Chapitre 78 Tyler (Tome 2)
Après nous avoir pris nos affaires, les empruntes et fait les photos réglementaires, on nous avait mis en cellule pendant ce qui m'avait semblé une putain d'éternité. J'avais beau réclamer cet appel auquel Tony et moi avions droit, c'était comme si nous nous adressions à un mur.
Les officiers qui nous avaient arrêtés se pavanaient devant nous, de l'autre côté des barreaux, et ne rataient pas une occasion pour insulter les « sales chicanos » que nous étions. Il y en avait même un qui avait dit que nous serions déportés, à ce moment-là, Tony et moi avions éclaté de rire. Visiblement, n'importe quel péquenaud pouvait devenir flic, car bien que descendants d'immigrants, nous avions tout comme lui la nationalité américaine. Au moment où il avait dit une telle connerie, son co-équipier lui avait chuchoté quelque chose à l'oreille et il s'était empourpré.
Bah ouais espèce de connard, nous sommes aussi américains que toi, pensai-je, ayant une envie incontrôlable de les tabasser.
On bafouait nos droits et ils semblaient s'en cogner. N'étaient-ils pas au courant que devant une cour, sans qu'ils ne m'aient cité mes droits, la procès serait annulé pour vice de procédure ? Bordel, je n'étais pas flic, je n'avais jamais étudié le Droit, mais bon sang, ça je savais ! C'était le minimum.
De plus, étant donné qu'il était déjà assez tard – nous étions sans doute arrivés au poste vers deux heures du matin –, ils étaient les seuls dans le coin. J'ignorais même dans quel commissariat de Houston nous nous trouvions, je ne connaissais pas la ville par cœur. J'optais pour une se trouvant près de la périphérie, car si cela avait été dans le centre, l'endroit aurait été beaucoup plus transité.
Tony était assis sur un banc, tandis que j'étais debout, près des barreaux, gueulant à chaque fois que j'apercevais l'un de ces fumiers. Je réclamais mes droits et je le ferais sans m'arrêter, jusqu'à ce qu'ils en aient marre de m'entendre et me concèdent enfin ce foutu appel.
— Tu veux bien arrêter de brailler ? me demanda mon ami après que j'aie insulté pour la énième fois le flic qui m'avait cloué au sol lors de l'arrestation.
Je me retournai vers lui et vis qu'il semblait être fatigué, il massait ses tempes en faisant des mouvements circulaires. Sans doute l'alcool qu'il avait ingurgité tout au long de la soirée n'aidait pas, ainsi, je fermai mon clapet et allai m'asseoir à ses côtés.
Depuis qu'on était arrivés, je ne cessai de me demander comment les choses avaient pu tourner ainsi. Comment ce paquet de drogue que j'avais revendu à Hector s'était retrouvé dans le coffre de la voiture de mon meilleur ami ? Ça n'avait aucun sens.
La première pensée qui m'était venue à l'esprit, c'était que le gang avait voulu nous tendre un piège, mais plus j'y réfléchissais, plus ça me paraissait insensé. S'ils avaient voulu nous faire un sale coup, se débarrasser de nous, jamais ils n'auraient fait appel à des flics. Jamais. Ça, je le savais. Jay était peut-être un putain de psychopathe, mais il faisait le sale boulot lui-même, jamais il ne mêlerait la police à cette histoire. Non, après réflexion, s'il s'était agi d'un piège du gang, Tony et moi serions en ce moment même morts, en train de pourrir dans une fosse creusée à notre effigie en plein milieu du désert du Texas.
Alors... qui avait pu nous faire un coup pareil ? À qui Hector avait vendu cette drogue ? Est-ce qu'il était de mèche avec celui ou ceux qui nous avaient piégés ?
Je n'en savais foutre rien et ça commençait sérieusement à me rendre dingue, je ne cessais d'y penser depuis que j'avais vu ce fumier de flic sortir le paquet du coffre de la Mustang.
Mes hypothèses s'étaient tout d'abord fixées sur le gang, pour ensuite, dévier sur d'autres personnes, en commençant par ce salopard de Jackson Hayes. Se pouvait-il qu'il ait compris que j'étais celui qui l'avait obligé à creuser sa propre tombe à poil en plein milieu des bois ? Serait-ce une revanche de sa part ? Cela se pourrait, mais il y avait quelque chose qui clochait : encore et toujours ce foutu paquet rempli de coke que j'avais revendu à Hector.
