Insomnies, rayon de soleil et fouettés
Un jour, j'étais assis sur notre banc dans le parc de l'école, les yeux cerclés de noir, les traits tombants, quand Nolan, Alice et Evan se sont plantés tous les trois devant moi. J'ai levé la tête, je les ai regardés. Ils avaient les mains sur les hanches, me jetaient des œillades furieuses et avaient les lèvres pincées. Tous les trois avec l'exacte même expression. J'ai failli en rire.
Je leur ai simplement souri, penaud. Je savais qu'ils s'inquiétaient pour moi, je me savais inquiet et j'étais de plus en plus maussade. Mais ça, c'est parce que je te retrouvais de plus en plus souvent avec une bouteille d'alcool à la main et ton sourire de travers en guise d'excuse. Tu m'inquiétais, et je désespérais de trouver enfin le code de ce fichu message.
Trois semaines s'étaient passées depuis qu'on avait trouvé le message de Sohan, et j'avais beau me creuser la tête dès que j'avais un simulacre de temps, je n'avançais en rien. Tu parles d'une aide... Donc je passais mes nuit à griffonner les numéros, en boucle, partout. Une fois, je les avais même inscrits tout le long de mon bras.
Bien entendu, je n'en parlais à aucun de mes amis. Thomas avait bien tenté de me demander, mais à la vue de mon regard noir, il avait vite arrêté. Et ce jour-là, j'avais encore moins dormi qu'à mon habitude. Tu avais encore piqué une de tes crises et j'étais allé te rassurer. Je m'étais endormi à trois heures du matin, roulé en boule autour de toi, mes genoux dans les creux des tiens, à caresser tes boucles noires pour t'apaiser.
Alice a ouvert la bouche pour prendre la parole. Je me suis attendu à une remontrance sévère. Elle avait un caractère bien trempé, et les débats qui fusaient souvent entre Nolan et elle étaient des plus extraordinaires. Mais ses traits se sont adoucis, et elle a laissé ses lèvres timidement creuser la fossettes de sa joue gauche.
- T'sais Marin, on est là pour toi nous. On comprend que t'es plutôt réservé, et on sait que tu nous a jamais trop parlé de ta vie privée, mais s'teuplé laisse-nous t'aider...
- Ouais, j'rigole tout le temps mais j'peux être là pour toi en cas de besoin tu sais ?
J'ai fixé Evan, interdit. Première fois que je le voyais se départir de son sourire charmeur et des ridules aux coins de ses yeux. Ensuite j'ai regardé Nolan. Il n'a rien dit, mais sa mimique suffisait largement. Je les ai invité à s'assoir à mes côtés. Ils ont attendus, silencieux, indécis quant-à ce que j'attendais d'eux.
Moi, j'ai pris une grande inspiration et je leur ai raconté. Les premiers mots ont été compliqués, et ensuite, le visage caressé par un doux rayon de soleil, tout s'est enchaîné.Toi, la fontaine, les guirlandes, ma passion, tes ballerines, ta férocité, ta fragilité, mon inquiétude. Je ne leur ai pas raconté ta quête. J'estimais que c'était trop personnel. Je leur ai juste expliqué que tu devais traduire un code et que tu n'y arrivais pas, et que j'avais beau t'aider au mieux, je n'avançais pas plus.
Alice a posé une main sur mon poignet. J'ai savouré le contact, j'ai repris une inspiration, et j'ai sorti mon bloc note. Je lui ai tendu. Elle l'a ouvert à la page où j'avais griffonné les chiffres et mes pistes de réponses infructueuses. Et, en gros, 5 : E, entouré, appuyé tellement fort au stylo que la bille avait failli trouer le papier.
Evan a haussé un sourcil. Il a compté sur ses doigts. Il a effleuré le papier, comme s'il n'était pas sûr de lui. Il a ouvert la bouche, mais il l'a refermée aussitôt.
- Une idée ?, je l'ai encouragé.
Il a acquiescé. Nolan, désabusé, a laissé échapper un rire sardonique :
- Bah balance, on va pas aller se mettre à genoux non plus.
Evan a laissé échapper un rire. Il a pointé le E, le 5, et a passé sa main dans ses cheveux.
- Eh bah, mon idée est peut-être débile mais... Et si les chiffres correspondaient tous à une lettre ? Je veux dire... Le E, c'est la cinquième lettre de l'alphabet nan ? Alors si A c'est 1, B c'est 2, et ainsi de suite, on peut peut-être arriver à quelque-chose ?
J'ai laissé l'évidence se frayer un chemin dans mon esprit. Des semaines que je cherchais et je n'avais même pas pensé à quelque chose d'aussi simple ? J'étais déçu, soulagé et envieux en même temps. Je m'en suis voulu de n'être pas seulement heureux d'avoir enfin trouvé.
Alice a enlevé le crayon de papier qui retenait ses cheveux blonds. Ils tombèrent en cascade sur ses épaules et elle secoua la tête pour les placer derrière ses oreilles. Ils donnèrent alors l'impression de ruisseler, brillants des reflets du soleil. Evan, hypnotisé, regardait ce spectacle en rougissant.
