Chapitre 3 - Esprit
J’ouvris mon volet pour découvrir un paysage brumeux. Une fine bruine faisait bruisser les feuilles des arbres et déjà, les premiers étudiants s’avançaient sur le chemin menant à l’école. Malgré ce spectacle maussade, un sourire éclairait mon visage. Nous étions lundi, une semaine s’était écoulée depuis l’arrivée de Paris, le nouvel élève de ma classe et j’allais finalement pouvoir le retrouver. Le week-end loin de lui m’avait paru être une éternité. Je m’étais habitué à l’observer timidement en cours et lorsque nous nous croisions dans les couloirs. De temps à autre, nos regards se trouvaient et une étrange alchimie s’opérait entre nous. Nous échangions un sourire gêné avant de nous détourner, le cœur battant. Je commençais à comprendre les sentiments qui m’assiégeaient depuis son arrivée. Il me plaisait. Je m’étais pourtant juré d’enfouir au plus profond de moi cette difficile vérité, mais je ne pouvais rien y faire. Les hommes m'attiraient beaucoup trop.
Je me préparais en me remémorant les instants que nous avions vécu ensemble au cours de cette première semaine. Ensemble, songeais-je, c’est peut-être trop présomptueux, il était sans doute juste gêné par mon attitude et trop réservé pour venir me demander d’arrêter.
Je l’avais surpris, accroupi dans le couloir, en train de faire des mouvements étranges. On aurait dit qu'il caressait un petit animal invisible. En me voyant, il était parti presque en courant avant que je ne puisse dire un mot. J’ai essayé de l’aborder le lendemain, mais ma timidité m’en a empêché. Je me suis contenté de le regarder lorsqu’il est passé à côté de moi en entrant dans la salle. Son parfum délicat m’a fait frémir et mes yeux se sont naturellement posés sur ses fesses rebondies. Tout son être m’attirait et j’aurai donné tout ce que je possédais pour le serrer dans mes bras. Notre petit manège a duré jusqu’au vendredi soir et c’est avec regret que j’ai vu la semaine se terminer.
J’ouvris la porte de ma chambre et sortis d’un pas décidé. Aujourd’hui, nous allions nous retrouver en cours de biologie et peut-être allais-je avoir une occasion de lui parler. Le cours se déroulait dans une salle différente, et nous devions nous mettre en groupes. Avec un peu de chance, pensais-je, j’allais me retrouver avec lui. Je pénétrais dans le bâtiment et me dirigeais vers la salle. Les couloirs aux murs d’un blanc immaculé se suivaient et se ressemblaient. Je connaissais le chemin par cœur, néanmoins, j’eus une pensée pour Paris. Arriverait-il à se repérer dans ce dédale ? Une fois dans la salle de cours, je m’installais et observais les autres paillasses. Aucune trace de mon étudiant préféré. Les élèves remplirent peu à peu les sièges et le professeur apparut. L’homme nous jaugea d’un regard froid, du haut de son mètre quatre-vingt-dix. Ses cheveux gras, plaqués en arrière sur son crâne, luisaient sous les lumières blafardes de la pièce. Il déplaça son corps maigre jusqu’au bureau et nous interrogea d’une voix monocorde.
« Je pensais qu’un nouvel étudiant nous avait rejoints, se serait-il perdu dans les couloirs ?
Il ricana avant de reprendre.
- Jacob ! Allez me le chercher, et ne traînez pas.
- Oui, monsieur. »
Il adorait s’en prendre à moi, nous nous détestions mutuellement et chaque prétexte était bon pour me rabaisser ou m’éloigner. Mais cette fois, il ne savait pas qu’il venait de me faire un magnifique cadeau. J’allais avoir une excuse pour parler en tête à tête avec Paris ! Je sortis de la classe en trombe et commençai à arpenter les couloirs. Il devait être quelque part dans le bâtiment, j’en étais sûr !
Je tournai au coin d’une allée lorsque je ressentis une grande douleur dans le crâne et que mes fesses heurtèrent le sol.
- Ah, putain... gémis-je en me massant la tête.
En face de moi, le regard effaré et les jambes tremblantes se tenait le nouveau. Il me tendit la main sans rien dire et je m’en saisis pour me relever. Sa peau était douce et chaude, et je mis quelques secondes à le lâcher.
- J.. je euh... je te cherchais pour... t’emmener en cours, bégayai-je.
Je levai les yeux vers lui et remarquai qu’il rougissait au moins autant que moi.
- Merci, répondit-il, le regard fuyant, je n’arrive pas à retrouver mon chemin dans ces couloirs. Ce bâtiment est un vrai labyrinthe.
- Suis, moi je vais te guider. Il suffit de repartir par le couloir d’où tu viens.