J'avais également pensé à ce cher Liam O'Neal, bien que passif ces derniers mois et s'étant grandement effacé lors du procès de cette ordure de Jackson, j'étais celui qui avait découvert qu'il travaillait toujours pour les Hayes et il avait juré à un moment de me le faire payer. Pas en employant directement ces termes-là, mais le regard qu'il m'avait lancé cette journée-là, quatre mois plus tôt, pour moi, elle voulait absolument tout dire. J'ignorais de quoi ce type était capable, mais encore et toujours, le putain de sachet de coke revendu à Hector ne collait pas dans l'affaire.
Plus j'y repensais et plus j'étais certain que d'une manière ou d'une autre, Hector en était mêlé... mais pas le gang. Et j'étais complètement paumé, car je ne voyais pas pourquoi ce type voudrait me faire un coup pareil, à moi ou même à Tony. Il m'avait aidé, sauvé même la vie lors du massacre dans cette grange quatre mois plus tôt, tout comme mis en garde à l'égard de Santos. Je me souvenais encore de l'effroi dans ses yeux lorsqu'à distance, je pointais mon flingue dans la direction de Jay après qu'il eut abattu Alvaro, puis Sofia. Je revoyais encore le visage de mon amie, son corps rampant à travers la paille, essayant de lui échapper et lui, posant un pied au niveau de son dos dans le but de l'immobiliser, puis de lui planter une balle en pleine tête. Oui, c'était à ce moment-là, chaotique, que la main tremblante, j'avais pointé mon arme sur lui afin de le descendre et qu'Hector m'en avait empêché. Cette affaire l'avait pris au dépourvu, tout autant que moi, à moins qu'il ne fut un parfait acteur, ce qui – désormais – commençait à devenir une forte possibilité.
J'ignorais quoi penser, mais une chose était certaine : on était dans une sacrée merde. Si je ne pouvais pas prouver que ce sachet de coke ne m'appartenait pas – alors qu'il y avait parfaitement mon nom de famille marqué dessus et sans aucun doute mes empruntes –, j'étais bon pour la prison. Il s'agissait d'un putain de kilo de coke, répertorié dans l'état du Texas comme un produit de la catégorie des stimulants, se retrouvant dans le groupe des pénalités numéro un. Si on était en possession de moins de quatre cents grammes, alors on pouvait écoper de cent quatre-vingts jours de prison à deux ans, mais au-delà de cette quantité, ça pouvait aller jusqu'à la prison à perpétuité.
Je connaissais les lois, car bien que jeune lorsque j'avais commencé, je m'étais empressé de faire certaines recherches afin de ne pas me faire choper, car le fait d'être mineur ne me sauverait pas d'une peine de prison. Voilà pourquoi je m'étais toujours servi d'une nourrice afin de planquer la came, il fallait minimiser les risques. Bordel, j'avais toujours fait attention à ce genre de petits détails, et maintenant que ce monde était à deux doigts d'être derrière moi, je me faisais arrêter pour possession d'un kilo ? Si le mec en haut dans ses nuages se croyait drôle, pour moi, il n'était rien d'autre qu'un putain de sadique qui s'amusait à mettre l'espoir devant le nez des gens, pour ensuite, le lui enlever de la manière la plus cruelle qui soit.
— Comment on va prouver que ce n'est pas à nous ? demanda mon ami, rompant le silence qui avait pris place dans notre cellule.
J'aurais aimé lui donner une réponse, mais j'en avais aucune idée. Je ne voyais aucune issue, celui qui nous avait piégé s'y était pris de la bonne manière. Comment prouver que cette came ne nous appartenait pas ? Nous ne le pouvions pas, encore moins si on ne nous laissait pas appeler un avocat. Même si nous n'avions pas les moyens de nous en payer un, un devait nous être commis d'office, c'était écrit clair et net dans le sixième amendement de la Constitution Américaine. Ce que ces saleté de racistes étaient en train de nous infliger était une violation de nos droits, en plus d'un vice de procédure. Alors, même si nous ne pouvions pas prouver que cette coke ne nous appartenait pas, le jugement serait annulé à cause de l'incompétence de ces deux connards. Le fait de ne pas citer ses droits à un détenu était une raison suffisante pour enlever toutes les charges qui pesaient sur lui.
