Ce qui gronde

J'ai pris le train jusqu'à Kyoto. Là nous avons reçu nos uniformes. Certains avaient pris leur costume de héros mais il fallait s'y attendre : on ne nous demandait plus de nous démarquer, de nous forger une identité rassurante. Maintenant, nous étions un point dans une foule et les seules couleurs à l'horizon étaient le vert, le noir, le brun. Un instant j'ai prié pour revoir bientôt les teintes criardes des capes, des costumes, des gants de mes collègues.

À Kyoto nous avons été séparés en plusieurs groupes, eux-même dispersés ensuite dans les diverses villes. On m'a donné mes plaques, les quelques informations sommaires écrites dessus me firent mal au coeur. Plus que jamais, j'avais l'impression de ne rien valoir. Même quand je n'avais pas d'alter, au moins, j'étais Deku.

Dans le vieux train qui nous conduit à Osaka se trouvent ceux qui seront mes camarades de guerre. C'est si étrange de le dire ainsi, on ne le réalise pas encore. Il y a une semaine, tout allait encore presque bien, et jamais aucun d'entre nous n'aurait pensé à s'enrôler. Quasiment toutes les places étaient prises dans le wagon et je fus étonné de découvrir quelques têtes familières.

- Heein ?? Qu'est ce que tu fais là le nerd ?

- Moi aussi je suis ravi de te voir ici Kacchan.

Empilés les uns sur les autres, Denki en dessous, Kirishima au milieu et Kacchan royalement posé au-dessus, les trois amis inséparables me font face. Je souris aux deux pauvres hommes qui servent de siège au troisième.

- On peut savoir pourquoi vous jouez au tetris ?

Kyouka qui a fait tout le voyage avec moi depuis quelque jours s'est glissée derrière moi. Haute comme trois pommes, il est facile pour elle de se faufiler entre les futurs soldats.

- Katsuki trouve les sièges trop sales !

- Depuis quand t'es devenu une princesse Disney ?

- Depuis que ça me permet de réduire tout le monde en esclavage ! Il y en a d'autres de Yuei à part vous ?

J'ai cru remarquer Tsuyu sur les quais de la gare mais je ne suis pas sûr de moi. Je ne l'ai pas vue du voyage, elle est peut-être ailleurs. Nous avons été séparés de Shinzo et Momo à Kyoto. Je crois que Tenya fait partie d'une des agences qui n'ont pas été mobilisées. Comme je l'envie.

- Shoto est en train de ranger sa valise. Comment a-t'il pu se débrouiller pour emporter autant de choses ?

- Trois peignes, de la laque, du gel, deux brosses, de la crème, de l'après-shampoing...

- C'est lui la princesse Disney !!

Je pouffe devant l'air exagérément en colère de mon ami d'enfance toujours assis sur son trône.

- Imaginez quand il va commencer à perdre ses cheveux ? Le drame !!

- Arrête, on est pas si vieux.

Une voix dans le haut parleur à l'avant du wagon nous invite à nous assoir. Les trois compères reprennent donc place sur les sièges comme des gens normaux. La tête de Katsuki vient directement reposer sur celle d'Eijiro. Il a tant besoin de s'appuyer sur tout le monde comme ça ? Kyouka prend place à côté de moi et le héros aux cheveux bicolores nous rejoint ensuite. A la dernière minute.

- Désolé, la poche avec toutes mes lotions s'est ouverte j'ai du tout reranger par ordre de couleurs...

- Tu sais que ça ne te servira jamais à rien dans un camp militaire ?

- On ne sais jamais !

- Sérieux Shoto, tu veux en faire quoi ? Une bombe artisanale ? Ou aveugler l'ennemi à coup de laque ?

- Absolument, d'ailleurs je vais me servir de toi comme cobaye.

Je cale ma tête contre la fenêtre en les laissant se disputer. Le voyage va être long.

Nous arrivons dans une petite gare d'une minuscule bourgade. Elle est entièrement vide, tellement désolée. La population a été évacuée pour nous laisser établir notre camp. Nous somme le régiment H-1. Quelle horrible ironie, Héros-un. Comme si nous étions encore des héros ici. Tout le monde tire une tête de six pieds de long. Certains avancent vers le hangar qui nous servira de base quelques temps si lentement qu'on pourrait croire qu'il font du sur place. Et la mauvaise humeur générale s'aggrave lorsque dans le hangar, d'autres nous attendent avec un regard dur et des armes bien rangées derrière eux. Certains nouveaux arrivants s'indignent, l'un d'entre eux active son alter sous le coup de la colère, un autre insulte le gouvernement. À côté de moi, Kyouka sert les poings si fort que ses phalanges blanchissent.

