CHAPITRE XII - VISITE

Publié par , le jeudi 17 octobre 2019

Marina, Astroport de Vancouver, planète Terre, cargo "Moonshine" , mercredi 23 mai 2356.

Assis dans la salle commune, Jerem tentait de se focaliser sur les nouvelles qui défilaient sur l'Holoposte, sans grand succès. La préoccupation l'empêchait de se concentrer.

Il était rare qu'une telle tension règne à bord du Moonshine Runner. Malgré des caractères radicalement différents, les membres d'équipage se montraient d'une franchise absolue dès qu'apparaissait la plus petite ombre de désaccord. Le capitaine ne savait pas comment gérer la situation présente : il comprenait et respectait le désir de chacun d'avoir un peu d'intimité quand c'était nécessaire, mais cette fois, les choses allaient trop loin : c'était comme si chacun d'entre eux fuyait tous les autres. Même Josse s'était retiré dans l'un de ses « coins à sieste » dont il avait le secret, au grand dam de Mirella qui aurait bien voulu en bénéficier.

Mika avait dû sentir l'orage dans l'air, car il s'était poliment excusé avant de partir vers sa cabine nouvellement attribuée. Jerem était rassuré par la discrétion du garçon : tant qu'il ne possédait pas de papiers, mieux valait qu'il se montre le moins possible. Malheureusement, il doutait de pouvoir les obtenir dans l'immédiat, surtout avec Mirella hors circuit.

Paradoxalement, ce n'était pas la jeune fille qui l'inquiétait le plus : malgré sa fragilité apparente, elle était plus solide et tenace qu'il n'y paraissait. Il s'en faisait plus pour Becka ; il était rare qu'elle réagisse de façon aussi viscérale à quoi que ce soit. Il voulait bien croire qu'elle se sentait coupable pour Mirella, mais il n'y avait pas que ça. Comme à chaque fois où elle aspirait à la solitude, elle avait dû se terrer dans la salle de machines. Il n'irait pas la débusquer tout de suite : il n'avait pas envie de se faire mettre à porte manu militari – et il savait très bien qu'il ne ferait pas le poids face à son athlétique mécanicienne.

Jerem sursauta en entendant l'indicatif de l'holophone : quelqu'un souhaitait établir un contact de l'extérieur de l'appareil. Ce n'était pas le moment adéquat pour recevoir de la visite, mais il existait des interlocuteurs qu'il ne faisait pas bon ignorer : les agents des douanes, par exemple. Il se dirigea vers l'écran de communication et l'activa. Le visage qui apparut le laissa perplexe. Un garçon qui pouvait avoir n'importe quel âge entre seize et vingt ans le fixait avec un regard d'une innocence trop intense pour être authentique.

« Excusez-moi... fit-il d'une voix claire, mais un peu gênée, vous êtes bien Jeremy Straszinsky, le capitaine du Moonshine ?

— Oui, grommela le capitaine. C'est à quel sujet ?

— J'ai besoin de vous parler.

— Ça ne me dit rien du tout. Mon vaisseau n'est pas un moulin !

— Un moulin ? »

Au ton intrigué du garçon, Jerem se frotta le front avec lassitude : il oubliait parfois que les communautés de Mars avaient conservé dans leur langage de vieilles expressions peu compréhensibles pour le reste de l'humanité.

« Je voulais juste dire que je ne vois pas pourquoi je vous ferais monter à bord. Navré. »

Le visiteur baissa les yeux :

« Laissez-moi au moins parler à misser Dahar. J'étais en affaires avec elle... »

La première réaction de Jerem fut de l'envoyer balader : Mirella avait eu assez de problèmes avec ces milieux douteux. Cependant, à y regarder de près, ce garçon n'avait rien d'un runner : pas d'implant, pas de tatouage, pas de vêtements extravagants. Soit il était aussi honnête qu'il semblait propre sur lui, soit il risquait d'être bien plus dangereux que le runner ordinaire. Dans tous les cas, l'intrus leur causerait plus de soucis qu'autre chose. Malgré tout, il ne pouvait décemment le renvoyer sans au moins prévenir Mirella.