— Nous n'avons pas renoncé à nos droits, ce qui veut dire que ces salauds sont en train de les violer. Selon l'avertissement Miranda, lors d'une arrestation, ils doivent nous signifier notre droit à garder le silence ainsi que celui de bénéficier d'un avocat. Ils ne l'ont fait à aucun moment, ils nous ont enfermés ici, sans nous laisser passer ce coup de fil auquel on a droit. C'est un vice de procédure et un jugement peut être annulé rien qu'à cause d'une bavure pareille.
— Tu penses qu'on peut s'en tirer ? Combien de temps on risque de prendre si ce n'est pas ce que tu préconises ?
Je fermai les yeux et poussai un long soupir. Franchement, je n'étais vraiment plus sûr de rien, mais quoi qu'il en fut, ça ne sentait vraiment pas bon. Toutefois, je devais me montrer honnête avec lui, il avait le droit de savoir quel danger nous encourions.
— Selon les lois du Texas, être en possession de plus de quatre cents grammes de coke peut te conduire jusqu'à une peine de prison à perpétuité.
Mon ami cessa de respirer pendant quelques instants et fixa un point invisible devant lui, sans même ciller. Nous étions tous les deux dans le véhicule, c'était SA voiture et même s'il y avait mes empruntes sur le paquet ainsi que mon nom, il pourrait prendre tout aussi cher que moi.
— Le gang s'est bien fichu de ta gueule, reprit-il, un air de dégoût dans le son de sa voix.
— Je ne pense pas que ce soient eux, avouai-je. Je vois vraiment très mal Jay Santos ou encore Hugo Murrieta faire appel à la police pour faire leur sale boulot.
— Tu pourrais être surpris, marmonna-t-il en serrant les mâchoires.
En effet, je n'étais certain de rien, mais je sentais qu'ils n'étaient pas derrière le coup. Peut-être qu'Hector l'était, mais pas le reste.
J'appuyai mes coudes sur mes genoux et attrapai ma tête entre mes mains, ne sachant vraiment plus quoi penser. Tout ce mystère allait finir par me rendre fou !
Soudain, la porte de notre cellule s'ouvrit et le connard raciste numéro un me fixa, avant de me dire :
— Toi, le gars qui ne cesse de réclamer ses droits, lève ton sale cul de chicano de ce banc et amène-toi !
Je lançai un regard en coin à Tony et m'exécutai, même si la seule chose que j'avais envie de faire, c'était de tabasser cet enfoiré. Cependant, je ne voulais pas aggraver mon cas. Un fois près de lui, il m'obligea à me retourner et me plaqua violemment contre les barreaux afin de me passer à nouveau les menottes, en me retordant les bras derrière le dos. Après quoi, il me saisit violemment par l'arrière de ma veste – étant trop petit par rapport à moi qui le dépassait bien d'une bonne vingtaine de centimètres – et m'extirpa de ma cellule, avant que son co-équipier ne referme la porte derrière nous.
Waouh, j'avais le droit à l'attention de deux officiers de police pour me conduire en salle d'interrogatoire. Devrais-je me sentir flatté ? Étais-je donc à ce point une menace pour qu'on lie mes mains à nouveau ? Allaient-ils me laisser ligoté pendant l'interrogatoire également ?
Après avoir longé un couloir et bifurqué pour nous introduire dans un deuxième éclairé par des néons qui clignotaient toutes les deux secondes, ils ouvrirent une porte où deux hommes en costard cravate m'attendaient. C'était quoi ce délire ? Je savais parfaitement que des officiers n'avaient pas le droit de conduire un interrogatoire, seuls des inspecteurs pouvaient le faire, mais l'allure de ces types me disait que c'en étaient pas non plus. Non, je flairai des putains de fédéraux.