- Izuku, je te jure sur ma vie que jamais je ne me servirai de ça. Je ne ferai pas cette guerre.

Je n'ai pas le temps de m'étonner ou de lui répondre. Un homme à la médaille lustrée se place devant nous. Il est amusant avec sa tête d'enfant, ses oreilles décollées et ce semblant de moustache qu'il a pour se donner un air sévère.

- Bienvenue dans votre nouveau régiment ! Je suis le lieutenant des H-1 ! Vous allez être équipés d'un sac, d'un fusil et de quelques autres affaires nécessaires à votre survie.

Il s'arrête un instant comme s'il voulait faire son petit effet. Son oeil nous toise donnant d'impression qu'il cherche à connaître notre valeur. Ou combien de jours nous allons tenir ? Je ne sais pas, je préfère ne pas savoir.

- Je sais que votre départ était quelque peu précipité. Mais vous pouvez être fiers d'être ici. La patrie, votre sol et tous ceux qui vivent dessus vous remercient.

Derrière-moi un grand nombre de murmures s'élèvent, impossible de savoir s'ils sont enthousiastes, perplexes ou indignés. Peut-être un peu de tout à la fois. À côté de moi la petite femme marmonne des choses incompréhensibles, ses yeux sont si noirs qu'ils pourraient tuer sur place. Les câbles de ses lobes d'oreilles sont tendus comme des cordes, elle semble prête à se jeter sur notre lieutenant. Les soldats derrière lui nous toisent de leurs yeux étranges, pour eux, tout ceci semble être normal. Certains affichent sur le visage, dans chaque ombre de leur peau, une détermination sans faille.

- L'Etat est fier de vous. Ceux qui mourront ici mourront dans l'honneur...

- Quel honneur ?

Je ne reconnais pas la voix qui s'est élevée. La femme grande de presque un mètre quatre-vingt-dix qui s'avance, musclée comme un camionneur, écarte tous les héros sur son chemin jusqu'à son nouveau supérieur qu'elle domine de toute sa hauteur. C'est Beast Girl, une héroïne jeune, peut-être vingt-deux ans, très prometteuse. Je n'ai jamais travaillé avec elle mais sa réputation la devance. Elle est redoutable pour les vilains, et vraiment intimidante. À côté d'elle, la petite moustache du lieutenant ne suffit pas à cacher son air d'enfant.

- C'est honorable pour vous de mourir après avoir ôté la vie au plus grand nombre possible ? C'est honorable de mourir parce que nous n'avons par réussi à tuer le premier ? C'est ça l'honneur pour vous ?

Certains soldats en face de nous serrent les dents. Évidemment pour des militaires de métier, une telle vision des choses doit être aberrante. Kyouka a bandé ses muscles. Un instant j'ai peur que les deux camps s'entre-déchirent. Nos deux visions du mot "combattre" sont bien trop différentes, les héros ne tuent jamais. Quoiqu'il arrive.

Le lieutenant quant à lui est parfaitement calme. Il ne semble même pas impressionné par la carrure de son opposante et la regarde comme s'il était devant un bibelot encombrant dont il ne savait quoi faire.

- D'accord, admettons que vous retourniez jouer au chat et à la souris avec des super-vilains.

Réel murmure de rage qui se propage parmi les héros, j'ai cru apercevoir quelques rictus amusés du côté des militaires.

- Que ferez-vous quand la Corée du Sud sera à nos portes parce que vous n'avez pas voulu combattre ? Hein ? Vous les laisserez pointer leurs armes sur notre population et tirer en les aspergeant de belles paroles ? Vous leur passerez les menottes, peut-être ?

Un silence pesant s'abat sur le hangar, la lumière des néons semble vacillante, comme si les ampoules allaient exploser à tout instant.

- L'armée japonaise est en sous-nombre. Quoiqu'il arrive vous vous battrez. Alors... Préférez-vous tuer ceux qui veulent votre mort et celle de vos proches avant d'être acculés ? Ou bien prôner votre jolie humanité qui sera bientôt couverte du sang des vôtres ?

Personne n'ose répondre. Le lieutenant se détourne de la jeune héroïne qui ne dit plus rien. Alors seulement nous nous mêlons, toujours sans un mot, à ces hommes qui se battent déjà depuis plusieurs mois et nous toisent. Quelques personnes chuchotent autour de Beast Girl, mon amie les rejoint. Avant que je n'aie le temps de la retenir, la main de Shoto vient arrêter mon bras.

- Laisse.

- Mais...

Son regard se plonge dans le mien avec une gravité qu'il n'avait pas jusqu'alors.

- Tu ne peux pas la forcer. Ce lieutenant non plus d'ailleurs.

