Chapitre 3
Sous le choc, Nino se fige.
Il a mal entendu, c'est certain.
Adrien ne peut pas être Chat Noir. C'est impossible. Il l'aurait forcément su. Il l'aurait forcément remarqué. Adrien lui aurait forcément dit.
Non ?
Mais l'expression de stupeur qu'il lit sur la figure de Chloé lui confirme que ses oreilles ne lui ont pas joué un mauvais tour. Adrien vient bel et bien d'affirmer qu'il n'était nul autre que le héros de Paris. Et au vu des circonstances, le jeune homme n'est clairement pas d'humeur à plaisanter.
Nino peut sentir le sang refluer lentement de son visage à mesure qu'il prend toute la mesure de la situation.
Adrien était Chat Noir.
Et il ne l'a jamais soupçonné.
Pas une fois, pas une seconde.
Les veines de Nino se glacent sous l'effet du choc, tandis qu'une soudaine sensation de nausée lui tord l'estomac. Comme dans un mauvais rêve, il regarde ce jeune homme qu'il pensait connaitre aussi bien que le dos de sa propre main et qui lui apparaît soudain comme un étranger.
Adrien.
Chat Noir.
Son meilleur ami.
Celui qu'il considère comme son propre frère et qu'il connait manifestement bien moins que ce qu'il aurait cru.
Mâchoires serrées, Adrien garde le regard résolument rivé au plafond, ignorant manifestement l'état de détresse dans lequel ses paroles ont plongé son ami. Pour la première fois, Nino remarque à quel point la couleur des yeux d'Adrien rappelle celle du héros de Paris et combien ses cheveux blonds en bataille ne rendent sa ressemblance avec son alter-ego que plus frappante.
- « J'étais Chat Noir », répète Adrien d'un ton las, tirant brusquement Nino de sa torpeur.
Le jeune homme passe main devant ses yeux, laisse échapper un soupir fatigué, et clos les paupières.
- « Chat Noir... », murmure-t-il une dernière fois avant de tourner le dos à ses amis, mettant abruptement fin à la conversation.
Nino sort de la pièce avec l'impression d'être prisonnier d'un rêve absurde et en proie à une violente migraine qui lui donne la sensation que son crâne est en train de se fendre en deux. En l'espace de quelques secondes à peine, son meilleur ami est devenu un inconnu à ses yeux. Un étranger qui a vécu pendant des années une double-vie dont il n'a jamais soupçonné l'existence.
Les pensées fusent sous le crâne de Nino, alors que le jeune homme commence doucement à comprendre tout ce qu'implique la révélation d'Adrien.
Chat Noir. Les combats dans lesquels il risquait sa vie à chaque instant. Tous ces dangers auxquels il n'a cessé de s'exposer pour protéger Paris. Ladybug. Le Papillon. Son père.
C'est trop, trop d'un coup, et Nino se sent brusquement prit de vertige.
Mais soudain, alors qu'il s'apprête à s'appuyer contre un mur pour retrouver son équilibre, Chloé le saisit vivement par le coude. Enfonçant sans ménagement ses ongles dans sa chair, elle le tire violement derrière elle, lui fait traverser salon et couloir pour l'entraîner dans sa propre chambre.
Une fois entrée, Chloé claque la porte plus qu'elle ne la ferme, faisant trembler les murs sous la violence de l'impact. Livide de fureur, elle se tourne aussitôt vers Nino.
- « Nino, j'espère pour toi que tu ne savais pas qu'Adrien était Chat Noir ! » siffle-t-elle entre ses dents, ses yeux d'un bleu polaire étincelant de rage. « Parce que ça fait des mois que je me démène pour qu'il aille mieux et que je t'ai fait l'honneur de te demander ton aide, alors si tu as osé me cacher une information aussi capitale que – »
- « J'AI L'AIR D'AVOIR ETE AU COURANT ? » hurle brusquement Nino, avant de se figer aussitôt.
Ce violent éclat les paralyse tous les deux.
De leur étrange duo, Nino est d'ordinaire le plus calme. Celui qui tempère les colères volcaniques de Chloé, celui qui conserve son sang-froid quand son explosive camarade déverse sa rage sur tous ceux qui ont le malheur de l'approcher.