Une fois à l'intérieur, toujours malmené par ces gentils flics, ils me firent asseoir de force sur une chaise et me détachèrent les mains pour m'enchainer directement à la table. La salle était classique,petite, mesurant environ neuf mètres carrés, ce qui la rendait oppressante, sans caméras, avec son éclairage pourri, ses fenêtres avec des barreaux et son miroir sans tain. De l'autre côté, quelqu'un d'autre nous observait, tandis que je ne pouvais voir que mon reflet.
Les officiers de police déguerpirent et je me retrouvai seul en face de ces deux agents. Tous deux avaient environ la quarantaine je dirais, l'un était chauve pendant que l'autre avait des cheveux relativement courts, roux. L'un d'eux – le chauve – retira sa veste et la posa adroitement sur le dossier de sa chaise, l'autre, pianotait ses doigts sur un dossier qui était posé sur la table. J'ignorais pourquoi, mais j'avais la nette impression qu'il me concernait de près ou de loin.
— Désolé pour tout ce remue-ménage Tyler, j'espère que toi et ton ami avez été traités dans les normes.
Il se foutait de ma gueule ? J'étais certain qu'il savait parfaitement comment ces deux connards nous avaient traités dès le moment où nous étions descendus de la voiture.
— Je veux un avocat, fut la seule chose qui sortit de ma bouche.
Si j'en demandais un, l'interrogatoire ne pouvait pas poursuivre sans la présence de ce dernier.
— Faisons les présentations d'abord, tu veux bien ? Nous sommes les agents spéciaux...
— Scully et Mulder* ? les narguai-je.
— Worthington et Bowman. Je suis agent de la DEA* et mon camarade est de la ATF*, poursuivit-il en désignant le chauve.
Je fronçai les sourcils. À l'entente des sigles DEA, je n'étais pas réellement surpris, étant donné que c'était le bureau fédéral qui s'occupait de tout ce qui avait à voir avec le trafic de stupéfiants, même si cela m'étonnait qu'ils soient venus aussi vite pour un petit dealer tel que moi, surtout, que je n'avais pas de casier. Quant à l'ATF, c'était le bureau qui se chargeait du trafic d'alcool, de tabac, d'armes ainsi que d'explosifs, alors ça me surprenait vraiment. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien me vouloir ?
— Fait pas ton malin, répondit Bowman face à ma blague précédente, parce que tu es dans de beaux draps, mon garçon.
— Je ne suis pas « votre garçon », rétorquai-je, alors que j'aurais dû être intimidé. Je veux un avocat, réitérai-je. Selon l'avertissement Miranda...
— On s'en cogne de l'avertissement Miranda, me coupa Worthington, de moins en moins amical.
Sa réponse me fit froid dans le dos. Je savais qu'il y avait de la corruption, mais là, ils ne s'en cachaient pas le moins du monde. De tous les agents spéciaux, je m'en coltinais deux complètement véreux ?
— Tu n'es pas ici par hasard, nous te surveillons toi et ton entourage depuis près de quatre mois, m'avoua l'agent de la DEA.
Il ouvrit sa putain de pochette et commença à sortir des photos. De moi.
On me voyait à Holly Beach avec Elena ; au lycée avec mes amis ; en entrant chez moi ; en train de conduire ma moto ; de bosser chez Dom ; devant le tribunal de Houston ; devant chez Ethan... Plusieurs clichés s'en suivirent et celui qui clôtura, ce fut un de Reid et moi, celui-ci me donnant la boîte à chaussures remplie de cinquante mille dollars qui se cachait désormais sous mon lit. Ces salopards m'avaient traqué, moi et mes proches... mais pourquoi ? Je n'étais qu'un gosse de dix-huit ans, je n'étais même plus actif dans le monde du dealing. Je n'étais pas un baron de la drogue ou un chef de gang, j'étais tout en bas de l'échelle. Bref, je n'avais rien de spécial pour qu'ils me harcèlent de la sorte.
— Ceci est une violation de mes droits, vous n'avez pas le droit de m'espionner !
Désormais, je comprenais parfaitement pourquoi l'officier m'avait attaché à la table. J'étais vraiment à deux doigts de leur sauter dessus. Bande de lâches !
— Tes droits, c'est juste une illusion, Tyler. Il suffit que nous disions que tu y as renoncé pour que personne ne te croit lors d'un jugement. T'es rien d'autre qu'un petit dealer, une racaille, qui va te croire ?
