père et de lui demander d'aller le chercher.
Le portable déjà placé entre ses doigts fébriles, Jungkook vit s'afficher sur l'écran d'accueil un message de sa mère datant d'il y a plus d'une heure, et qui lui demandait s'il était bientôt arrivé.
Si seulement elle savait.
Ses parents étaient divorcés depuis cinq ans et profitant d'un calendrier universitaire décalé, Jungkook avait fait le choix de rejoindre la bicoque de son père; une modeste ferme située au bord d'une rivière, pour les deux prochains mois, désireux de changer d'air et d'aider à l'exploitation agricole.
La séparation avait été douloureuse, mais Jungkook aimait profondément chacun de ses parents.
Malgré la rancœur, il était passé à autre chose.
Maman :
Déjà en pleine nature, mon poussin ?
Moi :
Ouais mais pas celle que je voulais ! Je me suis endormie dans le train et j'ai raté mon arrêt 😑
J'essaie de trouver un moyen de faire marche arrière...
Ses sourcilles se froncèrent lorsque le message ne s'envoya pas. Le bout de sa langue vint taper avec agacement l'intérieur de sa joue, maudissant le manque cruel de réseau qui venait le priver de son unique moyen de communication avec l'extérieur.
Peut-être, que l'état du ciel, sombre et orageux, était en partie responsable de sa énième malchance, mais la cause n'avait plus d'importance.
Il se devait d'avancer.
Ses baskets battirent le bitume avec rage. Jungkook était résolu à longer le bord de la route principale en espérant tomber sur le centre du village, là où devaient se tenir au moins quelques habitations.
Le vent dans les cheveux, il dut marcher en ligne droite une bonne quinzaine de minutes avant de tomber sur son premier rondpoint, signe que la vie ne devait pas être loin.
Pour l'instant, il n'avait pas vu une seule voiture passer.
Les environs n'étaient pas plus animés que la gare qu'il avait tantôt foulée du pied, mais en s'approchant du carrefour, il eut la bonne surprise d'apercevoir quelques reliefs au loin, ponctués de bâtiments informes dont il peinait à deviner l'utilité.
Des maisons ? Des commerces ? Des bâtiments administratifs ?
Il n'en savait rien, mais le cœur de Jungkook bondissait d'espoir, ne serait-ce qu'à l'idée de croiser une forme de vie.
Avant de décamper de cet endroit beaucoup trop silencieux à son goût, il voulut s'approcher un peu plus du rondpoint, y captant une installation qui piqua sa curiosité.
Il chercha du coin de l'œil l'arrivée d'une nouvelle voiture, nullement enclin à se faire renverser dans un endroit qui devait être dépourvu d'hôpital à des kilomètres à la ronde, avant de traverser le bout de bitume qui le séparait d'une tour de marbre qui se dressait en plein milieu de cette intersection, et au pied de laquelle reposait une gerbe de fleurs impressionnante.
Soudain, le temps sembla se diluer, sous sa peau et dans ses membres, le garçon blêmissant après s'être penché pour lire les inscriptions gravées dans le granite.
Car au milieu de toute cette vitalité, les fleurs blanches égayant le froid de la pierre, une banderole ornementait son centre, ternissant le tableau d'une manière que le brun n'aurait jamais pu envisager.
Que repose en paix Jimin, un garçon à qui la vie a été retirée trop tôt.
La coïncidence était d'une morbidité glaçante, un prénom qui paralysa Jungkook sur place durant plusieurs longues minutes. Le chant des corbeaux jonchés sur les branches des arbres non loin de là finalisait une peinture qu'il espérait non prophétique.
Son cousin Jimin resterait en vie, il s'en assurerait.
Pris d'une urgence qu'il ne saurait expliquer, Jungkook commença à courir pour ne plus s'arrêter, ses yeux menaçant de lui picoter en repensant au prénom de son meilleur ami et cousin, mentionné dans une gerbe mortuaire.
Quelles étaient les probabilités ?
La respiration saccadée et les bronches compressées par un manque latent d'oxygénation, le garçon s'arrêta tous net lorsqu'à quelques mètres devant lui, il aperçut une silhouette se dessiner parmi les quelques bâtiments présents.
Malgré la fatigue autant physique qu'émotionnelle, Jungkook reprit sa course effrénée, ignorant au passage la douleur qui traversait ses reins à chaque fois que son lourd sac à dos rebondissait contre ses muscles et ses os.
Un accident de la route lui avait fragilisé le dos durant son enfance, et même s'il avait bénéficié d'une excellente rééducation, le jeune homme devait toujours se montrer prudent lorsqu'il sollicitait cette partie du corps.
À mesure que les mètres se faisaient avaler, sa vision de l'étranger s'affuta. Il semblait être un jeune homme et sa position ne disait rien de ce qu'il faisait. Il était simplement planté là, le visage tourné vers la forêt au loin.
Le cœur tambourinant, son engouement eut raison de sa prudence. Le regard rivé sur l'inconnu l'empêcha de repérer la grosse branche qui entravait son chemin et qui le fit tomber.
En quelques secondes, il se retrouva face contre terre, sauvé par de bons réflexes qui l'avaient astreint à poser ses deux mains au sol pour protéger son visage.
La douleur commença à enfler sur la peau de ses genoux et de ses mains éraflées. Psalmodiant des jurons à qui voulaient bien l'entendre, le garçon se retourna sur le dos pour finalement apercevoir le sang frais qui salissait son jeans déchiré.
Pour ajouter à sa peine, lorsqu'il releva le menton sur la cause indirecte de sa chute, la silhouette masculine avait déjà disparu.
Un mélange de surprise et de crédulité le gagna, persuadé qu'il n'avait pas rêvé sa présence, tout en s'imaginant que l'homme avait dû fuir face à un étranger.
Le trouble fit place à la stupeur lorsqu'au bout de la rue dans laquelle il venait de tomber, il vit se profiler un immense manoir en pierre qui, ô miracle, abritait une large pancarte à l'entrée de la propriété.
Gagné par une détermination nouvelle, Jungkook se releva avec précipitation et bientôt, ses pas le menèrent vers le lieu dont ses yeux ne pouvaient plus se détacher.
Ce manoir paraissait vivre hors du temps. Un vestige du passé qui n'avait en rien perdu l'éclat de sa beauté.
La pierre blanche qui le constituait était usée, mais elle offrait un certain cachet à la rondeur de ses tours. Son imagination le mena à se dépeindre en preux chevalier rentrant d'une mission, se repaissant d'un festin à en faire pâlir les plus grands seigneurs, au sein de son opulente demeure.
Les vitraux orangés de la double porte d'entrée donnaient - par leur éclat- une dimension quasi spirituelle au lieu, un avant-goût de l'immatériel et de ce qui se ressentait avant de se voir.
Jungkook fut tellement absorbé par le spectacle, qu'il faillit oublier la pancarte qui l'avait tant enthousiasmé tout à l'heure. Reculant de quelques pas pour se retrouver à sa hauteur, le garçon retint un cri de joie en apprenant, grâce à l'écriteau, qu'il se trouvait face à un musée.
« Bienvenu au musée Dupuytren, venez découvrir notre petit cabinet des curiosités ! », put y lire le jeune homme tout en se figurant ce qu'il y découvrirait s'il se décidait à visiter.
Il grimaça à l'idée d'y retrouver des fœtus déformés ou des veaux à trois têtes, emprisonnées dans leur bocal rempli de formol.
Son expérience dans ce genre de musée, initié lors d'un voyage aux États-Unis, ne lui avait laissé que très peu de bons souvenirs. Il s'était retenu de vomir tout du long.
Une masse noire de monde se dessina soudainement derrière la semi-transparence de la porte. Il s'agissait de plusieurs personnes dont les échanges lui parvenaient par-delà le vitrail de l'entrée et qui coupèrent brutalement ses tergiversations.
Des gens.
Il n'était plus seul.
Les deux battants de la porte s'ouvrirent et avec elles, plusieurs dizaines d'individus en sortirent le pas pressé, tellement qu'ils semblaient sur le point de courir.
Jungkook les vit défiler sans bouger l'ombre d'un cil.
Ce n'était pas tant la vitesse à laquelle ils s'enfuyaient qui l'avait perturbé au point de le réduire à l'impuissance, mais plutôt leur silence de plomb, si absolu qu'il se croyait à une marche funèbre.
Tantôt bavard, ce fut la soudaineté de leur silence, au moment de franchir la sortie du manoir, qui lui glaça les os.
Sans un bruit, ces personnes lui passèrent au travers, le contournant sans même lui décocher un regard.
Et pour la première fois, ça lui revint.
Il était un étranger dans un coin où absolument tout le monde devait se connaitre.
Ainsi, il était l'autre.
Son cœur se serra à l'idée que ces habitants n'étaient pas accueillants et que personne ne viendrait l'aider.
- Jaehyun, regarde ! Le petit doit être perdu... Pauvre petite biche égarée.
Ses pensées empêtrées par toute cette bizarrerie, Jungkook pensait ne pas entendre de voix humaine jusqu'à rejoindre un mode de transport décent, mais c'était sans compter les retardataires qui venaient de sortir du manoir, une petite famille en apparence tout ce qu'il y avait de plus banale.
L'attention du garçon fut d'abord happée par ce qui semblait être la mère, une femme si petite qu'elle ne devait pas dépasser le dessous de ses épaules.
Son chignon était impeccable et ses yeux de chat brillaient de chaleur, une humanité qu'il était bien heureux de retrouver chez cette inconnue.
Comblé de joie par l'inquiétude que cette quinquagénaire lui portait, Jungkook se précipita vers le petit groupe, les yeux larmoyants de détresse, mais faisant preuve d'une retenue certaine, ne voulant pas les faire fuir.
La fameuse retenue des circonstances.
- Madame, bonjour. J-je me suis perdu et je n'arrive pas à trouver un moyen de rejoindre la maison de mon père. J'ai beaucoup marché, vraiment ! Je-
Les mots s'échappaient de sa bouche alors que son buste s'inclinait profondément vers le sol, s'empêchant de les supplier de ne pas l'abandonner.
L'angoisse asséchait sa gorge et l'espoir faisait gonfler son cœur. Alors pour se donner du courage, le garçon inspira une bonne fois pour toutes avant d'ancrer ses grands yeux noirs dans le regard attentif de son interlocutrice qui, elle, n'avait toujours pas envisagé de l'interrompre.
- Je me suis endormi dans le train et je n'arrive pas à trouver un moyen de revenir sur mes pas. Pourriez-vous m'aider ?
- Regarde-moi ce bout de choux, il a l'air terrifié, fit la femme en regardant l'homme qui devait être son mari, c'est ce que Jungkook en avait déduit. Bien sûr que nous allons t'aider, nous ne sommes pas des monstres !
Une sensation de bienêtre déferla dans son corps et les épaules du garçon purent enfin se détendre.
Il était sauvé.
Pour finir de convaincre celle qui apparemment décidait de tout, Jungkook lui expliqua un peu mieux sa situation et le village dans lequel il devait se rendre au plus vite, au risque d'inquiéter son père.
Même si ces personnes restaient des étrangers, Jungkook n'hésita pas l'ombre d'un instant lorsque Haneul, c'est ainsi qu'elle s'était présentée, proposa de le prendre dans leur voiture afin de l'emmener vers la station de bus la plus proche, étant le seul moyen pour rejoindre la destination qu'il avait mentionnée.
Jamais il n'aurait agi ainsi dans n'importe quelle autre circonstance, mais il le sentait, le danger tapi dans l'isolement. Il était démuni et même si la méfiance et l'angoisse ne le quitteraient pas du voyage, il devait surmonter ses réflexes habituels pour retrouver son foyer.
Ça faisait mal, d'aller contre ses instincts, mais la rationalité devait l'emporter.
Présentant les personnes à ses côtés, les ongles vernis de Haneul pointèrent Jaehyun son mari, pour finalement hocher vaguement la tête vers leur fils, Taehyung.
Taehyung.
Au moment où Jungkook posa son regard sur le grand dadais, celui-ci le regardait déjà, en pleine contemplation du nouveau venu.
Ce Taehyung n'était pas le genre d'homme à s'embarrasser de quoi que ce soit, pas même de la bienséance, encore moins lorsqu'il s'agissait de profiter du beau, sous toutes ses formes.
Désarçonné par l'attention appuyée qu'il inspirait à ce jeune homme et surtout pour ne pas montrer qu'il commençait à rougir, Jungkook éleva sa main pour le saluer d'une manière plus maladroite qu'il ne l'aurait souhaité.
Ce garçon devait avoir à peu près son âge, ce qui encouragea Jungkook à poursuivre les présentations, d'autant plus que son visage lui paraissait étrangement familier, comme s'il l'avait déjà croisé.
Il lui inspirait confiance.
Seulement, à peine voulut-il mettre en action ses prétentions, que Taehyung lui rendit son geste d'un mouvement de tête placide , teinté d'un désintérêt visible, une expression nullement prompte à encourager une quelconque forme de conversation.
Pourtant juste avant, son sourire en coin n'avait pas échappé à Jungkook. Il l'avait quitté presque aussitôt que le brun l'avait aperçu, reprenant un air impassible tout en le toisant de haut, mais il ne l'avait pas rêvé.
Ce sourire avait quelque chose de beaucoup trop séduisant, d'un charme vénéneux. D'ailleurs, s'il n'était pas dans la mouise, Jungkook lui aurait probablement demandé son numéro. Rares étaient les occasions de tomber sur un canon pareil, comme il se plaisait à dire à chaque fois qu'il croisait un brun ténébreux sur le campus de son université.
- Suis-nous mon petit, la voiture est garée au bout de la rue. Oh mon dieu, souffla Haneul en lorgnant le pantalon du garçon, ton genou est tout éraflé, est-ce que ça va ?
Taehyung à sa suite, le garçon se cala sur les pas de la mère tout en la rassurant sur son état, préférant marcher à sa hauteur plutôt que de risquer un regard derrière lui. Mieux valait ne pas essayer d'apprécier la compagnie quelque peu perturbante du jeune homme qu'il venait de rencontrer.
Longeant l'allée située derrière le musée, Jungkook fit bientôt face à une Hyundai genesis, tout du moins, selon ses suppositions.
Il voulut sourire à la vue de la peinture d'un rose particulier, mais il retint tout juste son rictus. La perspective de se retrouver à nouveau dans la mouise parce qu'il se serait moqué des goûts de son propriétaire ne l'enchantait guère.
Sa mère était passionnée de mécanique et bien qu'il ne partageât pas cette appétence, Jungkook avait donné de son temps pour s'intéresser aux lubies de sa mère.
La portière avant grinça, puis se fit refermer d'un geste sec par Taehyung qui s'installa au volant, rejoint rapidement par son père, toujours aussi peu bavard, qui s'assit à ses côtés au-devant de la voiture.
Surpris et presque déçu de ne pas avoir eu cette place, Jungkook se ravisa lorsqu'il s'installa à l'arrière, derrière le siège du père et aux côtés de Haneul.
De toute façon, il quitterait le joli inconnu d'ici quelques heures, mieux valait donc de ne pas trop fantasmer.
- Attache ta ceinture s'il te plait. La météo est brumeuse aujourd'hui et je ne voudrais pas qu'il t'arrive quoique ce soit en cas d'accident, s'exclama la mère en s'adressant à Jungkook qui acquiesça vivement, tout en angoissant désormais à l'idée de braver des routes dépourvues de visibilité.
Avant de débuter le voyage vers sa délivrance, Taehyung glissa sa main dans la boite à gant et en sortie un bonnet noir, qu'il enfila en prenant soin d'y ranger les mèches brunes qui lui barraient la vue.
Tout en écoutant d'une oreille distraite Haneul déblatérer sur la variation du temps, Jungkook ne put s'empêcher de faire trainer son regard sur chacun des gestes du conducteur, définitivement fasciné par son visage ainsi mis à nu par la luminosité ambiante.
Ce visage qui donnait à entrevoir la personnalité de son possesseur, mais sans en dire trop.
Le rétroviseur en ligne de mire et un rayon de soleil traversant son visage, Jungkook eut tout le loisir de constater l'évidence.
Il était divin.
Ou délicieusement démoniaque peut-être, si le garçon prenait en compte cette aura écrasante qui se dégageait de lui sans qu'il n'ait besoin de parler pour l'exprimer.
Jungkook déglutit.
Dans son malheur, il en venait presque à regretter d'être tombé sur cette famille. Il en était sûr désormais, cette rencontre bien trop éphémère à son goût allait le frustrer pour tout l'été.
Le vrombissement du moteur donna le départ et bientôt, le calme reprit ses droits, Haneul s'étant enfin décidé à garder le silence.
Malgré sa nouvelle quiétude, une tension certaine tapissait encore ses muscles, un titillement qui ne cesserait que lorsqu'il prendrait son père dans ses bras.
Jungkook profita de cette inertie pour observer le paysage qui, doucement, commençait à glisser sous ses yeux mornes, fatigués par le méli-mélo d'émotions et le shot d'adrénaline qu'il venait de s'infliger.
Le garçon n'était pas un amateur de sensation forte. La vie l'avait plutôt épargné et par nature, il préférait davantage la sérénité des petites habitudes que l'adrénaline des grandes aventures.
Sa fenêtre à moitié ouverte, une brise chaude lui caressa les cheveux alors qu'il observait - le visage plaqué contre le creux de sa paume- les cultures de tournesols et de blés défiler à toute vitesse.
Le halo luminescent, presque solaire, qu'elles créaient, apportait de la joie dans un paysage qui lui avait paru fade, voire hostile, lors de son arrivée.
Mais ce joyeux tableau fut sabré par une brume qui voila progressivement la route, fine, mais s'étendant à perte de vue vers le lointain.
Cet endroit était définitivement étrange.
Quel genre de coin connaissait un brouillard pareil en plein milieu de l'été ?
Fasciné par le phénomène, ses doigts s'aventurèrent par-delà la vitre pour voguer sur un océan imaginaire, sa main mimant le déferlement des vagues.
Le filtre nuageux lui passait au travers, mais il essayait toujours de s'en saisir, de toucher l'impalpable du bout du doigt, comme un prolongement de la vie, tentant de posséder ce qu'il était impossible d'obtenir.
Jungkook avait parfois le goût de cet impossible.
- Tu sais...
Interrompu dans ses rêveries, le garçon sursauta, retirant sa main pour la poser finalement sur son genou.
- Les habitants de cette circonscription ne sont pas très aimables avec les étrangers, mais il faut les comprendre. On est une petite communauté et les gens de l'extérieur nous craignent souvent parce que l'endroit est isolé. On devient méfiant à force, parce qu'on a déjà eu des problèmes avec des non-natifs peu respectueux et qui s'amusaient parfois à détériorer le peu d'infrastructures qu'il nous a été permis d'installer, poursuivit Haneul pour détendre son invité.
La mère de famille était perspicace, elle avait perçu la nervosité du jeune homme et tentait de le rassurer. Jungkook stoppa le martèlement de son pied contre la moquette de la voiture lorsqu'il capta l'œil de Haneul fixant le mouvement.
Ce n'était donc que ça, un malentendu ? Face à la différence, chacun restait prostré dans ses a priori et finalement, tout le monde venait à se méfier de n'importe qui.
Cette explication tombait sous le sens et convainquit assez bien le jeune homme. Cependant et malgré les explications de Haneul, certaines de ses questions restaient sans réponse.
Après avoir lorgné le visage rassurant de la mère, Jungkook finit par prendre la parole, le regard rivé sur son jeans.
- Je ne voudrais pas être maladroit, mais je ne comprends pas. Pourquoi ne peut-on pas repartir d'ici depuis la gare et pourquoi je n'arrive pas à capter de réseau sur mon téléphone, même près des habitations ?
Ses dents emprisonnèrent sa lèvre inférieure lorsque le silence lui répondit. Il n'osait plus relever le menton, craignant que son intervention ait vexé la famille ou pire, qu'elle laisse à penser qu'il les prenait de haut.
- Tes questions sont légitimes mon pauvre Jungkook, finit par souffler Haneul, une main pressant doucement l'épaule du jeune homme. Nous n'avons pas assez de passagers, donc les passages du train sont extrêmement limités. Concernant ton portable, tu es juste malchanceux. Nous n'avons jamais eu un réseau très efficace, mais pas plus tard que la semaine dernière, une tempête s'est abattue dans les environs et nous sommes toujours en attente d'un réparateur.
Pouvant enfin souffler, Jungkook se détendit et releva le visage. Comme depuis le moment de leur rencontre, Jaehyun ne pipa mot et Taehyung lui, resta concentré sur la route, ses grandes mains serrant avec force le pourtour du volant.
Ces mains.
Jungkook voulut se gifler pour les images qui venaient de traverser son crâne. Son imagination était bien trop florissante, en particulier lorsqu'il s'agissait de sexe.
Heureusement, la mère de cette tentation le sauva de lui-même en reprenant un flot incessant de paroles.
- Tu te rends dans un coin de campagne, mais je suis sûre que tu viens de la ville. Tes vêtements ne trompent pas, ni ta panique à te retrouver dans un endroit tel que celui-ci. Je me trompe ?
- Non, vous avez raison. Je vis avec ma mère à la capitale, là où se situe ma fac de psychologie, répondit-il avec timidité.
Il n'avait pas l'intention de raconter sa vie, mais il s'y contraignit. Après tout, rien ne les obligeait à prendre un parfait inconnu dans leur voiture. La confiance devait régner dans les deux camps, car Jungkook pouvait être n'importe qui, une personne dangereuse peut-être.
Même s'il ne l'avouait jamais à haute voix, lui, Jeon Jungkook, ne l'aurait jamais fait. Il n'aurait pas pris un type sorti de nulle part dans sa voiture.
En digne fils de ses parents, le garçon appliquait toujours les commandements élémentaires tels que : ne jamais faire confiance aux étrangers.
Le simple fait d'avoir suivi cette famille allait à l'encontre de ses principes, mais parfois l'exception était reine, surtout lorsqu'il était question de sa survie.
- C'est très impressionnant, mon garçon ! Tu entends ça, Taehyung ?
À la mention de son prénom, Jungkook effleura du regard le rétroviseur pour y croiser un bref moment celui du conducteur. Taehyung montrait une expression enjouée, en dépit de ses phalanges blanchies par la pression qu'elles exerçaient autour du volant.
Un mélange détonnant, qui désorienta notre étudiant.
- Ouais, j'ai entendu.
Lorsque ses lèvres se détachèrent l'une de l'autre pour manifester son étonnement face à la profondeur de cette voix, il réalisa que c'était la première fois qu'il entendait Taehyung prendre la parole.
- C'est intéressant. Tu dois être intéressant, Jungkook.
Désespéré d'entendre de nouveau cette voix, Jungkook s'agita sur son siège, balbutiant quelques mots maladroits avant de pouvoir formuler une phrase complète.
Il était si nerveux qu'il n'était plus sûr de ce qu'il venait de lui demander, et le sourire de Taehyung ne le rassura pas.
Le ridicule ne tuait pas, mais il pouvait ruiner vos chances de faire chavirer un cœur ou plutôt...Un corps.
La chance l'abandonna une nouvelle fois lorsqu'une ombre passa devant la voiture.