Mais là le choc est trop fort et pour une fois, ce sont ses nerfs qui lâchent avant ceux de son amie.
Sous le regard inquiet de Chloé, le jeune homme passe une main lasse sur sa figure.
- « Je n'étais pas au courant », répète-t-il avec un lourd soupir. « Je ne me doutais vraiment de rien. »
Nino recule d'un pas, s'appuie de tout son long contre la porte et ferme les yeux.
Adrien est Chat Noir, et il lui faudra probablement du temps pour se faire à cette idée.
Durant le reste de la journée et dans la nuit qui suit, Nino et Chloé parlent, parlent et parlent encore. Assis en tailleur sur le lit de la jeune femme, ils décortiquent le moindre de leur souvenir, comparent, analysent, cherchent à comprendre.
Le regard rivé sur les pages du Ladyblog, ils retracent pendant des heures les exploits du héros de Paris. Avec un acharnement que leur envierait Alya, ils relient chaque combat de Chat Noir aux disparitions inexpliquées d'Adrien, cherchent des similitudes entre l'attitude grandiloquente du héros et celle de leur meilleur ami, comparent leurs visages, leurs voix, leurs rires.
Lentement, ils comprennent à quel point la vie de leur ami était pavée d'absences soudaines, de silences prudents, de mensonges nécessaires.
Lentement, ils réalisent combien ils ignorent qui est réellement ce jeune homme qu'il pensaient pourtant si bien connaître.
A la surprise de cette extraordinaire découverte se mêle la honte de ne pas avoir réalisé plus tôt que leur meilleur ami n'était autre que Chat Noir. Ils ont côtoyé Adrien pendant des années, et pas un instant ils n'ont soupçonné qu'il puisse être le célèbre héros de Paris.
Ils s'en veulent de ne rien avoir noté. De s'être cru si proche de lui sans pour autant réaliser à quel point il était extraordinaire. De ne jamais avoir remarqué combien son courage, sa détermination et son dévouement sans faille défiaient toutes les normes.
Et plus que tout, ils s'en veulent de ne pas avoir compris que la détresse d'Adrien se nourrissait de la souffrance de Chat Noir.
Ils osent à peine imaginer l'horreur qu'a ressenti Adrien en découvrant que l'homme qu'il a combattu avec acharnement pendant des années n'était nul autre que son propre père, et ils commencent tout juste à mesurer à quel point cette terrible nouvelle a dévasté leur ami.
La nuit est tombée depuis déjà des heures et un silence tendu s'installe dans la chambre. Nino jette un bref coup d'œil à Chloé, toujours assise à ses côtés. Etrangement immobile, sa camarade fixe son téléphone, regardant sans réellement les voir l'une des innombrables vidéos mises en ligne par Alya. Sur son écran, les deux héros de Paris bondissent, virevoltent, esquivent habilement les attaques de leur adversaire du jour.
Et soudain, Chat Noir est violemment projeté contre lampadaire.
Le bruit sourd du choc ramène immédiatement Chloé à la réalité. Tout à coup livide, la jeune femme sursaute et pianote vivement sur son téléphone pour couper la vidéo.
Nino lui jette aussitôt un regard reconnaissant.
C'est une chose de voir un héros se battre. C'en est une chose de savoir que derrière le masque dudit héros se cache son meilleur ami, et que c'est lui qui encaisse coup sur coup lors de ces terribles combats.
Le simple fait d'imaginer Adrien au cœur d'une telle tornade de violence rend Nino nauséeux. Le jeune homme ferme un instant les yeux et prend une profonde inspiration pour calmer les battements affolés de son cœur.
Adrien n'est plus Chat Noir, se répète-t-il silencieusement.
Il n'est plus Chat Noir. Il n'a plus à combattre le Papillon, il n'est plus exposé à ce danger auquel il a fait face durant des années. Maintenant, il est en sécurité, à des milliers de kilomètres de son père et de son ancienne vie.
Mais malgré tout, Nino se glace d'effroi en repensant à tout ce à quoi son ami a failli échapper.