Je serrai les mâchoires, mon cœur battait de plus en plus vite et j'avais une sacrée envie de leur refaire leurs sales tronches. J'étais en train d'atteindre ma limite.
D'accord, ils m'avaient observé pendant tout ce temps, j'avais pigé. Les questions étaient : pourquoi ? comment avaient-ils obtenu cette drogue que j'avais acheté puis revendu ? et surtout, pourquoi me tendre un piège ? Je ne comprenais absolument rien.
Qu'est-ce qu'ils y gagnaient à coincer un type comme moi franchement ? Je n'avais jamais eu un poids suffisant dans le gang pour prendre des décisions, que cela eut été par le passé ou maintenant. Pour moi, tout ceci n'avait aucun sens, j'avais l'impression de vivre un cauchemar éveillé.
— Es-tu prêt à coopérer ou devons-nous employer la manière forte ?
— Tout ce que je dirai sera retenu contre moi, marmonnai-je.
— Et tout ce que tu ne diras pas également, m'avertit Bowman en s'appuyant contre le dossier de sa chaise. Je te conseille de coopérer, comme ça, nous pourrons en finir au plus vite.
Je serrai les mâchoires ainsi que mes poings, pour finalement, hocher la tête. Je ne pouvais rien contre eux, j'étais seul, alors je devais me plier à leur volonté, bien que cela me dégoûte au plus haut point.
— Nous connaissons ton histoire.
— Vous ne savez rien, grognai-je.
Worthington sortit un autre dossier, cette fois, il s'agissait d'une sorte d'historique. J'y vis plusieurs observations en rapport à ma vie qu'il commença à me lire, comme si je n'étais pas au courant de ce que je vivais dans mes propres baskets.
— Tu as intégré les Anges de la Mort à l'âge de quinze ans afin de subvenir au traitement médical de ta mère contre le cancer. Tu as ainsi contracté une dette avec le gang que tu paies encore aujourd'hui. Tu veux les quitter, mais il te faut payer pour ta liberté, en plus de ta dette.
— Je suppose que ça marche comme ça dans toutes les organisations criminelles.
— Tu as assisté au massacre de ton ancien chef de gang, ainsi que de tous ses seconds, continua-t-il.
Comment pouvait-il être au courant d'une telle chose ? Les flics ne s'étaient pas ramenés et j'étais certain qu'ils s'étaient débarrassés des corps sans se faire prendre. Comment avaient-ils pu avoir une telle information ?
— Nous surveillions les Corbeaux, avant de nous concentrer sur les Anges, continua l'agent, après qu'il y ait eu cette espèce de « fusion » entre les deux gangs.
— C'est faux, vous avez déjà surveillés les Anges, lui rappelai-je, vous avez même tué le précédent leader, le frère d'Alvaro.
— Certes, mais depuis qu'Alvaro était aux commandes, on l'a laissé faire...
— Jusqu'à ce qu'il franchisse la ligne et commence à vouloir entrer dans le trafic d'armes, poursuivit Bowman.
Voilà qui expliquait sa présence ici. Après que ce débile d'Alvaro ait pris l'initiative d'étendre son commerce à celui des armes à feu, Jay n'avait pas raté l'occasion de continuer sur cette voie-là, malgré le fait que les Corbeaux ne soient pas directement impliqués dans la vente, mais plutôt dans l'achat de ces derniers.
— Vous n'étiez pas au courant de cet échange, certifiai-je, si cela avait été le cas, vous vous seriez pointé.
— En effet, nous ignorions tout et notre infiltré a été pris de revers, tout autant que toi.
J'eus l'impression de recevoir une claque en pleine gueule. Un infiltré ? Ils avaient un agent sous-couverture dans le gang ? D'après ce que j'avais compris, la DEA s'étaient concentrée sur le Corbeaux, laissant à Alvaro la possibilité de continuer son trafic de produits illicites, sans pour autant l'oublier.
Mais pourquoi m'avouaient-ils qu'ils avaient une taupe dans les rangs du gang ? Ça n'avait pas de sens. Soit, ils pensaient que jamais je n'en parlerais, ou soit, que j'irais en prison y passer le restant de mes jours à cause de ce piège qu'ils m'avaient tendus. Et d'ailleurs...