« Bon, patientez un moment. Mais si elle dit qu'elle ne veut pas vous voir, vous prenez vos cliques et vos claques et vous disparaissez sans faire d'histoire. C'est bien compris ?

— C'est promis. »

À contrecœur, Jerem s'éloigna du communicateur et se dirigea vers la console des alarmes internes. Il lança un signal à l'attention de Mirella, en espérant qu'elle se trouvait bien dans sa cabine et n'était pas partie se réfugier dans l'un des coins à siestes de Josse.

Le communicateur sonna trois fois. Enfin, le capitaine du Moonshine entendit une voix ensommeillée :

« Jerem, c'est toi ? Qu'est-ce que tu veux ? »

La voix éteinte de la jeune fille lui serra le cœur, mais la laisser déprimer seule dans sa cabine ne constituait pas la meilleure des solutions :

« Il y a un visiteur pour toi. Un gamin...

— Un gamin ?

— Enfin... un petit jeune, quoi. Même pas sûr qu'il ait la vingtaine.

— Un runner ? demanda-t-elle d'un ton interloqué.

— Il n'en a pas l'apparence en tout cas. Ni les manières. Tu n'as aucune idée de qui ça peut-être ?

— Aucune, répondit-elle avec confusion.

— Peut-être peux-tu venir lui parler ? »

Un silence lui répondit. Il espéra – probablement en vain – que le visiteur se lasserait-il et les laisserait-il en paix. D'un autre côté, s'il se révélait inoffensif, sa présence pourrait peut-être distraire Mirella de ses humeurs moroses.

« D'accord. J'arrive. »

La jeune femme fit son apparition quatre minutes plus tard, sa chevelure violette en vrac autour de son visage renfrogné, vêtue d'un T-shirt informe d'un jaune criard et d'un vieux pantalon qui traînait plus bas que ses pieds nus. Elle tripotait inconsciemment le bracelet argenté à son poignet. En la regardant, Jerem se demanda s'il n'allait pas dire au visiteur de repartir, plus par égard pour lui que pour elle. Elle s'avança d'un pas traînant jusqu'à l'holophone, scrutant le jeune homme :

« On se connaît ? »

Il lui adressa un sourire lumineux :

« Pas depuis bien longtemps, mais... oui. Garry Pryce. Vous vous souvenez ? »

À l'expression interloquée de la jeune femme, Jerem se demanda si la réponse était « oui » ou « non ». Le garçon leva sa main droite et remonta sa manche, montrant un bracelet judiciaire semblable à celui que portait Mirella.

« Je sais que je suis certainement la dernière personne que vous avez envie de voir à l'instant, mais je veux vous proposer un arrangement. À vous et à vos amis... »

Les yeux de la jeune femme se plissèrent dangereusement :

« Un arrangement ? Je te signale que c'est un peu de ta faute si nous sommes bloqués ici.

— Eh, ce n'est pas moi qui ai demandé aux gorilles de venir. Encore une fois, je pense que vous feriez mieux de m'écouter. Si je ne parviens pas à vous convaincre, vous n'aurez qu'à me jeter dehors ! »

Par-dessus l'épaule de Mirella, Jerem observa l'expression ouverte et sincère sur le visage du garçon. Il avait toujours fait preuve d'un bon jugement concernant les gens, même quand ce n'était pas si évident. Et quelque chose chez ce jeune homme le portait à lui donner sa chance : peut-être la franchise qu'il pensait voir dans ce regard turquoise, et la gêne teintée de remords qu'il semblait éprouver à l'égard de Mirella.

Il posa une main rassurante sur le bras de Mirella et la sentit trembler légèrement sous son contact.

« C'est d'accord. Mais soyons clairs : mon vaisseau, mes conditions. C'est d'accord ?

— C'est d'accord », répondit le garçon d'une voix soulagée.