La pédale de frein fut massacrée par le pied de Taehyung qui tenta d'éviter la bête qui venait de leur faire obstacle, mais il réussit tout juste à reprendre le contrôle du véhicule lorsqu'un bruit terrible suivit la collision avec le corps de l'animal.
Malgré sa ceinture de sécurité, Jungkook était sonné. Son corps était subitement parti vers l'avant et il s'était légèrement cogné la tête contre la vitre. Des acouphènes tenaces entravèrent son ouïe plusieurs secondes, la nuisance dans son oreille interne l'empêchant d'entendre ce que Haneul était en train de lui dire.
- Jungkook ? Jungkook, tu vas bien ? Tout le monde va bien ? finit par entendre de manière étouffée le garçon, reprenant peu à peu pied avec la réalité.
Avec hâte, ses mains se mirent à tâter son visage ainsi que son corps, avant de réaliser dans un souffle de soulagement qu'il ne souffrait d'aucune blessure.
Lui aussi intact, Taehyung détacha sa ceinture pour aller voir de plus près ce qui avait causé l'incident.
De leur côté, les parents ne semblaient pas vouloir le suivre, au contraire de Jungkook, qui fut soudainement pris d'une envie démesurée de quitter l'habitacle de la voiture pour rejoindre le grand brun.
L'air se raréfiait à mesure que son anxiété grossissait, comme une tache d'encre sur un bout de papier. Il voulait enfin être en mesure de respirer.
En sortant de la voiture, il capta pour la première fois un geste humain de la part de Jaehyun. L'homme qu'il prenait pour un automate se retourna sur son siège pour prendre la main de son épouse et y déposer un baiser.
Gêné de porter un œil inquisiteur sur cette scène presque intime, il se détourna rapidement de la marque d'affection et retrouva un Taehyung figé, les bras ballants devant une masse qu'il dissimulait par sa silhouette.
Une fois arrivé à sa hauteur, le repas du jeune homme menaça de remontrer le long de sa gorge, choqué par l'ignoble vision dont il fut affligé.
La voiture avait renversé un cerf, une bête immense, sans doute trois fois plus lourdes que Jungkook et Taehyung réunis.
Tout à la fois dégouté et fasciné par ce spectacle, Jungkook se rapprocha avec prudence pour évaluer si l'animal pouvait être sauvé, mais c'était déjà trop tard. Une odeur rance, celle de la mort, piqua ses narines à la seconde où ses pieds rencontrèrent un liquide visqueux et rougeâtre.
L'impact avec la carrosserie avait brisé l'un de ses majestueux bois, rendant le spectacle plus bouleversant encore. La pauvre âme était étalée sur le bitume, ses entrailles gisant du trou béant dans son ventre. Et alors qu'une mouche vint se déposer sur l'œil agonisant de l'animal, Jungkook sut que c'était déjà la fin.
Lorsque la créature déposa son regard dans le sien, une émotion toute particulière étreignit son cœur, une tristesse qui le poussa à fourrer sa main dans le pelage caramel du cerf, caressant ses poils hirsutes d'un calme froid pour l'accompagner dans la fin.
Ça pouvait paraitre stupide, mais Jungkook restait persuadé que personne ne voulait mourir seul, et les animaux ne faisaient pas exception à la règle.
Rattrapé par le fatalisme de sa condition, quelques secondes plus tard il mourut, dans un dernier râle d'agonie qui retourna l'estomac de l'étudiant.
Jungkook ne l'avait pas quitté des yeux, tout à la fois subjugué et terrifié de côtoyer la faucheuse d'un peu plus prêt et de voir l'énergie d'un être vivant s'évanouir comme s'il n'avait jamais existé.
L'étincelle avait disparu dans le néant, rejoignant toutes les autres dans la déchirure béante.
La vie était partie ainsi, sans pouvoir s'accrocher à rien et Jungkook trouvait ça injuste.
À vrai dire, ça lui donnait envie de pleurer.
Ce n'était qu'un animal, mais le résultat était le même. Le spectacle l'avait mis face à sa condition de mortel, une prise de conscience de sa propre finitude et de la fragilité de sa situation.
Sa gorge se noua et ses yeux se remplirent de larmes incontrôlables.
Tout ceci était injuste et jamais, jamais il ne pourrait se résoudre à l'accepter.
Déjà accroupie près de le la bête désormais inerte, Jungkook tomba à la renverse lorsqu'une main glacée lui pressa l'épaule.
- Tout va bien ?
Ce n'était que Taehyung.
Bien sûr que c'était lui, ils étaient absolument seuls sur la route.
Jungkook finit par se ressaisir et hocha vivement la tête, tout en rejetant l'aide de Taehyung pour se relever. Reprenant peu à peu ses esprits, il souffla de soulagement lorsqu'il constata qu'il n'était pas tombé dans la flaque de sang.
Dans des gestes survoltés et imprécis, les mains du jeune homme époussetèrent ses vêtements, comme si l'action permettait de chasser la gêne d'avoir presque pleuré pour un animal renversé.
Pris au dépourvu, son cœur fit soudainement des siennes lorsque Taehyung enroula ses doigts autour de la fine peau de son poignet, le trainant en arrière pour, il l'avait compris, l'éloigner de la scène qui venait de le bouleverser.
- Tu es sûre que ça va ? répéta Taehyung en relâchant sa prise.
Jungkook aurait juré que dans le mouvement, le pouce de Taehyung avait caressé brièvement son épiderme.
- J'ai toujours était sensible, ne fais pas attention, répondit-il dans un rire peu convaincant en essuyant les larmes coincées aux coins de ses yeux.
Une sourde terreur vrombissait toujours de ses orteils jusqu'à la racine de ses cheveux, assez teigneuse pour ne pas se dissiper sous les marques d'attention de son aîné. Ses crises d'angoisse étaient rares, mais quand elles le prenaient, il devenait presque impossible de les déloger. Elles s'en allaient comme elles étaient venues, ces petits monstres de l'inconscient plus ou moins conscients.
- Ne sois pas gêné avec moi, Jungkook. Je peux lire en toi, tu n'as pas besoin de faire semblant.
Ses yeux de biche s'agrandirent et fixèrent pour la première fois les iris mordorés de Taehyung, sans embarras ni hésitation. Si le garçon était un livre ouvert, alors Taehyung était un mur de pierre, dur et insondable, sans doute impénétrable. Et bien que ses pensées noires n'étaient jamais très loin, ce magnétisme suffit pour le moment à éclipser son effroi.
Il était persuadé de pouvoir plonger dans les profondeurs gargantuesques de ce regard. Jusqu'à s'y perdre, jusqu'à avoir compris les mystères les plus insondables de cet univers.
- On doit y aller. Le ciel est bien trop lourd, un orage se prépare.
La voix rocailleuse le sortit de sa transe, rappelant à son souvenir que son but premier était de partir d'ici. Le plus rapidement possible d'ailleurs, en dépit de sa rencontre avec le beau ténébreux.
⁂
Presque une heure était passée depuis leur accident.
Il s'avérait que l'animal pesait extrêmement lourd, sa carcasse s'étant révélée difficile à déplacer sans être souillée par ses restes macabres.
Quand ils reprirent la route, la nuit n'était pas tout à fait tombée, mais la pénombre était suffisamment épaisse pour forcer le conducteur à user des phares de la voiture.
L'absence d'éclairages publics ne rassurait pas Jungkook. Sa vision était restreinte à un maigre périmètre et usant de son imagination malgré lui, les champs de blé tantôt idylliques se transformèrent peu à peu en ombres bizarroïdes, dont les pourtours donnaient l'impression qu'ils étaient prêts à le dévorer.
- Jungkook ?
Même si cette femme avait été la première personne à le sortir de son cauchemar, sa soudaine prise de parole crispa le garçon, en particulier lorsqu'il comprit qu'elle ne lui dirait pas ce qu'il voulait entendre.
- Je sais que tu es pressé, mais il fait nuit et à cause de notre petit incident, je crains que le dernier bus de la journée ne soit déjà passé.
- Mais qu'est-ce que je vais pouvoir faire ? répondit le brunet d'une voix tremblante, ses dents rongeant déjà l'un de ses ongles.
- Si ça te convient, tu peux rester chez nous pour la nuit. Ça ne nous dérange pas et Taehyung te conduira à la gare la plus proche, dès l'aube. N'est-ce pas, mon chéri ?
Le jeune homme acquiesça sans un mot, surement concentré à ne pas avoir de second accident.
Jungkook pensa que ce n'était pas un bavard, contrairement à sa mère, mais s'interroger sur la singularité du beau garçon n'était pas son principal sujet de préoccupation.
À court d'option, il savait qu'il devait accepter la proposition qui venait de lui être faite, mais bon sang, ce qu'il n'aimait pas ça.
Dormir dans un lieu inconnu était selon lui l'une des pires sensations au monde. Plus encore, il craignait que ses parents n'aient déjà lancé la police du pays à sa recherche, faute d'avoir eu de ses nouvelles depuis plusieurs heures.
Malgré le divorce, ils restaient très protecteurs de leur fils et même si bon nombre de ses camarades trouvaient ça insupportable, lui, savait apprécier à sa juste valeur cette preuve d'amour.
Elle le rassurait, cette idée d'être toujours accompagné, celle d'avoir toujours quelqu'un sur qui se reposer.
Assis dans la voiture d'une autre famille, dans un coin de pays autre que le sien, Jungkook voulut revoir ses parents. Il le voulait très fort. C'était presque régressif, ce sentiment de revenir à l'état de bambin qui avait désespérément besoin d'une présence parentale pour lui souffler que tout irait bien, et que finalement, ce monde n'était pas si cruel que ça.
Et parce que ces drôles d'individus semblaient être la seule porte de sortie, le seul moyen de rejoindre les êtres qu'il aimait, il accepta de poursuivre l'aventure.
Bien qu'il finirait par s'endormir et que cette étrange journée sombrerait dans le puits de ses souvenirs, elle resterait cet amas d'images flous prompt à refiler des frissons rien que d'y repenser. Peu importe, car finalement, ce souvenir finirait par disparaitre dans les bras chauds d'une mère ou le sourire tendre d'un père.
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Intervalle 2 : errance fiévreuse
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Une odeur de brûlé s'infiltra dans ses narines, ses yeux voguant à la recherche de son origine.
La faim tenaillait son estomac. Jungkook était toujours assis sur le siège arrière de cette voiture vieillotte, soulagé de n'avoir que pour seule compagnie le silence, ainsi que la nuit qui l'accompagnait.
Il s'avérait que la famille Kim -nom de famille qu'il découvrit lorsque Haneul rabroua sans fils pour son manque de vigilance sur la route- n'habitait pas dans le semblant de village abritant la gare maudite, mais dans une communauté limitrophe, plus importante en taille et installée au cœur de la forêt.
Ce lieu de villégiature parut curieux à Jungkook, une localisation atypique qui pouvait avoir un certain charme, de ce charme du secret et de ces lieux qui ne sont habitables que par ceux qui ont appris à l'aimer et à l'apprivoiser.
La voiture bifurqua sur une route qui n'était pas balisée. Le bitume se substitua à de la terre battue et les champs, à de la végétation opaque. Ils venaient de pénétrer les bois, sa demeure pour la nuit.
Un cadre de vie sympathique, mais toujours est-il, qu'il la sentait encore, cette odeur de brûlé.
Ce n'était pas comme un feu de cheminée. Elle ne réveillait aucun souvenir en lui, de ceux passés à skier sur la poudreuse avant de rejoindre le chalet de ses parents, imprégné de son odeur de pin caractéristique.
Elle restait insaisissable pour le jeune homme bien qu'il puisse en percevoir des effluves terreuses et rances. Quelque chose de vieux et de pourri, comme si l'air n'avait pas été renouvelé.
Désormais enfoncé dans les bois, Jungkook n'y voyait presque plus rien, à part des arbres à perte de vue, grands et maigrelets, ponctués par les yeux rouges d'animaux nocturnes, premiers propriétaires de ces terres.
La fragrance devint de plus en plus entêtante et par automatisme, Jungkook vint pincer l'arête de son nez, s'étonnant en jetant un œil aux autres passagers de constater qu'il était le seul à percevoir le remugle.
Prêt à ouvrir la fenêtre pour dissiper l'odeur, le garçon se figea lorsque, en plein milieu du chemin, la voiture s'arrêta bien qu'aucune sorte de village ne se dessinait aux allants tours.
- Il y a un problème ? On est à court d'essence ?
La voix distordue par l'étrange pressentiment qui l'étouffait, il détacha sa ceinture, clignant plusieurs fois des paupières lorsque le vide lui répondit.
À présent, il était seul dans cette voiture.
- Hey... O-où êtes-vous passé ?
Ses yeux étaient restés braqués sur l'extérieur plusieurs longues secondes. Pour autant, il lui paraissait techniquement impossible que les autres aient pu quitter la voiture sans qu'il ne s'en rende compte.
Déjà prêts à sortir de ce bout de ferraille pour partir à la recherche de la petite famille, ses doigts se crispèrent sur la poignée de la portière lorsqu'un bruit - bien trop proche de sa position- fit bondir son cœur.
Il ne provenait pas de l'intérieur de la voiture, mais par nature, il restait le genre de bruit qui éveillait les sens pour de mauvaises raisons. Il était un grattement bref sur la surface métallique de la voiture qui réveillait la part de terreur irrationnelle en Jungkook.
- Taehyung ? souffla d'une voix incertaine le garçon, se convainquant toujours qu'il se faisait des films.
Seulement le bruit se répéta, se rapprochant toujours un peu plus d'un garçon paralysé par la peur.
- Ce n'est qu'un petit animal. Ce n'est qu'un petit animal. Ce n'est -
La portière à ses côtés s'ouvra et le garçon, dans un réflexe inespéré, la referma immédiatement tout en enclenchant le bouton de fermeture automatique.
La respiration haletante et les yeux hagards, il ne fallut pas longtemps pour que lui parviennent d'autres manifestations, plus fortes et moins espacées, semblant cette fois-ci provenir de partout autour de lui.
Comme si on l'encerclait.
Handicapé par la pénombre, Jungkook enjamba l'obstacle pour se retrouver au niveau du siège avant du conducteur, plaquant son visage poupin contre le pare-brise pour tenter de discerner quelque chose.
Un silence s'ensuivit où retenant son souffle, il scruta ce qui ne restait que du noir. Encore et encore du noir, ponctué par le mugissement du vent passant entre le feuillage des arbres.
Sa vigilance en berne, un premier cri de terreur lui échappa lorsqu'une main ensanglantée se plaqua contre la surface en verre, juste en face de son visage.
Reculant d'un geste vif, son corps se plaqua contre le siège tandis que la main, seul élément visible depuis sa position, glissa jusqu'en bas de la vitre en laissant dans son sillage une large trainée de sang noirâtre.
Même si tout ceci n'avait aucun sens, il jurerait avoir aperçu la forme d'un sourire parmi les ombres.
Tremblant comme une feuille, ses yeux se remplirent de larmes lorsque le même manège se répéta, mais en pire, et qu'une nuée de mains s'abattirent avec force tout autour de la voiture, d'une intensité telle que l'objet se mit à valdinguer dans des mouvements saccadés.
- Pitié ! Arrêtez, pitié ! hurla Jungkook à s'en déchirer les cordes vocales.
Le garçon se recroquevilla un peu plus contre le fond du siège, ses genoux ramenés contre son buste et son visage s'y plaquant fermement dans le futile espoir de se protéger contre la personne ou tout du moins, contre ce qui semblait vouloir le rejoindre dans la voiture.
Seulement la menace ne lui laissa aucun répit, car même s'il s'était privé de la vue, une voix aux intonations gutturales, trainarde, résonna dans les bois. Des gargouillis de sons qui n'étaient pas vraiment des mots.
Ce qui se trouvait à l'extérieur tentait visiblement de communiquer, mais Jungkook n'y comprenait rien et de toute manière, il ne le voulait pas.
Son instinct de survie refaisant surface, il se jeta sur la boîte à gant pour y chercher quelque chose, n'importe quoi, qui pourrait l'aider à se défendre.
Ses doigts tâtonnèrent à l'aveugle jusqu'à effleurer une surface irrégulière et métallisée.
Un canif.
Il prit le couteau, mais l'objet retomba sur ses genoux aussi vite que son courage lorsqu'un visage humanoïde, mais déformé, se colla à la surface de la vitre à sa droite. La chose était boursouflée, violacée, et Jungkook perdit momentanément conscience lorsqu'il réalisa qu'elle était dépourvue de dents et qu'une entaille impressionnante située de chaque côté de sa bouche laissait entrevoir l'os de ses pommettes.
La panique paralysa aussi bien ses membres que ses pensées, mais un détail l'empêcha de sombrer. Il s'aperçut que le monstre continuait de s'adresser à lui. Tout du moins, c'est ce qu'il en déduisait, sa moitié de visage arrachée appuyait contre la vitre comme s'il voulait désespérément le rejoindre.
Alors il le fixa, il finit par y arriver parce qu'il ne pouvait pas faire autrement. Les battements de son cœur se calmèrent peu à peu et il écouta. Il écouta ce que la bête avait à dire, dans un langage qui ne parvenait pas à sa compréhension.
Prit d'un élan d'empathie, sa main se plaqua à côté de la chose, au niveau de sa joue presque intacte.
- Qu'est-ce que tu veux ? souffla-t-il dans un chuchotement, même s'il pensait que son action restait vaine.
Il aurait voulu qu'on lui réponde, mais le temps d'un battement de cil, la créature avait disparu.
Bien que légèrement frustré, il put reprendre sa respiration, soulagé d'être à nouveau seul.
Encore aux aguets, le garçon se redressa sur son siège et serra le canif entre ses doigts si fort contre lui que le rebord de la lame transperça son t-shirt, éraflant sa peau.
Le noir l'engloutissait toujours et ses pensées s'entremêlaient dans un dédale de scénarios sans queue ni tête lorsque l'effroi infiltra chaque pore de sa peau.
Un souffle caressa soudain sa nuque.
Une haleine chaude et humide qui lui arracha un frisson désagréable.
Le regard de Jungkook remonta avec lenteur sur la moquette de la voiture, puis sur le pare-brise, pour finir par tomber avec hantise sur le reflet du rétroviseur.
Un cri resta bloqué dans le fond de sa gorge lorsqu'à travers ce reflet, il distingua une paire d'yeux jaune dépourvue de paupière et qui le regardait déjà.
C'est alors qu'il les sentit, des doigts ou plutôt des griffes, glisser sur ses épaules pour les tirer vers l'arrière, pour l'attirer contre lui.
Jungkook voulut parler et se débattre, mais rien n'y faisait. Alors il fixa son canif, bien qu'il sût qu'il était trop tard, que bientôt il finirait déchiqueté par la bête et qu'il deviendrait comme elle, son âme errant à jamais dans cette tombe à ciel ouvert.
Un son glissa du trou béant lui servant de bouche, mais il était si bas que Jungkook pensait qu'il n'était qu'un râle, un rugissement primal précédant son futur repas. Les ongles de la bête s'enfoncèrent à nouveau dans sa chair et son t-shirt s'imprégna de son sang.
C'était un monstre et c'était un homme. C'était les deux à la fois. Il n'était plus de ce monde, mais il n'était pas totalement parti.
Jungkook parvint enfin à hurler et pleurer et ce fut en osant regarder la mort dans les yeux qu'enfin, il comprit ce que l'épave d'un homme avait voulu dire, depuis le début.
- Aide-moi.
Les pleurs de Jungkook s'intensifièrent, alors que les griffes s'enfonçaient un peu plus dans sa poitrine.
- Aide-moi !
La créature, sans pitié, réitéra son appel de détresse pendant que ses ongles acérés tentaient d'atteindre son cœur.
- Aide-moi Jungkook !
Le goût du sang infiltra sa bouche lorsque son organe fut sur le point d'être arraché. Une douleur aiguë le transperça et la dernière image qu'il soutira à sa conscience fut celle de son cœur encore palpitant logé au creux de la main de son bourreau.
- Jungkook...
Et c'est ainsi que le garçon cessa ses lamentations et se laissa aller dans les bras d'un sommeil ultime, des images de ses parents infiltrant l'envers de ses paupières.
Pour mourir.
- Jungkook !
Les appels se multiplièrent et peu à peu, ses poumons s'imprégnèrent de nouveau d'oxygène, ses pupilles balayant frénétiquement les lieux.
Il était de retour dans la voiture.
Haneul était à ses côtés et lui secouait vivement le bras.
Ce n'était qu'un horrible cauchemar et on venait de le réveiller.
Comment avait-il pu imaginer tout ceci ?
Tout avait paru si réel, et si douloureusement palpable.
Puis ça fit tilt d'un coup, dans un coin de sa tête, alors que les tremblements de son corps s'affaiblissaient en même temps que sa conscience émergeait de nouveau : les médicaments pour ses allergies.
Ils prenaient des antihistaminiques pour ses allergies au pollen, essentiels lorsqu'il rendait visite à son père. Consommé à forte dose, le médicament provoquait des hallucinations. Or Jungkook avait surdosé sa dernière prise en prévision de son périple à la campagne.
Sa nuque lui parut douloureuse lorsqu'il fit l'effort de regarder dans les yeux Haneul pour lui assurer que tout allait bien. Le père de famille était déjà sorti et attendait devant la voiture, comme blasé par son invité, tandis que Taehyung se mettait déjà en route pour l'intérieur de la maisonnée qui se dessinait plus loin.
Jungkook voulut rapidement passer à autre chose, souhaitant avant tout oublier ce foutu cauchemar et ce talent qu'il s'était découvert, à se montrer sous un jour défavorable depuis sa rencontre avec ses sauveurs du jour.
Taehyung devait le prendre pour une pauvre petite chose peureuse et incapable de se débrouiller par ses propres moyens, mais en même temps, la situation n'était pas commune et Jungkook faisait du mieux qu'il pouvait.
Après avoir récupéré son sac à dos et sans se poser plus de questions, le garçon fit à son tour claquer la portière du véhicule, respirant l'air frais -vivifiant- de cet écrin de nature.
Les jambes engourdies par le trajet, il se retrouva sur un terrain plat, entouré d'arbres immenses où quelques maisonnées étaient installées de façon éparpillée, aussi mignonnes qu'un dessin d'enfant s'imaginant sur une terre enchantée.
Il n'était pas très tard, pourtant, ils étaient les seuls à profiter de l'extérieur.
De la lumière filtrait des fenêtres environnantes - petits points lumineux dans cet amas sombre - mais personne n'arpentait le lopin de terre, pas même un bambin jouant au ballon pour se défouler.
Tout en marchant vers le chalet en bois vieillis leur faisant face, Haneul expliqua que les habitants étaient disséminés dans toute la forêt, et que seuls quelques bâtiments construits par leurs soins leur servaient à se retrouver pour organiser la vie en communauté.
Tout en tournant la poignée de la porte, la mère de famille se vanta des prouesses de ses habitants, qui parvenaient à vivre en autosuffisance ou presque. Un groupe de personnes qui avait fait le choix de vivre loin de tout, pour établir une vie qui leur paraissait plus saine et pleine de sens.
La plupart des gens auraient jugé ce choix et les auraient traités de tarés, mais pas Jungkook.
Le monde dans lequel il vivait ne lui plaisait pas non plus, sur bien des points, alors il en arrivait presque à admirer les personnes suffisamment courageuses pour essayer de changer les règles d'un jeu déjà tronqué au départ.
