Chapitre 68 Tyler (Tome 2)

En ce samedi, j'avais quelque chose de très important à faire.

Tandis qu'Elena allait parler à Andrew à propos de son rôle dans le jugement qui approchait à grands pas ainsi que tout ce qui était arrivé deux ans plus tôt, alors qu'elle avait quinze ans et vivait à Fayette, moi, je devais en faire de même. Mais avec Reid.

Voilà pourquoi je me retrouvai devant le portail de cette maison qui m'était tellement familière et étrangère à la fois. J'y avais passé de nombreuses journées durant mon enfance, avec ma mère, Reid, les souvenirs étaient joyeux ainsi qu'amères, il ne pouvait en être autrement.

Avant de venir, j'avais pris contact avec Mayim et cette dernière m'avait dit que Reid partait tous les samedis courir le soir, qu'il reviendrait sans doute vers vingt-et-une heures. Elle connaissait plus ou moins son itinéraire, mais je ne lui avais pas demandé. Je n'allais pas lui courir après, je préférais l'attendre sagement assis sur ma moto.

Grâce au portail, personne ne pouvait me voir depuis l'intérieur de la maison, je le savais parfaitement. De toute façon, tout au plus, qu'est-ce qu'ils pourraient me dire ? De dégager ? Je ne faisais rien de mal, je n'étais même pas en tain de fumer et de jeter mes mégots par terre, étant donné que j'avais arrêté depuis un petit moment déjà.

Parfois, ça me manquait, mais j'étais fier de constater que j'avais une sacrée force de volonté lorsque je le voulais. Désormais, plus de doutes là-dessus, si quelque chose m'importait vraiment, je ferais tout pour réussir.

— Tyler ? m'interpella un voix derrière moi.

Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir qu'il s'agissait de Reid qui rentrait de son footing nocturne. Dayton était un endroit tranquille, mais franchement, je ne comprenais pas ce qu'il trouvait au fait d'aller gambader tout seul la nuit. La course en solo, ça devait être vachement ennuyant.

— Salut, dis-je tout simplement en levant un bras.

J'entendis ses pas fouler la chaussée et il me rejoignit, tout dégoulinant de sueur. Ce mec ne pouvait pas passer une journée sans faire du sport, franchement ?

— Qu'est-ce que tu fais ?

Le fait que nous ne nous cherchions pas les puces comme avant était relativement étrange, j'étais tellement habitué à me battre avec lui, qu'avoir une conversation affable me semblait tout simplement hors nature. Toutefois, il faisait des efforts de son côté, je devais également en faire du mieux. C'était assez dur après toutes ces années de conflit et de rivalité, mon premier réflexe était de contrattaquer à la moindre occasion, c'était pour ainsi dire mécanique. Je n'y pouvais pas grand-chose, tout de même, je gardais à l'esprit ce qu'il avait accepté de faire pour moi, afin que je puisse quitter le monde du crime organisé et même si je ne lui avais jamais dit à haute voix, ça comptait énormément pour moi.

J'ignorais s'il le faisait réellement pour m'aider ou plutôt par loyauté envers Elie, mais quoi qu'il en fut, je lui en serais toujours reconnaissant, car après tout, quelles que furent ses motivations, elles aboutiraient à me rendre ma liberté.

— Je dois te parler, soupirai-je.

— Ça a à voir avec l'argent ? J'essaye de faire au plus vite mais...

Je l'arrêtai d'un geste de la main. En plus qu'il me donnait le fric, je n'allais pas le presser, je n'étais pas un connard à ce point non plus.

— C'est en rapport avec Elena.

Ce fut dire son nom et son corps se tendit tout entier.

— Il lui est arrivé quelque chose ?

— Oui et non. On peut parler ?

Il jeta un regard vers le portail de sa maison et finit par hocher la tête tout en me faisant signe de le suivre. Je fronçai les sourcils, si sa mère était à l'intérieur et me voyait débarquer, elle allait avoir une attaque. Sans doute en devinant mes pensées, Reid pouffa et dit :

— Ils ne sont pas là, pour changer.