Jerem réprima un soupir ; il était sûr qu'il le regretterait... tôt ou tard.

* * *

Wellington, Terre, mercredi 23 mai 2356.

En d'autres lieux et d'autres temps, elle avait connu des gens qui éprouvaient une immense frayeur quand leurs yeux se fixaient sur les profondeurs infinies de l'espace. Comme s'ils allaient y être aspirés et engloutis, infimes particules dans la majesté titanesque de l'univers. Mais elle ressentait quelque chose de profondément différent : elle avait le sentiment de participer de ce tout, où chaque élément aussi minuscule soit-il faisait partie d'une mécanique bien rodée.

Mais si l'un de ces éléments changeait de place, l'équilibre entier pouvait être affecté. Et elle avait appris quelle magnifique jouissance on pouvait concevoir en voyant la pesante machinerie répercuter de proche en proche les effets des grains de sable qu'elle lançait dans ses rouages.

Même si jamais le destin n'avait pris la route qu'elle avait tenté de tracer.

« Madame ? »

L'image du visiteur qu'elle attendait s'afficha sur l'inter-holo. C'était un spécimen d'humanité assez peu remarquable, mince, presque frêle, les cheveux plats d'une couleur indéterminée. Mais derrière ce visage ordinaire, se dissimulait un esprit logique et pénétrant, capable de prendre en compte différents fils d'informations, de juger de leur pertinence et d'en tirer les éléments les plus importants. Même si elle aurait pu avoir accès aux meilleures structures de traitement informatique, elle avait toujours considéré l'outil biologique comme le plus performant.

Peut-être était-ce lié à sa formation : en tant que généticienne, elle avait approché de près le miracle de la vie, et plus encore, de la vie intelligente. Mais elle n'avait jamais été particulièrement enthousiasmée par la manipulation génétique : trop de facteurs intéressants disparaissaient de ces génomes bricolés, taillés, recollés. Des réussites trop rares, des échecs trop terrifiants... La sélection était statistiquement plus sûre, moins aléatoire. Certes, les résultats étaient moins contrôlables, mais finalement, de quoi avait besoin la civilisation ?

De mécaniques humaines bien huilées ?

Ou au contraire, d'individus bénéficiant de talents d'adaptation et d'initiative, capables de faire la différence dans un vaste champ de domaine ?

Malgré tout, elle devait admettre que dans certains cas, cette science montrait une utilité bien réelle. Comme pour le spécimen A2-12335, qui constituait un pari audacieux, aussi audacieux en son genre que l'avaient été à leur époque les seraphim et les erelim, même s'ils relevaient d'un tout autre principe.

Une fois entre les mains de sa société, il pourrait représenter tout à la fois une base de travail précieuse, tout comme une monnaie d'échange qui lui permettrait de récupérer tout ce qu'on lui avait pris, à ses conditions.

« Madame ? »

Elle se refit une contenance :

« Vous pouvez entrer », déclara-t-elle froidement.

Elle décida d'éteindre les images spatiales de son bureau : Arald n'était pas du genre à se laisser impressionner pour si peu... ou plutôt, il remarquerait à peine ce qui ne lui livrerait aucune information utile sitôt passé un premier examen. Elle opta à la place pour une lumière vert pâle, clinique et impitoyable, qui lui rappelait les premiers laboratoires dans lesquels elle avait travaillé.

Les portes coulissèrent, livrant passage à son visiteur. Il salua brièvement sa supérieure avant de venir s'asseoir en face d'elle, sans s'embarrasser du moindre décorum.

« Nous avons examiné toutes les pistes que nous avons pu trouver sur des genhum illégaux. Nous nous sommes concentrés sur les établissements de faux génomes et de fausses identités. Ils sont plus nombreux qu'on ne se l'imagine... Même si la production officielle de genhum a cessé, il existe toujours des sources illégales. Certaines souches ont pu être clonées et restent recherchées dans les milieux criminels. »

La femme sourit froidement :

« C'est à croire que nos autorités ont certaines œillères... et que cela les arrange, en un sens...

