Ce qui vit encore

Les jours suivants sont passés trop vite. Si notre matinée n'était pas dédiée au maniement des armes à feu et autres équipements, nous aurions pu nous croire en camp de vacances. Il fait une chaleur à couper le souffle, j'ai attrapé un coup de soleil démentiel dans le dos qui me fait un mal de chien quand j'essaie de dormir. Shoto s'est fait beaucoup d'amis avec son côté réfrigérant, Katsuki à l'inverse est craint comme la peste. Nos camarades militaires nous ont appris les bases de la vie en camp et l'ambiance dans le hangar s'est progressivement détendue. Le lieutenant nous regarde manger le matin avec un air satisfait, sa médaille luisant sous le soleil déjà brûlant. Plus aucune désertion, c'est à peine si quelques bagarres ont eu lieu.

Tout aurait pu continuer ainsi pour notre plus grand bonheur si notre supérieur n'étais pas venu nous voir un matin, un air solennel sur le visage.

- Mesdames, Messieurs, notre ligne de front a encore reculé. D'ici moins de trois jours, nous devrons être prêts à faire face à l'ennemi.

Un vent de panique se propage immédiatement dans les rangs. Les soldats se contentent d'afficher une mine grave. Les héros quant à eux ne tiennent pas en place. Chacun donne son avis sur la question et toutes les angoisses et incertitudes que nous tentions d'oublier ces derniers jours refont surface. Un tout jeune homme, à peine sorti du lycée prie sur son lit à quelques mètres de moi. Un soldat se contente de lui taper sur l'épaule sans un mot. Plus que jamais, nous sommes dans le flou. Mourir passe encore, nous y sommes préparés s'il le faut. Tuer par contre... Mon regard se pose sur Tsuyu qui réfléchit, un doigt posé sur le visage.

- À quoi tu penses ?

- À la place qu'auront les alters dans cette prochaine bataille.

- C'est vrai qu'ils rendent les armes à feu inutiles.

- Je n'en suis pas certaine justement.

Une soldate sympathique avec qui nous avons mangé quelques fois se penche sur nous.

- Quand tu ne vois plus rien et qu'un homme se jette sur toi, presser la détente est plus facile que d'activer un alter. C'est pour ça qu'on a gardé des armes plus traditionnelles.

Tsuyu hoche la tête encore pensive, je me demande si c'était vraiment la question qu'elle avait à l'esprit où si elle a préféré garder quelque chose pour elle. Ici, nous avons beau jouer la carte de la camaraderie, quand le danger arrive, nous sommes seuls face à nos craintes.

Et il est arrivé bien trop vite. Deux jours plus tard, une équipe a annoncé l'arrivée de l'armée sud-coréenne. L'agitation joyeuse que nous commentions à affectionner s'est transformée en tumulte incessant. Le lieutenant et quelques gradés ne sortent plus et établissent les plans de ce qui sera sûrement notre baptême de feu. 

Et enfin, ou hélas, vint le moment où, répartis par petits groupes, armés jusqu'aux dents, nous avons été dispersés dans les alentours de ce qui sera notre champs de bataille. Dans mon équipe, le petit jeune marmonne encore ses mantras, comme hypnotisé. Shoto est à mes côtés aussi, ainsi que cette soldate que j'apprécie. Celle-ci éclate de rire lorsqu'elle croise mon regard.

- Oh Midoriya regarde toi ! On dirait une plante verte !!

Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle. Je sais bien que le combo casque, cheveux verts, yeux verts, treillis me rend presque invisible dans les fourrés mais il n'y a pas de quoi en rire. La femme quand à elle semble incapable de s'arrêter.

- Sérieux, t'as juste à te faire passer pour un buisson et tous les canarder !

Elle repart immédiatement dans un nouveau fou rire que j'accueille en grimaçant. Le jeune héros a cessé de prier, ses mains sont toujours retournées vers le ciel, mais il nous regarde du coin de l'oeil. Je lui souris parce qu'on m'a appris à sourire même quand il n'y a plus d'espoir. Mais à ses yeux je vois qu'il n'est pas capable de me rendre cet encouragement.

- C'est le signal !

Tout s'est passé très vite. Les pas, le cri, le mouvement, les fusils et notre course effrénée qui ne ressemblait en rien à la stratégie qu'on nous avait demandé de suivre. Du coin de l'oeil je vois les casques d'une autre équipe courir dans une autre direction, ils finissent par disparaître sous mon regard fasciné. Je ne sais même pas où il vont. Je ne sais même pas où je suis.

- Regarde devant toi !!