Lorsqu'il passa le pas de la porte, un sourire de contentement se dessina sur ses lèvres, la chaleur du foyer soulageant ses membres meurtris par la baisse de température typique d'un début de soirée.
La décoration du chalet était un tantinet kitch, mais elle rendait le tout chaleureux. De nombreux cadres décoraient les murs en pin et le sol était couvert de tapis aux couleurs bariolées. Ce n'était pas du goût de Jungkook, mais l'agencement avait le mérite de donner un semblant de vie au lieu.
Une moue ennuyée barra son visage lorsqu'après d'âpres recherches, il ne trouva pas une seule photo de Taehyung petit, accrochée aux murs.
Pendant que Haneul préparait le dîner, le garçon avait été encouragé à déposer ses affaires dans la chambre de Taehyung pour enchaîner avec une douche bien méritée.
Depuis son arrivée, le beau brun était introuvable, mais il finit par le croiser dans ladite chambre, allongé nonchalamment dans son lit avec un livre à la main.
Bien que ce n'était pas son but premier en grimpant les escaliers le menant à l'étage, Jungkook s'était retrouvé à lorgner le corps de son hôte, alors que celui-ci ne l'avait pas encore remarqué.
Il avait passé une terrible journée, ce pour quoi il comptait bien en tirer le positif là où il pouvait se trouver.
Ne désirant pas passer encore une fois pour un type qu'il n'était pas, il finit par manifester sa présence tout en déposant son sac à dos à côté de la porte déjà ouverte, demandant dans un sourire timide, mais charmeur, où se trouvait la salle de bain.
Il ne releva pas la manière dont Taehyung souffla d'ennui lorsqu'il reposa son ouvrage à moitié lu sur le matelas ni la manière dont il se dirigea vers le couloir sans un mot pour son invité. Pourtant, il avait paru se soucier de lui, sur cette route, alors que le plus jeune s'était retrouvé démuni face à la mort violente de cet animal.
En avait-il marre de ses sensibleries ? S'était-il juste montré poli face à un inconnu ? Ou était-il simplement un crétin de première ?
Il essayait de ne pas le prendre mal.
D'abord, parce qu'il était content d'avoir un toit au-dessus la tête. Ensuite, parce que lorsque Taehyung était sorti de la pièce, un simple frôlage d'épaule contre la sienne mêlée au parfum qu'il avait capté, avait suffi à réveiller sa libido.
Jungkook était un garçon insatiable, mais ce Taehyung le rendait particulièrement sensible, à un point où il se trouvait ridicule.
Une fois débarrassé de la froide présence de son hôte, le garçon verrouilla à la hâte la porte de la salle de bain, se déshabillant tout aussi rapidement pour ne pas perdre de temps.
Bientôt, l'eau chaude coula le long de son corps. Jungkook resta captivé de longues minutes par le carrelage orange aux motifs psychédéliques recouvrant les murs à l'intérieur de la cabine de douche.
Cette maison semblait tout droit sortie d'un catalogue de décoration des années 70.
Malgré sa fascination, Jungkook se dépêcha de savonner ce corps qu'il avait tant travaillé à la salle de musculation. Une rigueur maintenue dans l'espoir de chasser ses complexes, sans s'y être parfaitement parvenu.
Le malaise qu'il ressentait jusqu'à présent se dissipa lorsqu'une serviette s'enroula autour de sa taille. Il détestait être nu dans une maison qu'il ne connaissait pas.
Lorsqu'il revint dans la chambre, ses mèches humides plaquées en arrière, vêtu d'un ensemble de sport noir, Taehyung n'était plus dans son lit et son livre avait été déposé sur le guéridon à ses côtés.
La configuration avait changé, un matelas et des draps avaient été installés au sol, non loin de la couchette du grand brun.
Ce gars ne tenait donc pas en place.
Un peu déçu de ne pas pouvoir lui faire la conversation, Jungkook se perdit dans sa contemplation, détaillant l'agencement de la pièce avec l'envie d'en apprendre plus sur son coup de cœur à l'humeur volage.
À vrai dire, il n'y avait pas grand-chose à observer. Les murs étaient tristement blancs, des murs qui abritaient un pêlemêle de meubles qui ne disaient rien de son propriétaire.
La curiosité de Jungkook aurait pu se contenter d'une modeste photo ou d'un grigri de son enfance, mais rien.
Quoiqu'à y regarder de plus près, deux éléments dénotaient dans l'espace impersonnel.
Les livres, d'abord.
Des livres partout. Pas seulement rangés à la suite dans les rayonnages d'une bibliothèque, mais absolument dans tous les recoins : sur le bureau, dans les tiroirs, sur la table de nuit et même... au sol.
Le parquet supportait le poids de plusieurs piles d'ouvrage entassées, tellement hautes, que certaines atteignaient le nombril du garçon.
Si Taehyung les avait tous lus, son désir de faire un peu mieux connaissance avec le mystérieux jeune homme n'en était que redoublé.
Il devait en connaitre des choses.
Et puis, il y avait ce hamac face au lit qui, au-delà de la double fenêtre, donnait une vue imprenable sur le paysage mirifique.
Ne sachant pas s'il devait chercher Taehyung à travers la maison ou rester pour attendre le début du dîner, la fatigue de Jungkook décida à sa place et finalement, le garçon s'installa dans le siège suspendu.
Son corps se laissa bercer par le mouvement de balancier, alors que ses pensées se faisaient la malle, remplacées par la quiétude du rêveur. Le garçon avait mille raisons de s'angoisser comme il avait l'habitude de le faire, mais pas maintenant. Pas quand ses muscles détendus par la chaleur de la douche se plaisaient à relâcher la pression, pas quand l'odeur musquée de Taehyung emplissait ses narines, alors qu'il était confortablement emmitouflé dans son pantalon de jogging et son large pull à capuche.
Les rebondissements de la journée avaient eu raison de son énergie habituelle, mais il ne voulait pas pour autant fermer un œil. Jungkook craignait encore de s'endormir et de refaire le même rêve. Alors à la place, il fixa le plafond morne sans grande conviction, en quête d'un repos bien mérité.
Malgré l'ennui et à force d'observer le même endroit avec acharnement, Jungkook réalisa que la surface n'était pas exempte d'un quelconque motif, car si l'on se montrait un brin observateur, on pouvait y desceller comme des mots. Des lettres finement peintes les unes à la suite des autres et qui formaient un cercle. Le rond formait une phrase, mais Jungkook était incapable d'en faire la traduction. C'était définitivement une langue qu'il n'avait jamais apprise.
Inconsciemment, son bras se leva et ses doigts s'étirèrent, essayant d'atteindre l'inscription tout en sachant que c'était impossible.
Sans doute que la position aurait perduré si une pichenette ne venait pas de lui être assénée.
- Hey ! râla le garçon en portant une main à son front.
Il comptait proférer la première insulte qui lui vint à l'esprit, lorsqu'un visage un peu trop parfait et des yeux un peu trop vides entrèrent dans son champ de vision.
- Le dîner est prêt.
Taehyung était déjà en train de revenir sur ses pas quand un certain Jungkook lui agrippa le bras pour le retenir.
- Tu as quel âge ?
Taehyung toisa la main posée sur son biceps et immédiatement après, Jungkook la retira.
- Je veux dire, on n'a pas trop eu l'occasion de discuter alors je me disais que-
- 24 ans. Et toi, Jungkook ? Ne me dis pas que tu es plus âgé que moi, je ne te croirai pas.
Le garçon se releva ou plutôt essaya, sa tentative ayant presque abouti à une chute lorsqu'il s'extirpa du hamac dans des gestes mal contrôlés.
- Et tu aurais raison puisque j'ai 21 ans, répondit-il maintenant qu'il faisait face à son aîné. Du coup, tu fais quoi toi, dans la vie ? Ta mère a eu l'occasion de me demander ce que je faisais comme étude alors je suis curieux, renchérit-il, désespéré de prolonger ce moment et d'en apprendre davantage.
Cependant, son enthousiasme se fana aussi vite que l'intérêt que Taehyung avait semblé porter à Jungkook.
Sa neutralité l'avait exaspéré, mais Jungkook la préférait à l'expression actuelle de son aîné.
Celui-ci s'était rapproché de quelques pas et grâce à ce rapprochement, Jungkook bénéficiait d'une vue d'exception sur le visage intimidant de son hôte. Ses sourcils étaient légèrement froncés et ses lèvres auparavant pleines et aguicheuses n'étaient plus qu'une fine ligne décorant le bas de son visage.
Taehyung était agacé.
- Effectivement, tu es bien trop curieux. Ne faisons pas attendre mes parents.
Et il se détourna, claquant la porte sans se soucier du trouble qu'il avait provoqué chez ce joli garçon rempli de bonnes intentions.
Jungkook était en effet un gentil garçon, mais le comportement de son aîné avait fini de l'exaspérer. Il se montrait impoli, insensible et son physique avantageux ne pouvait pas le sauver à chaque fois.
Toujours ahuri par les réactions de Taehyung, le plus jeune resta planté devant la porte un certain temps, avant de revenir à lui lorsque des bruits provenant du rez-de-chaussée lui firent reprendre pied avec la réalité.
On l'attendait.
- Tant pis pour lui, il ne sait pas ce qu'il rate, souffla Jungkook pour lui-même avant de sortir à son tour de la chambre.
Assis autour de la table, il préféra se concentrer sur les bonnes odeurs qui se dégageaient des plats fumants, plutôt que l'étrange ambiance du repas.
Il s'apprêtait à se servir une première fois quand une voix doucereuse l'interrompit.
- Il faut d'abord prier, Jungkook.
Le temps que le sens de cette phrase parvienne à son cerveau, Jungkook écarquilla légèrement les yeux, conscient de l'impair qu'il avait failli essuyer.
Bien qu'il ne fût pas croyant, il s'excusa et joignit ses mains, imitant les parents en fermant les yeux pour attendre le moment où il pourrait enfin remplir son estomac affamé.
Il n'adhérait à aucune doctrine, mais il en profita pour demander à une force supérieure de rejoindre son père sans encombre et en dernier lieu, même si ce malotru ne le méritait pas, de faire succomber Taehyung pour la nuit.
Il paraissait le détester, mais Jungkook restait un éternel optimiste.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, tout le monde le fixait avec insistance, mise à part l'objet de ses prières païennes qui ne daignait lui accorder son attention, bien plus fasciné par les motifs de son assiette en porcelaine que les yeux de biches qui le scrutaient avec insistance.
Jungkook avait mis sans doute un peu trop de cœur à la formulation de son souhait et il n'avait pas senti le temps passer.
Il en avait marre de se sentir gêné.
Haneul mit fin à son supplice lorsqu'elle se saisit de son assiette pour la remplir d'un morceau de gibier qu'il ne pouvait identifier et d'une purée qui, elle, semblait appétissante.
Ennuyé par un silence qu'il avait du mal à supporter, Jungkook préféra se concentrer sur sa nourriture, bien que le morceau de viande ne fût pas touché.
Il lui rappelait la mort de ce cerf sur la route. L'image de ses prunelles globuleuses ne voulait plus le quitter.
- Parle-nous un peu de toi. Pourquoi avoir choisi la psychologie pour tes études ?
Bien que le son de l'horloge murale commençât à le rendre dingue, Jungkook le préférait encore à devoir se confier sur sa personne, d'autant plus lorsque cela touchait à des morceaux assez intimes de sa vie.
- Pour tout vous dire, c'est...C'est à cause de mon cousin, Jimin. Quand j'étais plus jeune, il a souffert d'une dépression sévère et il a failli ne pas en ressortir indemne. À l'époque, ses parents n'avaient pas voulu aller voir un spécialiste parce que ça coûtait trop cher et que c'était vraiment mal vu d'aller voir un psy.
Ces souvenirs ravivèrent des plaies qu'il aurait préféré de pas rouvrir devant des inconnus, mais si cette journée lui avait appris quelque chose, c'était en partie, de lâcher du lest sur ce qu'il ne pouvait pas contrôler.
- Ça m'a fait beaucoup de mal parce que j'adore mon cousin, alors j'ai décidé que mon objectif serait d'ouvrir un cabinet abordable aux plus modestes et travailler à démonter les préjugés sur les maladies mentales et les troubles psychologiques.
- Tu es un ange, mon petit, c'est fou ! Vous entendez ça les garçons ?
Les deux acquiescèrent, Jaehyun se montrant toujours aussi passif et Taehyung n'ayant toujours pas daigné relever son regard de la table.
Génial, il ne veut même plus voir ma tronche, se plaignit intérieurement Jungkook, alors qu'il n'avait nullement eu l'intention de passer pour un fayot.
La suite du repas ne fit que l'enfoncer un peu plus. Haneul passa l'heure qui suivit à s'extasier sur le parcours et les aspirations de son invité sous le silence terriblement malaisant des autres.
Taehyung s'était d'autant plus renfermé, serrant la mâchoire tout du long, avant de quitter la table sans demander la permission.
Même si elle avait essayé d'être discrète, Jungkook avait intercepté ces nombreux coups d'œil vers son fils, indéchiffrables, surement pour le convaincre d'être plus aimable avec le « monsieur parfait » de la soirée.
Jungkook se détestait.
Avec l'approbation de la mère de famille, le garçon finit par sortir de table le ventre plein, mais le cœur serré à l'idée de passer la nuit avec un jeune homme qui le méprisait.
Sans surprise, Taehyung était absent de sa chambre. Pour tenter d'aplanir les choses entre eux, Jungkook prit son courage à deux mains et arpenta la maison à sa recherche.
Il finit par tomber sur une ombre filiforme, assise à même le sol, sur un tas de feuilles mortes au fond du jardin familial.
Le profil enchanteur de Taehyung contemplait la pleine lune qui surplombait le ciel, le buste penché en arrière et une clope pendue aux lèvres.
À pas de loup, Jungkook s'approcha. Il grimaça à chaque fois que ses chaussures cassaient une branche ou faisaient rouler un caillou.
Il finit par se stopper à quelques mètres de lui, se sentant soudainement trop timide pour le déranger dans son petit moment de paix.
Taehyung était une force tranquille. Une âme solitaire qui ne supportait pas les jérémiades d'un gosse en mal d'attention. À l'épier ainsi, droit comme un piqué et la bouche entrouverte, Jungkook se sentit idiot et bizarre. Il n'avait aucune chance avec un tel homme, un garçon mature et peu enclin à s'intéresser aux futilités.
Taehyung lui avait fait comprendre qu'il était inutile d'espérer et pourtant il s'accrochait, quand bien même demain, son hôte redeviendra un étranger.
Le froissement des feuilles titilla ses oreilles lorsque ses chaussures le ramenèrent avec lenteur en arrière. Il était si proche de la porte vitrée qu'il se persuada de sa victoire, avant qu'une voix basse, mais puissante, ne retentisse dans l'intimité de la nuit.
- Je sais que tu es là, alors approche, chantonna Taehyung en recrachant une volute de fumée au-dessus de sa tête.
Il l'avait donc entendu.
Bien sûr qu'il l'avait fait, Jungkook ne se situait qu'à quelques pas de lui et le garçon n'était doté d'aucune aptitude particulière en matière de dissimulation.
Et même si sa fierté lui commandait de tourner les talons et d'ignorer un jeune homme qui l'avait snobé, son cœur prit le relais et le mena aux côtés de Taehyung.
Son fessier sentit bientôt le moelleux de l'herbe et son visage prit la même direction que celle de son voisin, s'émerveillant de la voute stellaire pour mieux oublier que leurs genoux se touchaient presque.
Le moment était propice au calme et à la contemplation, mais l'odeur qui se dégageait de la fumée soufflée par Taehyung troubla la quiétude du jeune garçon.
Son nez capta une odeur à laquelle il n'était pas accoutumé, mais qu'il savait reconnaitre après avoir écumé plusieurs fêtes organisées par sa filière à la fac.
Taehyung ne fumait pas de cigarette. Il savourait son joint chargé de marijuana comme si cette drogue restait son seul hameau de paix, son passeport pour un entretien entre lui et lui-même.
Jungkook lui, n'aimait ni cette odeur, ni même le principe de consommer une substance qui altérait les sens.
- Tu en consommes souvent ? s'enquit Jungkook sans une once de reproche dans la voix.
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?
La réponse avait été immédiate et sans appel. La question n'en était pas une, elle était une attaque. Gratuite et agressive, encore une fois.
- Rien, tu as raison. Je n'en ai rien à foutre.
Cette phrase, formulée froidement et de manière expéditive, s'était frayée un chemin de son esprit jusqu'à ses lèvres sans qu'il ne puisse contrôler cette impulsion soudaine.
Taehyung était à craquer et le jeune homme ne s'énervait pas facilement, mais sa patience avait des limites.
Des proches qui aujourd'hui n'en étaient plus avaient déjà profité de sa douceur et de ses insécurités pour le rabaisser. Alors Jungkook avait décidé, un petit matin où des larmes l'avaient submergé après une énième brimade, que plus jamais il n'oublierait sa valeur, que plus personne ne se permettrait de marcher sur son amour propre.
Il sentait le regard insistant que Taehyung posait désormais sur lui, mais il s'en fichait. Jungkook continuait de fixer un point invisible loin devant lui, décidé à retourner dans la chambre pour s'enfoncer dans son couchage jusqu'au petit matin.
Ses mains se posèrent sur la terre pour se relever, mais la voix de Haneul interrompit son entreprise.
- Eh merde, marmonna Taehyung dans sa barbe tout en fermant les yeux de dépit.
Comprenant que le jeune homme risquait d'avoir des ennuis, Jungkook lui prit des mains le fameux joint avant de tirer plusieurs tafs avec empressement.
Sa décision avait été aussi impulsive que celle qui l'avait poussé à envoyer bouler son aîné un peu plus tôt.
Il retint tout juste ses toussotements lorsque la mère de famille fit irruption dans le jardin situé à l'arrière de la maison, les poings solidement ancrés sur ses hanches.
- Kim Taehyung je t'ai déjà dit de-
La quinquagénaire se figea en découvrant les deux garçons assis l'un à côté de l'autre, l'un brandissant avec plus ou moins de conviction le bâton d'herbe en se retournant dans sa direction et l'autre, ne quittant pas des yeux le plus jeune.
- Taehyung, si tu as donné ça au petit je te jure que-
- Non-madame !
Les yeux du garçon se fermèrent en constatant à quel point sa voix s'était faite aiguë et beaucoup plus forte qu'il ne l'aurait voulu.
- Je veux dire, c'est à moi. Je m'excuse si ça vous dérange.
- Je ne veux pas de ça chez moi, tu l'éteindras dès que je suis partie, répondit Haneul après quelques instants d'hésitation, quittant son enthousiasme habituel pour montrer son agacement.
Craignant d'être jeté dans la forêt au beau milieu de la nuit, le garçon acquiesça honteux, même s'il ne faisait que couvrir Taehyung.
Une fois seuls, une grimace traversa sa figure, déplorant les effets du joint qui ralentissait ses réflexes. Il tira sur son bras pour ne plus respirer aucune fumée.
Sa langue était pâteuse et ses vêtements devaient déjà empester la substance.
Son père allait le tuer.
- Ton joli minois n'était pas crédible une seconde, mais merci, éluda Taehyung en lui assénant un léger coup d'épaule, profitant de la surprise du plus jeune pour récupérer son dû.
- Ne fais pas le mec sympa. Je sais bien quelle opinion tu te fais de moi. J'ai bien compris que j'étais qu'un emmerdeur à tes yeux, alors pas la peine de faire semblant parce que je t'ai aidé, grommela-t-il sans cacher la facticité du rire qu'il venait d'esquisser.
Puis plus rien.
Son courage était à la mesure de sa confiance en lui.
Elle arrivait par fulgurance, mais un rien suffisait à l'éclipser.
Désormais, son attention était dédiée à ses baskets, préférant se questionner sur un tout un tas de sujets inutiles, plutôt que de regarder à nouveau en direction de son aîné.
Il l'avait rembarré, mais il espérait toujours avoir une place dans sa chambre.
Même s'il n'avait pas été d'une grande véhémence, Jungkook avait presque envie de pleurer. Il n'était pas le genre de garçon à se fourrer dans des situations à risque. Bien au contraire, il les fuyait comme la peste.
Comment avait-il atterri dans ce coin perdu et accepté de son propre chef de dormir dans cette maison ? Pourquoi avoir désespérément cherché l'approbation d'un parfait inconnu, aussi séduisant, fût-il ?
Sa force n'était plus à démontrer, mais il était toujours exposé, son talon d'Achille : les autres.
Il voulait tellement attirer les regards et les convaincre. Hurler à la face du monde qu'il était une bonne personne. Qu'il méritait d'être admiré et accepté pour ce qu'il était. Qu'il méritait d'être aimé.
Deux doigts vinrent relever d'un coup sec son menton, l'obligeant à ouvrir grand les yeux devant ce qu'il considérait être un véritable saut dans le vide.
Taehyung le confrontait à son regard.
- Ne présume rien de moi, Jungkook. Tu n'as aucune idée de qui je suis, ou de ce que je pense de toi.
Le doigt de Taehyung glissa sur le tranchant de sa mâchoire, caressant la peau de Jungkook d'une légèreté pareille à celle utilisée auprès du danger, comme s'il craignait de se couper sur l'os.
- Tu n'as vraiment aucune idée, insista Taehyung dans un triste murmure, comme s'il confiait ici un lourd secret.
Soit ce type était un très bon acteur, soit il avait un problème pour exprimer ses émotions.
Jungkook ne pouvait pas penser autrement.
Venait-il de flirter avec lui ou venait-il de s'illusionner, encore une fois ?
La question était d'une importance capitale, mais elle pouvait attendre.
Changeant d'humeur pour la cinquième fois de la journée, Taehyung soupira avant de s'allonger dans les feuillages, jambes écartées et bras derrière la tête afin de caler confortablement sa nuque.
Sa plainte avait paru sincère à Jungkook. Il avait l'impression que le plus âgé venait de lâcher quelque chose et qu'il se déchargeait d'un poids pour montrer qu'il était un jeune homme normal, dévoré par ses propres problèmes.
Alors Jungkook patienta, parce qu'il savait que derrière ce silence momentané se cachait une volonté de se confier.
- Je n'ai rien contre toi. Tu me rappelles simplement mes pires regrets.
Jungkook retint un certain enthousiasme en ayant visé juste, prouvant à l'instant que ces études avaient été choisies de manière consciencieuse. Il était en effet un fin observateur, à défaut de pouvoir s'intégrer dans la masse.
- Tu dois croire que je te jalouse pour tous les compliments que ma mère t'a faits ce soir, mais c'est faux. Simplement, ton parcours réveille des envies que je devais et que je dois toujours taire.
- Comment ça ?
Son intention n'avait nullement été de bégayer, mais Jungkook avait l'impression de marcher sur des œufs. Il voulait que son aîné poursuive ses explications, qu'il lui fasse confiance. Ce désir lui dévorait les entrailles.
- Je ne peux pas quitter cet endroit, jamais. Et quelque part, tu représentes mon plus grand échec. Toi, tu es libre de nourrir tes ambitions tandis que moi, je suis condamné à une vie qui ne me ressemble pas.