Je me mis en route sans relever le frisson qui parcourut son être. Je ne pouvais pas m’empêcher de lui lancer des regards intéressés en marchant à ses côtés. Son visage était élégant et son corps... très attirant... Mais quelque chose semblait lui faire peur. Je commençais à me poser des questions, il était très étrange, mais sa frayeur semblait sincère. Je jetais un coup d'oeil par-dessus mon épaule et sursautais en voyant une forme vaguement humaine flotter au coin de mon œil. Ce devait être mon imagination… oui...
- On devrait peut-être accélérer le pas, non ? demanda-t-il.
- Ouais, si tu veux, mais tu ne devrai pas être pressé d’arriver dans ce cours, le prof est un vrai con.
Une angoisse m’étreignit soudain. Je me sentis suivi, comme si une créature hostile nous pourchassait. Paris avait l’air paniqué, ses enjambées se firent plus rapides et je peinais à le suivre. J’accélérais pour rester à sa hauteur, il ne m’écoutait presque plus.
- Par ici, indiquai-je en bifurquant.
Je tournai dans l'allée et traversais en vitesse les derniers mètres qui nous séparaient de la salle. Une peur viscérale s’était emparée de moi sans que je puisse déceler son origine.
- On ne peut pas y entrer, marmonna Paris, elle est là-bas, elle nous bloque, on ne peut pas…
Il saisit mon poignet et l'attira dans un couloir adjacent. Je le suis sans comprendre, je ne pense pas à l’arrêter, il est effrayé et ces sentiments deviennent peu à peu miens. Quelque chose nous suit et se rapproche. Je manque de trébucher et réussis à me rattraper à la dernière seconde. Il faut courir, vite.
Je remarque alors un placard d’entretien et lui tapote l’épaule pour le lui indiquer. Il acquiesce et nous nous engouffrons tous deux dans cet espace étroit.
Une fois dans notre abri de fortune, je retins mon souffle.
- Tu... Tu l’as vu... Toi aussi... ? interrogea-t-il en tremblant.
Je pose mes mains de chaque côté de sa tête pour ne pas tomber. Je sens son souffle sur mon cou.
- Je ne sais pas... J’ai vu... quelque chose… et j’ai senti ce... ce froid agripper mon cœur...
Je rougis en remarquant notre proximité. Je baisse un peu la tête. Il est beaucoup trop beau...
- Une femme... Le fantôme d’une femme sans visage... annonce-t-il en commençant à rougir.
La chaleur de son corps contre le mien me fit peu à peu oublier ma frayeur. Ses lèvres entrouvertes firent monter en moi un désir nouveau... je toussotai pour masquer ma gêne et tenter d’effacer de mon esprit cette irrépressible envie de l’embrasser. Il n’avait pas le droit d’être si attirant, c’était un réel supplice, mais je ne voulais pas quitter ce placard.
- Je suis désolé, je n’ai vu qu’une ombre, rien de distinct...
Il baissa le regard et s’affaissa doucement contre le mur.
- Mais je te crois ! m’empressai-je d’ajouter.
Il leva la tête vers moi, les yeux embués de larmes, le corps encore frissonnant.
- M-merci...
Il pleure ? Merde, qu’est-ce que j’ai fait ? pensais-je en commençant à paniquer.
- C’est normal voyons ! Tu as l’air sincère, j’ai aussi ressenti cette chose horrible et je ne veux pas croire que tu sois un menteur parce que...
Je m’arrête brusquement en sentant le rouge me monter aux joues. Je le regarde pleurer silencieusement, il me fait de la peine et cette sensibilité qu’il m’offre est extrêmement touchante. Le temps s’arrête autour de moi et, sans réfléchir, je passe mes bras autour de son cou pour le serrer contre ma poitrine.
Il se crispe à mon contact puis s’accroche à moi. Mon cœur bat la chamade contre son torse alors que le rouge me monte aux joues.
- Je voudrais m'excuser d’avoir pleuré... C’est que... tu es le premier qui me croit... Alors... bégaye-t-il.
Je le garde contre moi quelques secondes, appréciant son odeur, les courbes de son corps... Puis je réalise ce que je viens de faire et m’écarte brusquement en devenant écarlate.
- D... désolé ! Je ne sais pas ce qui m’a pris ! Je... hum... rentrons en cours... d’accord ?
Je sortis du placard en respirant profondément pour tenter de me calmer.
Nous avançâmes en silence dans le couloir. Nos regards se croisaient de temps à autre, je jugerais qu’il rougit. Nous arrivâmes finalement devant la salle de classe. Nous étions tellement en retard que le prof allait nous tuer... Pâris tendit le bras pour ouvrir la porte et je l’arrêtai en posant ma main sur la sienne.
- Attends, murmurai-je en rougissant de ma propre audace, ce soir, après les cours, rejoins-moi dans ma chambre, je suis dans la 21 B. Il faut que tu m’expliques tout ce qu’il se passe.
Je clenchais la poignée et entrais dans la salle sans lui laisser le temps de répondre.
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