— C'est une évidence. En l'occurrence, cela nous sert aussi. Il existe des filières qui surveillent de près les pourvoyeurs de fausses identités. Au cas où certaines de ces informations pourraient trouver preneur. La plupart du temps, ces données ne ressortent jamais. Le risque de tarir des sources utiles est bien trop grand. Mais un client discret et prêt à mettre les fonds nécessaires peut trouver des pistes intéressantes... »

Il s'arrêta un moment, non pour chercher l'assentiment de son employeuse, mais pour rassembler ses idées :

« Bien entendu, nous ne pouvons écarter l'éventualité que le spécimen A2-12335 ait été dissimulé, après son interception, dans un lieu secret où il a été maintenu depuis. La disparition totale du vaisseau qui le transportait invite à privilégier cette possibilité. Mais dans l'éventualité où quelqu'un ait cherché à lui donner une existence légale, nous avons pu isoler cinquante-trois pistes, sur six planètes différentes. Ce qui constitue une base de recherche très raisonnable. Bien entendu, il va falloir explorer avec attention chacune d'entre elles, et on ne peut exclure le risque d'un résultat négatif...

— Ce n'est pas un risque majeur, d'autant que nous avons déjà payé nos sources. Merci, Arald. »

L'homme se leva, s'approcha du bureau pour y déposer une carte-mémoire de petite taille, mais qui contenait sans nul doute tous les éléments importants. Elle pouvait lui faire confiance pour exercer les vérifications nécessaires. Ensuite, il lui appartiendrait d'organiser, si besoin, l'opération en découlerait. Une grimace déforma légèrement ses lèvres : elle était parfois fatiguée que tous ses employés ou alliés ne montrent pas le zèle calme et efficace d'Arald. D'être obligée d'instiller en eux un sentiment de peur pour qu'ils suivent ses directives... Mais ils ne semblaient pas pouvoir donner autrement le meilleur d'eux même.

« Oderint, dum metuant... » (1) murmura-t-elle, tandis que son doigt effleurait les commandes des panneaux holographiques, replongeant son bureau dans l'espace infini.

(1) Qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent.

***

Marina, Astroport de Vancouver, planète Terre, cargo "Moonshine" , mercredi 23 mai 2356.

« Et qu'est-ce qu'on a à y gagner ? demanda Becka, les bras croisés, foudroyant du regard le jeune homme.

— Une fois que tout ce sera tassé, je vous fournis les papiers demandés... gratuitement.

— Et moi, je suis le père Noël...

— Si j'avais su qu'il vous ressemblait, j'aurais été plus sage... » répondit le runner avec un petit sourire.

Becka décida d'abandonner toute prétention de calme et de patience. Elle se tourna vers Jerem : « Donne-moi une raison... Une seule raison pour ne pas l'écraser sur place... »

Le garçon plissa légèrement ses yeux turquoise et s'enfonça dans le vieux fauteuil bleu.

« Ce n'est pas la peine d'être aussi agressif, grommela-t-il. Je vous jure que je suis réglo. Vous pensez vraiment que je me montre à tout le monde sous mon vrai visage ? Vous savez ce que je risque ?

— À tout prendre, moins que quand tu te trimballes avec ta tenue de cirque », répliqua Becka.

Jerem, qui s'était prudemment abstenu de faire toute remarque, examina leur « invité » d'un œil pensif : « Et s'il est sincère ? Il faut quand même avouer que ça aiderait nos finances...

— Tu oublies que c'est de sa faute si Mirella s'est fait rafler !

— De ma faute ? »

Le garçon la fixa avec un air éberlué qui sembla très bien imité à la mécanicienne.

« Je ne vois pas en quoi c'était de ma faute. Nous étions...

— Au mauvais endroit au mauvais moment, oui, je sais, répliqua-t-elle, agacée. Tu n'es pas du style à prendre la moindre responsabilité, toi, n'est-ce pas ? »

Les épaules du jeune homme s'affaissèrent ; furtivement, sur son visage aux traits avenants, une expression inattendue passa. Un mélange d'ironie et d'amertume, mêlée à une certaine tristesse. Mais elle disparut si vite qu'elle aurait pu tout aussi bien rêver.

