Ce qu'est la paix

"On s'en fout de la victoire ! On veut la paix"

Même loin de la capitale, ce slogan a résonné jusqu'à nos oreilles. Il est hurlé partout, par chacun, dans tout le Japon. Et c'est pourquoi nous refaisons le chemin dans l'autre sens, repoussés hors de la Corée du Sud presque vaincue par nos propres citoyens.

Pour certains soldats c'est une aberration, c'était une question de semaines avant que l'ennemi ne déclare forfait et supplie de signer l'armistice. Mais pour moi comme tous les autres, le soulagement est énorme. Combien d'horreur avons-nous vécu avant que le gouvernement ne soit renversé par une foule en colère ? Combien de morts et de privations avant que les alters déchainés de la foule ne détruisent tout là où ils manifestent ?

J'avais vu depuis un poste de télévision Kyouka et Momo se faire exécuter une semaine avant. En place publique, pour l'exemple et pour "le bien de tous". Des morceaux de viande menés à l'abattoir, déjà morts. De la chair à jeter aux vautours. Quels enseignements les citoyens pouvaient-ils tirer en voyant deux femmes monter main dans la main sur une potence ? Que pouvaient ils voir au bout d'une corde sinon leurs droits fondamentaux bafoués ? Loin d'inspirer la peur, cette seule exécution, fut un déchirement. Une rupture brutale entre une autorité despotique et un peuple à bout. Voilà la raison de notre retour précipité sur notre territoire. La police et les lambeaux de héros restés au pays ne peuvent plus contenir les émeutes, beaucoup n'ont d'ailleurs même pas envie de les retenir.

- Courage tout le monde, encore deux kilomètres et on prendra le train pour Tokyo ! Il faut quand même qu'on ait droit à une parade !

Le sergent qui nous harangue arbore un sourire immense, dans le train, elle ne cesse de nous parler de sa fille qu'elle a laissé depuis deux ans. Deux ans de guerre, et j'ai l'impression d'avoir vieilli d'un siècle.

Dans le pays tout est à refaire, les citoyens autrefois blasés par la politique se précipitent aux urnes et débattent avec l'acharnement qu'on ceux qui veulent reprendre ce qu'on leur a arraché. Même un mois après, toute la ville semble sur le point de tomber en miette, et je rêve encore des grands yeux bleus de la première bataille, ils explosent en fines gouttes de sang. Puis disparaissent.

Je me réveille en sueur une fois de plus. Les yeux, les gouttes, l'explosion et la sciure de bois sont encore trop présents et je mets du temps à m'habituer à la blancheur de mon plafond. La radio grésille, une nouvelle manifestation a lieu aujourd'hui, le gouvernement provisoire fait beaucoup de mécontents et le peuple essaie de tirer ceux qui avaient le pouvoir pendant la guerre devant un tribunal. Peine perdue.

Mon bras se déplie avec lenteur et je tourne la molette pour changer de fréquence, le poste crache, silence, il grésille et la voix de Tsuyu apparaît, toujours un peu traînante mais aux mots tranchants comme des rasoirs. J'aime bien l'écouter le matin, la présidente et fondatrice de l'association des anciens soldats, mon amie, une des personnes les plus influentes du pays en ces temps troublés.

Le présentateur reprend la parole, quelques mots sont encore échangés puis j'éteins la radio. Travailler à l'agence est plus que difficile, Shinzo est en rééducation et Shoto, mon propre patron, ne semble plus très intéressé par sa carrière. Et les déjeuners que j'ai passé à tenter de le convaincre n'ont servi à rien.

Mais je persiste. Et ce midi encore je m'assois à une table et fixe les deux yeux bigarrés de mon ami. Il a le regard fuyant, ses mains font distraitement le tour de sa tasse de café froid.

- Je ne peux pas.

- L'équipe a besoin de toi ! Ce quartier, non, cette ville est un véritable enfer et tu dis que tu ne peux rien y faire ? Tu es le numéro deux des héros ! Personne ne t'a oublié.