Un éclair de tristesse barra le visage de Jungkook et ne sachant que faire pour le réconforter, il s'allongea à son tour sur la pelouse, usant de toute sa bravoure pour oser entremêler son petit doigt à celui de Taehyung qui ne fit rien, mais ne le rejeta pas non plus.
- Que veux-tu alors ? Ça m'intéresse beaucoup, moi.
Peu enclin à répondre dans l'immédiat, Taehyung s'empara de sa main et la serra un peu plus fort, leur attention toujours rivée sur ce qu'il se passait au-dessus de leur tête, alors qu'une chouette venait de passer au-dessus d'eux.
- Je ne sais pas. Pas exactement. Je rêve juste d'un ailleurs. D'une autre vie peut-être, moins solitaire.
Dans une synchronie presque parfaite, tous deux tournèrent leurs visages pour faire face à celui de l'autre, leurs mains toujours intimement enlacées.
- Tu le mérites. Il n'est jamais trop tard, tu sais, souffla Jungkook pour éviter de songer à la moiteur de sa paume ou aux battements effrénés de son cœur.
Le visage de Taehyung se fendit d'un sourire. Pas d'un rictus séduisant ou moqueur, mais d'un véritable éclat de joie, une marque qui remontait jusqu'à ses yeux et qui donnait à voir la dentition quasi parfaite de son aîné.
- Adorable, répondit Taehyung l'œil pétillant.
Cet instant était sans doute le meilleur de la journée. Jungkook était aux anges. Même s'il ne le connaissait pas, le garçon sentait comme une douce familiarité en sa présence. Taehyung était particulier dans son genre, mais le sentiment inextricable persistait à chaque fois qu'il entendait sa voix ou percevait sa présence.
Il se sentait en sécurité.
Lorsque le plus âgé se releva sans prévenir, interrompant ainsi le contact entre leurs deux peaux, il se retint de contester sa décision.
Désemparé, Jungkook le contempla sans moufter. Pas même quand Taehyung fut debout, une main tendue vers lui.
- Allons dormir, tu ne voudrais pas rater ton train.
⁂
La forêt étouffait le moindre éclat de lumière.
Si des autocollants fluorescents n'avaient pas décoré le plafond de la chambre, Jungkook aurait été plongé dans une pénombre qui n'aurait pas arrangé son angoisse.
Essayant de faire abstraction de la sensation rampante, il s'amusait à imaginer un Taehyung enfant, coller ces autocollants en forme d'étoiles et de planètes avec l'aide de ses parents.
La vision réchauffa son cœur sans pour autant éclipser l'ombre qui miroitait à sa surface.
Le garçon était actuellement emmitouflé dans son sac de couchage, alors que son voisin avait déjà sombré dans les méandres du sommeil.
Après leur seul moment de complicité partagé, les deux jeunes hommes étaient remontés à l'étage et s'étaient couchés sans un mot ou presque.
Bien que rien ne semblait vouloir se concrétiser, Jungkook avait espéré. Beaucoup espéré.
Espérer quoi ?
Les contours de ses désirs restaient imprécis, mais l'inaction du beau brun avait effrité quelque chose en lui.
Sans doute que son charme avait commencé à agir, mais ça n'avait pas été suffisant pour que cet inconnu veuille ne serait-ce que parler avec lui pour le reste de la nuit.
Ses pensées tournaient en boucle dans sa tête, comme une voiture filant à toute vitesse sur une route sur une ligne droite qui ne connaissait pas de fin. C'était une mauvaise habitude qui lui collait à la peau, mais Jungkook n'avait jamais pu s'en débarrasser.
La sérénité induite par l'ennui restait une inconnue, le jeune homme ayant presque besoin de s'inquiéter pour tout, tout le temps.
Maintenant, c'était à propos de son père. Il s'inquiétait que son père ne s'inquiète.
Le genre de logique qui rendait fou.
Ses lamentations s'effilochèrent sur un temps indéfini, s'écoulant depuis des minutes, des heures peut-être. Son apitoiement aurait pu voir le jour se lever avec lui, si le son d'un grattement provenant du plafond n'avait pas fait sursauter Jungkook.
En réaction, son corps se recroquevilla sous le duvet de son couchage, la couverture désormais remontée jusqu'à hauteur des yeux.
Malheureusement sa peur ne put tarir grâce à la chaleur de ses draps, car en effet, le grattement fut remplacé par un bruit sourd, comme si quelqu'un vivait là-haut, au-dessus de sa tête. Or la chambre se situait au dernier étage de la maison et les parents dormaient au rez-de-chaussée.
Jungkook tenta de se rassurer. Après tout, ce genre de vieille bâtisse était la plupart du temps doté d'un grenier. Sans doute qu'un rongeur s'amusait à lui ficher la frousse sans le savoir.
Ses mains vinrent frictionner son visage, alors que le garçon étouffait un rire de dépit. Il se trouvait ridicule, encore une fois. Et c'était si bon de se dénigrer, presque comme une drogue.
Son profil se pencha sur le côté et Jungkook se retrouva à contempler l'espace vide qui se trouvait entre le lit de Taehyung et le sol. Dormir par terre juste à côté de cet espace sombre aux pourtours indéfinis ne le ravissait pas.
Il gardait cette peur infantile, presque universelle, d'imaginer ce qu'il ne pouvait voir, comme si le simple interstice dissimulait un univers de cauchemar. Une dimension parallèle peuplée de créatures terrifiantes prêtes à dévorer quiconque oserait faire dépasser son pied du lit, périmètre de sécurité.
Jungkook fixa un moment le dessous de ce lit, une mauvaise sensation remontant le long de son échine et comme il le pressentait, son dernier cauchemar vint le hanter. À croire que l'endroit était un portail à la croisée des songes et du réel.
Il revit ces yeux jaunes, ceux qui les avaient fixés tout en lui déchirant la poitrine, hurlant son désespoir tout en écartelant sa chair.
Au bord des larmes et sans penser aux conséquences de son geste, l'angoisse fut un poids soudainement trop lourd à supporter seul. Ses jambes frappèrent dans le vide jusqu'à se débarrasser des couvertures et bientôt, Jungkook fut allongé au côté d'un jeune homme toujours aussi paisible dans son sommeil.
La peur du rejet ne fut pas un frein lorsqu'il se rapprocha du corps endormi pour savourer la chaude présence, soupirant d'aise en humant ce parfum rassurant. À bien l'observer, Taehyung paraissait moins intimidant ainsi, plus accessible aussi.
Ses traits étaient détendus, une beauté mise en valeur par la douceur inattendue qui s'en dégageait.
Jungkook avait désiré bien des corps lors de sa courte existence. Pourtant, il n'avait jamais ressenti un tel magnétisme, de ce genre d'attraction qui ne pouvait s'expliquer par les mots.
Mue par une force extérieure à sa propre volonté, ses doigts osèrent s'aventurer sur le bras de son aîné, à moitié sortis des draps.
Peu importe ce qu'il risquait, Jungkook ne voulait qu'une chose : sentir sa peau brûler sous les caresses du bel homme.
Sans trop se l'avouer, il restait un romantique dans l'âme, mais il ne s'était jamais embarrassé d'une histoire d'amour. Seul comptait l'assouvissement immédiat de ses désirs, peu importe si l'expérience se trouvait être, au bout du compte, en deçà de ses attentes.
Comme en cet instant, il n'avait nulle autre prétention que de savourer ce qu'il parviendrait à obtenir, même si ce n'était que la compagnie d'un autre désir qui se confrontait au sien.
Alors ses caresses se poursuivirent, innocentes, dérivant bientôt sur l'épaule de Taehyung. Le visage de Jungkook s'approcha, mais avant qu'il ne puisse toucher la joue de son aîné, une main lui agrippa soudainement le poignet.
- Que penses-tu faire ? s'enquit Taehyung d'une voix presque trop sérieuse bien qu'interloquée.
Soudainement, le sommeil semblait ne jamais l'avoir atteint, son regard dardant imperturbable, le garçon qui s'agitait sous sa poigne. Leurs visages se faisaient face alors que leur corps se touchaient presque sous les couvertures. Son aîné s'était réveillé de façon si subite que Jungkook n'arrivait plus à anticiper la suite, alors même que des doigts glacés l'empêchaient de retourner à sa couchette pour enterrer sa honte.
Leur soudaine proximité finit de brouiller ses pensées, son corps continuant de lui rappeler la raison de cette déconvenue, au départ.
Même si ses chances étaient minces et malgré l'air renfrogné de son voisin, Jungkook voulait pour une fois oser exprimer ses désirs, peu importe à quel point tout ceci pouvait paraître tout à la fois fou, et incongru.
Il n'y pensa pas à deux fois lorsqu'il embrassa promptement Taehyung, sa bouche s'éloignant de l'autre si vite qu'il avait à peine sentit la texture de ces lèvres.
Puis le sentiment de honte le rattrapa et face à la mine figée de Taehyung, ses yeux s'agrandirent sous le poids de la réalisation.
- Mon dieu Taehyung, je suis désolé ! Je ne sais pas ce qui m'a pris, je crois que le stress me fait faire n'importe quoi.
Toujours occupée à tenir le poignet de son cadet, l'autre main de Taehyung vint s'emparer du visage du garçon, pressant sa mâchoire tout en rapprochant leurs deux visages.
- Tu me fascines.
Un début de sourire déforma ses lèvres lorsqu'il déposa la main emprisonnée du plus jeune sur son propre torse.
- Tu ne sais même pas si j'aime les hommes.
- Ch'est pas le cas ? baragouina le garçon, incapable d'articuler tant la prise de l'autre était ferme sur ses deux joues.
Les évènements prenaient une drôle de tournure et l'échange de regard n'en finissait pas. Faisant preuve d'une insouciance rare, Jungkook n'avait pas réfléchi aux réactions de Taehyung. Il avait oublié à qui il avait à faire ; un homme indéchiffrable et imprévisible qui, il en était sûr, serait toujours aussi énigmatique après l'avoir fréquenté des années durant.
Taehyung semblait amusé, mais d'une certaine façon, son expression était marquée par la retenue. Une tension que le plus jeune était incapable d'interpréter et qui le faisait redouter sa petite folie.
- C'est plus compliqué que ça, finit par répondre Taehyung en souriant de nouveau d'une manière plus naturelle, mais presque mélancolique.
- Et... Et moi, tu m'aimes bien ?
La crainte n'eut pas le temps de le saisir que Taehyung retirait déjà la main qui emprisonnait son visage pour cette fois-ci l'embrasser avec fougue, sa bouche se mouvant de façon presque lascive, paresseuse, contre la sienne.
- Tu ne sais pas ce que tu veux, finit par souffler Taehyung, profitant de cette interruption pour se rapprocher un peu plus de Jungkook, leurs jambes désormais entremêlées.
- Je te veux toi. Si tu veux bien.
Sa demande était fiévreuse, la gêne et l'hésitation ne trouvaient pas de place pour se loger quelque part en lui. Il ne pouvait en être ainsi, pas quand le désir faisait bouillir son bas ventre d'une intensité jamais expérimentée.
Sans surprise, le brun répondit par les gestes, roulant sur le dos pour que Jungkook puisse chevaucher son corps. Taehyung cala son dos contre la tête de lit, ses mains remontant sur les hanches de son cadet alors que celui-ci haletait déjà.
Faisant valser ses dernières réserves, Jungkook se jeta sur son amant pour l'embrasser avec passion, enroulant ses bras autour de sa nuque pendant que son bassin entamait déjà des mouvements de balancier prompts à faire augmenter la température.
Le plus âgé ne brida pas tout de suite les désirs de l'autre, laissant le garçon se déchaîner tout en répondant à sa ferveur, sa langue se rajoutant à l'équation pour mieux faire gémir celui qui en recevait les faveurs.
Puis soudainement tout s'arrêta.
Deux grandes mains immobilisèrent les hanches de Jungkook et bientôt, il ne sentit plus aucun contact, mis à part le souffle régulier de Taehyung sur sa joue rougie par les émotions.
- Je suis sûre que tu as couché avec beaucoup d'hommes.
Déconcerté par sa remarque déplacée, Jungkook reprit sa respiration, le désir soudainement ombragé par une pointe de méfiance.
Il n'avait pas l'impression que la jalousie avait parlé, mais Jungkook ne savait que penser de cette réaction. Peu importe l'explication, si reproche il y avait, il ne comptait pas ravaler sa fierté. Même s'il restait empêtré dans de mauvais réflexes, Jungkook s'efforçait de ne pas oublier sa valeur.
Considérant cela, Taehyung faisait figure de test.
Auparavant, il aurait tout fait pour satisfaire un homme comme lui, même si cela signifiait qu'il devait baisser les yeux pour ça.
- C'est vrai, mais je n'en ai pas honte. Et si ça te pose un problème, je peux retourner à ma couchette tout de suite et on aura plus besoin de se parler. Jamais.
Toujours avachi sur les cuisses de Taehyung, le plus jeune ne s'attendait pas à sentir un rire profond résonner dans la poitrine du plus vieux, un éclat sincère qui témoignait de son amusement.
Son sourire et plus encore son rire étaient presque criminels tant ils le rendaient beau. Une réaction désarmante pour un visage qu'il était plus encore.
- J'étais sûr que tu avais du répondant, s'esclaffa Taehyung, encerclant tout d'un coup sa taille comme s'il était un butin qu'il venait de s'accaparer. J'aime ça. Je savais que tu étais spécial.
Jungkook savait que c'était mal, de frémir rien qu'à l'entente de ce simple petit mot : spécial.
Étudiant les mécanismes de la pensée humaine à longueur de journée, il savait que son obsession pour la reconnaissance avait quelque chose de malsain. Une manière de combler un vide qu'il était encore incapable de remplir par ses propres moyens.
Pourtant il revenait toujours au même point, à supplier du regard un parfait inconnu pour qu'enfin il veuille bien le dévorer tout cru, lui et ses insécurités.
Mais cette aventure était différente des autres.
En partie parce que dans ce regard infernal se lisait un intérêt véritable, une manière de le considérer qu'il le faisait sentir important : comme si Taehyung pouvait lire en lui, le vrai, celui qui ne se cachait pas derrière sa rigueur scolaire et son apparente désinvolture à la fac.
Un frisson parsema sa nuque lorsque des lèvres prirent à nouveau d'assaut les siennes, une bouche plus survoltée que tout à l'heure et qui bientôt s'amusa à mordiller sa lèvre inférieure pour ensuite tirer doucement dessus.
Douceur éphémère, Jungkook s'accrocha plus durement aux épaules de son amant quand le goût du sang se diffusa sur sa langue. La fougue presque déraisonnable de Taehyung était un puissant aphrodisiaque, une drogue comparable à nulle autre.
- Qu'attends-tu de moi, exactement ? murmura Taehyung alors que le grésillement des insectes nocturnes empêchait le silence de peser davantage sur la chambre.
Avant même d'avoir sa réponse, Taehyung embrassa à nouveau Jungkook, cette fois-ci plus tendrement, caressant son dos comme pour se faire pardonner pour la morsure.
- Que je me montre doux et que je te fasse oublier tes peurs ? poursuivit-il alors que ses mains glissaient de plus en plus bas sur le corps de son cadet.
Celui-ci se laissait faire sans avoir la force de rétorquer, tout juste capable de survivre aux attentions qu'on lui prodiguait. Un amant déroutant qui n'hésita pas à accélérer soudainement le rythme de leur échange.
La langue de Taehyung vint chercher la sienne, avide de son goût, tandis que le plus jeune interrompit le tumulte en gémissant de surprise. Sentir ses fesses se faire agripper à pleine main l'avait rendu fou, désespéré de se perdre dans les bras de Taehyung, peu importe ce que celui-ci voudrait bien lui offrir ce soir.
- Ou qu'on tente des choses un peu plus... originales, toi et moi ? réponds-moi petit ange ou j'arrête tout.
- Fais ce que tu veux bordel. Je suis à toi cette nuit.
À ces mots, les doigts de Taehyung s'enfoncèrent dans la chair tendre de ses hanches, montrant pour la première fois que son cadet avait lui aussi du pouvoir sur ses réactions.
- Tu ne devrais pas dire ce genre de chose à la légère, répondit Taehyung d'une voix lourde, l'excitation entravant ses cordes vocales.
La lumière de la lune pour seul témoin, Jungkook se retrouva bientôt seul sur le matelas, le grand brun se levant du lit sans prévenir pour se diriger d'un pas confiant vers son bureau. Après avoir déplacé quelques piles de bouquins, il put accéder au tiroir du meuble et en sortit plusieurs bougies. Lorsque Taehyung se retourna à nouveau, ce fut pour se confronter à cette silhouette élancée qui le lorgnait de ses yeux de biches éberluées.
Le bas de son dos s'appuyait contre le bureau, détendu, alors qu'une des bougies tournoyait entre ses doigts habiles. Percevant l'incompréhension de Jungkook, il finit cependant par prendre la parole.
- Il est temps de réchauffer l'ambiance, tu ne penses pas ?
Hypnotisé par le timbre chaud de sa voix, Jungkook se contenta de hocher frénétiquement la tête, sans doute trop enthousiaste pour l'occasion, mais il ne se rendait plus compte de rien.
- Bien. Alors j'aimerais que tu enlèves un vêtement à chaque fois que j'allume une bougie et surtout que tu me regardes, tout du long. Tu pourrais faire ça pour moi ?
- Oui !
La réponse avait fusé sans prendre le temps de la réflexion, ses envies parlant à sa place. Rouge de honte, il plaqua son visage contre ses mains sans pour autant avoir le temps de s'apitoyer.
- Qu'est-ce que je viens de dire ? Regarde-moi Jungkook.
Cette question n'en était pas une, elle était un reproche. Sa demande n'était pas une requête, elle était un ordre. L'air sévère de Taehyung éclipsa la moindre de ses réticences. Il ne savait plus s'il voulait la faire disparaître ou s'il voulait préserver cette expression de marbre chez son amant qui faisait durcir son membre encore emprisonné dans son caleçon.
Son petit jeu était intimidant, mais Jungkook s'exécuta presque religieusement, retirant un premier vêtement lorsque Taehyung alluma une bougie pour la poser à côté du lit.
Au début, l'effeuillage resta sage, rien de trop audacieux ni de trop révélateur, une façon de repousser l'échéance pour se donner du courage.
Une chaussette vola à travers la pièce, puis une autre et ce fut bientôt au tour du t-shirt. Un moment qui dura plus longtemps, à la fois par crainte de ne pas plaire au plus âgé, mais aussi pour le faire languir aussi longtemps qu'il le pouvait.
Son buste gracile fut ainsi révélé. Jungkook peinait à soutenir le regard de l'autre, mais il ne regretta pas de s'être accroché lorsqu'il vit Taehyung se lécher inconsciemment la lèvre.
Ne percevant que le bruit de sa respiration agitée et celle de son amant, plus posée, les doigts de Jungkook finirent par s'aventurer sur l'élastique de son pantalon pour le tirer d'un coup sec vers le bas, luttant intérieurement pour ne pas récupérer la couverture et couvrir ce corps mal aimé et mal aimable.
Tourmenté par ses insécurités, les battements de son cœur s'emballèrent sous l'effet de l'angoisse. Il ressentit un froid qui n'avait rien à avoir avec la météo extérieure qui faisait frissonner ses bras.
- Tout va bien, souffla Taehyung avant de retirer lui aussi son t-shirt, un sourire rassurant se dessinant sur ses lèvres. Tu n'es pas seulement Jungkook ce soir, tu es celui qui me rend fou et que je désire plus que quiconque. Comprends-tu ?
Son sourire était retombé et la force avec laquelle il avait affirmé son attirance pour Jungkook avait brisé ses dernières réticences.
Se dévoiler ainsi, sans pudeur à un parfait inconnu, était terriblement gênant. Mais cet homme sublime le voulait lui, et sans qu'il puisse se l'expliquer, une connexion immédiate s'était tissée entre eux.
Il avait l'impression que les filtres étaient inutiles avec Taehyung. Les origines de cette alchimie étaient inexplicables, mais il était certain désormais qu'il voulait savourer la chance de l'avoir rencontré.
Alors il se détendit, l'excitation remonta en flèche et sans qu'il ne se cache une seule fois, la dernière bougie fut allumée. Le corps désormais nu de Jungkook, étendu sur les draps blancs, reposait autour d'une auréole de lumières vacillantes, des projections tamisées qui accentuaient les contours de ses muscles.
- Regardez-moi ça, susurra Taehyung en se rapprochant du matelas.
Il observa avec minutie l'Apollon qui se prélassait dans l'odeur de ses draps, pétrie d'impatience et de désespoir avant d'attraper sa main, la ramenant à ses lèvres pour l'embrasser avec déférence, comme un preux chevalier le ferait pour sa dame.
- Je vais être gentil, parce que regarde-toi... (Ses doigts glissèrent sur les abdominaux bien tracés de son cadet, ignorant les frissons qu'il laissa dans son sillage.) Ce visage mérite toutes les douceurs du monde. Quoique ce corps, rajouta Taehyung en agrippant les hanches de son cadet pour le retourner à plat ventre contre le matelas de manière brutale, mais laissant le choix à Jungkook de changer de position. Il semble fait pour être mené à bout.
La joue plaquée contre l'oreiller, Jungkook haletait. Jamais de sa vie il ne s'était senti si vulnérable et le plus troublant dans ce qu'il vivait, c'est qu'il se délectait de cet état de faiblesse.
Pour une fois débarrassé de ses tourments intérieurs, il s'autorisait à être n'importe qui, revêtant la peau de celui qui voulait s'exprimer pour ressentir sans entrave ni tabou.
Pourtant la volonté ne faisait pas tout et malgré cette ardeur venue du cœur, il voulait encore se sentir rassuré, tout simplement, car il n'en restait pas moins humain.
- J'ai envie de te faire confiance, mais ça ne veut pas dire que j'accepterai tout.
Son ombre planant toujours au-dessus de son corps, l'index de Taehyung se mit à caresser chaque muscle dorsal de Jungkook, finissant par retracer avec légèreté les reliefs traversant sa colonne vertébrale.
Le plus jeune soupira d'aise, la douceur de ce genre d'intention compensant presque la fraîcheur de la pièce et du doigt qui le caressait.
Alors que le bout de son ongle s'approchait dangereusement de cette cambrure sensationnelle, Taehyung se pencha sur le corps fébrile en dessous du sien pour venir embrasser la joue de Jungkook.
Celui-ci écarquilla les yeux, mais se contenta de zieuter, du mieux qu'il pouvait au regard de sa position, le doux visage à proximité du sien.
- Concernant ce qui va suivre, à la fin, le choix est tien, Jungkook.
Sa joue frotta à plusieurs reprises contre l'édredon en signe d'acquiescement et Taehyung ne perdit pas de temps, retraçant le chemin qu'il avait tantôt suivi, mais cette fois-ci avec sa bouche.
Étouffant des geignements à peine audibles, le corps de Jungkook tressauta à chaque baiser, voulant presque se soustraire à ces lèvres. Toutefois, sa tentative fut à chaque fois avortée par un buste fort qui se pressait contre son dos.
Lorsqu'il sentit de longs doigts lui écarter délicatement les fesses, la respiration de Jungkook se coupa net.
- Je, je me suis fait tester la semaine dernière. Si tu t'inquiètes de- hmmm !
