Je me repris instantanément.

– Enfin, si, bien sûr que je me suis déjà vue. Mais c'était... Different.

Ma mémoire s'éveilla et je me laissai happer par mes souvenirs.

J'avais dix ans. Aujourd'hui, à l'école, nous avions travaillé sur les Valeurs des Vengeances. Encore.
Je n'en pouvais plus. Je n'étais pas bête, et je les connaissais déjà. On me les répétait depuis le berceau.

J'étais rentrée chez moi de mauvaise humeur, et avais salué ma mère tellement rapidement que cela aurait pu passer pour de l'insolence. Avant, paraît-il que les mères pouvaient suspendre leurs filles à un arbre si elles n'obeissaient pas. Mais nous étions plus évoluée, maintenant; et Mère m'aimait trop.

Je m'étais excusée sous son regard bienveillant et avais re-fait ma révérence. J'étais une enfant modèle - pas comme Elvis, ma meilleure amie-, et Mère en était très fière.

Elle me prit sur ses genoux, même si j'étais trop grande pour faire le bébé, désormais, et me demanda pourquoi j'étais si énervée. En chouinant, je lui avais raconté mon ennui. Elle avait ri et m'avait remonté le moral, comme elle seule savait le faire. Puis elle était partie voir le Conseil, me laissant seule. Mais ça allait, j'étais habituée.

Quelques minutes plus tard, j'entendis un bruit dans le jardin. Sachant d'avance qui c'était, j'ouvris la porte. Devant se tenait Elvis Trejo.

Ce jour-là, le Sortilège du Physique nous avait affublées d'un nez en trompette et de cheveux bruns. Ses yeux, verts comme les miens, pettillaient.

Le Sortilège du Physique était une autre idée du Conseil. Instauré sous le règne de Gardetta II, il changeait magiquement le physique de chaque enfant, leur donnant chaque jour une couleur de peau différente, des cheveux différents ou de nouveaux yeux. Et, évidemment, tout le monde avait le même physique chaque jour.
Ainsi, même si nous appelions Nimura "la Japonaise", nous ne savions pas à quoi elle ressemblait. Elle étais juste née là-bas.

Elvis entra chez moi et ferma la porte à clé. Puis elle bloqua toutes les issues, même les fenêtres et s'approcha de moi.

" J'ai trouvé un miroir !"

J'ouvris de grands yeux. Le seul moyen de contourner le Sortilège était de se voir dans un miroir, qui étaient évidemment interdits. Mais rien n'arrêtait jamais Elvis. Elle était bien plus courageuse que moi. En fait, elle était meilleure que moi en tout; si elle n'avait pas été si désobéissante, elle aurait été choisie comme Reine, malgré qu'elle ne soit qu'une descendante indirecte de Helsinki la Première. J'avais entendu les Anciennes le dire.

"Tu viens ? J'ai hâte de voir à quoi tu ressemble !"

Alors, pour une fois, je fis taire la petite voix qui m'ordonnait de suivre les règles et rejoignit Elvis.

On s'était faufilée tel des ninjas - c'était Nimura qui m'avait appris cette expression- jusque dans le parc boisé. En réalité, c'était plus une petite forêt qu'un parc. Elvis m'avait entraînée dans une petite clairière et, cérémonieusement, avait soulevé un tas de feuilles, révélant un miroir aussi haut que Hannah, qui était la plus grande d'entre nous. Un mot effacé était écrit.

Précautionneusement, nous l'avions soulevé et posé contre un arbre. Nous venions juste de finir quand les fourrés avaient bougé, me faisant sursauter. J'avais terriblement peur que quelqu'un nous découvre; mais ce n'était que Alberta et Victoria. En me voyant, elles plissèrent leur nez si semblable au mien.

" Pourquoi tu l'as ramenée, El'? Elle ira tout moucharder à la Reine avant demain, cette balance.
- C'est même pas vrai ! Et je ne suis pas une balance !
- Si il arrive quelque chose, on saura que c'est toi."

Les larmes me montèrent aux yeux. Elles étaient odieuses, mais je ne faisais pas le poid, je le savais. Et elles aussi.

Me délaissant, elles s'approchèrent, avides.

" Stop !" cria El' " c'est nous qui avons trouvé ce miroir, donc nous passons devant !"

De mauvaise grâce, elles s'écarterent. Tout le monde respectait Elvis. Avec un grand sourire, elle me fis signe de passer. Je l'approchai. Maintenant, j'arrivais à distinguer ce qu'il y avait eu d'écrit : un " v" stylisé et entouré de fleurs omniprésentes.

Je me plaçai devant. Au début, je ne compris pas ce que j'avais sous les yeux mais, finalement, je réalisai : devant moi se tenait un monstre.

Dans le miroir, une créature étrange se me devisageait. Une chose aux crocs pointus, au rictus mauvais et aux griffes acérées. Et c'était moi.

"Alors, Aurore ? Pousse-toi un peu qu'on voit à quoi tu ressemble !", se moqua Victoria.

Non ! Surtout pas ! Je voulais que personne ne connaisse mon apparence. Mais trop tard. La brune jeta un coup d'œil dans le miroir et poussa un long hurlement, vite rejoint par un second, celui d'Alberta et d'Elvis. Leurs trois reflets étaient parfaitement humain.
Elles s'enfuirent en courant et criant. Les larmes dévalaient mes joues. J'étais horrible.

Je restai prostrée là, jusqu'à ce que les Anciennes arrivent, ma mère en tête du cortège. En voyant mon reflet, la plupart eurent un mouvement de recul. Même Fabienne, qui était pourtant ma tante préférée, et la plus tolérante de toutes.

Maman me prit dans ses bras. Partout autour de moi, j'entendais les gens murmurer. Je n'avais plus la force, ni mentale ni physique, d'écouter; mais un mot revint, plus fort que les autres : monstre. Je ne voulais plus rien sentir, ressentir. Finalement, je tombais dans un sommeil comateux, loin de la cruauté du monde.

Lorsque je me suis réveillée, j'étais allongée dans notre canapé; Mère observait pensivement la fenêtre. Je me redressai.

" Pourquoi m'avoir désobéi, Aurore ? Pourquoi ?
– Et vous, pourquoi m'avoir cachée que j'étais un monstre ? Vous le saviez forcément.
– Tu n'es pas un monstre."

Elle soupira.

" Ce miroir s'appelle " Véritable ". Il est ensorcelé. Ce que tu as vu était ta Vengeance, pas ton apparence. Je me demande d'ailleurs comment la petite Trejo a réussi à mettre la main dessus.
– Elle avait les yeux argentés. Pourquoi les vôtres ont-elles vos yeux et moi non ? Je ne suis pas normale, Mère, il faut se rendre à l'évidence."

Elle sourit tristement.

" Non, tu es unique."

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Coucou !
Un chapitre vraiment long, qui m'a demandé beaucoup de temps (1003 mots !! 😱).
J'espère qu'il vous plaira !

On parle pour une fois de l'enfance d'Aurore/Silver.
J'espère que vous avez compris pourquoi elle avait pris ce surnom 😉.

P. S : j'essaierai d'être plus régulière.

Biz 😘