- Moi j'ai oublié.

Je me redresse sur ma chaise, toujours le même discours.

- On a tous du sang sur les mains Shoto, ce n'est pas une raison.

- Tu ne comprends pas, je ne veux plus, je n'arrive plus à m'imaginer ne serait ce que lever la main sur quelqu'un. Et mon alter...

D'un mouvement rageur il retire sa cuillère de la tasse, quelques gouttes tombent sur la table. Les yeux, les gouttes, la sciure du bois et c'est déjà fini, le café à séché.

- C'est con... des années à accepter mes pouvoir, tout ça pour ne plus être capable de les utiliser après.

Je sors de ma torpeur à la fin de ça phrase, mes yeux quittent difficilement les petits ronds bruns sur la nappe.

- On va faire quoi alors ? Parce que moi je suis un peu au chômage technique là. Et tous les autres employés aussi.

- Je peux te repasser l'agence, tu deviendra le boss. Et moi je ferai autre chose.

Je ris jaune, non pas parce que recevoir les ruines d'une agence de héros à moitié vide ne me plaît pas, mais parce que j'avais déjà du mal à retravailler, alors rester seul...

- Et toi tu vas faire quoi ?

- Prendre la parole, comme Tsuyu, représenter mes idées, lutter pour que tout ce que j'ai vécu ne se reproduise plus. J'imagine que je ne peux pas me laisser dépérir de toute façon. Deux dépressifs dans la bande, ça fait beaucoup.

La blague n'en est pas une, elle n'est pas drôle. De toute notre promotion de héros à Yuei, nous ne sommes qu'une petite douzaine à être revenus. Et le plus ridicule, le plus affreux, a été d'apprendre que Tenya s'était fait abattre par un vilain pendant notre absence. Et parmi le peu de survivants, certains comme Katsuki n'arrivent plus à repartir. On ne sait plus quoi faire pour l'aider.

- J'ai parlé avec Eijiro avant-hier, c'est dur pour lui. Il encaisse tout pour deux et il doit retrouver un travail aussi...

Le bicolore boit une gorgée de son café, grimaçant parce qu'il est froid. Sa main joue avec le bord de la table en bois, ça tape comme une mitrailleuse. Puis il déglutit et reprend :

- Tu sais je comprends un peu Katsuki, moi aussi j'ai l'impression d'avoir débarqué dans un autre monde. J'ai l'impression que si je parle du portefeuille, de la photo de la jeune fille coréenne, du sang et des sous-hommes que nous étions là-bas, personne ne me croira...

Nous sommes tellement nombreux à ressentir cela, parfois quand j'essaie de discuter avec des amis ou des voisins qui ne sont pas partis au front, j'ai l'impression de me heurter à un mur. Je sais qu'il m'entendent mais je sais aussi qu'il ne comprennent pas, ils essaient, mais ils ne comprennent rien et ça se voit. C'est comme parler à des animaux sauvages, ils entendront le bruit et ça les fera fuir. En ce moment, le mot "guerre" a le don d'échauffer les esprit et semer la discorde.

- Je vais les revoir aujourd'hui, il ne faut pas laisser Eijiro seul face à ça.

- Et toi tu ne te sens pas seul ?

La phrase de mon ami me surprend. Bien sûr que je me sens seul, à en crever. Mais je ne m'en plains pas, j'arrive à sortir de chez-moi, j'ai encore un emploi même s'il n'est plus très stable, mon immeuble est presque en bon état, ma rue aussi sauf l'épicerie qui a brûlé pendant les manifestations. J'arrive à voir des gens même si je bloque encore parfois. Bref, je m'en sors.

- Comme tous les autres je pense...

Son café est vide et sa main ne tapote plus sur la table, une esquisse de sourire se dessine sur ses lèvres. Ses cheveux sont en bataille mais propre, à mi-chemin entre la folie du camp et son hygiène excessive d'antan. Tout se mélange en ce moment, j'ai du mal à voir ce qui appartient au passé ou non.

