Chapitre 3
N'oubliez pas l'étoile. Ça fait toujours zizir.⭐️
We only said goodbye with words
Nous ne nous sommes seulement salués qu'avec des mots
I died a hundred times
J'en suis morte des centaines de fois
You go back to her
Tu retournes vers elle
And I go back to
Et je retourne au
Black...
Noir...
Amy Whinehouse – Back to Black
Le 15 janvier 2019 – Taylor.
Cinq mois. Presque cent-cinquante-trois jours sans lui. Je ne savais pas que l'on pouvait ressentir un vide aussi creux, aussi douloureux, tout en restant debout. J'ignorai comment j'étais encore là. Je n'avais plus faim, plus soif, plus sommeil, plus rien qui m'aide à tenir. Je me contentai de respirer et de maudire la faucheuse, la vie.
Pourquoi lui ? Pourquoi nous ?
Xander avait essayé d'être là. Je savais l'effort que c'était, il prenait sur lui, il rangeait son amertume à mon égard. Mais j'ignorai pourquoi il s'acharnait autant à me soutenir. Il ne m'appréciait que par politesse. J'avais moi-même détruit notre amitié, pourtant il restait dans les parages. Ou bien c'est moi qui refusait de le laisser partir.
Quatre mois après que papa soit mort, Xander avait failli perdre le sien. Nous avions toujours su que le destin s'amusait beaucoup avec nous, mais de là à nous faire traverser le même calvaire, ça relevait de la sorcellerie.
— Taylor, tu es là ?
Non.
— Oui.
Le brun aux yeux malicieux ignora mon air éteint et poursuivit, un sourire rieur sur les lèvres. Mon meilleur ami : Ray Martin était fan d'Harry Styles. Il ne se passait pas une journée sans qu'il ne chantonne une de ses chansons et qu'il me les traduise. J'avais rencontré Ray au lycée, il y a donc trois ans. Lorsqu'il alternait entre geeks et populaires. Tandis que moi, je jouais à la rebelle qui préférait prendre son rôle d'étudiante avec insolence plutôt qu'avec persévérance. Je ne le regrettais pas. Même à l'université j'avais gardé cette satané étiquette. Mais il y avait pire.
Bientôt je bouclerai ma dernière année de sociologie. Avant je me serais lancée dans un master, maintenant je ne visai que ma boite de somnifère. Dans mes rêves au moins papa était encore là. Ray s'interrompit, les sourcils froncés, ses yeux verts me scannèrent un moment. Puis il me prit dans ses bras.
— Ça va aller.
Non. Ça n'irait plus jamais bien.
Ray ne m'avait pas lâché depuis la mort de papa. Mais comme Xander, il ne trouvait pas les mots pour m'aider. Il était si attentionné, que je me demandais ce que moi je lui apportais. Il passait ses journées avec moi, quitte à subir un silence amer ou à me voir sombrer dans des pensées noires.
— Pistache ou vanille ? reprit le garçon à la peau foncée.
Je me forçai à sourire.
— Vanille, dis-je en refermant la porte écarlate de ma fiat 500.
Les habitudes ne changeaient pas. À chaque fois que je ruminais, Ray me menait au jardin de l'Europe qui entourait les rives du lac d'Annecy. On y mangeait des glaces pendant que des enfants jouaient entre eux ou avec leurs parents. C'était ici que papa m'avait appris à faire du vélo. Ca aurait dû être plus douloureux de revenir là. Pourtant c'était comme si ce parc regroupait nos derniers souvenirs ensemble. Ce lieu me raccrochait encore un peu à lui.
Ma famille s'était installée ici sur un coup de tête il y a plusieurs années, laissant les Etats-Unis derrière elle. J'avais de toute façon très peu de souvenirs de ce pays, les origines de ma mère l'ayant sans doute emporté sur celle de mon père. La France avait toujours mieux pulsé dans mes veines.
En plus, cet endroit me rappelait aussi le jour où j'avais rencontré Ray. À la sortie du collège, alors que je m'évertuais encore à suivre Xander j'avais croisé Ray. L'insolent au masque de pierre en avait profité pour fuir, me laissant avec un garçon au rire contagieux. Depuis, nous étions devenus inséparables.
— Comment tu as fait toi ? demandais-je.