Je m'en serais sans doute attendri si je n'étais pas trop pressé d'attraper le crayon pour essayer la solution d'Evan. J'ai mis quelques minutes à tout déchiffrer. Et quand je l'ai lue à voix haute, tout à fait sens.
Je me suis levé, et j'ai serré Evan dans mes bras.
- Eh oh mec, a-t-il protesté, doucement, j'suis pas de ce bord-là moi désolé... J'sais que j'suis d'un charisme fou mais quand même !
J'ai ri, tellement soulagé ! La sonnerie a retenti, nous rappelant à nos obligations. J'ai rendu le crayon à Alice qui a relevé ses cheveux.
- Merci, tous, j'suis heureux de vous connaître.
Nolan a attrapé mon coude avec le sien, j'ai fait de même avec Alice qui a attrapé le bras d'Evan et on est entrés ainsi, tous les quatre, dans l'établissement. Je me suis senti plus fort, plus fier. Et l'espoir gonflait mon cœur. On allait retrouver ta sœur, t'allais sourire, les cadavres de bouteilles allaient disparaître et tu volerais à nouveau !
Sur mon petit nuage, je n'ai pas vu les heures passer. A la fin des cours, j'ai fourré mes affaires dans mon sac en toile, j'ai salué mes amis d'un signe de main et d'un sourire, et j'ai filé sur ma planche jusque chez toi.
Comme si je flottais, j'ai gravi les étages en un éclair. J'ai ouvert la porte en hurlant "J'ai trouvé ! Camille j'ai trouvé !". T'as pas répondu. Le cœur battant, complétement dégrisé, je suis entré dans le salon. Je t'ai trouvée juchée sur tes pointes, les bras tendus en arc de cercle, le dos parfaitement droit. T'avais déplacé tous tes meubles, pour avoir de la place, comme d'habitude.
Je t'ai trouvé magnifique. Et puis, seulement, je me suis rendu compte qu'aucune guirlande n'était allumée. Et qu'un flot de larmes ruisselaient sur tes joues. Je suis allé pour te prendre dans mes bras mais tu m'as repoussé. Tu as vacillé mais tu es restée sur tes pointes, fière mais brisée.
Blessé, j'ai reculé jusqu'à trébucher contre le canapé pas déplié. Je suis tombé assis dessus. Et je t'ai regardé, indécis. Devais-je être en colère ? Inquiet ? Devais-je t'adresser la parole ? Partir sans demander mon reste ?
- Camille ? Qu'est-ce qu'il y a ?
- J'y arrive plus.
J'ai pas compris de quoi tu parlais. Je savais, ça, que tu n'y arrivais plus. Tu n'arrivais plus à rien, même rester sobre était devenu compliqué. Je me suis demandé si t'étais saoule. Tu t'es élancée. J'ai retenu mon souffle, prêt à te voir te mettre à tourbillonner, et à admirer les lignes parfaites de tes jetés de jambes.
A la place, t'as essayé de toutes tes forces, mais ton pied droit a ripé d'un millimètre et t'es tombée. A genoux, tu t'es mise à sangloter. Doucement, comme si tu étais un animal blessé et apeuré, je me suis approché de toi.
J'ai posé ma main sur ton crâne. T'as reniflé. J'ai voulu te soulever en passant mes mains sous tes épaules, comme je le faisais à chaque fois que je te retrouvais étalée dans un coin de l'appart, complétement sonnée de vivre. Complétement désabusée et perdue.
Tu m'as repoussé, encore.
- Non, t'as dit, non je veux plus dépendre de personne.
Alors je me suis mis devant toi et j'ai tendu ma main. Tu l'as acceptée, et, une fois debout, tu t'es jetée dans mes bras. Je t'ai serrée contre moi avec force. Je me suis installé sur le canapé et je t'ai posée sur mes genoux.
Encore quelques secondes, t'as laissé échapper quelques larmes. Puis, un nouvel éclat a brillé dans tes yeux, tu t'es penchée et t'as défait les rubans de satin de tes pointes. Tu les as délicatement posées au sol.
- J'ai trouvé, j'ai dit.
- Trouvé quoi ?
- Le code de Sohan.
Aussitôt, t'as bondi. Tu m'as regardé droit dans les yeux et t'as tendu la main. J'ai sorti la feuille que j'avais soigneusement arrachée de mon bloc notes et pliée. Tu l'as ouverte. Et t'as lu à voix haute.
- La où les fleurs s'envolent et ou les oiseaux meurent. J't'aime. S.
T'as souri pour la première fois depuis des semaines.
- Tu sais où c'est ?
- Oui.
Et là, c'était la renaissance de l'espoir. Je l'ai vu s'allumer dans tes yeux, j'ai vu la beauté de ta détermination dans tes traits et j'ai entendu de l'assurance dans ta voix. Je me suis senti terriblement bien. Et là, oui ce jour-là, j'ai pris conscience de la chance que j'avais à être si bien entouré.
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