Il n'a jamais soupçonné Adrien d'être Chat Noir, mais avec le recul, c'est certainement une bonne chose. S'il avait su à quels risques s'exposait celui qu'il aime comme un frère, Nino se serait certainement consumé d'angoisse depuis bien longtemps.
Lentement, Nino rouvre les paupières et se tourne vers Chloé. La jeune femme fait à présent défiler les interviews de Chat Noir et Ladybug, privilégiant celles où apparait leur ami. Sans dire un mot, Nino se penche vers elle pour mieux voir.
Il examine intensément chaque vidéo, scrutant le moindre détail jusqu'à avoir l'impression que l'image du héros de Paris lui brûle la rétine. Chat Noir parle avec la voix d'Adrien, et le sourire insolent celui qui se dessine sur son visage rappelle celui qui illuminait de temps à autre les traits de son ami.
- « Comment on a pu ne pas s'en rendre compte, Chloé ? », murmure doucement Nino, désemparé. « On est ses amis, pourtant. Ses meilleurs amis. Comment on a fait pour ne rien remarquer ? »
Les jours qui suivent la révélation abrupte d'Adrien sont étranges.
D'un commun accord, Nino et Chloé décident de ne pas lui reprocher ce secret qu'il leur a caché durant tant d'années. A la place, ils préfèrent se concentrer sur son moral encore bien trop fragile, faisant de leur mieux pour l'aider à maintenir la tête hors de l'eau.
Les trois amis discutent énormément, se réapprivoisent petit à petit.
Avec le temps, Nino et Chloé apprennent à concilier l'image du flamboyant héros de Paris avec celle de leur meilleur ami. Leurs souvenirs leurs apparaissent à présent sous un jour nouveau. Ils se rappellent des jeux de mots que laisse parfois échapper Adrien quand il se sent à son aise avec son interlocuteur. De ses absences inexpliquées, ses excuses absurdes. De sa fascination pour Ladybug, sa joie à chaque compliment qu'il entend sur Chat Noir.
Et lentement, un nouveau portrait se dessine devant eux.
Celui d'un jeune homme qui n'est ni Adrien, ni Chat Noir, mais leur meilleur ami qu'ils doivent à présent redécouvrir.
De son côté, Adrien s'ouvre de plus en plus à eux.
A présent libéré de ce terrible poids qui lui pesait encore sur la conscience, le jeune homme se confie enfin pleinement. Durant des heures entières, il parle de Gabriel Agreste, de la douleur qu'il a ressenti à être ainsi trahi, de l'horreur qui a failli le consumer vivant quand il a réalisé qu'il avait manqué de mourir un nombre incalculable de fois de la main de son propre père.
Avec une infinie patience, Nino et Chloé l'écoutent. Le réconfortent. Le soutiennent avec une volonté indéfectible.
Et peu à peu, Adrien refait doucement surface.
Certes, il refuse de prononcer le nom de Ladybug, tout comme il répugne encore à évoquer Paris. Mais lentement, les choses s'améliorent. Sous l'insistance de ses amis, il quitte enfin sa chambre. Tout d'abord, il accepte d'accompagner Chloé faire les magasins. Puis, de jour en jour, Nino l'entraine à des concerts, l'encourage à se promener dans sa nouvelle ville d'adoption, le force à reprendre pied dans cette vie qu'il fuit depuis des mois.
Avec soulagement, Nino et Chloé voient Adrien s'inscrire à des cours à l'université voisine.
Penser à un diplôme, c'est penser à l'avenir, et c'est une amélioration inespérée de l'état de leur ami. Bien sûr, la situation reste loin d'être idéale. La dépression qui a frappé Adrien a reflué, mais elle rôde toujours, menaçant de le frapper de nouveau dès qu'il a le malheur de baisser la garde. Nino et Chloé surveillent le jeune homme avec une attention de tous les instants, prêts à lui apporter leur soutien à la moindre défaillance.
Parfois, Adrien craque. Vacille, sombre de nouveau dans ce désespoir qui semble refuser de le quitter définitivement.
Mais à chaque fois, il parvient à refaire surface.