Je jette un dernier regard à Kyouka Jirou qui parle avec le petit groupe avant de rejoindre Shoto et quelques anciens de Yuei dans cette foule d'inconnus. Le lendemain, elle a quitté le camp avec quelques autres.

C'est  presque satisfaisant de voir ce lieutenant pester, taper du pied et râler comme un poissonnier qui aurait surpris un gamin en train de voler à l'étalage. Surtout le matin alors que nous avons si mal dormi dans ces drôles de brancards qui nous servent de lits. Si je n'étais pas mort d'inquiétude pour mon amie, j'aurais pu en rire.

- Écoutez-moi bien héros de merde ! C'est la guerre vous entendez ?! J'en ai rien à foutre de vos états d'âme ! Le pays s'en fout tout autant !! Vous avez été envoyés ici pour vous battre !

Sa petite moustache tressaute de façon tellement comique que Denki ne peut s'empêcher d'émettre un rire gêné, tout de suite rabroué par un tout petit soldat à côté de lui.

- C'est le putain de devoir qui vous a été confié ! Vous vous en foutez de tout ce que vous devez à votre pays ?! Ce qui s'est passé cette nuit c'est de la lâcheté ! De la désertion ! Si je prends l'un de vous à essayer de fuir, la sanction sera terrible.

Un air bien plus froid passe un instant sur son visage, comme si hurler un bon coup lui avait remis les idées au clair.

- Vos camarades en cavale vont être rattrapés et jugés. Ne faites pas la même erreur.

Les discussions repartent bon train après un tel discours. Personne ne les a vus partir. Tout le monde était bien trop fatigué par le voyage, personne n'aurait pu soupçonner une désertion. Parmi les anciens de Yuei, restent les trois compères, Shoto, Tsuyu qui était bel et bien dans le train, et moi. Lors du déjeuner, nous nous retrouvons pour parler de la même chose que tous les autres autour de conserves infâmes.

- Vous croyez qu'elle est déjà loin ?

- Sûrement. J'ai parlé à un gars qui était ami avec un autre déserteur. Il avait le pouvoir de se télé-porter ainsi qu'une personne ou un objet qu'il prend dans ses bras. Il a dû emmener tout le monde ailleurs.

- Comment est-ce qu'elle a pu partir comme ça ?

La question d'Eijiro reste en suspend. Est-ce si étonnant ? J'ai vu la jeune femme s'énerver tant de fois contre ce recrutement forcé dans le train. Je pose ma tête sur mes mains, coudes sur la table et soupire.

- Elle a fait son choix. On ne peut pas l'en blâmer. Moi aussi j'aurais voulu partir loin de la guerre. Je ne sais pas si je suis vraiment utile ici.

Ma remarque semble jeter un grand froid autour de la table. Tsuyu hoche doucement la tête comme si elle pesait mes mots. Shoto me lance un regard étrange. Denki a laissé tomber sa tête contre le bois en soupirant bruyamment, yeux fermés. Eijiro regarde Katsuki en réfléchissant tandis que ce dernier racle son assiette avec ses couverts.

- C'est trop tard maintenant. Cette guerre on va la faire. Alors, peut-être qu'on devrait essayer de faire copain-copain avec les militaires. Ils ont sûrement des choses à nous apprendre sur le front.

Son calme quand il se révèle pragmatique ne me surprend plus depuis quelques années. Mais rien que cette fois-ci j'aurais voulu qu'il fanfaronne et hurle. Ainsi, j'aurais su qu'il était confiant et que les risques pour nous n'étaient pas trop grands. Je hoche cependant la tête en regardant mes doigts cassés avant de tourner les yeux vers les tables où les soldats mangent en riant, ils ont l'air tellement plus heureux que nous de leur côté. Personne n'a vraiment fait d'effort en ce premier repas.

- On essaiera de dîner avec eux ce soir ? On ne va pas tarder à y aller c'est trop tard maintenant.

Mes camarades acquiescent du chef. Dans les toilettes après le repas, des marques incrustées dans le mur de bois attirent mon attention. Les premières, plus fines semblent avoir été gravées au cutter.

"Nouveaux H. Lâches !"

Apparemment, les anciens du régiment n'ont vraiment pas envie d'entendre parler de nous... Comment leur en vouloir ? Pour eux, déserter doit être le pire des crimes. En dessous de ce message de haine, une autre gravure maladroite, sûrement faite avec un objet plus gros s'étale sur le mur.

"Héros-un, Humains-un"

La guerre ne salit pas l'idéal. C'est l'idéal qui purifie la guerre.

- Moses Isegawa

***
Je n'ai pas grand chose à dire cette fois, mais j'ai hâte de savoir ce que vous en pensez !

Patatarte-chan 🎩

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