Pourquoi dans ce cas Mayim ne m'avait pas dit d'entrer alors ? À moins qu'elle ne soit pas là... ce qui serait très logique étant donné que nous étions samedi. Elle devait sans aucun doute être chez Tony, j'en mettrais ma main à couper même. Elle connaissait simplement la routine de son cousin, cela ne voulait pas dire qu'elle l'avait vue elle-même quitter la maison pour aller faire son jogging nocturne.

Il s'avança vers la porte du portail et je le suivis. Après avoir remonté l'allée jusqu'à la porte d'entrée, nous nous engouffrâmes à l'intérieur et en effet, le manoir était complètement désert.

— Tu te souviens d'où se trouve la cuisine, n'est-ce pas ? me demanda-t-il en allant vers l'escalier de marbre qui menait au premier étage.

Je me contentai de hocher la tête, évidemment que je m'en rappelais. Je savais où se trouvait chaque pièce de cette maison, malgré les années, je n'avais pas pu l'oublier. Après tout, j'avais passé une grande partie de mon enfance entre ces murs.

— Bien, je vais aller prendre une douche. Si tu as soif ou faim, sers-toi, fais comme chez toi, me proposa-t-il à ma plus grande surprise.

Puis il monta les marches en courant, tandis que je restai planté dans le hall d'entrée, complètement paumé par ce qu'il venait de dire.

Faire comme chez moi ? J'ignorais s'il était sérieux ou si ce n'était rien d'autre qu'une simple politesse. Toutefois, je me dirigeai vers la cuisine et m'assis sur l'une des chaises autour de l'îlot central.

Combien de fois ne m'étais-je pas retrouvé dans cette pièce ? La dernière fois cela avait été lors de l'anniversaire de Mayim, où j'avais fait une surprise à Elie en me pointant à la dernière minute. Mais je me souvenais d'avoir été assis à cette même place, il y avait des années en train de faire mes devoirs avec Reid après les cours. À l'époque, Tanis venait aussi, mais elle était trop petite pour s'en souvenir. Tant que ma mère faisait son travail, nous avions le droit de venir. Puis je supposais que c'était également bénéfique pour Mrs Reid afin que Greyson ne soit pas tout seul.

Plein de souvenirs me revinrent en mémoire et je devais bien avouer qu'ils étaient heureux, même drôles. Je me rappelais une fois où Reid et moi devions faire des biscuits pour l'école et que nous avions tenté de suivre une recette dans un livre. Nous avions mis la cuisine sans dessus-dessous et lorsque ma mère était arrivée, elle avait failli tourner de l'œil. En plus, le goût des cookies était tout simple affreux, toutefois, nous les avions apportés à l'école. Notre professeure avait fait une sale tête lorsqu'elle en avait mangé un, elle l'avait tout de suite recraché. Au moins, nous avions bien rigolé. À l'époque, si mes souvenirs étaient bons, nous devions avoir entre huit et neuf ans, de l'eau avait passé sous les ponts depuis.

Enfoui dans les souvenirs du passé, je me rendis compte de la présence de Reid après qu'il fut passé à mes côtés pour aller chercher une bouteille d'eau dans le frigidaire.

— Tu veux boire quelque chose ?

— Non, ça va, merci, répondis-je en me mettant debout.

Il vint vers moi en buvant un grande gorgée d'eau et finalement, me toisa, sans doute curieux de savoir pourquoi je voulais parler à propos d'Elena.

— Alors ? Qu'est-ce donc cette chose que tu veux me dire ?

À vrai dire, je ne savais pas vraiment comment lancer le sujet. C'était assez délicat et je devais y aller en douceur, généralement, les gens avaient tendance à réagir de façon assez extrême à ce genre de nouvelles.

Alors... peut-être commencer depuis le début ce serait plus simple, du moins, c'était ce que j'espérais.

— J'ai promis à Elie de te parler, parce qu'elle devait déjà le faire avec Drew, alors j'ai voulu la libérer d'un poids.

Il plissa le front, ne comprenant rien à rien.

— Dans deux semaines, elle va être témoin lors d'un jugement d'une affaire pour viol. 