« Pensez ce que vous voulez, grommela-t-il avec un haussement d'épaules étudié. De toute façon, vous vous êtes déjà fait une idée sur moi, je ne pourrai pas vous faire revenir dessus. Mais l'inverse est vrai aussi. Ça fait quoi de se retrouver à bricoler ce sabot, quand on a assuré des postes à responsabilité dans des boîtes prestigieuses ? »

Son sourire arrogant n'allait pas vraiment avec son regard attentif et calculateur. Mais que pouvait bien chercher ce gosse, à part une mort prématurée ? Becka respira profondément pour endiguer la rage que la remarque avait éveillée en elle, cette impression d'injustice qu'elle n'avait jamais totalement pu enterrer.

« Cela donne le sentiment d'être libre. N'est-ce pas ce que vous invoquez toujours, vous, les runners ? Votre sacro-sainte liberté ?

— Oui... Mais nous en payons chaque jour le prix. C'est pour cela que je suis prêt à lui dire adieux, dès que j'aurais les moyens de la mettre derrière moi. »

Il se redressa légèrement, la toisant avec une froideur et une gravité qui seyait mal à un visage aussi jeune ; mais ce qui surprit le plus la mécanicienne fut l'éclat de son regard, étonnement intelligent et perceptif. Non, pour le peu qu'elle connaissait des runners, ce gamin n'avait pas grand-chose en commun avec l'idée qu'elle se faisait d'un de ces trafiquants dramatiquement portés sur l'autodestruction. Il était clean et semblait en bonne santé. Même si son physique n'avait rien d'impressionnant, il se mouvait avec souplesse et assurance. Soit ce type était une erreur de casting, soit il cachait bien son jeu.

Elle se tourna vers Mirella, qui était restée pelotonnée sur le fauteuil qui faisait face à celui de Pryce, en le fixant avec une expression indéchiffrable.

« Tu en penses quoi, toi ?

— Qu'il n'est pas un runner, et n'en a jamais été un, rétorqua la jeune fille d'un ton plein de défiance. Mais qu'il a très bien joué la comédie.

— Parce que je suis clean ? s'étonna le garçon.

— Tu es quoi au juste, un indic ? »

Un sourire un peu mystérieux joua sur les lèvres du garçon : « Non, je ne suis pas un indic. Parole d'honneur. Mais disons que j'ai un peu plus d'ambition que celle de vivre jusqu'au mois prochain. »

Il la détailla avec attention : « D'ailleurs, je pourrais te retourner le compliment. Je ne connais pas beaucoup de runner girls qui ont vécu au-delà de leurs dix-huit ans. Et tu es presque aussi peu modée que moi. C'est pour cela que tu as atterri ici. Tu n'es pas une paumée, tu n'en as jamais été une. N'est-ce pas ? »

La jeune fille se recroquevilla un peu plus dans l'assise et lui lança un regard furibond. Becka décida que tout cela avait trop duré : « Ça suffit. Je ne sais pas ce qu'en pensent les autres, mais tu ne m'as pas convaincue. Encore une fois, qu'est-ce qui m'empêche de te prendre par le fond de ton pantalon et de te balancer hors du Moonshine ? »

Elle ne s'aperçut pas tout de suite qu'une nouvelle personne était entrée dans la salle commune ; ce ne fut que lorsqu'elle vit bouger quelque chose au bord de son champ de vision qu'elle pivota vers la porte, avec un sentiment de panique : Mika... Mais qu'est-ce que le genhum venait faire ici, au plus mauvais moment possible ? Elle réalisa, le cœur dans l'estomac, qu'elle avait omis de le prévenir de ne surtout pas se monter. Le jeune homme dut lire dans son expression et sa posture sa désapprobation, car il s'arrêta net et l'interrogea du regard.