Son cri étouffé par l'oreiller resta parfaitement audible, incapable de gérer l'afflux de sensations lorsqu'il sentit la langue de Taehyung laper son antre comme s'il s'agissait de la meilleure des friandises.
C'était la première fois.
La première fois qu'un partenaire voulait lui faire découvrir ce genre de plaisir si intime. D'habitude, ses amants le préparaient et le pénétraient rapidement, sans prendre le temps de l'écouter et de naviguer sur les flots de ses propres fantasmes.
C'était donc la première fois.
- Mon dieu Taehyung... c'est... ça fait tellement de bien... répétait en boucle le plus jeune, alors que son amant s'appliquait à embrasser, puis lécher les contours de son intimité avec passion.
Lorsque sa langue s'enfonça en lui, une plainte plus profonde et plus aigüe s'échappa d'entre ses lèvres. Les doigts de Jungkook s'accrochèrent désespérément aux rebords du matelas tout en priant pour na pas avoir alerté les parents de Taehyung.
Sur son épiderme brûlant, les mains de son amant semblaient être plus glaciales que jamais, mais à ce stade, la sensation était presque gratifiante tant la chaleur l'accablait.
- Pourtant ce n'est que le début, souffla celui-ci en embrassant, si ce n'est en baisant, la bouche du plus jeune.
Il aurait pu en être dégouté, mais la subversion de ses gestes rendait Jungkook plus fou encore. Sa langue aspirait toujours la sienne lorsque Taehyung enfonça un premier doigt en lui, frôlant ses parois tout en s'assurant de ne pas le blesser.
Ses mouvements n'étaient pas brutaux, mais exigeants.
Avec lui le plaisir n'attendait pas, il s'obtenait avec la dévotion que vouait en cet instant Taehyung à Jungkook.
Il percevait tout : des muscles de Jungkook qui se contractaient lorsqu'il allait trop vite, au rythme du baiser qui s'intensifiait quand Taehyung se trouvait sur la bonne voie.
Bientôt un deuxième doigt rejoignit le premier, le plus âgé profitant de la divine vision de son cadet les fesses pointant vers le plafond, alors que lui était allongé sur son flan, les muscles bandés par l'excitation.
Jungkook se résuma bientôt à une masse pleurnichante et tremblante, la courbure de ses fesses toujours plus tendue vers la main qui les choyait. Enfoncé dans les limbes du plaisir, il n'était même plus capable d'embrasser Taehyung, sa bouche ne faisant que souffler des plaintes languissantes à la face de l'autre qui, de son côté, en redemandait.
Le spectacle était d'une beauté telle, le fascinant comme rarement il l'avait été, que Taehyung ne put se résoudre à ne faire que cela : se contenter du minimum.
Il voulait détruire ce garçon autant qu'il désirait se laisser anéantir par ces beaux yeux indécents d'innocence.
Glissant une main entre le lit et le bassin du garçon, son propre sexe tressauta contre sa cuisse lorsqu'il sentit les draps humides sous sa paume : Jungkook était déjà au bord du gouffre alors qu'il n'avait même pas touché son membre.
- Taehyung ? susurra Jungkook d'une voix plaintive, alors que les doigts de son amant s'étaient retirés de son antre sans explication.
- Viens par-là, je n'en ai pas encore fini avec toi.
Les yeux emplis de luxure, Jungkook releva la tête et tomba sur le visage somptueux de son aîné. Ce dernier s'était assis à ses côtés, les deux jambes écartées.
Frustré par le manque de contact, Jungkook n'écouta que la douce musique de la concupiscence lorsqu'il se releva, le corps lourd, et qu'il se plaça entre les cuisses de son amant, le dos calé contre son buste.
Accaparé par ses sens en ébullition, il en avait presque oublié la semi-nudité de son aîné et il regretta presque de s'être installé aussi vite, sans avoir eu le temps de déguster le buste glabre et finement tracé de son partenaire.
- Je n'ai même pas besoin d'utiliser les mots pour que tu me comprennes, c'est incroyable, souffla Taehyung tout en enroulant sa main autour de la verge du plus jeune.
Celui-ci soupira à la fois de soulagement et d'excitation, savourant pour la première fois le contact entre leurs deux peaux.
Cerné par une forêt qui semblait être façonnée pour engloutir ses visiteurs et coincé dans une maison figée hors du temps, rien de tout cela importait lorsqu'il sentait Taehyung partout autour de lui : son torse pressé contre la chair de son dos, sa main veineuse glissant sur son sexe dans de lents va et viens, ses lèvres pleines baisant et suçant la peau de son cou.
Même s'ils ne connaissaient pas et peu importe à quel point cela pouvait sembler fou, rien ne manquait.
Pour une fois, Jungkook se sentait complet. D'ailleurs, le bien-être était tel que l'orgasme venait déjà le titiller, les muscles de son bas-ventre se contractant délicieusement et envoyant de légères pulsations qui firent trembler ses jambes.
- J'ai besoin que tu tiennes plus longtemps, Jungkook. Je veux que tu te sentes vraiment, vraiment bien.
Sa bouche disait cela, pourtant sa main accéléra ses mouvements, serrant fort le membre de Jungkook tout en s'attardant de temps à autre sur le bout de son gland.
- Pourquoi tu t'occupes autant de moi ? s'enquit Jungkook le souffle court, ses ongles s'enfonçant involontairement dans les cuisses de son amant lorsque son désir le poussa dans ses derniers retranchements.
- Mais parce que tu le mérites, petit ange.
De cette confession, s'ensuivit une série de baisers plus sauvages et chaotiques les uns que les autres, une pulsion de vie à l'état brut qui n'émana pas du plus confiant des deux, mais bien de Jungkook lui-même.
Des amants généreux, il en existait partout, mais Jungkook n'avait jamais été le plus chanceux en la matière. Ce qui devrait être naturel, Jungkook le perçut comme une véritable bénédiction.
Taehyung ne le désirait pas seulement pour son corps, vaisseau vide prêt à être utilisé, réceptacle d'une volonté extérieure, mais il le considérait comme un autre désir à combler, tout aussi important que le sien.
Alors recevoir cette considération n'était pas vide de sens pour celui qui ne s'était jamais senti estimé dans son inimité. Et c'était cette forme de joie extrême mêlée de reconnaissance qui se manifesta lorsque ses lèvres s'étaient mises à dévorer celles de Taehyung.
En symbiose avec les ambitions de son amant, Jungkook puisa dans sa volonté pour ne pas jouir, décidé à prolonger le moment aussi longtemps que la nuit le leur permettrait. Et pourtant, en dépit de tous ses efforts, ses jambes se remirent à trembler, le front luisant de sueur et la jouissance à ses portes.
- Taehyung... Taehyung ! Mon dieu je vais-
- Certainement pas.
La main qui le masturbait serra son sexe fort, très fort tandis qu'un pouce appuyait sur le haut de son gland pour l'empêcher de répandre sa jouissance.
Jungkook retint les larmes qui s'étaient accumulées au coin de ses yeux lorsque la tension qui stagnait dans son ventre crispa les muscles de ses abdominaux. La sensation flirtait avec les limites de la douleur. La frustration lui coupa presque la respiration.
- Tae, je t'en prie.
Pour seule réponse, des dents affutées lui mordit le cou et comme s'il n'était qu'une poupée de chiffon entre ses bras, il se retrouva bientôt posé à plat ventre sur les cuisses de Taehyung, le bassin suffisamment relevé pour que son gland sensible ne frotte contre la surface duveteuse du couvre-lit.
La main glacée de Taehyung fit frissonner la peau de ses fesses lorsqu'elle les caressa avec langueur avant de cesser, comme s'il ne devait pas se laisser aller. Le temps fut comme suspendu avant que Jungkook ne sente la morsure de la claque qui venait de lui être administrée sur le bas de la fesse droite, juste à côté de ses testicules.
Un cri spontané lui échappa, surpris, mais ne voulant pas se soustraire à cette poigne de fer.
La douleur cuisante s'était mêlée au plaisir, la gifle ayant stimulé des parties qui avaient reçu tant de bons traitements quelques minutes plus tôt.
C'était bon et difficile à la fois, aussi bien physiquement que psychologiquement, tellement perturbant que ses neurones peinaient à faire les bonnes connexions.
Le visage de Jungkook ne montrait qu'une apparente neutralité, une expression en totale contradiction avec le désordre qui régnait en son for intérieur.
- Il fallait détourner un peu ton attention, pardonne-moi. On continue, petit ange ? s'enquit Taehyung d'une voix rassurante.
Son corps nu complètement offert à la contemplation de l'autre, Jungkook n'hésita pas un instant.
- Oui. Oui, je veux continuer.
Fermant les yeux pour que son imagination fasse le reste, Jungkook s'attendait à recevoir une seconde correction, anticipant la douleur avec crainte et avidité. L'attente fut courte, mais le résultat différent, une chaleur soudaine et intense s'épanchant sur les traits anguleux de son visage.
Ses yeux se rouvrirent à peine, l'intense lumière lui permit à peine de distinguer Taehyung et la bougie qu'il agitait devant lui.
- J'avais autre chose en tête, tu me fais confiance ?
- Même si ça peut paraître complètement délirant, oui, je te fais confiance.
Et ça l'était réellement, de dingue, lorsque l'on connaissait un tant soit peu l'étudiant.
Les minutes qui suivirent ne furent que gémissements étouffés et touchés sensuels, Taehyung ayant recommencé à pénétrer Jungkook de ses doigts, mais en évitant soigneusement sa prostate.
Le moment aurait pu s'étendre à l'infini si la voix rocailleuse de Taehyung n'avait pas sonné le début de sa fin.
- Je vais essayer de te faire jouir maintenant, mais je ne veux pas que tu le fasses. Je sais que je te demande beaucoup, mais si tu réussis ce que je t'impose, je te promets que tu ne le regretteras pas.
- Je... Qu'est-ce que tu vas me faire ?
De nouveau, une bougie apparut devant lui, et lorsqu'un troisième doigt se mit à titiller son entrée, la peur d'avoir compris ce que tramait son amant noua de crainte, mais aussi de curiosité, la gorge de Jungkook.
- Je suis sûre que tu t'en doutes maintenant, mais je vais expliciter. Je vais te doigter très fort, Jungkook, et pour te rappeler que tu dois te contrôler, je vais verser cette cire sur ton sublime petit cul. Tu vas encaisser gentiment et plus tard, tu me remercieras.
Après avoir ravalé sa salive, Jungkook se contenta d'appuyer un peu plus son fessier contre la paume qui le palpait, accentuant sa cambrure dans un geste symbolique d'acceptation.
Ses parois, douce et chaude, accueillirent avec facilité un troisième doigt, son lâcher-prise mental permettant à son corps de suivre.
Aucune pensée parasite, pas la moindre interférence ne passèrent la barrière de son esprit lorsque Taehyung atteignit de plein fouet sa prostate.
Le plaisir fut fulgurant, mais il ne fut rien en comparaison de ce qu'il ressentit lorsqu'un liquide brûlant s'écoula sur la rondeur de sa fesse pour glisser jusqu'à l'un de ses testicules.
La sensation de brûlure fut fugace, intense aussi, mais bien plus supportable que ce que Jungkook avait envisagé.
- Tu te débrouilles à merveille, je suis fière de toi. Tout va bien, petit ange ? s'enquit Taehyung en grattant du bout de l'ongle la cire qui s'était déjà formée sur l'épiderme rougi de son cadet.
- Continue. Continue, s'il te plait.
Étendu dans son plus simple appareil et le corps malmené comme il ne l'avait jamais été, Jungkook pensait devenir fou. Ce n'était pas tant la douleur en elle-même que la signification qu'elle portait en son sein.
Jungkook se sentait fort lorsqu'il encaissait, et mêlé au plaisir pur que provoquaient les doigts de son amant, le jeune homme avait l'impression de flotter, grisé par la subversivité de ce qu'il adorait subir en cet instant.
Ce début de réflexion à peine entamée fit naître une excitation débordante, une confiance en lui et en ce qu'il voulait qui le tira haut, très haut. C'était comme si ses pieds ne touchaient plus le sol.
De son côté, Taehyung reprit ses soins d'un genre particulier, s'appliquant à décorer la peau de Jungkook de sillons rougeâtres figés dans la cire.
Parce qu'il se montrait de plus en plus bruyant, une main vint recouvrir sa bouche lorsque la bougie devint inutilisable. Taehyung ne s'arrêta pas pour autant d'étirer les chairs du plus jeune, rendant presque impossible de tenir sa promesse de ne pas jouir.
Même si Taehyung paraissait imperturbable, Jungkook perçut à merveille le quasi-grognement qui s'échappa de sa gorge lorsqu'il remua assez son corps pour libérer ses bras et qu'il écarta lui-même ses fesses en mordant dans la main de Taehyung qui le bâillonnait.
À ce stade, tenir bon et ne pas jouir relevait presque de l'impossible. Les nerfs de Jungkook n'avaient jamais été mis aussi durement à l'épreuve. La tension dans son corps, une bombe à retardement, menaçait de le faire imploser.
La respiration complètement déréglée et dégoulinant de sueur, Jungkook avait l'impression de courir un marathon.
Pourtant, il se donna corps et âme à sa promesse et à son partenaire. La mâchoire tout aussi serrée que ses deux cuisses, Jungkook se défoula sur la main de Taehyung en le mordant de plus en plus fort. Ce dernier ne s'en plaignit pas une seule fois, allant jusqu'à encourager son cadet à lui faire mal. Pris de vertiges, Jungkook inspirait de grande goulée d'air à chaque fois qu'il restreignait une vague de plaisir qui, pourtant, lui faisait recroquevillait les orteils.
- Mon bon garçon... Tu es juste parfait.
- Tu vas me tuer. S'il te plait répondit le plus jeune, incapable d'ouvrir les paupières. Je t'en supplie.
Et alors que la lumière des bougies faiblissait, Taehyung allongea son cadet sur le dos, enveloppant son corps du sien pour mieux l'embrasser, d'une douceur presque dérangeante en comparaison de leurs derniers échanges.
Ses longs bras l'étreignaient tout contre lui, le nichant dans une chaleur inexistante tant la température corporelle de Taehyung semblait faible. Une sensation qui n'importunait pas Jungkook, pas quand son amant semblait lui témoigner une affection qui n'aurait pas dû exister.
Cet élan de tendresse le laissa coi, sa capacité de mouvement étant déjà entravée par son épuisement et l'homme qui l'emprisonnait dans son étreinte. Taehyung finit par décoller leurs lèvres brillantes de salives l'une de l'autre, se décalant pour mieux s'allonger auprès de son cadet.
Ne pouvant décrypter ce changement soudain d'ambiance, Jungkook profita de cette quiétude et surtout de cette confiance nouvellement acquise pour profiter un peu mieux de son amant. Le regard pétri d'admiration, il prit le temps de caresser le visage de Taehyung, retraçant chacun de ses traits du bout des doigts.
Leurs regards finirent par se croiser et Jungkook fut pris d'une mélancolie qui le submergea par surprise.
Pourquoi ? Car il aurait tant voulu pouvoir rentrer dans sa tête et comprendre ce que signifiait le regard que Taehyung lui jetait.
Il le comprenait comme un dégradé d'émotions mélangeant tristesse, curiosité et avidité, mais rien qui confirmait ce que son imagination le poussait à croire.
Taehyung ressentait-il le même trouble que lui ressentait en sa présence ? Voulait-il, tout comme lui, que ce moment ne soit pas l'histoire d'un instant ?
- On... On a assez joué Jungkook, il est temps que tu prennes les choses en mains, murmura le plus âgé en attrapant délicatement la fine main qui, jusqu'à maintenant, glissait un peu partout sur la surface lisse de ses joues.
Suivant le mouvement, comme depuis le début, Jungkook chevaucha sans discuter les cuisses de Taehyung lorsque celui-ci se redressa pour se caler à nouveau contre la tête de lit.
- Tu me rends si faible que tu me donnes envie de faire des choses que je ne devrais pas.
La remarque avait à peine été murmurée tandis que Jungkook, amant transi, lorgnait sur la bosse qui déformait le pantalon de Taehyung.
Bien que sachant ce qu'il insinuait, le ton un brin hésitant qu'il avait employé inquiéta Jungkook. Il découvrit en relevant le menton un homme qui montrait enfin une once d'émotion.
Il voulut l'interroger, mais soudainement déterminé, Taehyung sortit sa verge de son bas et enroula un bras autour de sa taille, l'incitant à s'approcher.
Désespéré de le sentir en lui, Jungkook ne résista pas à l'appel et s'empala brutalement sur le membre dressé, admirant pour la première fois un Taehyung décontenancé.
La frustration lui dévorant les entrailles, Jungkook s'accrocha à la nuque de son aîné pour mieux rebondir sur son membre, mouvant ses reins pour stimuler plus encore sa prostate.
Il ne tiendrait plus longtemps.
- C'est ça, déchaîne-toi, petit ange. Tu es si beau ainsi, sous ta véritable forme.
Beaucoup trop stimulé par ces mots, Jungkook accéléra le rythme de ses vas et viens et lui mordit l'épaule, empêchant Taehyung de poursuivre sa déclaration.
- Oui, c'est ça, finit-il par ajouter, la tête rejetée en arrière, alors que ses doigts caressaient la chevelure de Jungkook. C'est si puissant. Toi, tu es puissant et quand je pense que bientôt je ne pourrais plus profiter de mon trésor c'est... C'est juste du gâchis.
- Oui... Oui ! Je ne veux pas que ça s'arrête. Putain, jamais Taehyung !
Criant cette fois-ci de tout son soûl, Jungkook accéléra une fois de plus, telle une machine, ivre de ce qu'il venait d'entendre. Ce fabuleux voyage était sur le point de s'achever.
Dans les bras de Taehyung, il se sentait protéger de la perfidie putride de ce monde.
Plus que ça, il était invincible.
Alors qu'il était sur le point de laisser éclater son orgasme, Taehyung prit son visage en coupe, le sérieux gravé dans l'expression de son visage.
- Je te vois, Jungkook. Je te vois.
Il le voyait, Jungkook existait et c'était tout ce dont il avait besoin. Tout ce qu'il n'avait jamais espéré.
Fatalement, la jouissance déferla et avec elle, emporta ses larmes. Jungkook éclata en sanglot tout en savourant l'intensité de son plaisir, expulsant bien plus que sa frustration lorsqu'il enlaça avec force son aîné.
Celui-ci l'accueillit en le rapprochant plus encore, lui susurrant des formules encourageantes, toujours jalonnées d'éloges qui ne permettaient pas à ses larmes de tarir.
Vidé, Jungkook finit par se calmer.
Lorsque son aîné voulut se relever, il l'en empêcha. Il n'était pas encore prêt à affronter la réalité, la retombée des désirs, mais aussi des espoirs qui avaient naquit de cette union.
C'était fini.
La fatigue n'étant plus un mot suffisant à décrire son état, il finit par se laisser faire, contre son gré. Il se recroquevilla lorsqu'il retrouva le vide, son vieil ami, mais se sentit rassuré de sentir après quelques minutes un tissu humide frôler son corps. Taehyung avait la prévenance de le nettoyer.
Prêt à s'endormir, ce ne fut qu'en sentant son amant s'allonger à ses côtés qu'il réalisa.
- Et toi ? Je veux dire, tu n'as pas joui, je-
- C'est vrai, mais j'ai pris énormément de plaisir grâce à toi, plus que tu ne peux l'imaginer.
- Mais-
- Viens-là, tes yeux se ferment tout seuls.
Désormais lové dans ses bras, Jungkook abdiqua. Son attention papillonna plus haut, vers le plafond, alors qu'il tentait d'ignorer le regard insistant de Taehyung sur sa personne.
Cette fuite lui permit de revoir cette drôle d'inscription que tantôt, il n'avait pas eu l'occasion de décrypter.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda Jungkook d'une voix mollasse, sa tête dodelinant déjà sur l'épaule de son amant.
Pas encore repu de la vision de son cadet, Taehyung analysa sa demande en lorgnant lui aussi les caractères peints à la main.
- Nous avons un dialecte, ici. Ce que tu vois là, Taehyung pointa du doigt l'inscription, l'air songeur. C'est une sorte de dicton. Le rêveur est libre, mais son rêve l'est plus encore. Voilà ce que ça signifie.
Emmitouflé dans les couvertures, Jungkook acquiesça sans avoir la force de rebondir sur sa réponse. Cette communauté devait réserver bien des surprises et si les circonstances l'avaient permise, il aurait bien philosophé sur la signification de cette formule.
A la place, il s'endormit paisiblement, gargarisé par l'odeur presque terreuse de son amant.
Plus tard. Ils en parleraient plus tard, car il comptait bien lui donner son numéro de téléphone, au petit matin, juste avant de partir.
Jungkook plongea donc la tête la première dans ses songes, le rêveur qu'il était s'imaginant Taehyung abandonner ce petit bout de terre esseulé pour le rejoindre à la capitale et entrer à l'université à ses côtés.
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Interlude 3 : Un allé (sans) retour (?)
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Perdu dans les limbes, Jungkook volait haut, bien au-dessus des nuages.
Il s'avérait en effet, que la fougue de Taehyung était un remède efficace contre ses mauvais songes qui normalement, aurait dû troubler son sommeil.
Or jusqu'à ce moment précis - celui où tout allait basculer- le garçon avait dormi comme un loir, aussi paisiblement qu'un poupon ayant reçu la tété.
Sa quiétude prit cependant fin, le retour à la réalité s'imposant pour des raisons que le garçon était à des lieux d'imaginer.
Dépourvu de la prévenance dont il avait usé plus tôt, Taehyung le tira de cet état de béatitude le corps penché au-dessus du siens, secouant avec vigueur -presque frénétiquement- ses épaules pour qu'enfin, avec un peu d'insistance, les yeux du brunet ne s'ouvrent avec la plus grande des difficultés.
Malgré les mouvements de va et viens qui secouait le haut de son corps, les paupières de Jungkook pesaient lourd sur ses yeux, le garçon grommelant de mécontentement lorsqu'il réalisa que le jour n'était pas encore levé.
L'énergie affluant doucement dans son organisme, Jungkook substitua néanmoins sa moue colérique par un sourire niais à la vue d'un certain visage tout prêt du siens.
Pensant que Taehyung -impatient- voulait prolonger le moment qu'il avait tantôt partagés, le jouvenceau finit par tendre les bras et encercler la nuque de son aîné, avançant ses lèvres sans perdre le temps qu'ils n'avaient plus.
Mais Taehyung se détourna de lui, décrochant avec douceur les bras autour de son cou avant de tirer sur les poignets de Jungkook pour le faire assoir de force.
-Il faut que tu partes. Maintenant.
La fermeté de sa voix fit alors flancher le cœur de Jungkook, sa conscience ayant à peine réintégré son corps.
Le jeune homme qui lui faisait face -marqué d'un calme froid- avait fait de cette soirée le meilleur moment charnel de son existence. Désormais il le congédiait sans raison ni même regret, le jetant comme un mal propre au beau milieu de la nuit et ce, sans vouloir fournir une explication tangible ou se donner la peine de fournir un début de récit cohérent.
-Je ne peux pas. Je ne peux pas te faire subir ça à toi. Pas cette fois.
En apparence, le jeune homme n'avait rien perdu de son sang-froid. Pourtant ses paroles furent prononcées d'une manière étrange, projetées dans la pièce sans vraiment s'adresser à l'intéresser.