Ray avait grandi sans père. Il les avait laissé pour une autre vie.
— C'est différent. Il est parti alors que je n'étais pas né. C'est compliqué de ressentir du manque pour quelque chose qu'on a jamais connu.
— Tu ne t'es pas senti vide ?
— Non, au contraire, maman s'est efforcé à nous combler du mieux qu'elle pouvait.
Alors que moi j'avais bel et bien perdu quelqu'un. Une partie de moi, de ma vie.
— Taylor, tu t'en sortiras. Traverser le deuil c'est affreux. On y est tous confronté un jour ou l'autre, de près ou de loin. Alors prend ton temps, pleure, reprend ton souffle.
— Merci Ray.
Ma gorge était serrée, le temps passait mais parler de papa était encore affreusement douloureux. Mon ami essayait de me changer les idées quand il me montra le fond du parc. Près de quelques installations pour les skateurs, Xander apprenait à un enfant à tenir sur une planche.
— Il est toujours dans les parages, souffla Ray.
— En même temps on est pas à New-York, la ville est petite.
Je ne pensais pas Xander doué avec les enfants. Il souriait rarement. Du moins c'est ce que je croyais. En le voyant si joueur, je compris qu'il devait juste ne plus me sourire à moi. Je n'avais pas réalisé que je le fixai, mais lui si. Xander se redressa, me toisa un moment avant de me faire un doigt d'honneur.
— J'ai dû mal à croire que c'est le même garçon qui s'inquiétait pour toi encore hier.
— Il a souvent été ambivalent avec moi. Il a toujours le cul entre deux chaises.
— Et on sait tous pourquoi, murmura mon ami.
Je ne pus réprimer un regard mauvais à ses mots. Oui, nous savions tous que Xander m'en voulait encore. J'étais la méchante de l'histoire, mais ça ne m'avait jamais dérangé.
— Si c'était à refaire, je le referais, cinglai-je.
— Oui bah évite de le lui dire, ne gâche pas ses efforts pour être gentil.
J'avais la faucheuse habitude de me sentir redevable, de constamment m'inquiéter pour lui. Alors que Xander n'avait plus besoin de moi, il n'était plus le petit garçon d'hier. Depuis le temps, le gamin avait laissé place à un homme au caractère toujours aussi merdique.
— Tu as trop tendance à te brûler les ailes pour lui.
Ray avait raison. Je n'avais jamais réfléchi aux risques de mes actes pour Xander. Je n'avais d'ailleurs pas hésité à mettre en jeu l'emploi de ma mère lorsqu'il me l'avait demandé. Après avoir passé Noël à s'épauler en silence, la vie s'acharnait. Son père allait être transféré dans le service des comateux, Xander n'avait alors plus le droit de rester dormir auprès de lui. J'étais donc intervenue. Enfin ma mère était intervenue, sous ma demande. Il avait eu un passe-droit, à la condition que je me porte garante en l'accompagnant. Certains médecins se souvenaient de ses écarts de zèles lorsqu'il avait cru perdre son père.
Au moins de cette manière, il savait que j'étais là. Je ne pouvais rien faire de plus pour lui. J'aurai bien voulu le convaincre de me parler, de pleurer librement comme j'avais su le faire avec lui en rentrant en deuil. Mais nous étions différent sur ce point. Il n'avait jamais été libre avec moi. Et puis, on ne consolait pas Xander. Il haïssait la compassion ; il la confondait avec la pitié. On pouvait juste tenter de discerner son mal pour limiter les dégâts.
— Mais tu bosses pas ce soir ?
Ray me montra l'heure sur l'écran de son portable. J'étais en retard. Je m'étonnai en cherchant du regard Xander.
— Il est parti depuis un moment miss rêveuse.
Je soufflai d'agacement et déposai un baiser sur la joue de Ray. J'allais arrivée plus qu'en retard, et cet idiot ne chercherait pas à m'en excuser.
— Tu déplores déjà avoir abandonné la fac ? raillai-je.
Heureusement pour moi, Daniel n'était pas encore arrivé. C'était le patron de « L'air du temps ». Un petit magasin de disques, vinyles, un univers musicale au style rétro et aux couleurs solaires. Comme je m'y attendais, le lieu était déjà animé par la voix de Andy Black.