Vif comme un serpent, Pryce s'était déjà tourné pour l'examiner, comme un chat qui aperçoit une souris. Un large sourire éclaira les traits du runner : « Tiens ! Votre nouveau membre d'équipage, je présume ? »

D'habitude, Becka n'avait aucune peine à répondre à tout ce qui pouvait lui être lancé au visage, mais cette fois, elle se trouva dramatiquement prise de court. Il ne fallait pas compter sur Jerem pour faire de l'esprit, et Miri n'en était capable que quand cela énervait ses proches. Quant à Josse, il n'avait pas repointé le bout de son nez.

« Oui, répondit doucement Mika. Je m'appelle Mika Staszinsky et je suis arrivé il y a quinze jours à bord. À qui ai-je l'honneur ? »

Becka sentit son cœur louper un battement : non seulement c'était l'identité fictive qui avait été fournie au runner, mais pire encore, aux yeux d'un trafiquant un tant soit peu expérimenté, la nature du garçon ne pouvait faire aucun doute.

« Enchanté de vous connaître, répondit le jeune intrus en se levant. Je m'appelle... Garrisson Weiss. Je suis une relation d'affaires de votre... oncle. »

Il tendit une main franche au genhum qui, après quelques secondes d'embarras, finit par la saisir. Becka fronça les sourcils, un peu surprise : beaucoup de gens ne seraient pas « abaissées » à saluer, encore moins à toucher un humain génétiquement modifié. Comme si leur condition était contagieuse.

La mécanicienne n'avait pas oublié que quelques siècles plus tôt, les individus qui partageaient sa couleur de peau souffraient de ce type de discrimination – même si dans l'ensemble, aucun groupe n'était indemne d'une forme de rejet ou d'une autre. Mais ces réactions avaient pour l'essentiel disparu – paradoxalement, la création des genhum avait beaucoup contribué à éliminer le racisme ordinaire en suscitant un sentiment de cohésion entre les « vrais humains ».

Elle-même avait toujours mis un point d'honneur à ne pas agir de la sorte, à les traiter en égaux, mais son attitude à l'égard le sergent blond l'avait placée en face de ses propres contradictions. D'un côté, elle était prête à prendre des risques non négligeables pour protéger Mika, mais d'un autre, elle avait affiché un mépris patent envers un garçon qui avait le seul tort d'être né d'une éprouvette et de faire son travail avec un zèle qu' en tout état d'âme, elle ne pouvait pas condamner.

Mais Pryce ne semblait pas nourrir la moindre prévention en la matière. Il était même surprenant de voir combien Mika, qui quelques semaines plus tôt, ne supportait pas le contact d'autrui, paraissait à l'aise avec le runner.

Les yeux turquoise posaient sur le genhum un regard attentif, un peu curieux, touché d'une pointe de compassion – mais sans excès.

« Nous n'avions pas fini notre conversation, intervint Jerem pour la première fois depuis l'arrivée du runner à bord. Mika, si tu peux nous laisser... »

La grande silhouette blonde disparut comme elle était arrivée.

« Je ne vous demanderai pas où vous l'avez trouvé, murmura Pryce en le suivant du regard, mais sa nature est trop évidente pour que vous le laissiez se promener seul dans le coin. Mais il est peut-être temps que je parte », ajouta-t-il en se levant.

« Pas si vite, reprit Jerem. En ce qui me concerne ma part, votre marché me semble intéressant, et je suis prêt à y réfléchir, mais il me faut l'assentiment de mon équipage. Mirella ? »

La jeune fille le regarda de biais, fit la moue avant de déclarer : « Ça me va, mais nous te garderons à l'œil... »

Pryce lui adressa un petit sourire, avant d'interroger Becka en silence.

« Je suis sans doute en train de faire la plus grosse bêtise de ma vie, grommela la mécanicienne, mais... c'est d'accord. »

Elle foudroya le jeune homme du regard : « Mais tu n'as pas intérêt à me le faire regretter !

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