— Tu te demandes encore comment ce paquet de coke est arrivé dans le coffre de la voiture de ton ami ? me nargua Bowman. Tu nous avais l'air beaucoup plus intelligent.
Hector...
C'était Hector le flic infiltré !
Lors du massacre de la grange, il semblait dépassé par les événements, même s'il était le second d'Hugo. Il ignorait tout du trafic d'armes, ni même de la tuerie qui allait s'en suivre. Puis surtout, il avait débarqué de nulle part, deux ou trois ans plus tôt pour se faire une place en haut de l'échelle hiérarchique chez les Corbeaux, virant ce salopard de Benny de son poste.
— On dirait bien que tu commences à comprendre.
Hector m'avait sauvé la vie, je lui avais fait par conséquent confiance par la suite. C'était lui qui avait placé la coke dans le coffre et qui avait fait en sorte que je sois surveillé, mais je n'en saisissais toujours pas les raisons.
Worthington se retourna et fixa le miroir sans tain avant de faire un geste, comme en invitant la personne dans la pièce d'à côté à nous rejoindre. Je me doutais qui se trouvait de l'autre côté de la glace, il ne fallait pas être devin pour le supposer.
Rapidement, la porte de la salle d'interrogatoire s'ouvrit et Hector entra, avant de la refermer derrière lui. Il n'avait pas l'allure d'un agent fédéral, il était toujours sous couverture. Depuis combien de temps ce petit jeu durait ? D'ailleurs, est-ce qu'Hector était son véritable prénom ? J'en doutais grandement.
— Salut, Tyler.
— ¡Que te den por el culo!* crachai-je, mon espagnol ressortant toujours dans les moments de tension et où j'étais vraiment à bout.
D'ailleurs, ce n'était même pas de la colère, ça allait au-delà, je ne savais même pas comment définir ce que je ressentais en cet instant. J'avais la sensation que de la lave coulait dans mes veines, tellement j'étais au bord de l'explosion.
— Calme-toi, gamin, grommela Bowman en jetant un regard en coin à Worthington.
Hector s'avança tranquillement vers la table et me fixa, avant d'aller se placer contre le miroir, tout juste en face de moi, pendant que je me faisais un véritable plaisir de le tuer du regard. Et non seulement, dans ma tête j'imaginais mille et une façons de lui faire la peau.
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
— Ce n'était pas censé se passer comme ça, je pensais avoir plus de temps, répondit Hector. Je ne voulais pas te mêler à tout ça, hélas, je n'ai pas le choix.
Mais de quoi est-ce que cet enfoiré était en train de parler ? J'étais complètement paumé dans toute cette affaire, rien n'avait de sens pour moi.
— Nous avons besoin d'un infiltré dans le gang des Anges.
— Envoyez un autre de vos agents !
— Ça prendrait beaucoup trop de temps pour gagner la confiance de Santos, dit Hector.
Je voyais où il en voulait en venir, mais c'était hors de question.
— Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, il me déteste et veut faire de ma vie un enfer, vous vous êtes trompés de gars. Et désolé, mais j'ai un billet d'avion pour New York qui m'attend, alors, démerdez-vous !
— On le sait, pourquoi crois-tu qu'on intervient maintenant ?
Je pouffai, ayant vraiment du mal à croire ce qui était en train de m'arriver. C'était tout bonnement absurde, jamais tout ceci ne m'aurait effleuré l'esprit. J'avais la sensation d'être en pleine hallucination. Depuis quand les fédéraux demandaient aux civils sans aucun entraînement de leur servir d'infiltrés ? Ils étaient désespérés à ce point ?
— Tu crois sincèrement avoir le choix ? ricana Worthington. Ce n'est pas une offre d'emploi que tu peux accepter ou refuser.
— Je ne suis pas un flic et encore moins, un infiltré ! braillai-je en tapant mon poing sur la table, ma respiration devenant erratique.
— La chose est simple, reprit Bowman, sans aucun doute en ayant marre de tourner autour du pot. Soit, tu nous aides en devenant notre infiltré, indic ou tout ce que tu veux, soit, toi et ton pote partez pour la prison fédérale pour une durée de temps indéterminée.