Taehyung s'était déjà relevé et arpentais désormais sa chambre, attrapant des vêtements sur son passage pour mieux les jeter à la face de Jungkook.
Sans même regarder où ils atterrissaient.
-Taehyung...
Face à l'incohérence de son comportement, Jungkook tenta de lui faire entendre raison, jetant une bouteille à la mer sans recevoir une quelconque réponse de son destinataire.
Les draps étaient toujours entremêlés dans ses jambes et le parfum de Taehyung imprégnait encore son corps tandis que celui-ci enfilait un pull ainsi qu'une veste en cuir, déjà sur le départ.
-Taehyung bordel ! Je ne bougerais pas d'ici tant que tu ne m'auras pas expliqué ce qu'il se passe !
La respiration de Jungkook ne faisait que s'emballer et ce dérèglement n'était pas tant causé par la colère que par la peur que lui inspirait son amant, à s'agiter ainsi comme si Satan en personne présentait quelques prétentions pour son âme.
Mais son intervention ne fit que redoubler l'empressement de son aîné. Celui-ci ouvrit d'un coup sec la fenêtre et lorsqu'il prêta enfin attention à Jungkook, se fut seulement pour foncer vers le garçon et le forcer à enfiler un large gilet à capuche noir qui recouvrit bientôt son torse imberbe.
Jungkook, pourtant, avait plus froid que jamais.
Lorsque les phalanges osseuses de Taehyung remontèrent le zip du vêtement, son regard croisa pour la première fois celui du plus jeune, une œillade qui le dissuada de contester plus longtemps la volonté de l'autre.
Taehyung l'avait retrouvé, cette essence, un fond plus épais et noir que le pétrole et qui semblait suinter de chacun des pores de sa peau.
Cette émanation qui avait d'abord intimidé l'étudiant en psychologie.
-Les gens ici ne sont pas que de simples reclus du monde. Ils ont faim d'une chose qui menace ta vie, gronda-t-il tout en se dirigeant à nouveau vers la fenêtre grande ouverte. Alors sois tu me suis, sois tu abandonnes et la partie se finit pour toi ce soir.
-Bordel mais qu'est-ce que tu racontes ! J'ai rien demandé moi ! Et puis ça veut dire quoi, la partie sera fini ?
-Je te conseille de me suivre Jungkook, tu es en danger.
Les jambes encore engourdies par son immobilité prolongée, Jungkook hébété, le rejoignit après avoir à son tour enfilé sa paire de basket.
Le cours de cette soirée était à ce point dépourvu de sens qu'il laissa tomber ses vieux réflexes.
Sans doute que son instinct de survie prenait le dessus, sa manie à trop réfléchir et à ne faire confiance à personne ne lui servant pour l'instant pas à grand-chose.
Plusieurs personnes semblaient porter de mauvaises intentions à son encontre et si ce que Taehyung disait était vrai, son amant d'une fois demeurait sa seule chance de sortir de cet endroit intact.
Taisant ses questionnements, Jungkook se contenta de suivre les instructions de l'autre, descendant avec prudence du muret soutenant la fenêtre après que Taehyung ai atterri sur la pelouse, tendant ses bras pour éventuellement rattraper son cadet.
Lorsque leurs pas foulèrent l'extérieure de la propriété, Jungkook fut saisi à la gorge par les circonstances.
Pour une raison encore inconnue, les habitants de ce village, qui n'en portait que le nom, avait apparemment pour projet de s'en prendre directement au jeune garçon.
Le pourquoi restait sans réponse et sa méfiance exacerbée refaisant surface, le brunet pria pour ne pas s'être fait piéger dans une farce de mauvais goût.
Pourtant ce n'était pas le genre de Taehyung.
Quoique ça restait à démontrer, car après tout, il restait l'autre. L'étranger à qui Jungkook s'était ouvert corps et âme le temps d'un instant endiablé.
De toute façon, il n'avait d'autre choix que de suivre la voie que Taehyung traçait pour lui car en effet, Jungkook était absolument seul et terrifié. Terrifié de la vérité qui l'attendait.
L'accalmie de la nuit n'eut aucun effet sur l'agitation de son cœur lorsqu'après avoir dépassé plusieurs bicoques, les deux jeunes hommes se retrouvèrent à arpenter un chemin de terre artificiellement dessiné par les habitants.
Un point de repère à l'éclairage bancale, mais qui fort heureusement, se résumait à une ligne droite qui s'engouffrait dans les tréfonds des fourrés normalement verdoyant, mais qui une fois le soleil absent, se transformait en masse informe d'un noir aussi profond que le ciel qui les couvait.
Un amas de végétation si envahissant qu'il éraflait la peau de Jungkook à mesure qu'il s'enfonçait dans le cœur de la forêt, aux côtés d'un Taehyung toujours aussi peu loquace.
Ce silence lui pesait terriblement. Il n'était pas un grand bavard, mais il avait besoin d'une distraction, n'importe quoi pour ne pas s'imaginer les pires scénario -là tout de suite- alors qu'il bravait une lugubre forêt afin d'échapper à des êtres apparemment malveillants.
-La voiture. Pourquoi ne pas avoir utilisé la voiture de tes parents pour partir d'ici ?
La remarque n'avait été qu'un murmure, mais Jungkook craignait toujours qu'elle n'attise l'esprit revêche de son guide. Son regard était rivé sur les branches qui menaçaient de lacérer sa peau alors que ses bras finement musclés s'enroulaient autour de sa taille. Une posture de défense et de réconfort qui sans faire des merveilles, permettait de s'accrocher à quelque chose.
Et puis il faisait froid la nuit, dans la forêt. La chaleur du jour se faisait engloutir par les ténèbres du crépuscule. Jungkook put le sentir et même le voir à travers la fine buée qui s'échappait d'entre ses lèvres.
-Mes parents ne doivent pas savoir parce qu'ils sont avec eux. Pour être tout à fait franc avec toi, on fait partie des appâts.
-D-des appâts ? s'enquit Jungkook dans un souffle tremblant.
-Ceux qui sont chargés d'attirer les garçons perdus comme toi, répondit Taehyung d'une voix un tantinet plus douce.
Glaçant paradoxe entre le fond et la forme, entre le signifiant et le signifié. Alors qu'il s'enfonçait dans le cœur du territoire de ces reclus, Jungkook exécra cette douceur.
Elle lui paraissait piégeuse, car il prit alors conscience de ce qu'il était pour la première fois de sa vie : une proie.
Une myriade de questions se bousculèrent en son for intérieur, envahissant ses perceptions et la réalité qui le cloitrait dans ce cauchemar éveillé.
La panique piqueta sa peau et ses yeux s'embuèrent au point qu'il ne vit pas la masse rocheuse encastrée en plein milieu de sa route. Son pied buta, mais un corps chaud vint se caler contre le siens et deux bras encerclèrent sa taille.
-Fais intention où tu marches. Je sais que tu souffres et que tu as peur, mais tu dois être fort Jungkook.
Taehyung retira le bonnet qu'il avait sur la tête pour le placer sur celle de son cadet, un geste tendre qui se fit suivre par un second plus délicat encore, alors que le plus âgé entremêlait ses doigts à la main chaude de l'autre tout en le gratifiant d'une caresse sur la joue.
-Je suis là.
Le moment était démentiel et Jungkook pensait sombrer dans la folie. Pourtant et contre son gré, l'attitude de Taehyung provoqua une étincelle de réconfort dans son corps et surtout dans son cœur.
Ce genre de rencontre, il le savait, pouvait tout aussi bien être une bénédiction qu'une damnation. Le beau brun était ce genre de personne, à chambouler une vie en un battement de cil. Et à ce titre, Jungkook priait pour que la direction que prenait cet échange d'existence penche du bon côté de la balance.
Maintenant qu'il s'enfonçait dans les bois, de plus en plus d'infrastructure se présentèrent à lui. Toutes nécessaires pour faire société et vivre convenablement, leurs peinture -impeccable- démontrait qu'elles étaient entretenues avec soin : des stands servant à vendre des denrées alimentaires, un modeste garage aux portes métallisés, une pharmacie et même une école.
Prédominait les matériaux naturels -bois, pierre, verre- rien qui ne viendrait courroucer l'écrin somptueux de nature dans lequel ils s'étaient nichés.
Il n'avait pas eu l'occasion de se faire une idée, mais cette communité était bien organisée. Ce microcosme vivait bel et bien reclus sur lui-même sans l'intervention d'une aide extérieure.
Le constat de cette auto-suffisance éveilla un peu plus la méfiance de Jungkook. Même s'il ne jugeait pas, il ne croyait pas au récit idyllique du groupe choisis, d'un collectif de personnes prenant la décision de vivre sans les autres dans l'espoir d'échapper à la noirceur de ce monde.
Sa petite escapade du moment finissait de le persuader d'une chose ; ce choix dissimulait d'autres volontés. Des plans qui ne devaient être vu que par les yeux des habitants de ce lieu.
Le cœur vaillant et les pensées en vrac, ils marchèrent dans ce dédalle de verdure et de petites constructions humaines, main dans la main, jusqu'à ce qu'une lumière vive ne soit projetée à côté deux, éclairant l'énième buisson qui longeait leur périple.
-Merde, mes parents ont dû se rendre compte qu'on s'était tiré, grogna Taehyung alors que leurs deux pairs de jambes s'étaient immobilisés sous la surprise.
-Qu'est-ce qu'on fait ? demanda le plus jeune la gorge nouée.
Mais alors que Taehyung semblait réfléchir à un plan, des bruits de pas interrompirent leur dialogue, des bruits répétitifs et de plus en plus distincts qui bientôt se firent rejoindre pas des éclats de voix étouffés.
-Court !
Et c'est ce qu'il fit. La tête vide et les poumons bientôt compressés par le froid et le manque d'oxygène.
Taehyung courait plus vite encore, tirant son cadet par la main pour le faire avancer à son rythme.
Dans leur course effrénée, Jungkook fut incapable d'adopter la prudence et l'agilité dont il avait l'habitude d'user lors de son footing matinal.
L'urgence rongeait ses nerfs et dans une énième foulé désespérée, ses propres pieds s'entremêlèrent et il tomba lourdement au sol. Sa cheville se plia dans une position anormale et Jungkook dû cracher la terre qu'il venait d'ingurgiter et que tantôt, ses pieds avaient foulé.
A peine commença-t-il à ressentir une douleur qui se propageait sur sa lèvre supérieure et sur sa cheville qu'il se retrouva à être balloter sur le dos de Taehyung, qui malgré le poids de son cadet repris sa course, la respiration de plus en plus saccadée.
Connaissant l'endroit du bout des doigts Taehyung finit par semer la foule, ralentissant la cadence de ses pas pour reprendre son souffle.
Jungkook avait enfoui son visage contre la nuque de brun, se rassenant de son subtil parfum pour oublier le goût ferreux dans sa bouche, celui du sang qui s'écoulait de l'entaille fraiche.
Lorsqu'il releva la tête, un bâtiment imposant -le plus grand qu'il avait vu jusqu'ici- se dressa devant ses yeux ébahit.
C'était une grange faite de briques sombres et surmontée d'un toit cuivré qui donnait une allure de fabrique abandonné au lieu. Son père en possédait une pour entreposer ses engrais, mais celle-ci devait faire deux fois sa taille.
-On va se cacher là, le temps d'évaluer ton état et de s'assurer qu'ils ne sont plus sur nos traces.
Bien qu'il ne fût pas vraiment en mesure d'en décider autrement, Jungkook acquiesça, resserrant sa prise autour du cou de Taehyung lorsqu'ils pénétrèrent dans la partie inférieure de la structure.
Une grimace de dégout se dessina sur son visage lorsqu'il comprit à quoi servait cette zone et surtout, quel type d'aliment elle entreposait.
De la viande.
Des morceaux de barbaques méconnaissables pendus à des crochés de boucher. Une façon de faire peu hygiénique en apparence, mais tout à fait cohérente si elle suivait une méthode de conservation ancestrale et qui avait fait ses preuves : le salage.
Il ne savait pas de quels animaux il s'agissait, mais Jungkook fut soulagé lorsque son aîné le porta à l'étage, là où des monticules de foins s'entassaient sous la lucarne, seul interstice permettant à la lumière naturelle de percer l'obscurité.
Confortablement assis sur la paille, Taehyung retira la chaussure ainsi que la chaussette de son cadet, soufflant sur le morceau de chair bleui et légèrement gonflé tout en caressant du bout du doigt la bosse qui s'était formée.
A cette sensation, Jungkook faillit mordre sa lèvre avant de se souvenir de son état déjà lamentable.
Taehyung lui faisait du bien, dans toutes les circonstances.
Il y arrivait toujours.
-Alors à ton avis ? s'enquit Jungkook après avoir poussé quelques exclamations de douleurs sous les manipulations de l'autre.
-Ce n'est qu'une foulure, mais ça va considérablement nous ralentir.
-Taehyung je-
Jungkook cherchait ses mots à défaut de trouver du sens, quelque part, à ce qui lui arrivait.
Bien qu'il fût impossible à ce stade de dénicher la cohérence dans tout ça, il savait que Taehyung en était la clef. D'eux deux, il était le seul à savoir.
-Tu dois me dire ce qu'il se passe. Je ne peux pas avancer et morfler sans savoir ce qui m'attend si je n'y parviens pas. J'ai le droit de savoir et-
La main de Taehyung se plaqua contre ses lèvres avant qu'il n'ait pu finir sa phrase. La lumière d'une lampe torche était directement braquée sur la lucarne surplombant leurs têtes.
Ils étaient tout près.
Les yeux écarquillés, la main de Jungkook vint enfermer le poignet qui l'empêchait de chouiner de terreur alors que son aîné couvrait son corps du sien, les enfonçant dans l'amas doucereux du foin qui les recouvrait désormais.
Dans d'autres circonstances, Jungkook aurait savourer la pression qu'exerçaient leurs deux bustes l'un contre l'autre et cette aura à la fois protectrice et ravageuse qui le couvrait de sa présence. Mais Jungkook ne pouvait pas. Surtout pas quand les personnes qui le chassaient au beau milieu de la nuit fleurtait avec les frontières qui les séparaient de leur localisation.
Le sort qu'ils lui réservait restait inconnu, mais le jeune homme préférait ne jamais avoir à le découvrir.
Une éternité plus tard, les manifestations provenant de l'extérieures cessèrent. Plus de lumières froides, plus d'exclamations entrecoupées de cris de ralliement. Non, plus rien, à part un garçon terrorisé et un second qui retirait sa main de ses lèvres tout en faisait trainer son indexe le long de celles-ci.
Presque allongé sur l'éphèbe tremblotant, Taehyung plongea dans son regard, s'émerveillant d'y lire cet éclat de vie déroutant, et savourant sous ses mains la chair ferme de sa cuisse qu'il caressait avec une désinvolture impropre aux circonstances.
Ces gestes étaient fermes, mais le plus âgé faisait toujours en sorte de préserver la cheville meurtrie de l'autre.
N'ayant bénéficier que peu de répit depuis son réveil dans ce train, ce retournement laissa Jungkook pantois, les battements de son cœur se déchainant tout aussi bien de peur que de tout autre chose.
L'ambiance avait soudain changé du tout au tout.
Il n'arrivait pas à croire que son corps réagisse aussi instinctivement, presque de façon animale, au contact du beau brun.
La panique ne quittait pas ses veines, mais elles se rajoutaient au tableau, ces pulsions de débauches le poussant à serrer Taehyung plus fort contre lui tout en glissant sa main jusqu'en bas de son dos, au niveau de ses reins.
-C'est probablement la dernière fois que tu accepteras un baiser de ma part, alors pardonne-moi d'en profiter.
L'intensité de cet homme brisait tant de barrage en lui qu'il releva à peine sa remarque et se laissa submerger par les lèvres qui venaient de prendre possession -plus avide que jamais- des siennes.
Sa langue habile s'insinua rapidement dans sa bouche alors que Jungkook faisait de son mieux pour suivre le rythme, se délectant de la salive de Taehyung, désireux de profiter du nectar sirupeux bien plus longtemps que la réalité ne leur accordait.
Ne faisant jamais dans la demi-mesure Taehyung lécha, suça, mordilla la langue et les lèvres de son cadet sans laisser de répit à cette pauvre âme en peine. Désemparé par le brasier qui gagnait son bas ventre, Jungkook voulu renchérir par les gestes, frottant son bassin à celui du beau brun tout en venant lui empoigner ses fesses presque rebondies.
C'était la première fois qu'il se montrait aussi entreprenant envers Taehyung, et son excitation n'en était que plus forte encore.
-Taehyung...C'est...Continues.
Le bonnet que lui avait prêté Taehyung venait de se perdre dans le tas de brindilles tant il s'agitait, mais Jungkook ne l'avait pas senti. Il ne sentait plus rien, même pas la coupure sur sa lèvre, mis à part le corps qu'il désirait.
Un premier gémissement quitta ses lèvres gonflées par les baisers, étouffés par la bouche de l'autre.
Cette exclamation charnelle alluma la flammèche de rationalité qui subsistait en Taehyung puisqu'après avoir déposé un dernier baiser, plus chaste, il se détacha de son cadet pour les faire rassoir tous les deux, dos au mur et face à la balustrade qui donnait une vue en contre-bas sur le rez-de-chaussée.
-Mon petit ange, souffla Taehyung en retirant des brindilles de la chevelure de son cadet. On ne peut pas continuer comme ça, je dois te dire la vérité.
Les bras ballants et les jambes tendues devant lui, Jungkook peinait à redescendre de son nuage. Le beau brun ne cessait de jouer avec ses émotions, déplaçant le curseur du plus bas ou plus haut à une vitesse qui lui donnait le tournis.
Il ne voulait pas cesser de planer, mais Taehyung ne lui donnait pas le choix. Le jeune homme imposait sa cadence pour mieux donner le ton, quand cela lui chantait.
Quand Jungkook se sentait le plus vulnérable, vraisemblablement.
-Je suis né ici. Je...suis né dans une secte.
Un coup de massue qui lui fendit le crâne. Ce fut la sensation qui foudroya Jungkook lorsqu'il assimila le sens de cette phrase.
Une secte.
D'ailleurs et bien qu'il ne voulût pas en entendre d'avantage, le plus jeune fut presque soulagé lorsque face à son silence, Taehyung reprit son explication.
A ce stade, ses lèvres paraissaient cousues l'une à l'autre.
-J'y ai toujours vécu mais dès l'adolescence, j'ai réalisé que notre mode de vie n'était pas...Normal. Cette communauté partage une croyance et cette croyance les pousse à faire des choses inavouables.
Son sang se glaça dans ses veines, alors que Jungkook dévisageait sans gêne son voisin, à des lieux d'imaginer lorsqu'il était entré dans cette voiture ce qui l'attendait au bout du voyage.
-En fouillant dans le peu d'archive dont nous disposons, j'ai découvert que les premières personnes qui avaient habité cette forêt n'avaient pas eu de mauvaises intentions. On parle de quelques commerçant d'étalage, il y a 200 ans, qui voulaient simplement vivre à l'écart d'une société déjà en perdition. Tu connais l'adage... Ce n'est pas un signe de bonne santé que d'être bien adapté à une société malade.
Le vide lui répondit à nouveau, mais Taehyung ne s'en formalisa pas.
Jungkook avait arrêté de le scruter et maintenant qu'il n'avait plus le droit à son attention, il se releva et se rapprocha de la balustrade.
Et même s'il venait d'offrir de la distance au garçon, Taehyung pouvait sentir son regard inquisiteur lui brûler le dos.
200 ans.
-Mais si nous en sommes arrivés là aujourd'hui, tu te doutes bien que tout ne s'est pas déroulé comme prévu.
D'une posture droite, presque solennelle, le plus âgé noua ses bras à l'arrière de son dos. Alors désormais soustrait à sa vue, Jungkook ne put qu'admirer son éternel prestance, d'une admiration tout à la fois muette et atterrée.
-Cette foret ne voulait pas d'eux, elle leur avait fait subir épreuve sur épreuve : orage dévastateur, inondation, épidémie, infection des foyers par des insectes tous plus dangereux les uns que les autres. La génération suivante résistait mais n'en pouvait plus et dans cet enfer, ils ont selon eux, trouvé leur lumière. La solution à tous leur problème.
-Satan ?
C'était sorti tout seul. Jungkook l'avait écouté tout du long et le folklore culturel gravitant autour des sectes s'était insinué dans le monologue de son aîné, pour donner ce résultat dans son cerveau pressé par l'hormone de la peur.
-Mon dieu, mais que vais-je faire de toi ? répondit Taehyung en riant aux éclats, bien que l'instant fût bref. Ou devrais-je dire mon diable ?
-Ne te moques pas de moi.
L'expression de son cadet ne lui échappât pas, et le sourire du brun retomba. Bien qu'il fît un premier pas vers Jungkook pour le réconforter, il se retint au dernier moment.
Ce réflexe ne rassura pas le plus jeune.
-Personne ne voue de culte à Satan, ce n'est pas ça. Ou plutôt ce n'est pas lui, renchérit-il dans un soupir de dépit. On l'appel Yama Uba ou la sorcière de la forêt.
-Une sorcière ?
Jungkook n'en croyait pas ses oreilles.
-Oui. Les habitants croient dur comme fer que cette sorcière aux pouvoirs apparemment millénaires est à l'origine de leur malheurs passés, mais aussi de leur prospérité actuelle.
-Qu'est-ce qui a changé entre temps ?
-Ils lui ont apporté ce qu'elle semblait désirer, en échange de la paix ainsi que de sa protection. Des offrandes.
Une offrande.
Ce terme était tout aussi inquiétant que le terme de secte, si ce n'est plus et à ce stade, Jungkook ne savait plus s'il devait rire ou pleurer.
-J'ai peur de comprendre.
-Tu es une offrande Jungkook et par opportunisme, ma mère t'a ramené ici. Mais je vais empêcher ça, je te le jure. Je suis peut-être foutu, piégé dans cet endroit lugubre, mais ce n'est pas encore ton cas.
Le jeune étudiant était devenu la victime d'une secte, destiné à subir un sort qu'il ne pouvait imaginer, et tout ça pour satisfaire les fantasmes délirants d'un groupe d'individu à la dérive.
Retenant ses larmes, Jungkook se recroquevilla un peu plus dans le foin, y trouvant refuge pour réfléchir et se persuader avoir imaginé tout ceci.
Oui, bientôt il comprendrait que tout ceci n'était qu'une farce et il méditerait à propos de cette piètre blague que l'univers avait trouvée pour le faire réfléchir sur la valeur de sa propre vie.
Puis petit à petit, alors que le tremblement de se son corps devenait incontrôlable, son esprit se mit à errer, loin des inquiétudes qui le concernait, pour mieux se concentrer sur la personne qui avait déjà chamboulé le cours de son existence : Taehyung.
Le mécanisme de préservation s'enclencha et plutôt que de craindre pour le futur, il retourna aussitôt dans un passé hypothétique, essayant de se projeter dans ce que pouvait être la vie de Taehyung au sein de la communauté.
Cet homme était né dans ce culte ; il avait grandi auprès de ses habitants, son jeune cerveau subissant leurs élucubrations toxiques. Et pourtant, il était parvenu seul à comprendre la supercherie et l'absurdité dans laquelle il baignait depuis sa plus tendre enfance.