Une main rugueuse me tape la tête pour me forcer à garder les yeux rivés sur ce qui est en face de moi. Il y a beaucoup de végétation. Il faut chaud, j'étouffe et je ne sais pas pourquoi on court. Puis un éclair fend les cieux.

La pluie s'abat sur nous. J'ai l'impression de visionner un film au ralenti. Mes bottes pilent net dans la boue et toute la sensation de vitesse que j'avais auparavant disparaît totalement. Mes camarades s'élancent. Sauf un.

C'est le gamin de tout à l'heure. Je m'avance vers lui, quelque chose a sauté pas loin de nous. J'ai vu les bouts de terre partir dans tous les sens. Je pousse le pauvre garçon pour qu'il se remette en mouvement, à quelques mètres, des silhouettes qui courent vers nous m'indiquent que je n'ai pas beaucoup de temps.

- Mais bouge toi !

J'ai beau le secouer comme un prunier ses mains tremblent et ses jambes sont totalement immobiles. Pourquoi me regarde-t-il comme s'il ne savait pas ce que je fais là ?

- Bouge ! On va mourir !! Tu serais comme ça devant des vilains ?

Ses yeux sont bleu comme un ciel sans nuage. Sans vie. Ses lèvres frémissent et un instant j'ai l'espoir de l'avoir convaincu.

- Ce ne sont pas des vilains.

Je ne sais pas ce qui m'a le plus sonné, cette phrase criante de vérité, son sang qui s'est répandu partout une seconde après ou cet énorme pic de bois que j'ai évité par instinct, mon alter activé à son maximum.

La végétation, si dense quelques minutes plus tôt, est trouée comme un gruyère et ces pics de bois m'assaillent de partout sans que je sache qui tente de me tuer avec. J'ai déjà dû me battre pour ma vie, mais je n'ai jamais autant fait confiance à mon instinct et à ma chance. J'ai beau tenter de la jouer finement, d'analyser, anticiper, je ne vois que de la boue, des bruits qui m'arrachent les tympans et un bordel sans nom de bois, de sciure et de sang. Par miracle plus que par coup de maître mon alter à cent pour cent brise une des épines immenses et j'atteins mon opposant au visage. Il est à terre, je suis au-dessus, tout gronde autour mais plus aucun piquant acéré ne me menace désormais. C'est un corps à corps et mes oreilles bourdonnent. Mon alter est activé, j'ai perdu mon arme mais mon poing est prêt. Serai-je seulement capable de le tuer à mains nues ?

Le hasard et la peur de mourir ont répondu à ma place. Lorsque j'ai vu qu'il allait attraper son arme j'ai abandonné et abattu mon poing. Ses yeux sont restés grands ouverts comme s'il continuait de m'affronter du regard. C'est moi qui ait perdu cette bataille quand mes paupières se sont closes. Au loin un son étrange me sors de ma transe. Est-ce le repli ? Un homme me tire vers l'arrière et me fait courir dans l'autre sens.

- Bon dieu Deku je t'ai cru mort !

La voix que mon esprit trop embrumé ne reconnaît pas vraiment m'entraîne et me fait assoir. Je devine le hangar derrière, et les yeux bigarrés de Shoto Todoroki devant moi. J'aimerai dire un mot mais je suis trop occupé à vider mes tripes sur ses chaussures.

- Eh bien, j'avais compris que je ne te faisais pas beaucoup d'effet mais à ce point ?

J'aimerais rire mais à la place je me retrouve à m'étouffer dans mon vomi. Les mains de Shoto passent dans mes cheveux. Il saigne à l'épaule. Je déglutis le goût acide reste sur ma langue me faisant froncer le nez.

- Je lui ai brisé la nuque.

Je déverse le peu qu'il me restait dans le ventre dans un gargouillement immonde. Mon ami m'entraîne à l'écart et me débarrasse d'une partie de mes vêtements, autour de nous tout le monde s'active. Mais étrangement, ce "tout le monde" me semble bien plus restreint qu'il y a une heure. Il fait tellement chaud et cet orage n'en finit pas. J'ai l'impression que ma tête va exploser, pourquoi les bruits ne se taisent-ils pas ?

Même à l'écart, même le ventre vide. Je ne cesse de collapser, mon estomac se tord au point de me faire mal et des larmes de dégoût coulent sur mon visage. Shoto fait tout ce qu'il peut, je sens sa main dans mon dos.

- C'est fini Izuku.