C'en était trop, je ne supportais pas de me voir pris au piège comme je l'étais en cet instant. Plus je découvrais de quoi il en retournait véritablement, moins je voyais d'issue à ce cauchemar.
Je voulais simplement me barrer de ce trou et recommencer ailleurs, pourquoi est-ce qu'on me mettait des bâtons dans les roues comme ça ? Bordel ! J'avais l'argent, je pouvais quitter le gang et laisser toute mon ancienne vie derrière moi, et désormais, ces salopards se ramenaient pour me faire du chantage ? Lorsque je disais que les emmerdes me collaient à la peau, ce n'était définitivement pas pour rien. Tout allait de travers dans ma vie, rien ne se passait jamais comme prévu. Il y aurait toujours quelque chose pour venir ruiner l'avenir que j'essayais de me construire et tout ça, c'était à cause de ce que j'avais fait dans le passé. Jamais encore je n'avais réellement saisi le concept de « on récolte ce que l'on sème »* , désormais que je le vivais dans ma propre chair, je le comprenais amplement. Tout ce que j'avais fait par le passé, me revenait en pleine face tel un boomerang. On pouvait dire que j'avais cherché cette situation, on s'en foutait des raisons, j'avais fait ce que j'avais fait, point à la ligne.
Jamais je ne serai débarrassé de l'emprise du gang, que ce soit d'une manière ou d'une autre, ça me collerait toujours au train.
La chose que je voulais le plus au monde, c'était recommencer à zéro, apprendre de mes erreurs pour ne plus les commettre, mais tout se retournait contre moi. Comment pouvais-je me sortir de ce mauvais pas ?
Aucun des choix qu'ils me proposaient me convenaient, ni la prison ni le fait de bosser pour eux. Toute la vie que j'avais planifié aux côtés d'Elena était en train de tomber en lambeaux, tel un château de cartes, tout juste devant mes yeux et je me trouvais pieds et poings liés, ne pouvant absolument rien faire pour l'en empêcher.
Tout ce que je désirais, c'était d'avoir enfin la paix et de vivre ma vie auprès de la personne que j'aimais, était-ce donc trop demander ? À en croire Dieu – et même si je n'étais pas spécialement croyant –, oui, ça l'était.
De plus, ils avaient un autre moyen de pression sur moi : Tony. Cette enflure d'Hector savait parfaitement que j'avais endossé sa dette, il était par conséquent certain que jamais je ne permettrais qu'il aille en prison à cause de moi.
Était-ce normal que j'aie envie de pleurer ? Car j'avais l'impression que c'était ce qui allait arriver, tellement je me sentais désespéré en cet instant. J'étais au fond du gouffre et la seule manière de m'en sortir était de plonger dans un autre, en renonçant à tout ce qui comptait pour moi.
Je savais ce que signifiait devenir infiltré, personne dans ton entourage n'avait le droit de le savoir, pour sa propre sécurité, comme pour la tienne. Les familles de flics en immersion ignoraient tout de leurs vies, la plupart n'avaient pas de familles à qui rendre des comptes, ou alors, ils coupaient carrément les ponts avec elles afin de ne pas les mettre en danger. Je devrais renoncer à absolument tout.
Tout laisser tomber et devenir leur marionnette ou aller en taule pour le reste de ma vie ? Maintenant que je savais pour Hector, ils m'enverraient au trou ou feraient n'importe quoi afin de me faire fermer mon clapet. Je n'avais pas envie de finir au fond d'un trou, tout comme je ne souhaitais pas faire partie de leurs magouilles.
— Vous voulez bien nous laisser seuls un moment ? reprit doucement Hector, après de longues minutes de silence, où les trois agents n'avaient cessé de contempler mes réactions.
Ça devait les faire bander d'opprimer une personne de la sorte, de se sentir tellement puissants, d'avoir la justice de leur côté, alors qu'à leurs yeux, je n'étais rien d'autre qu'un sale fils d'immigrants mexicains qui avait aidé à ce que les trafics de drogues continuent bon train dans la région.