Une casquette noire sur le crâne, le cadet des Thomas lisait. C'était irréaliste. Certes, je ne connaissais plus grand-chose de cet effronté. Toutefois j'avais beaucoup de mal à imaginer ce cœur d'acier s'amouracher soudainement pour du Shakespeare. Puis de toute façon il n'en aurait pas eu l'occasion avec la charge de travail qu'un élève de prépa scientifique à Bertholet devait recevoir. Ce que personne n'aurait pu lui reprocher. Mais il avait les épaules solides, ça devait venir avec le fait de naître dans une famille aussi stricte que la sienne.
— T'es en retard.
— Je sais. Mais t'es pas le patron donc tu vas rien faire.
Je tentai un air menaçant mais Xander leva à peine le sourcil.
— Tais-toi, tu me donnes la migraine.
Je déposai mon sac derrière la caisse et rejoignais les rayons de vinyles. Je devais vérifier qu'ils étaient classés par ordre alphabétique. Sinon Daniel en deviendrait malade tellement il était minutieux. Ce magasin était devenue sa vie. Depuis qu'il avait dû arrêter les études pour s'occuper de ses deux enfants, ce père au foyer ne respirait que pour cet établissement. En même temps c'était sa seule rentrée d'argent. Xander et moi l'aidions gratuitement. J'adorai la musique, quand j'avais vu l'annonce je n'avais pas réfléchi. Quand Daniel m'avait avoué plus tard ne pas pouvoir me payer, je n'avais pas reculé. Cet endroit me plaisait. Puis quand j'avais compris que Xander y travaillait déjà, je m'étais dit que ça me permettrait de couvrir ses arrières. J'avais tellement peur qu'il retombe, et que cette-fois je ne sois plus là pour le rattraper.
— Dans dix minutes c'est mon tour ! m'exclamai-je en désignant la radio.
— Laisse-moi deviner, Amy Whinehouse. Pour pas changer.
— Je dis rien pour ton rockeur moi.
Ses sourcils se froncèrent et un râle s'échappa de ses lèvres. Il allait répliquer mais se retint quand Daniel entra les cheveux en batailles et la chemise tâchée.
— Désolé j'ai pas trouvé de nounou.
Je le rassurai, mais mon patron joua avec ses cheveux blonds en regardant l'immeuble en face. J'étais prête à parier qu'il n'avait pas trouvé de nourrice. J'avais vu les finances de ce mois-ci. Il y avait à peine de quoi payer un loyer. Xander lui envoya un chiffon.
— La petite n'aime pas les petit-pois, se justifia le trentenaire.
Xander leva les yeux au ciel.
— Daniel rentre, y a personne, on est bien assez à deux. Va retrouver tes gosses.
— C'est ce que je compte faire mais je devais vous voir.
Notre patron nous fit nous indiqua le comptoir de caisse. J'y rejoins Xander, tandis que Daniel retourna l'écriteau du magasin.
— On ne ferme pas aussi tôt d'habitude.
— Les jeunes j'ai plus assez pour payer le loyer du magasin et du loyer.
— Il te faut combien ? coupa Xander l'air inquiet.
— Je vous ai déjà dit, je n'accepterai pas votre argent. En plus techniquement c'est celui de vos familles.
— Alors on laisse tomber ?
— Pour le moment, oui. Je vais fermer. Désolé.
Quand j'avais commencé à y travailler, ce magasin ne représentait rien pour moi. Mais depuis que papa était mort, c'était ma seule bulle de répit. Il n'y avait que la musique pour m'aider à surmonter la peine, mais en écouter seule me plongeait dans une bulle de souvenirs trop amère, une tristesse insupportable. Ici, il y avait toujours quelqu'un pour en écouter avec moi. Puis l'ambiance chaleureuse qui y régnait contrastait avec le gris qui abritaient les murs de la maison.
— D'accord, souffla Xander.
Le brun me contourna pour prendre son sac et s'approcha de la sortie avec une nonchalance insolente. Je ne pouvais pas croire que ça l'indiffère autant. Pour lui aussi travailler ici, devait être un échappatoire non ?