- Quand je suis avec toi je ne me sens pas seul.

Sa phrase me surprend, interrompt violemment le fil de mes pensées. Je tente de l'assimiler mais je ne la comprends pas bien.

- Moi aussi bien sûr ! J'aime beaucoup pouvoir te parler.

- Non Izuku pas comme ça...

Sa main passe d'une tache de café à l'autre, une, deux, trois, à six les doigts atteindront mon poignet.

- Je ne me sens pas seul, j'ai moins peur de l'avenir et du reste des hommes. Et je me dis que ça pourrait durer longtemps comme ça, si c'est avec toi.

La serveuse a emporté le café, sa main est sur mon poignet, côté gauche, elle est chaude. Je cherche la blague dans les yeux de mon camarade mais ne la trouve pas.

- On a vécu tellement de choses ensemble. Et même quand je suis parti je priais pour que tu reviennes vivant, et je me battais chaque jour pour te revoir. Je regardais sur les registres quand l'espoir de ne jamais y voir ton nom.

Je reste silencieux, étrangement vide et amorphe. Je ne vois pas quoi dire ni quoi faire, alors je le laisse parler pour deux.

- Toi et la paix, ça me faisait deux moteurs.

Je soupire, la pression qu'il exerce sur ma peau est une invitation, je l'ai bien compris, mais que dois-je en faire ? Je n'en ai pas la moindre idée et toute pensée cohérente s'échappe de ma tête. Je me pose alors des questions bêtes. Est-ce qu'on s'est rapproché grâce à la guerre lui et moi ? Oui. Est-ce qu'il est devenu mon confident ? Oui. Est-ce que j'ai eu peur pour lui pendant ces deux longues années ? Aussi. Est-ce que nous pourrions être la béquille l'un de l'autre ? Aussi longtemps que possible ? La proposition est tentante, et pourtant je vois bien que ce n'est pas ce que je veux.

- Je suis désolé.

Sa main ne se retire pas pour autant de mon poignet.

- Quoiqu'il arrive, que ce soit pour parler ou pour quoi que ce soit d'autre. Que tu changes d'avis ou non, je suis là. Je t'aime et je pense que ça ne va pas changer.

- J'aurais aimé pouvoir te répondre la même chose.

- Je sais, peut-être que ça viendra.

- Peut-être.

Je ne le pense pas, au fond de moi, je vois bien que je suis aussi seul que tous les autres. Mais étrangement, ça me convient. Je me sens un peu coupable, et stupide, c'est un bonheur qu'il m'offre et que je ne saisis pas. Je ne sais pas encore pourquoi. Sa main s'est retirée, il se lève.

- Je vais te confier l'agence, on va aller dans ton futur bureau et commencer la procédure administrative.

Je traîne les pieds derrière lui, perdu dans mes pensées. J'ai l'impression d'être redevenu un adolescent qui ne sais pas ce qu'il veut, pourquoi il agit, qui ne peut se fier qu'à son instinct.

- Je ne t'en veux pas tu sais.

- Je sais. Merci Shoto.

- Allez, notre futur grand héros à besoin d'avoir sa propre agence pour percer à nouveau !

Cette phrase fut un déclic, et comme un adolescent je refis le rêve que j'avais oublié pendant deux ans, celui qui avait été remplacé par les yeux bleus, la sciure et le sang. Je voulais être le héros numéro un, le digne successeur d'All Might. Ces deux dernières années ont été une épreuve, maintenant, il faut que je me relève avec le sourire.

La première semaine après une guerre est plus dangereuse que les dernières semaines de la guerre elle-même.

- Moses Isegawa

***

Eh ben, j'en ai mis du temps pour le poster celui-là... Je suis désolée je suis vraiment nulle pour finir les histoires... Merci à tout ceux qui ont lu jusqu'ici ! Je pense que je vais écrire un épilogue parce que cette "fin" ne me satisfait pas tout à fait, je la trouve trop floue sur certains points

Patatarte-chan 🎩

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