La fascination de Jungkook n'en fut que gargarisée, amplifiée par la perspicacité de son amant et surtout, par sa prévenance.
Il allait se mettre tous les habitants à dos et sauver le plus jeune malgré les conséquences. Probablement que son monde allait s'effondrer et voilà qu'il l'aidait à s'échapper, lui, l'inconnu du train.
Jungkook n'était pas stupide. Il comprenait que Taehyung avait fait ou consenti à des actes probablement inimaginables. Mais si le jeune homme avait compris une chose au cours de ses études, c'était que le monde n'était ni noir, ni blanc. Que les hommes qui le composait n'était qu'un nuancier de gris et que le mal absolu, l'ignominie innée, n'existait que dans les films.
Taehyung n'avait pas eu d'autre choix que de survivre dans cet environnement hostile.
C'était d'ailleurs du gâchis. Un être pareil était voué à la grandeur et face à ce constat, la peur de Jungkook se mua presque en frustration rageante.
Pourtant et en parfait contraste, ses traits s'adoucirent et ses tremblements se calmèrent. Taehyung l'avait scruté tout du long, observant son cheminement puis sa transformation physique.
Lorsque le plus jeune se releva pour boiter en sa direction, Taehyung s'appuya davantage contre la rambarde qui le séparait du vide, penchant son visage pour mieux scruter la détermination soudaine qui se lisait dans le regard de Jungkook.
Lorsque son cadet se présenta devant lui, l'innocence peint sur ses traits, il se contenta de le toiser de ses quelques centimètres supplémentaires, brulant d'envie de le toucher à nouveau, de sentir la texture de sa peau sous la paume de sa main pour réaliser de nouveau, qu'il suffisait d'un geste pour que Jungkook s'enflamme et ne l'embrase avec lui.
-On peut s'en sortir ensemble. Pars avec moi, je t'en prie.
Aussi douce que la brise estivale, sa voix fluette vint caresser les oreilles de son aîné, alors que dans un élan de confiance il lui prit la main, les yeux pétillant d'espoir.
Un éclair de surprise passa ses prunelles tantôt curieuses, désormais troublées, mais le moment ne dura qu'une fraction de seconde, suffisamment courte pour que le plus jeune ne perçoive pas la faille.
-Tu ne sais pas ce que tu dis, répondit Taehyung d'un ton ferme mais dépourvu d'animosité, comme un adulte essayant de résonner un enfant trop candide.
Il tenta de retirer sa main, mais Jungkook ne fit que resserrer sa prise autour de ses doigts, une moue de contrariété se peignant sur ses traits encore enfantins.
-Jungkook
-Taehyung, je suis sérieux. Si tu veux bien m'accompagner, je suis prêt à t'aider pour trouver tes marques en ville. Si tu crains que je te colle, dis-toi que j'agirai seulement en ami, sans ambiguïté. Tu ne mérites pas cette vie bordel ! On ne se connait pas encore, mais je veux quand même te donner une chance de connaitre autre chose. Tu pourrais trouver un petit job et-
-Mon joli garçon, l'interrompit Taehyung en prenant doucement son visage en coupe. Sais-tu à quel point tu es précieux ? A quel point tu embellis ce monde hideux ?
Leurs regards mutuels brillèrent d'une lumière nouvelle, plus tendre peut-être, plus humaine encore. Exemptes de mots, Taehyung le serra contre lui et dans des gestes lents, glissa ses mains sous les cuisses de Jungkook, le soulevant du sol pour mieux le sentir contre son buste.
Les bras de celui-ci vinrent trouver refuge autour de la nuque de son ainé, un soupir d'aise lui échappant lorsqu'il enfouit son nez dans le cou du brun, humant le parfum du réconfort.
Il n'était pas exactement le même d'ailleurs, sn parfum, mais Jungkook mit ce changement sur le compte de leur escapade dans la forêt.
Partant de sa poitrine, une boule de chaleur finit par se déployer dans chacune de ses fibres, comprenant que Taehyung le portait ainsi pour ne pas qu'il s'appuie sur sa cheville blessée.
-Ça veut dire que tu acceptes ? Souffla Jungkook dans un simulacre de chuchotement, trop effrayé par la réponse pour oser formuler sa demande autrement.
Un baiser aussi fugace que doucereux toucha les lèvres du plus jeune. Sans savoir comment interpréter cet élan, ses poings se serrent autour du pull de Taehyung, priant pour l'avoir convaincu tout en relevant son visage, croisant enfin le regard de l'autre.
Taehyung semblait hésiter, mais alors qu'il sembla vouloir se lancer, un bruit sec vint soudainement modifier l'atmosphère rassurante qui les avait enveloppé.
Les portes de la grange s'ouvrirent dans un fracas, le grincement du métal résonnant du sol au plafond dans cet espace volumineux.
Par réflexe - ayant toujours Jungkook accroché en koala autour de ses hanches- Taehyung recula vers le fond de la pièce, là où les bottes de foins pouvaient encore les dissimuler.
Il tenta de cacher le corps presque tétanisé de Jungkook sous l'amas de brindille et avant de recouvrir son visage, il voulut le prévenir.
-Il n'y a pas d'issue à par celle qui se trouve au rez-de-chaussée. La seule solution est de faire diversion. Il va falloir que tu forces sur ta cheville, mais pendant que je les occupe, tu vas sortir d'ici et courir le plus vite possible.
Malgré le choc, ils n'avaient plus de temps. Les autres étaient sur leur pas. Alors Taehyung n'hésita pas à tendre le bras, prêt à dissimuler ce qui restait visible de son cadet, lorsque celui-ci attrapa son poignet.
-N-ne fais pas ça, reste avec moi. T-tu vas te faire attraper et on doit s'enfuir ensemble. On le doit Taehyung.
-Je te rejoindrais un peu plus loin, sur la route que je t'ai indiquée. Ne pleure pas mon ange, souffla Taehyung alors que des premières perles se mêlaient à la poussière qui recouvrait les joues rebondies du plus jeune. Ils ne me feront pas de mal et je m'assurerai de leur échapper en temps voulu, ok ?
Il ne permit pas à Jungkook de répondre lorsqu'un bruit sourd, caractéristique de la rencontre d'une semelle lourde sur la surface d'une marche en bois se rapprochèrent d'eux. Il le recouvrir de paille, laissant son amant dans le noir complet.
Son ouïe seul pouvait donner une indication sur la suite des évènements, mais Jungkook n'était pas sûre de pouvoir percevoir autre chose que les battements endiablés de son muscle cardiaque.
Les bruits de pas se stoppèrent lorsque la voix de Taehyung s'éleva dans le hangar, des mots qui lui parvenait comme du charabia, alors qu'un peu plus de baragouinages étouffés s'en suivirent en réponse.
Des scénarios tous plus délirants les uns que les autres se succédèrent dans son esprit, craignant d'être découvert et de constater que Taehyung avait souffert pour avoir essayé de l'aider. Ce fut en cet instant que des flashs de ses parents lui vinrent, du temps où tous les trois vivaient encore dans la ferme familiale et qu'il vivait la définition même du bonheur.
Son ancienne vie lui manquait. Quoique sa vie actuelle, aussi. Il prendrait n'importe quoi, tous sauf ce cauchemar éveillé.
Bien qu'à deux doigts de s'effondrer, ses lamentations prirent fin lorsque des bruits métalliques résonnèrent au rez-de-chaussée, ponctués par de courts silences qui finirent par s'étendre encore et encore, jusqu'à ce que l'accalmie demeure.
Il était désormais seul, Taehyung avait réussis.
Jungkook faillit s'étouffer avec sa salive tellement sa gorge restait nouée par l'angoisse, son corps ne s'arrêtant pas de trembler.
L'odeur du foin se rependait dans ses narines, envahissant ses sens. Ses yeux brulaient et ses jambes étaient engourdies par son inactivité. Pourtant et malgré l'inconfort, Jungkook voulait toujours pleurer à l'idée de sortir de sa cachette.
Puis comme un boomerang, l'image de Taehyung le frappa à nouveau de plein fouet. Ils devaient se rejoindre, plus loin sur la route et l'étudiant ne pouvait prendre le risque que les autres finissent par revenir.
Faisant cesser ses atermoiements inutiles, il se débarrassa de la paille qui le recouvrait pour enfin se relever, retenant une floppée de jurons lorsqu'il dû s'appuyer sur son membre blessé.
Il descendit avec prudence les escaliers, s'assurant de s'abaisser suffisamment pour ne pas se faire voir si finalement, quelqu'un l'attendait plus bas.
Personne.
Lorsque les curieux morceaux de viandes crochetés au plafond de la grange rentrèrent à nouveau dans son champ de vision, ils furent les seuls êtres -morts depuis longtemps- à lui tenir compagnie.
Tout en approchant de la porte coulissante, Jungkook se rongeait les sangs en pensant à ce qui avait pu arriver à Taehyung. Ne voulant pas se montrer pessimiste sans même avoir essayé de s'en sortir, il se rassura en pensant que ses parents ne lui feraient jamais de mal.
Après quelques pas mal assurés, il fut soulagé d'enfin respirer l'air frais de la nuit et d'éprouver cet avant-gout de liberté. Il était enfin sorti de cet endroit enclavé.
Cependant sa délivrance fut fauchée par deux bras qui encerclèrent son buste, par derrière, et qui ne voulut plus le lâcher. Jungkook se débattit, mais son assaillant de cilla pas, le trainant à la droite du bâtiment jusqu'à ce qu'il soit confronté à un groupe d'une vingtaine de personnes, tous vêtus de noir.
Il ne pouvait pas distinguer leur visage, car tous braquaient vers lui une lampe torche qui le forçait à abaisser son regard vers le sol en friche.
Cependant la lumière se fit soudainement moins vive et la première chose qu'il perçu fut le sourire -aussi faux que sa gentillesse -de la mère de Taehyung.
-Te voilà enfin, souffla-t-elle tout en replaçant avec délicatesse les mèches désordonnées du garçon.
A ce geste dénoué d'une réelle sympathie, Jungkook s'agita de plus belle, donnant des coups de pied à son ravisseur malgré la douleur lancinante. Le geste de résistance ne plus guère à l'intéressé qui le relâcha pour mieux lui asséner une gifle retentissante, retenant à nouveau Jungkook par les épaules, qui eut le temps de reconnaitre le visage de Jaehyun, le père de son amant.
-Ne l'abîme pas chéri, Taehyung ne va pas apprécier !
La mention du jeune homme donna le courage à Jungkook de relever le menton, serrant les dents en sentant la chaleur qui irradiait sur sa joue. Il ne regretta pas son geste, car plus loin, juste derrière la masse de personnes, le garçon perçut de l'agitation.
-Jungkook !
Ce cri de (dés)espoir fut suivit d'autres, tous hélant son nom. Reconnaissant la voix rocailleuse de son aîné, Jungkook fit écho à celle-ci en égosillant son nom, du plus fort qu'il le pouvait, comme un exutoire à sa peine.
Quelques habitants finirent par se démarquer alors que finalement, dans les bras d'un type costaud se tenait son amant, le regard écarquillé et les mains attachées dans le dos.
Leurs regards se croisèrent mais Haneul fit entrave à leur retrouvaille, brisant le contact visuel en s'interposant entre leurs deux silhouettes.
- Amenez-les à l'intérieur, commanda-t-elle d'une voix plate mais ferme.
La suite ne présageait rien de bon.
Ils furent trainés sans ménagement, le groupe d'illuminé sur les talons, tous plongés dans le plus pieux des silences.
Jungkook tentait de ralentir l'inévitable en pesant de tout son poids contre celui qui le déplaçait, en vain. A sa hauteur Taehyung marchait sans résister, mais ne quittait plus du regard son cadet.
Son regard était brillant d'une émotion que le garçon ne sut expliquer.
Son cœur était d'ores et déjà sur le point de lâcher quand une corde s'enroula autour de ses poignets, mais se fut pire encore lorsque quelques individus se détachèrent du troupeau immobile pour soulever Jungkook et l'accrocher à l'un des crochets suspendus au plafond, ceux qui servait à faire tenir la viande.
Son système nerveux ralentit tant la terreur paralysa jusqu'à son visage, incapable de cligner des paupières alors qu'il était suspendu comme un vulgaire morceau de barbaque.
La position était douloureuse, tirant sur les muscles de ses bras et sans qu'il ne puisse la contrôler, une larme solitaire coula le long de sa joue, comme un signe de résignation face à ce qui l'attendait. Il n'arrivait plus à réfléchir, ses synapses étaient court-circuitées et même le doux souvenir de sa terre natale ne parvint pas à faire redémarrer ce qui lui servait de cerveau.
Il assistait impuissant à ce simulacre de cérémonie sacrificiel.
Des bougies -quelle ironie- avaient été installées tout autour de lui à même le parquet, étirant son ombre à l'infini, loin devant lui.
L'observant d'un œil déjà vide, il aurait voulu être cet ombre et pouvoir s'étirer ainsi, échappant à cette infamie.
Ses derniers espoirs réduits en miette, il ne pensait plus être capable de réagir ailleurs que dans sa prison intérieure, son esprit. Mais alors il se souvint qu'il n'était pas seul.
Les parents de son amant amenèrent Taehyung devant son corps ballotant pour le forcer à s'agenouiller devant lui, son visage relevé vers son cadet comme s'il se prosterner à ses pieds.
Et Jungkook su que c'était la fin lorsqu'il croisa le regard brisé de Taehyung, ces somptueuses prunelles bordées de larmes qui le pleurait déjà lui, son amour d'une nuit.
Alors pour la dernière fois il en était persuadé, Jungkook laissa exploser cette bombe à l'intérieur de lui, toutes ces choses qui l'avait retenu parce qu'il pensait avoir le temps de les extérioriser plus tard, parce qu'il était jeune et qu'il avait un horizon lointain qui s'étendait à ses pieds.
Dans un dernier élan de vie, il poussa un cri de désolation, de chagrin, de dégout, de souffrance, quelque chose d'animal qui lui brisa presque les cordes vocales.
L'assemblée s'immobilisa et les deux garçons, l'un suspendue l'autre à genoux devant lui, ne se quittèrent plus du regard, profitant de leurs derniers instants en redoublant de pleure à la vue de l'autre.
-Je sais que vous l'appréciez, mais il est temps. S'il vous plait.
Par reflexe et malgré son état, Jungkook jeta un œil dans la direction de cette voix, celle de Haneul, pour s'apercevoir que tous, sans exception et y compris cette femme, avaient ployés un genou à terre sans que personne ne toise autre chose que le bout de ses bottes.
Un rire presque guttural fit soudainement sursauter Jungkook pour qu'il finisse par voir Taehyung se relever, le visage à moitié dissimulé par ses longues mèches brunes. Ses larges épaules se relevaient et s'abaissaient dans des mouvements saccadés et ce rire, terrible, continuait de s'échapper de la figure énigmatique qu'il avait toujours représenté aux yeux de Jungkook.
-Dommage, j'aurai voulu profiter plus longtemps, s'exclama Taehyung en tirant d'un coup sec sur ses liens qui cédèrent sans résistance.
-T-Taehyung ?
Sa gorge lui brûlait, mais Jungkook avait donné ses dernières forces pour l'interpeller, craignant peu à peu de comprendre ce qu'il se tramait.
- D'habitude j'aime les faire souffrir, mais avec toi c'est différent. Je veux qu'on s'entende bien Jungkook.
La corde qui retenait Taehyung retomba lourdement sur le sol, alors que celui-ci s'avançait déjà vers son cadet, un tendre sourire aux lèvres.
Jungkook força une fois de plus sur sa voix, mais ses cordes vocales ne répondaient plus.
Peut-être que le goût amer de la trahison avait fini d'éteindre la dernière bribe de résistance.
-Ne te fatigue pas petit ange, je vais t'expliquer. Ce n'est pas dans mes habitudes, mais comme je te l'ai dit plus tôt, tu es spécial.
-M-maître, l-le soleil ne va pas tarder à se lever et-
Un regard assassin de la part de Taehyung et Haneul baissa le regard, plaquant son visage contre le sol poussiéreux en signe de soumission.
-La ferme, humaine. Laisse-moi parler à mon petit préféré.
Humaine ?
Alors qu'il pensait déjà être mort de l'intérieur, Jungkook sentit la panique le regagner de nouveau, tirant sur ses liens de toutes ses forces malgré la corde qui ne faisait que s'enfoncer un peu plus dans sa chaire à chacune de ses tentatives.
-Tututu ne te fatigue pas, souffla Taehyung en agrippant son cadet par les hanches, l'immobilisant complètement. Te rappelles-tu ce que je t'ai raconté à propos de l'esprit de cette forêt, la Yama Uba ? S'enquit-il d'une voix que le garçon ne lui reconnaissait pas, plus caverneuse.
Taehyung lâcha le garçon et se recula de quelques pas, s'arrêtant lorsqu'il fut certain que l'autre bénéficiait d'une vue parfaite sur l'ensemble de sa silhouette.
Et alors que ses pensées s'emmêlaient, les yeux de Jungkook s'agrandirent encore et encore, incapable de cligner des paupières lorsqu'une épaisse fumée noire sortie de nulle part, flottant autour des chevilles de Taehyung pour finir par le recouvrir entièrement jusqu'à le rendre indiscernable.
Il eut à peine le temps de reprendre son souffle que ladite fumée se dissipa pour laisser entrevoir une figure qui ne ressemblait en rien à celle de Taehyung.
La créature était au croisement du féminin et du masculin, sans que rien ne soit déterminée. Elle devait bien mesurer deux mètres de hauts et était vêtue d'un long kimono rouge au tissu vieillis et abimé.
Cependant il ne subsistait plus l'ombre d'un doute, aussi déchirante la vérité était-elle : cette chose était Taehyung, son Taehyung.
Gargarisé par toute l'attention qu'on lui portait, l'esprit de la forêt prit le temps de tourner sur lui-même avec lenteur, comme pour laisser le temps au plus jeune d'admirer sa véritable apparence. Jungkook aperçu son visage et un filet de bile acide remonta le long de sa gorge en croisant deux fentes aux iris d'un jaune puissant.
Son cauchemar.
Ces yeux étaient ceux de son cauchemar.
-Eh bien en réalité, elle se tient devant toi. J'ai bien des noms, mais je te laisse choisir. Tu as l'embarras du choix ! s'exclama la créature avec enthousiasme. Bougez-vous. Je veux que ça soit rapide, s'adressa-t-il cette fois-ci à son groupe de serviteur, plus autoritaire.
Tout le petit monde s'afféra autour d'eux dans une organisation quasi militaire. Certain s'occupaient d'avancer une table en bois ? tandis que d'autres avaient la charge de sortir des outils plus ou moins tranchant de leur sac pour les déposer sur le plan de travail improvisé.
Ses tripes allaient remonter le long de son œsophage tant l'instinct de survie lui hurlait de trouver un moyen de déguerpir, en vain, alors qu'il entaillait un peu plus ses poignets à force de gesticuler.
Et soudainement il repensât à ce cerf, les viscères étalées sur le bitume et ce regard, cette dernière lueur.
Bientôt il prendrait sa place.
-Je suis un esprit puissant, très puissant tu sais. Seulement ma puissance à ses limites, car je suis incapable de franchir les frontières de ce morceau de terre. Tu sais, celui dans lequel ce train t'a déposé ?
Taehyung poursuivait désormais son récit, indifférent aux réactions de Jungkook.
-J'étais fort, mais seul. Capable de me matérialiser sous n'importe quelle forme, mais sans avoir personne avec qui partager mes prouesses.
Un éclair de tristesse barra ses iris mordorées mais la Yama Uba poursuivit de plus bel, balayant d'un geste théâtral son interminable chevelure ébène, hirsute au touché.
-Les quelques humains de passages m'étaient inutiles, car destinés à repartir. J'étais démuni et esseulé jusqu'à l'arrivée des pionniers, les premières personnes à vouloir investir cette forêt de façon permanente. Je les ai convaincus, à ma manière, de passer ce pacte avec moi. Les laisser tranquille en échange de quelques âmes pour me tenir compagnie.
-U-une âme ? coupa Jungkook d'une voix chevrotante, si basse que seule une ouïe surnaturelle aurait pu la capter.
Le sourire de Taehyung s'agrandit face à la curiosité de Jungkook malgré les circonstances. Le garçon ne cessait de l'émerveiller.
-Comme je te l'ai dit, les humains sont inutiles. Tout du moins lorsqu'ils sont emprisonnés dans leur enveloppe de chaire. Le pacte était essentiel, car voilà mon petit secret : je ne peux pas tuer des êtres humains et donc, impossible de mettre la main sur leur âme. Alors mes fidèles en récupèrent pour moi, me laisse un peu jouer avec eux et lorsque le moment est venu, j'accomplis le rituel.
Taehyung se rapprocha un peu plus et bientôt ses mains -pourvues d'ongles aussi longs qu'un tibia-entourèrent le visage de Jungkook, son haleine terreuse se mêlant au souffle erratique de sa proie.
Cette odeur, il en était sûr désormais, était celle qu'il avait descellé dans le début de son cauchemar, avant que ce monstre ne le massacre tout en lui demandant son aide.
-Pour piéger mes nouveaux amis je prends l'apparence de ce que l'humain a envie de voir. Toi ce que tu voulais, c'était une personne à qui faire confiance pour enfin lâcher prise. Quelqu'un qui prendrait soin de toi, mais surtout qui te ferait sentir à part, qui te donnerait l'impression d'être suffisamment important pour combler les plus profondes de tes blessures. Mais contrairement aux autres, tu n'as pas été complétement aveuglé par l'assouvissement de ton souhait. Tu as pensé à moi, à mon pauvre sort et à mes propres besoins. Tu ne voulais pas m'abandonner.
-M-mais alors pourquoi ne pas m'épargner ? cracha Jungkook en fermant les yeux, ne supportant plus la vision du véritable Taehyung.
-Parce que je suis un monstre d'égoïsme et qu'il m'est impossible de laisser filer une telle perle, petit cœur. J'ai couché avec toi, réalises-tu ? J'avais parfois donné, mais jamais je n'avais essayé de recevoir pareil traitement de la part d'un humain encore vivant. En milles ans d'existence, tu m'as offert des choses que je n'avais jamais pu éprouver.
Tout prenait sens désormais et la sensation était à la fois un soulagement tout comme un coup reçu en plein dans l'estomac : cette façon de le faire tourner en bourrique mais de le gratifier de son attention au moment même où Jungkook voulait abandonner, afin qu'il se sente privilégié de recevoir la validation de Taehyung, sa peau si froide, son hésitation avant de coucher avec lui, tous ces compliments et son discours, sur son impossibilité de quitter le village.
Les coups de pinceaux s'enchainèrent et bientôt, Jungkook pu se figurer la toile dans son entier, réalisant à quel point il s'était fait berner.
Sans prévenir, la créature releva le t-shirt de Jungkook et déposa un baiser d'une délicatesse presque pieuse juste au-dessus de son nombril, faisant écarquiller les yeux du plus jeune. Tout de suite après, un courant froid déferla dans son corps, parcourant ses entrailles et se diffusant d'une façon telle que Jungkook pensait que le baiser n'avait pas seulement atteint son enveloppe corporelle.
Etrangement ses poignets ne le faisaient presque plus souffrir, sans doute à cause du manque de circulation du sang.