Non ce n'est pas fini. Sa voix éraillée, cachant mal son émotion en est la preuve. On doit avoir l'air stupide tous les deux. Lui qui pleurs en me frottant le dos et moi qui n'ai plus que mon suc gastrique à rendre par terre. Le tout sous une pluie battante alors que tout le monde tente de sauver le plus de blessés possibles.
Au bout de quelque temps, une soldate est venue nous demander nos noms avec un ton si monotone que j'ai eu envie de la frapper. Je m'appelle Izuku Midoriya, avant j'étais Deku, maintenant, j'ai tué un homme.

Puis est venue Tsuyu, elle s'est occupée de nous deux. Je me suis laissé guider jusqu'à l'intérieur du hangar. Elle nous a apporté de quoi nous essuyer. Elle était accompagnée d'un homme qui a soigné Shoto sans un mot et qui m'a donné une petite plaquette. "Somnifères". Je n'en prendrai pas. Je n'ai pas envie de dormir, dès que je ferme les yeux, ceux de cet homme se superposent sur mes paupières.

- On se racontera nos "glorieux" exploits plus tard. Denki et Katsuki ne sont toujours pas revenus. Eijiro les a cherché partout dans le camp sans succès.

Meilleur moyen pour me faire vomir encore un coup. Mes genoux lâchent et je me serais retrouvé à nouveau sale et puant si Shoto ne m'avait pas soutenu.

- Quelqu'un peut lui apporter à manger ?

- Laisse. Je ne le garderai pas de toute façon.

Kacchan et Denki ne sont pas revenus, ils sont marqués "disparus". Dans les toilettes j'ai entendu un gars dire que "disparu" sous-entendait "dont le corps a été réduit en miettes". Mon coeur s'est serré. Le camp quant à lui, est trop calme. Il fait désormais nuit mais personne ne veut dormir. On peut voir dans la rétine de certains des images qu'on aimerait oublier. D'autres pleurent des gens qui sont allongés quelque part, peut-être n'ont ils même plus de corps à enterrer. Et les flammes du feu de bois me rappellent l'enfer. J'ai mangé tout ce qu'on m'a proposé. Pas parce que j'avais faim mais parce que j'étais vivant. Maintenant je sais ce qu'il en coûte de vivre. Au bout d'un moment, Shoto et moi nous sommes éclipsés. Mon ventre a gargouillé, très vite suivi d'un spasme de dégoût. Ça a fait rire le bicolore.

- Tu en veux encore après tout ce que tu as englouti ?

J'aimerais sourire mais ma bouche ne s'étire qu'en une horrible grimace. Comment trouve-t-il la force de rire ?

- Tu sais, quand j'étais là-bas... Il y avait cette fille. Je ne me rappelle pas bien de quand c'était mais je vois très bien son visage.

Je me tourne vers lui, une fille ? Quelle fille ? Et comment arrive-t-il à repenser à tout ceci sans une larme, sans le moindre changement dans son état émotionnel ?Shoto est d'un courage qui m'effraie.

- Elle ne parlait pas notre langue.

Ma bouche s'ouvre grand laissant sûrement planer dans l'air mon haleine fétide. Dans le regard de mon ami, une émotion indéchiffrable, plus forte que la peur, la tristesse et la colère réunies apparaît. Une émotion qui pourrait s'apparenter à de l'espoir.

- J'étais coincé dans des branchages et j'étais déjà mort. Je voyais déjà la prochaine personne me tirer une balle dans le crâne. À la place, j'ai vu ses yeux bridés, ses petites lèvres entrouvertes. Elle m'a détaché, remis sur mes jambes, prononcé quelque chose d'imprononçable et elle est repartie dans la fournaise. Elle m'a donné ça aussi.

Dans sa paume ouverte se trouve un porte feuille. Dedans, un petit papier. Et caché dans les plis, une photo. C'est cette fille dont il parle, j'en suis sûr. Le message écrit est indéchiffrable pour moi. Mais quand je vois le garçon, les mains posées sur ses épaules, je comprends.

- Tu penses qu'elle a quelqu'un sur le territoire japonais ? Tu penses qu'elle voulait...

Les cheveux de Shoto masquent son visage, ils sont sales, gras, couverts de boue et hirsutes. L'homme soigné aux dix mille lotions pour chevelure semble bien loin.

- Tout ce dont je suis sûr, c'est que je ne pourrais pas porter la main sur des gens qui m'ont sauvé la vie. Ils sont comme nous ! Ils ne veulent pas la guerre ! C'est tellement inutile ce qu'on fait !!

Ma main part toute seule jusque dans sa figure. Son regard interloqué me fait immédiatement regretter mon geste.