La guérison sera rude, mais le jeune homme est en bonne voie. Et un jour, il devient temps pour Nino et Chloé de regagner leur ville natale. Adrien ne va toujours pas parfaitement bien, mais il va mieux, et le moment est venu pour lui d'apprendre à se passer de leur aide.
Ainsi, après des journées entières de réflexion, Nino et Chloé se mettent finalement en route vers leur ville natale. Adrien insiste pour les emmener lui-même à l'aéroport, où leurs au revoir sont aussi long que déchirant. Mais quand une voix sortant d'un haut-parleur annonce l'embarquement pour Paris, les deux jeunes gens se voient finalement contraints de quitter leur ami.
- « Surtout, tu n'oublies pas de nous donner des nouvelles », martèle Nino pour la énième fois, tout en serrant une dernière fois Adrien dans ses bras. « Et s'il y a un souci, tu nous appelles tout de suite. Peu importe l'heure. »
- « Sinon, je n'hésiterai pas à revenir ici pour te botter personnellement les fesses ! », renchérit Chloé en fronçant les sourcils d'un air menaçant.
- « Compris, compris », approuve Adrien en levant les mains en signe de reddition, tandis qu'un faible sourire se dessine sur son visage. « Je vous appellerai régulièrement. »
Fidèle à sa promesse, Adrien laisse rarement passer une semaine sans contacter ses amis d'une façon ou d'une autre. Que ce soit via un simple message laissé sur leur téléphone, un coup de fil ou un mail assidument détaillé, il met un point d'honneur à les tenir au courant de sa vie de l'autre côté de l'Atlantique.
Aux Etats-Unis, le jeune homme traverse des hauts et des bas. Parfois, il replonge dans cet étrange détachement qui inquiète tant Nino et Chloé. A d'autres moments, il semble remonter doucement la pente et mener une vie presque normale.
Un jour, alors que Chloé regarde tranquillement un film dans sa chambre, la sonnerie de son téléphone s'élève. Lorsque la jeune femme décroche, la voix d'Adrien résonne aussitôt.
- « Ok, Chloé, avant toute chose, surtout ne t'inquiète pas. »
La mâchoire de la jeune femme se contracte, et instinctivement, elle enfonce ses ongles dans la paume de sa main. Les coups de fils d'Adrien sont toujours de véritables loteries qui mettent ses nerfs à vif. Selon les jours, son ami peut très bien se montrer d'aussi bonne humeur que le permettent les circonstances, tout comme il peut être absolument dévasté.
Ce sont de véritables montagnes russes qui épuisent Chloé.
Nino gère bien mieux qu'elle les aléas que subit régulièrement le moral d'Adrien. Il est plus prompt à le réconforter, sait mieux qu'elle comment trouver les mots justes pour qu'il aille mieux lorsqu'il se trouve au plus bas.
Chloé n'est pas comme Nino. Même avec la meilleure volonté du monde, elle sait pertinemment qu'elle ne pourra jamais faire preuve d'autant de patience et de compassion que lui. Mais elle reste farouchement déterminée à essayer d'aider son ami.
Alors, à sa façon, elle affronte ses propres difficultés et tente de faire face du mieux qu'elle peut.
- « Trop tard, je m'inquiète », réplique-t-elle d'un ton acide. « Qu'est-ce qu'il se passe ? »
- « Alors il n'y a vraiment rien de grave, je t'assure », reprend Adrien. « Mais comme je sais que tu payes grassement le réceptionniste pour qu'il te tienne au courant du moindre évènement sortant de l'ordinaire et qu'il va sûrement te parler de ça... »
Chloé ne prend même pas la peine de relever la remarque, pas plus qu'elle ne ressent la moindre honte à surveiller ainsi les agissements de son ami.
Les scrupules sont bien peu de choses en comparaison d'un supplément de tranquillité d'esprit. Tant qu'elle n'aura pas la certitude qu'Adrien va définitivement bien, elle n'hésitera pas une seconde à soudoyer autant de personnes que nécessaires pour s'assurer qu'il ne lui dissimule rien.