Reid ne dit rien, il ne sourcilla même pas, se contentant de m'écouter et de me laisser poursuivre.

— Elle va devoir faire face à une personne qui lui a fait beaucoup de mal afin d'aider la sœur d'un ami qui l'a complètement laissée tomber lorsque ça lui est ...

— Attends ! m'interrompit-il. Tu veux dire qu'Elie a été...

Les mots restèrent coincés au milieu de sa gorge et ses yeux s'écarquillaient alors qu'il prenait parfaitement conscience de ce que j'étais en train de lui révéler. Je comprenais sa réaction, lorsque ça arrivait à quelqu'un qu'on ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam, on pouvait prononcer ces mots sans qu'ils nous atteignent. Mais lorsqu'il s'agissait d'un ami ou d'une amie, les choses changeaient et le coup reçu en pleine gueule était tout bonnement magistral.

— Oui, soupirai-je en prenant appui contre l'îlot, lorsqu'elle avait quinze ans et qu'elle vivait à Fayetteville. C'est la raison de sa venue à Dayton.

Reid était devenu complètement blême et la bouteille en plastique qu'il avait dans la main tomba par terre, tandis qu'il se passait une main sur le visage.

— Comment c'est... comment...

Sa voix se brisa et il serra le plan de travail de l'îlot de toutes ses forces, près à exploser.

Ce fut alors que je lui racontais tout de A à Z, quand c'était arrivé, où et dans quelles circonstances, tout comme le fait qu'on avait découvert que ce salaud n'était pas à son coup d'essai, mais qu'Elie avait été la première d'une longue liste de victimes à avoir porté plainte. Je lui racontais également tout le harcèlement moral qu'elle avait subi de ses camarades, ou même de la police qui avait pris sa plainte, ou même de son père et tout ce que ce dernier avait fait depuis. J'essayais de lui expliquer au maximum pour qu'il comprenne la situation et sache à quoi Elena devrait faire face dans deux semaines.

Je ne laissai aucun détail derrière, de ma découverte de tout ceci à comment j'avais retrouvé Jackson avec l'aide d'Ethan et comment moi ainsi que certains membres de mon gang nous étions arrangés pour lui faire cracher tous les noms de ses victimes. Je n'omis absolument rien, je ne pouvais être plus transparent, c'était ce qu'Elena voulait, alors je lui donnais.

— Et ce type a eu le culot de venir la trouver pour lui demander de témoigner ? demanda-t-il, d'un air dégoûté en parlant de Miles.

Je hochai la tête. En effet, il n'avait honte de rien, même si je comprenais qu'il le faisait afin d'aider sa sœur. Mais il aurait dû être là pour Elie lorsqu'elle en avait besoin au lieu de faire l'autruche et lui tourner le dos. C'était un autre salaud, de cela, il n'y en avait aucun doute, mais Elena avait raison : il ne s'agissait pas de lui, mais de faire plonger Jackson pour tout le mal qu'il avait fait autour de lui en toute impunité pendant tout ce temps.

— Comment tu as fait pour l'apprendre ? Elle te l'a dit, sans plus ?

— Pas vraiment, soupirai-je. Disons qu'on était sur le point de...

Je fermai ma bouche, je ne tenais vraiment pas à parler de notre vie sexuelle avec Greyson Reid. Bien que nous nous entendions mieux qu'en début d'année, ça ne voulait pas pour autant dire qu'on était proches.

— Je vois. Elle s'est braquée, c'est ça ? devina-t-il, ce qui ne me surprit même pas.

— Ouais et sur le moment je n'ai pas compris, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus le choix que de tout de me dire.

Il serra les mâchoires et regarda un point devant lui, fixant le néant.

— Et tu n'as pas bien réagi.

— Je n'étais pas fâché contre elle, loin de là, mais contre moi-même, lui expliquai-je. Je me dis encore que j'aurais dû le savoir sans qu'elle ne me le dise.

— T'as eu la sensation de ne pas être mieux que ce salaud et de lui avoir mis la pression, n'est-ce pas ?

Bon sang, mais il lisait mes pensées ou ça se passait comment ?