- Tais-toi ! Je ne veux pas savoir ! Ça voudrait dire que moi... Je l'ai tué pour. Pour...

L'instant d'après ses bras m'entourent et ses larmes coulent contre ma tempe. J'ai les yeux horriblement secs.

- Pardon... Je ne voulais pas dire que... Tu n'y es pour rien tu n'avais pas le choix. J'ai juste eu de la chance et c'était lui ou toi. Je suis désolé.

Une ombre sortie des fourrés attire notre attention. Je suis trop fatigué et affaibli pour réagir outre mesure, c'est tout juste si je me décolle de Shoto. La silhouette est massive, sombre et inquiétante, ce cauchemar ne se terminera donc jamais ? Lorsqu'enfin je reconnais le visage de mon ami d'enfance, je soupire de soulagement. Shoto est déjà parti prévenir les autres, alors je m'approche prudemment. Denki est accroché sur son dos, yeux fermés, sa tête dodeline paisiblement au rythme de ses pas.

- Il est blessé appelez les brancardiers !

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- On a été séparés par les premiers assauts, chaque nouvelle explosion nous emmenait un peu plus loin de vous. On a bien cru qu'on allait y passer.

Katsuki laisse glisser le jeune homme au tempérament de pile électrique le long de son dos jusqu'au sol. Celui-ci ne semble pas réveillé et la boue couvre son uniforme. Je tente de me pencher vers lui mais le blond me devance.

- Il faut se dépêcher il ne va pas tenir longtemps. Ils sont où ces putains de brancardiers quand on a besoin d'eux ?

Un détail me saute alors aux yeux.

- Kacchan... ?

- Qu'est-ce que tu veux ?! Putain mais il fout quoi Double-face ?!

Les autres arrivent enfin, Eijiro en tête. Il se jette à genoux près de ses amis. Il commence par attraper la nuque de Katsuki et colle son front au sien dans un mouvement uniquement protecteur avant de prendre le pouls de l'homme calmement allongé au sol.

- Qu'est ce qui s'est passé ?

- Denki est blessé, il faut l'emmener !!

- Kacchan...

- QUOI ?!

Je déglutis, mon ancien camarade semble mort de peur, il tremble, il fait vraiment peine à voir. Le roux quand à lui reste parfaitement immobile, comme figé. Je ne veux pas avoir à annoncer ça, mes yeux se noient de larmes instantanément.

- Kacchan, ce n'est plus nécessaire d'appeler les secours.

- Tu dis n'importe quoi !! Tu veux le voir crever c'est ça ?

Je n'arrive plus à parler. Ma gorge se noue, mes jambes flanchent. J'ai envie d'aller me cacher dans le noyau de la terre tant j'ai mal. Eijiro, toujours immobile se contente de murmurer :

- Il est déjà mort.

Je reporte mon regard sur le visage qu'on pourrait croire évanoui. Blanc cassé, presque souriant. Celui de Katsuki est au moins deux fois plus pâle.

- C'est faux. On peut encore le sauver !!

Eijiro est en larmes mais il se rapproche tout de même du blond pour l'étreindre, Katsuki ne m'a pas quitté des yeux et hurle à s'en déchirer les cordes vocales.

- Pourquoi personne ne vient l'aider ?! Il va mourir ! Vous voulez qu'il meure c'est ça ?! Bande de salauds, pourquoi vous ne faites rien ? On peut le sauver !!

Sa voix s'est tue, éraillée comme s'il avait ri à gorge déployée pendant des heures. Eijiro lui caresse les cheveux dans un geste trop tendre. Je détourne les yeux, je ne veux pas voir ça. Je veux me convaincre que tout ceci n'existe pas.

- Eijiro, on peut le sauver, hein ? On va le sauver ?

Ne pas voir la scène et entendre ce mince filet d'espoir se tarir dans la voix de mon ami d'enfance est pire que tout. Je ne peux pas voir ça, je ne peux pas non plus m'empêcher d'imaginer le regard rouge déformé par les pleurs.

- Pas vrai ?

Eijiro n'a pas répondu, Kacchan n'a plus rien dit, des gens sont venus et le bilan était sans appel. Denki Kaminari était mort d'une balle dans le dos pendant que Katsuki Bakugou le portait.

Les vrais vaincus de la guerre, ce sont les morts.

- Ernest Renan

***

Je suis désolée pour tous ceux qui auraient voulu une histoire où les héros ne peuvent pas mourir. J'espère que vous ne m'en voulez pas trop.

Patatarte-chan 🎩

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