L'agent de l'ATF et celui de la DEA se levèrent, regardèrent un instant Hector et finirent par prendre la porte, alors que le traitre s'assit en face de moi, bien tranquillement. Ça ne lui faisait visiblement ni chaud ni froid de ruiner ma vie davantage. Pour lui, tout ceci n'était qu'un putain de jeu, une manière de devenir un héro aux yeux de ses pairs, il n'en avait strictement rien à branler de ce qui pourrait m'arriver. Je n'étais qu'un vulgaire pion dans son jeu d'échecs.
— Pour ton propre bien, Tyler, je te conseille d'accepter notre offre.
— C'est une menace ?
— Non, c'est un conseil d'ami.
Ami ? Il était très drôle ce type, il devrait changer de boulot et devenir un putain d'humoriste !
— Pour le bien de ton entourage, je t'en supplie, accepte.
Je le zieutai droit dans ses iris et son regard sembla grave, comme si la situation lui échappait des mains, qu'elle n'était plus sous son contrôle.
— Accepte, réitéra-t-il, et je te promets...
— Ferme ta gueule ! hurlai-je. Cesse ton baratin, qu'est-ce que tu vas me promettre ? Hein ? Tu es en train de ruiner ma vie, espèce de salopard !
— Tu as ruiné ta vie toi-même au moment d'intégrer le gang, gamin, répondit-il calmement, sans se soucier de mon regard de tueur. Accepte et tu ne regretteras pas de travailler pour nous.
— Mais bien sûr, ironisai-je. Bosser pour des gens qui n'en ont rien à foutre des lois, vous êtes pires que des criminels ! Au moins eux, ils ne font pas semblant !
— Je comprends que tu sois en colère...
— En colère ? raillai-je. Ça va bien au-delà de ça, connard ! Vous êtres prêts à foutre en l'air mon avenir et celui de mon entourage, rien que pour arriver à vos fins ! Ça ne m'intéresse pas !
— Pense à Tony, à Elena...
Au moment où il prononça son nom, il y eut un déclic en moi et je me relevai d'un bond. Malgré ma hauteur imposante, Hector ne cilla même pas. Même si mes mains étaient liées, je pouvais encore le défoncer à l'aide de mes jambes. Au pire, qu'est-ce que je risquais ? Je ne pourrais jamais me retrouver plus dans la merde qu'en cet instant.
— Je t'interdit de parler d'elle, tu m'entends ?
— Elle est ta corde sensible, ton point faible. Tu dois d'en débarrasser.
— Tu ne sais rien, espèce d'ordure. Tu ignores ce qu'elle représente véritablement pour moi.
— Si, je le sais, tout comme un tas de personnes, Tyler.
Je fronçai les sourcils et y descellai comme une sorte de message caché à travers ses paroles. À qui voulait-il faire allusion ?
— Assieds-toi et permet-moi de tout t'expliquer, de A à Z. Ensuite, en connaissant toutes les causes, je suis certain que tu saisiras la main que la DEA et la ATF sont en train de te tendre.
Bien entendu, après m'avoir menacé de m'envoyer en taule, tout comme mon meilleur ami. Je n'avais pas envie de l'écouter, mais...
Avais-je le choix ?
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LEXIQUE:
Scully et Mulder : Agents spéciaux du FBI fictifs de la série X-Files
DEA : Drug Enforcement Administration (Administration pour le contrôle des drogues)
ATF : Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (« Bureau de l'alcool, du tabac, des armes à feu et explosifs »)
¡Que te den por el culo! : Va te faire enculer !
On récolte ce que l'on sème : What goes around comes around en anglais, signifie que les actions d'une personne, bonnes ou mauvaises, auront souvent des conséquences pour cette même personne, tôt ou tard.
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Voilà ! J'espère que ce chapitre vous a plu !
Vous vous y attendiez au fédéraux ? À ce qu'Hector soit un flic sous couverture ? Pourtant, j'ai donné quelques petits indices lors de ses apparitions, vraiment minimes, afin que ce ne soit pas flagrant. Mais désormais, je suis certaine que si vous relisez les passages où il apparait, vous allez voir ses actions sous un autre angle.
On se retrouve VENDREDI PROCHAIN à 20H pour la publication du chapitre 79 (l'avant-dernier), qui sera un point de vue d'Elena.
Je vous souhaite un bon week-end !
PS: je rappelle qu'il y a un TOME 3 en approche, que Paradis Secret est une trilogie.
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