Mes ongles vernis de noir, effleurèrent la couverture du livre que cet ingrat avait feuilleté : « Réclamer justice », de Paul Audi. Un rire amer franchit la barrière de mes lèvres. La justice semblait nous avoir oubliés tous les deux. Pourtant Xander continuait de chercher une fin en soi. C'était assez fou qu'un garçon aussi froid, fataliste que lui, puisse encore être animé d'un semblant d'espoir. Je pris le livre sans réfléchir avec peut-être l'intention d'y retrouver le Alexandre que j'avais connu et à qui j'avais promis d'être toujours là, m'oubliant inévitablement. Je m'apprêtais à le rattraper mais Daniel me stoppa.
— Laisse.
Il me sourit, pourtant ses yeux étaient larmoyants.
— Tu ne veux pas d'argent ok, mais si jamais toi ou les enfants avaient besoin de compagnie ou d'un endroit, mon offre tiens toujours.
Du temps où papa était encore là, on leur avait proposé de venir habiter avec nous. Histoire que Daniel puisse reprendre du poil de la bête. Il avait accepté, puis papa est mort. Je suppose que rejoindre une famille plongée dans le deuil n'est pas aussi réjouissant, surtout pour de jeunes enfants. Je me résignai à partir moi-aussi, quittant ce magasin qui avait étouffé mes larmes avec ses notes hors du temps. Là j'avais besoin d'écouter de la musique. Une chanson triste. Du style Back to Black de Amy. Mais je savais que ce soir, je risquai de retomber dans une bulle noire, où les paroles m'entraineraient à recroiser mes vieux démons.
La nuit allait bientôt tomber, je détestai marcher seule le soir. Toutes ses histoires que l'on entends, ses faits-divers qui deviennent en fait des actualités quotidiennes. Le genre de comportements qu'en tant que femme l'on devrait avoir l'habitude de gérer, de prévenir. Ca me donnait envie de vomir. Une voiture s'approcha de moi, par prétexte je pris les clés de la maison d'une mains et de l'autre je composai un numéro d'urgence.
Au cas où.
— Je te dépose.
— Non, m'empressai-je de répondre.
Je lui en voulais trop d'avoir abandonner Daniel de cette manière. On devait pouvoir trouver une autre solution.
— Taylor, je ne tiens pas à découvrir ta tête en une des pages demain alors monte dans cette putain de voiture.
Son ton était resté calme mais la veine qui battait sur son front trahissait son impatience. Je cédai. Dès que ma ceinture fût bouclée il accéléra. Ses doigts tâchées d'encre tapèrent quelque chose sur l'écran de la radio et Amy Whinehouse résonna. Back to Black.
Etais-je si prévisible que ça ?
Il s'attacha à ne pas croiser mon regard et força le son comme s'il voulait éviter toute discussion. Le trajet me parut moins lourd avec la voix de ma chanteuse préférée. J'avais dû prendre sur moi pour ne pas me retenir de verser quelques larmes au refrain. Pourquoi la moindre note de musique, surtout aux airs de jazz me rappelait mon père ? Tout me ramenait à lui, alors qu'il ne reviendrait plus jamais.
La voiture s'arrêta m'obligeant à faire taire mes pensées sombres. On était déjà arrivé. Xander ne me regardait toujours pas, il fixait la route, le pied déjà placé sur l'accélérateur. Lassée, je sortis du véhicule. Il n'y a que lorsque mes pieds foulèrent l'herbe humide que le brun à la peau pâle retrouva l'usage de la parole.
— L'air du temps réouvrira.
— Hein ?
— Je m'en occupe.
Milo m'attendait sur le pas de la porte mais je fis demi-tour.
— Je vais sauver notre bulle, murmura-t-il.
— Daniel n'accepteras jamais que tu rachètes son magasin.
— Rentre, tu as bien assez à gérer.
De la tête il me désigna Milo qui descendait les marches de la maison, son doudou dans les mains.
— Taylor, enchaîna-t-il.
Il tourna enfin son visage vers moi. J'avais oublié à quel point ses yeux vairons brillaient le soir. Il se mordait les lèvres comme pour se retenir de trop en dire.
— Je ne veux plus jamais que tu écoutes du Amy sans moi.
Mon cœur rata un battement. Il n'était déjà plus là.
〰️〰️〰️〰️
Merci d'avoir lu.
Alors alors ?
Qu'en pensez vous ?
Clairement, moi j'adore la fin.
Le rêve qu'on me sorte la même réplique.
Bisous.
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