- « Adrien », le coupe-t-elle autoritairement. « Qu'est. Ce. Qu'il. Se. Passe ? Tu fais quoi ? Tu es où ? »
De l'autre côté de la ligne, elle entend son ami pousser un lourd soupir, et son cœur se serre.
Manifestement, aujourd'hui est l'un de ses jours qu'elle redoute par-dessus tout. L'un de ces jours où le moral d'Adrien vacille, et où elle regrette amèrement que Nino ne soit pas là pour lui souffler des paroles rassurantes à transmettre à leur ami.
Mais dans son malheur, elle a malgré tout un peu de chance.
Adrien fait preuve d'un peu trop de détachement pour sa propre tranquillité d'esprit, mais il ne semble pas non plus complètement abattu. Il lui donne plutôt l'impression d'être dans une sorte d'état intermédiaire. Pas heureux, mais pas désespéré non plus.
C'est toujours ça de pris.
- « Encore une fois, rien de grave », répète lentement Adrien. « Je suis à l'hôpital. Juste deux doigts cassés. A la main droite. »
Un hoquet de surprise échappe aussitôt à Chloé, qui manque de lâcher son téléphone sous l'effet de la stupeur.
- « QUOI ? », s'exclame-t-elle. « Mais comment ? »
- « Aujourd'hui était un de ces jours où je... Enfin, je n'étais pas de très bonne humeur et mon père a essayé de m'appeler », explique Adrien d'une voix morne, presque mécanique. « Je n'ai même pas répondu. Mais après, j'étais encore plus en colère. Et j'ai donné un coup de poing dans le mur. »
- « TU AS FAIT QUOI ? », hurle la jeune femme.
- « Un coup de poing dans le mur », répète Adrien avec lassitude. « Et je me suis cassé deux doigts, fin de l'histoire. »
Chloé se pince l'arête du nez avec les doigts et secoue machinalement la tête.
- « Adrien... », grommelle-elle. « Avec Nino, quand on te disait d'extérioriser ta colère, on ne pensait pas vraiment à ça... »
- « Je sais, je sais... », soupire son ami d'enfance. « Enfin bref, tu allais forcément en entendre parler, je me suis dit qu'il valait mieux que tu l'apprennes par moi.»
- « J'apprécie », rétorque froidement la jeune femme. « Ah, Adrien... », poursuit-elle sur un ton plus chaleureux. « Je t'adore, mais parfois tu es vraiment stupide. »
- « Je sais », réplique doucement son ami. « Je te laisse, je rentre à l'hôtel. Au revoir, Chloé. »
- « Au revoir. »
Les mois s'écoulent et les nouvelles d'Adrien se font de plus en plus rassurantes. Le jeune homme a changé. Il est plus sérieux, plus mélancolique que l'adolescent qu'il était autrefois. Mais s'il n'a pas tout à fait retrouvé sa joie de vivre, il va néanmoins beaucoup mieux qu'à l'époque où il a brusquement quitté Paris, et sa dépression semble avoir été enfin reléguée au stade de mauvais souvenir.
L'humeur d'Adrien est maintenant bien moins chaotique qu'auparavant et Nino ne redoute à présent plus les appels de son ami. Quand ce dernier lui téléphone, ce n'est plus pour lui faire part de son abyssal désespoir, mais plutôt pour lui raconter son tranquille quotidien.
- « Hello », le salue-t-il un jour, alors que l'aube se lève à peine sur Paris. « Je sais que ça fait quelques jours que je n'ai pas donné de nouvelles, alors je me suis dit que j'allais te passer un petit coup de fil. Je t'appelle depuis le bord de la mer. »
- « Hey », s'exclame joyeusement Nino, tout en effectuant un rapide calcul mental. « Tu te rends compte que ça fait des mois qu'on n'a pas été aussi proches, géographiquement parlant ? Si tu es au bord de l'océan, c'est que tu t'es un peu rapproché de Paris ! »
- « Pas tout à fait », réplique Adrien avec l'un de ces rires discrets qui sont désormais les siens. « Je suis sur la côte Pacifique. »
- « Q-quoi ? », bredouille Nino, abasourdi. « La côte Pacifique ? »
- « J'avais envie de voir la mer », explique calmement son ami. « Alors j'ai loué une voiture et j'ai roulé. Et je suis arrivé au bord de l'océan. »
Nino ignore s'il doit être inquiet ou rassuré d'apprendre qu'Adrien puisse ainsi quitter la ville où il a trouvé refuge et dévorer des centaines de kilomètres sur un simple coup de tête. Mais son ami semble être heureux de sa petite escapade, et Nino préfère de loin le voir ainsi qu'à l'époque où il restait prostré dans sa chambre.