Mais rapidement, je me souvins que c'était ainsi lorsque nous étions gosses. Reid avait peut-être du mal à comprendre les autres personnes ou à se mettre à leur place, mais avec moi, il avait toujours su décrypter mes pensées. Après tout, nous étions meilleurs amis et il y avait une connexion particulière entre nous. Malgré les années et nos conflits, cette dernière semblait toujours intacte.

— Dans le mille, soupirai-je. Je me suis senti comme un gros nul, jamais auparavant je n'avais éprouvé quelque chose d'aussi intense, un mélange de colère brute et de frustration.

— Oui, je vois parfaitement ce que tu veux dire, Mendoza.

Non, j'en doutais énormément, mais c'était sympa de sa part de tenter de se mettre dans mes baskets. Cette nuit-là resterait sans aucun doute gravée dans ma mémoire à jamais, tout comme la frustration ainsi que l'impuissance face à cette situation qui m'échappait totalement. Le fait de ne pas avoir été là pour Elie lorsqu'elle aurait eu besoin de quelqu'un... toutes ces pensées, ces sentiments, je ne pourrais jamais les oublier.

— Qu'as-tu prévu de faire pour défoncer ce salopard et sa famille ?

D'après ce que je voyais, nous étions sur les mêmes longueurs d'ondes, ce qui était rassurant.

— Ethan et moi avons prévu de fuiter tous les dossiers que nous avons.

— À quelle chaîne ?

Là, il me posait une colle, nous n'y avions pas encore réfléchis.

— Je n'en sais rien, nous voulons que ce soit le plus médiatisé possible. Que toute l'Amérique ait le regard tourné sur cette affaire et sur cette famille. Si le jugement n'est pas concluant, au moins que le monde sache qui ils sont vraiment et ce qu'ils ont fait.

Reid sembla réfléchir à mes propos avec attention.

— Je connais des gens, finit-il par dire.

Oui, je m'en doutais, son père avait une multinationale en télécommunications, si lui ne connaissait pas du monde, alors c'était également le cas de personne.

— Je veux aider, dit-il finalement en tournant son regard vers moi. Ce fils de pute doit payer pour tout ce qu'il a fait et le monde a le droit de savoir. Je contacterai quelqu'un que je connais dans la CNN et j'essayerai de voir si je peux également le faire avec d'autres chaînes.

— Ce serait sympa, merci.

— J'aimerais pouvoir faire plus, se lamenta-t-il.

Je posai une main sur son épaule et la lui serrai. Son regard croisa le mien et je revis le gosse avec lequel j'avais grandi, j'avais la sensation de ne pas l'avoir vu pendant de nombreuses années et de le retrouver à nouveau.

— Tu en fais beaucoup plus que certaines personnes.

— Le père d'Elie, capta-t-il ma référence.

En effet, appeler cet homme « père » ce serait une insulte envers ceux qui agissaient réellement comme tel.

Je poussai un long soupir, me sentant libéré d'un poids et me dirigeai vers la sortie de la cuisine, afin de repartir chez moi. Désormais qu'il connaissait la vérité, je n'avais strictement plus rien à faire dans ces lieux.

— Elle a de la chance de t'avoir, Tyler, dit Reid avant que je ne franchisse la porte. Tu n'étais pas là lorsque c'est arrivé et sans qu'elle ne te l'ait dit, tu ne pouvais pas deviner. Alors, ne te flagelle pas avec ça.

J'esquissa un sourire en coin, qu'il ne vit pas étant donné que je lui tournais le dos, et quittai la maison de mon enfance, le cœur plus léger que lors de mon arrivée.

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Voilà ! J'espère que ce chapitre vous a plu !

On voit un peu une espèce de rapprochement entre Ty et Grey, ce qui est bon signe ;) 

Pour ce qui est de la façon dont il est mis au courant, j'étais trouvé que c'était une bonne façon afin que ça ne fasse pas trop lourd ou trop redondant. Je voulais surtout montrer les réactions de Reid face à la nouvelle et comment il prend ça. 

On se retrouve MERCREDI PROCHAIN À 17H pour la suite. 

Bonne fin de semaine ! 

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