-Puisque tu as été le premier à vouloir me sauver, je vais faciliter les choses pour toi mon précieux Jungkook.
La vie ne tenant qu'à un fil, le garçon avait été si obnubilé par la créature se tenant devant lui qu'il n'avait prêter nulle attention à ce qu'il entourait et peut-être, aurait-il dû continuer.
Non loin de sa position, un homme aiguisait un couteau à la tranche ciselée, alors qu'un autre répandait une bâche en plastique juste à ses pieds.
-Tu ne veux pas savoir ce qu'il va se passer. Ferme les yeux et laisse-toi faire, s'exclama Taehyung comme s'il avait lu dans ses pensées.
Peut-être le pouvait-il ?
-S'il te plait Taehyung. Je-
Jungkook secoua la tête, luttant pour ne pas s'évanouir.
-Je veux savoir, avoua-t-il en contrôlant le tremolo dans sa voix.
Détournant le regard vers la table où reposait les outils, l'ombre d'un doute sembla prendre Taehyung, avant que celui-ci ne vienne se saisir des jambes de son cadet pour caresser ses mollets dans des gestes lents et répétitifs.
Il avait l'audace de penser pouvoir encore le réconforter.
-Tu vas sans doute le regretter, mais je ne peux rien te refuser. Tu vas être manger Jungkook. Rectification, je vais manger quelques morceaux de ton corps afin de pouvoir m'emparer de ton âme.
Un haut de cœur le prit et sans rien pouvoir contrôler Jungkook vomit, salissant son menton et le velours recouvrant le buste de la créature.
-Je t'avais prévenu pourtant.
Aucunement atteint par l'odeur nauséabonde, Taehyung prit la manche de son habit pour venir essuyer les restes de salissures luisant sur la peau de son favori.
-Tu as peur et c'est normal mais si ça peut te rassurer, tu ne sentiras rien ou presque. D'habitude, j'aime voir agoniser mes nouveaux amis, mais avec toi c'est différent, alors je t'ai protégé de cette souffrance. Parce que je veux poursuivre ce que l'on a commencé Jungkook. Exceptionnellement, je pourrais même garder l'apparence du Taehyung que tu aimes tant ! Après tout en dévorant ta chaire, tu feras bientôt parti de la mienne, alors autant partir du bon pied.
À la suite de sa cruelle tirade, Taehyung se recula pour laisser place aux deux hommes qui s'approchaient d'une démarche presque robotique, leur couteau à la main.
Des hommes indifférents à l'agonie de Jungkook.
Les yeux étaient réputés être la fenêtre de l'âme, pourtant les leurs ne reflétaient qu'un espace vide, deux fentes qui sonnaient creuses et dépourvues d'empathie.
Le garçon n'en pouvait plus et ses forces le quittaient déjà. Pourtant une derrière flamme sommeillait en lui.
Il ne pouvait pas mourir ainsi, traité comme l'animal de compagnie d'un esprit démoniaque ! La mort était la plus terrifiante des destinations mais au-delà, elle révéla une terrible frustration, une fureur de vivre qui électrisait chaque parcelle de son être.
Peut-être que Jungkook avait fait confiance à la pire des personnes, mais il voulait avoir d'autres occasions de se tromper et mieux, d'apprendre de ses erreurs.
C'était ce qu'il se répéta lorsqu'il essaya de repousser ses assaillants à l'aide de ses jambes, balançant son corps comme une furie et prêt à en découdre.
En fin de compte la mort ne rendait pas plus courageux, seulement persévérant dans l'irrationnel.
Il ne fallut pas moins de trois personnes pour le maitriser parfaitement et ainsi étouffer les dernières traces de résistances.
La sueur dégoulinant de son front, Jungkook se sentit tout à coup flotter malgré son incapacité à mouvoir le moindre muscle. Sa tête tournait et il eut l'impression de plonger, de plus en plus profondément, vers un état de transe profonde.
Ce n'est que lorsqu'un des habitants apportèrent un plateau en argent à Taehyung que le plus jeune comprit.
Tenaillé par une curiosité morbide, il abaissa son regard pour constater l'inéluctable : son pantalon était baissé jusqu'à ses genoux et il avait un trou béant au milieu de sa cuisse.
Le muscle était à vif et l'os à découvert, mais il ne sentait rien.
Donc c'était ça, ce morceau de chaire rouge que Taehyung lorgnait avec envie ?
Ça, était une partie de lui.
L'envie de régurgiter à nouveau n'était pas loin, mais Jungkook n'avait plus rien à gerber, si ce n'est une bile flotteuse qui remontait et redescendait dans sa gorge. Délirant, il détourna enfin le regard lorsqu'une femme releva son T-shirt pour s'attaquer à son abdomen.
Le fond de l'œil rougi par ses pleurs, ses pupilles se baladèrent sur ces corps à la géométrie étrange, suspendus tout comme lui au plafond de la grange, son prochain tombeau.
Ils étaient là, des dizaines de morceaux massifs plus ou moins datés et témoins des atrocités qui avaient dû avoir lieu ici, avant même que Jungkook n'y soit sacrifié.
Ils étaient là, au même endroit.
Ils s'accumulaient et pendait tout comme lui, une collection bien curieuse.
Lorsque cette connexion-ci s'établit, Jungkook voulut presque rire, mais l'entaille sur lèvre l'en empêcha.
Cette viande était d'un genre différent : elle était humaine.
Jungkook avait sous les yeux ses prédécesseurs et maintenant qu'il accueillait l'existence du surnaturelle, il sut que son cauchemar n'en avait pas été un.
L'une des âmes captives de la Yama Uba avait tenté de le contacter, si ce n'est le prévenir.
Un réflexe de défense propulsa son esprit hors de la scène, le faisant réfléchir à la raison pour laquelle il ne ressentait rien, tout en perdant des forces à mesure que le sang s'écoulait de ses plaies.
Quoique tout prenait sens si...Si ce que lui avait dit Taehyung était vrai ! Ce baiser de la mort tout à l'heure, juste au-dessus de son nombril... Il avait vraiment le pouvoir d'anesthésier ses sensations et avec elles, la douleur de la torture.
En parlant de la créature, elle se rapprocha une fois de plus de Jungkook, l'air serein et le fameux plateau à la main.
Il avait repris l'apparence d'un séduisant jeune homme, mais l'image ne dégouta que plus encore Jungkook.
- ça va aller, on se retrouve bientôt, lui susurra Taehyung alors qu'il se permit -énième bafouement de son corps- de déposer sa bouche quémandeuse contre la sienne.
En réponse, Jungkook mordit sa lèvre dans une rage presque instinctive, refermant sa mâchoire avec force tout en rejetant la tête en arrière dans un mouvement sec.
Taehyung poussa un cri et le plus jeune recracha le morceau de chaire à terre, le regard féroce.
-J'ai si hâte, psalmodia le monstre après avoir éructé le trop plein de sang dans sa bouche.
C'est à ce moment que Jungkook accepta une vérité, la vérité, celle que c'était la fin de ce qu'il avait été.
Même si la suite promettait un tourment infini, il était parti avec combativité, une force qu'il n'avait jamais su exprimer au cours de sa courte existence.
Euphorique, Taehyung ne quitta pas du regard sa proie lorsqu'il mordit à pleine dent les morceaux crus qu'on lui avait apportés, Jungkook se sentant glisser vers les abimes lorsqu'il fut obligé d'assister au festin. L'image se brouillant progressivement, il lorgna d'un œil écœuré Taehyung qui savourait la texture de ses muscles, poussant des gémissements de plaisir quand le sang se mit à ruisseler de sa bouche pour couler le long de son menton.
Cette vision et la perte abondante d'hémoglobine le scinda en deux, dissociant alors son corps de ce qui se passait dans sa tête, bien que ce dernier bastion de conscience partît lui aussi bientôt en lambeau.
Impuissant, il se sentit aspirer vers cet entredeux. Un purgatoire qui il le savait, ne connaitrait jamais de fin.
-Nous resterons ensemble, pour toujours.
Heureusement, il ne put voir ses yeux se teinter progressivement d'un jaune topaze, signe distinctif de son éternel asservissement à la Yuma Uba.
L'écho de cette voix qu'il avait espéré salvatrice résonna encore lorsque la vie quitta son corps.
Jungkook avait tenté sa chance et il était mort seul, sans la présence d'un être aimé.
Il avait joué-
-Et il avait perdu.
◤ ◥
Interlude 4: requiem pour les éveillés
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Ça faisait mal.
Son corps entier exprimait la douleur.
Le sol sur lequel reposait son dos ne lui avait jamais paru aussi dur, mais après avoir réalisé qu'il était en mesure de se plaindre, Jungkook ouvrit grand les yeux, presque tenté d'embrasser de liesse le parquet de sa chambre.
Le regard fiévreux et la respiration encore tremblante, il tarda à reprendre possession de son environnement.
C'était un cauchemar.
Le plus terrible et le plus réaliste qu'il n'avait jamais expérimenté.
Son cerveau était ici et maintenant, dans sa chambre estudiantine mais son cœur était encore piégé dans les méandres de cette sombre forêt, entre les griffes de cet esprit trompeur.
Les membres courbaturés, Jungkook peina à se relever.
Il avait dû tomber de son lit pendant la nuit et ne s'était même pas réveillé au choc, tellement son esprit avait été empêtré dans l'autre monde.
Cela faisait une éternité que ses terreurs nocturnes n'étaient pas revenues lui rendre visite et ça ne lui avait pas manqué. Sa première crise était apparue lors du divorce de ses parents et le psychologue infantile en avait déduit que c'était une sorte de mécanisme de défense, une façon d'expier la négativité qu'il gardait enfermé en lui lors de période de crise.
Était-il en période de crise ?
Il n'en avait pas l'impression, mais beaucoup de chose le préoccupait en ce moment.
Encore terrifié à l'idée d'être toujours piégé dans une énième illusion sadique de la Yama Uba, Jungkook chercha à se rassurer en dissipant l'obscurité, relevant les volets de sa fenêtre tout en zieutant les chiffres qu'affichait son réveil.
Il était en retard pour son premier cours de la journée.
⁂
-Monsieur Jeon dépêchez-vous, j'étais sur le point de commencer.
A ces mots la silhouette débraillée de Jungkook se dépêcha de rejoindre son siège favori de l'amphithéâtre, dans le fond, là où l'attendait déjà Hoseok.
A deux doigts de trébucher sur le sac à dos mal rangé d'un camarade, il soupira de soulagement lorsqu'il fut en mesure de déposer son ordinateur portable sur sa table sous le regard amusé de son ami qui lui décocha un regard rieur, empreint de sous-entendu.
-Je ne veux rien entendre
-T'as une sale tronche.
Jungkook ignora les moqueries, cliquant sur le fichier correspondant au cours tout en repensant aux raisons de son apparence blême, presque maladive.
-Il s'est passé quelque chose ? Tu vas bien ? S'inquiéta Hoseok en percevant l'abattement de son cadet.
Bien sûr qu'il allait bien, il était vivant ! Ce n'était qu'un stupide cauchemar, une pâle copie d'une réalité alternative sans queue ni tête.
Alors pourquoi se sentait-il toujours aussi terrifié ?
-Aujourd'hui nous poursuivrons le dossier que nous avons entamé la semaine dernière et qui avait pour titre, je vous le rappel « Secte et effet de groupe : des mécanismes psychologiques aux nombreuses ramification. »
Ses paupières se refermèrent lourdement, comprenant soudainement mieux certaines parties de son rêve.
-Je vais bien, mais merci de t'inquiéter. J'ai...j'ai juste fait un mauvais rêve.
-Raconte.
La réaction ne le surprit pas, mais il hésita. Il n'avait pas vraiment envie de revivre les évènements et surtout, certaines parties en disaient un peu trop sur lui pour qu'il ne veuille en faire part à quelqu'un d'autre.
Des images continuèrent de défiler sous ses yeux pourtant éveillés et finalement, Jungkook se persuada qu'il devenait nécessaire d'expulser les visions d'horreur qu'il avait fabriqué cette nuit.
Alors il écrivit quelques bribes d'information de la part de son professeur, avant de camoufler son visage derrière l'écran de son ordinateur, feignant d'être concentré pour mieux encourager son camarade à se rapprocher de lui.
Il éluda certains détails, mais Jungkook raconta l'essentiel, ce qui l'avait marqué et continuerait de le hanter encore longtemps.
-Mais c'est ouf ! S'écria Hoseok alors qu'une vingtaine d'étudiant, le professeur y compris, jetèrent un coup d'œil interloqué vers le duo.
-Tu vas te taire oui, on va se faire virer ! grommela Jungkook en tirant sur le t-shirt de l'excité afin de mieux se ratatiner sur leur pupitre.
Le professeur poursuivit son cours, heureusement sans faire de remarque gênante aux deux garçons. Jungkook était l'un de ses élèves les plus assidus et c'est ce qui le sauva de la réprimande ce matin.
Après une remontrance exaspérée de la part du brunet Hoseok s'excusa, tentant de se racheter en aidant son ami à dissiper la perplexité qui le gagnait.
-Pourtant je trouve ça assez clair moi. Ton cauchemar est juste un bon concentré de tes peurs et envies, rien de plus. T'es un vrai angoissé et tu fais confiance à personne ! s'exclama le plus âgé, cette fois-ci en chuchotant.
-Tu raconte n'importe quoi.
-Mais tu te mets le doigts dans l'œil mec, je te le dis ! Ya pas plus parano que toi et t'as fait un cauchemar où donner ta confiance t'as valu d'être dévorer vivant, c'est limpide pour le coup !
Les observations de son ami le piquèrent au vif, mais il savait au fond de lui qu'Hoseok touchait la vérité du bout du doigt. Il le savait, mais l'entendre à voix haute était tout autre chose.
La vérité était que Jungkook n'avait presque pas d'ami en dehors de son cousin et Hoseok, simplement des connaissances, mais presque personne avec qui entretenir des conversations profondes.
Hoseok n'échappait même pas à la règle, le brunet lui confiant que très rarement ses questionnements les plus intimes. Il était au courant pour la tentative de suicide de son cousin, mais la confession lui avait échappé un soir de beuverie, à un moment où aucun corps chaud ne pouvait étouffer son spleen du moment.
En parlant du loup, Jimin ne lui avait envoyé que très peu de sms ces derniers temps et ce silence radio le plongeait dans une détresse qu'il avait gardé enfouit dans son for intérieur, à l'abris des curieux.
Il savait que son meilleur ami se faisait suivre de près par un psychologue depuis des années, mais la peur grandissait, indéfectible, à chaque fois que le blondinet ne répondait plus aux messages quasi quotidiens de Jungkook.
La presque perte de l'une de personnes qu'il chérissait le plus au monde l'avait traumatisé. Et Jungkook avait beau faire des études de psychologie, elles ne l'immunisaient pas contre le déni.
Depuis cet évènement tragique, Jungkook était terrifié à l'idée de se connecter à quelqu'un d'autre, effrayé de faire confiance pour finalement se faire abandonner en cours de chemin.
Cette fuite en avant expliquait la composition de son entourage : des connaissances inconsistantes, ponctuées par plusieurs plan cul.
Cet arrangement passé entre lui et lui-même lui convenait parfaitement, mais sans qu'il ne perçoive l'altération s'installer, Jungkook réalisait que cette solitude choisie devenait de plus en plus subie.
Oui il se sentait seul, tout le temps, même lorsqu'il était entouré.
L'évocation de ce manque appela une autre image, celle du protagoniste principal de son cauchemar : Taehyung.
Soudain la sonnerie annonçât la fin du cours et coupa le fil de ses pensées, mais Jungkook ne parvint pas à bouger.
Ce songe l'avait paradoxalement réveillé. Il se faisait rattraper par la réalité et avec elle, par sa tristesse.
Hoseok perçu son mal-être et rangea ses affaires pour lui, tentant de plaisanter pour finalement rencontrer le regard d'outre-tombe de son camarade.
La mélancolie guidant ses pas, Jungkook finit par concéder une partie de son énergie, culpabilisant de faire attendre son ami alors que l'amphithéâtre était déjà vide.
Une fois debout il se fit escorter par Hoseok, un bras par-dessus ses épaules le soutenant. Il avait beau mettre des barrières entre son ami et lui, les gestes de l'autre parvenaient toujours à lui soutirer un sentiment de réconfort.
Le pas trainant, ils finirent par atteindre la sortie alors qu'à peine le pas de la porte passé, tous deux furent aveuglés par le soleil de cette fin de matinée.
Fermant brièvement les paupières, Jungkook prit le temps de savourer la chaleur qui caressait sa peau, la lumière aveuglante finissant de pulvériser les dernières bribes de sa morosité.
Elles étaient belles, les choses simples.
-Bon je te laisse, on se retrouve pour le prochain cours !
Ses yeux s'ouvrir brutalement, son regard s'agrandissant en voyant Hoseok s'éloigner vers les pelouses.
-Mais on avait prévu de manger ensemble !
-Tu me remerciera plus tard, s'écria son ami déjà trop loin pour pouvoir moduler sa voix.
Penau, Jungkook régla les lanières de son sac à dos, s'apprêtant à parcourir seul les allées de la cafétaria lorsqu'une main amicale effleura son épaule.
-Jungkook, c'est ça ?
Cette voix eu le double effet de le glacer et le réchauffer à la fois.
Ne faisant pas confiance à sa propre audition, Jungkook se retourna pour retenir un sursaut de surprise.
C'était bien lui, mais comment pouvait-il connaitre son nom ?
-O-oui c'est moi. Comment tu sais ? Enfin je veux dire, on se connait ?
Bien sûr que Jungkook le connaissait, mais jamais il n'aurait penser que la réciproque était vraie. Cet homme le faisait complètement fondre depuis l'année dernière, mais le jeune homme s'était contenté de l'admirer de loin, à l'abris des regards.
-Tu me vexerais presque, mais t'es vraiment mignon donc je te pardonne. Je suis l'assistant de ton professeur principal. Tu te souviens ? Je voulais te parler après ton cours de pédopsychiatrie ce matin, mais tu n'étais pas là. J'ai jeté un œil à l'emploi du temps de ta promo et...Me voilà.
Tout sonnait beaucoup trop étrange pour Jungkook. Cette scène il l'avait rêvé des heures, à tout moment de la journée et de la nuit depuis des mois. Pourtant, il ne parvenait pas à se détendre et surtout, il se retrouvait prit au dépourvu.
Il n'avait pas prévu de tenter quelque chose avec lui, jamais.
-Au cas où tu l'aurais oublié moi c'est Taehyung, rajouta celui-ci en lui décochant un sourire qui fit fondre son cœur.
Taehyung.
Comment pouvait-il l'oublier ?
La main de son aîné passa dans sa chevelure couleur miel et Jungkook suivit le geste des yeux, fasciné par cette beauté qui était littéralement venu le hanter cette nuit.
-Je.. Je n'ai pas oublié. J'ai oublié de rendre un devoir ? C'est pour ça que tu voulais me voir ?
Le fantôme de ses songes le toisa un instant, contenant un sourire tout en s'approchant de lui, éclatant.
Ce garçon aurait sa peau. Enfin pas au sens propre du terme, mais l'image restait parlante.
C'était à la fois le plus beau jour de sa vie et l'instant le plus gênant.
-Non, rien de tout ça. Je voulais juste savoir si tu étais libre pour déjeuner avec moi.
Si jusqu'à maintenant, il gérait sa rencontre impromptue avec sa source de fantasme et désormais de terreur, Jungkook commença doucement à halluciner, imitant à la perfection le poisson rouge à travers les expressions de son visage.
-G-genre là, maintenant ?
-Ne fait pas l'innocent, j'ai vu les regards que tu me lançais en amphi. Je te rassure, je te matais tout autant. Je devais être trop discret cependant, car tu n'as rien remarqué.
Ses neurones court-circuitèrent alors que Jungkook contemplait son aîné sans un mot.
Dieu qu'il était séduisant, confiant qui plus est, et c'était terriblement sexy. Jungkook n'aurait pu envisager un tel scénario et pourtant il ne savait pas encore s'il devait accepter l'invitation.
Des flashs de son cauchemars apparaissait par sans prévenir, mais ce n'était pas vraiment la raison de son hésitation.
Dès leur première rencontre, il avait craqué pour ce garçon. Il n'était pourtant pas du genre à tomber amoureux mais plus il le fréquentait, même de loin, plus il plongeait fort, profondément pour cet étudiant de dernière année.
C'était l'amour qui l'avait retenu visser à sa chaise à chaque fois qu'il avait l'occasion d'aller lui parler.
Il lui plaisait trop pour tenter quoi que ce soit.
Le choix paraissait irrationnel, mais Jungkook savait.
Plus les sentiments étaient forts plus dur était la chute, alors il se l'était interdis.
- Hey ça va ? On dirait que tu as vu un fantôme, l'interpella Taehyung d'une voix si concernée que Jungkook sentit une chaleur se répandre dans sa poitrine.
C'était si doux.
-C'est à peu près ça ouais, finit par répondre Jungkook en lui décochant un premier sourire, timide.
La tête haute et la poitrine gonflée à bloc, Jungkook repris la marche en direction de la cafétéria, laissant derrière lui un Taehyung désemparé.
-Qu'est-ce que tu fais ? Héla le plus âgé.
-Bah, je vais prendre mon déjeuner. Et toi, qu'est-ce que t'attends pour me rejoindre ?
Le regard de Taehyung s'illumina et il retint de se mordre la lèvre lorsque son cadet le gratifia d'un regard insistant, presque désarmant.
Son attitude de séducteur était de retour, mais cette fois-ci pour le mieux.
Un peu moins tendu, ce n'est que lorsque son ainé le rejoignit à coup de grandes enjambés que Jungkook remarqua un détail qui lui donna de légers tremblements.
- Comment tu t'es fait ça ? s'enquit-il en pointant du doigts la lèvre fendue de Taehyung.
Bête insaisissable, son cauchemar continuait de le chasser dans une série de coïncidences qui faisait frémir son corps entier.
Le Taehyung maléfique, celui d'un autre univers, avait aussi reçu cette blessure. C'est Jungkook qui lui avait infligé en le mordant férocement, peu avant sa mort.
Sa mort.
- Oh rien d'incroyable, je me suis coupé en me rasant ce matin. On y va ?
Il avait failli succomber à la méfiance, mais il ne pouvait pas laisser ses peurs inconscientes s'emparer de sa vie et surtout, entraver son bonheur.
Jungkook était toujours vivant, vivant pour se tromper et mieux recommencer. Alors cette fois-ci, il n'hésiterait plus.
-Oui, je te suis.
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Bravo aux précieux lecteurs étant courageusement venu à bout de ce monstre, vous êtes au-dessus😅
Maintenant que vous êtes plongé dans l'univers, je suis bien curieuse de connaitre votre impression sur le récit et surtout vos théories sur cette fin !! Alors, happy ending selon vous ? 👀
Ce projet représentait beaucoup de boulot, mais ça valait clairement le coup! C'est la première fois que j'écrivais ce genre d'histoire et j'ai adoré, alors j'espère que la lecture vous a aussi fait voyager dans ce petit coin de nature isolé aux habitants un peu particulier 😉
On se retrouve très bientôt pour de prochaines aventures,
Prenez soin de vous,
Scarlett-Backlash
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