Les deux jeunes gens bavardent quelques minutes, parlant de tout et de rien. Et au moment de raccrocher, une question fuse instinctivement des lèvres de Nino.
- « Est-ce que ça va ? », demande-t-il machinalement.
Il ne compte plus le nombre de fois où il a prononcé ces quelques mots, tout comme il ne doute pas un instant qu'il ne cessera jamais de s'inquiéter de la santé de son ami.
- « Oui, Nino », répond doucement Adrien. « Ça va. »
Petit à petit, Adrien se met à parler de la France. De Paris. Des années se sont écoulées depuis qu'il est parti et le mal du pays commence manifestement à le rattraper.
Le jeune homme refuse toujours de faire ne serait-ce que prononcer le nom de Ladybug, tout comme il rechigne à discuter de la relation – ou de l'absence de relation - qu'il entretien désormais avec son père. Mais il va mieux. Beaucoup, beaucoup mieux.
Et aujourd'hui, alors qu'il discute avec ses amis par webcam interposée, il parle de revenir.
- « C'est juste... Je n'ai pas envie de rentrer chez moi », soupire-t-il en se passant la main sur sa nuque. « Pas dans la maison où il... C'est encore trop tôt. »
- « Tu peux venir chez moi », propose spontanément Nino. « ça ne me pose pas de problème de t'héberger. »
- « Merci, ça me touche beaucoup, mais tu sais tout aussi bien que moi que ça ne sera pas possible », réplique Adrien avec un faible sourire. « Il n'y a pas assez de place, tu deviendrais fou avant la fin de la semaine à force de m'avoir dans les pattes. »
Nino ouvre la bouche pour protester, puis la referme aussitôt.
Il aimerait dire à Adrien qu'il se trompe, mais force est de reconnaitre que son ami a raison. Même avec la meilleure volonté du monde, son appartement est bien trop petit pour permettre une cohabitation sur le long terme.
- « Alors vient chez moi », intervient Chloé. « Enfin, chez mon père. Dans son hôtel. Je peux te mettre une suite à ta disposition, cadeau de la maison. Tu pourras rester aussi longtemps que tu veux
- « Chloé, je... », commence Adrien.
- « Adrichou », le coupe-t-elle aussitôt, « Tu sais aussi bien que moi que c'est LA meilleure solution. »
Sur son écran, Nino voit Adrien sourire en entendant le surnom ridicule dont l'affuble la jeune femme. Cela fait des années qu'elle ne l'avait pas appelé comme ça, et manifestement, la perspective de voir revenir leur ami revenir à Paris ravive chez elle de vieilles habitudes.
- « Je ne dis pas le contraire, par contre je peux parfaitement me payer une chambre », reprend finalement Adrien. « J'ai encore largement de quoi – »
- « Cadeau de la maison », répète fermement Chloé. « A la rigueur, je peux te laisser payer les repas, si ça peut soulager ta conscience », poursuit-elle avec un petit geste dédaigneux de la main. « Mais pour la chambre, hors de question. Tu es mon invité. Et tu la garderas aussi longtemps que tu l'estimeras nécessaire. »
- « Accepte, mec », renchérit Nino avec un sourire amusé. « Elle ne te laissera pas tranquille sinon. Tu sais aussi bien que moi à quel point elle peut être butée quand elle veut. »
- « Je ne suis pas butée », proteste Chloé en relevant fièrement le menton. « Je vous empêche juste de prendre des décisions idiotes. »
- « Alors c'est décidé ? », reprend Nino à l'attention de son ami. « Tu rentres en France ? »
De l'autre côté de l'océan, un franc sourire se dessine sur les lèvres d'Adrien.
- « Je rentre en France. »
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