Chapitre 16
« ... L'infirmerie ? »
M. Starphe hoche la tête.
Un second rendez-vous ? Le premier n'avait donc pas suffi, n'ai-je pas été assez convaincant ? Pourtant, il me semblait que l'infirmière était plutôt contente de moi... Qu'est-ce qui l'a faite changer d'avis ?
M. Starphe me chasse de sa salle sans me laisser le temps de le questionner davantage, même si j'imagine qu'il n'a pas plus de réponses que moi. Il est temps d'aller déjeuner. Je note intérieurement que je n'ai pas encore été enlevé dans un tournant du couloir par des médecins habillés en blancs, arborant le badge de l'Attrape-Cœur, pour me traîner de force jusqu'à leur hôpital. D'un côté, ils ne sont pas encore au courant que je m'apprête à leur poser un lapin, j'ai jusqu'à dix-huit ce soir heures pour vivre sereinement.
Après ce rendez-vous avec le psychologue, je ne sais pas si je vais supporter très longtemps une séance avec l'infirmière. Bien qu'elle soit beaucoup moins intrusive, et que ses questions sont beaucoup plus légères, il n'empêche que je n'ai pas envie de parler de ma personne à un expert. Pour qu'il me dise quoi, en plus ? Que je ne vais pas bien ? Il me semble être assez grand pour le constater de par moi-même.
En revanche, je commence véritablement à croire que Mathias est au courant de quelque chose.
À de nombreuses reprises, il est parvenu à me faire douter de ses connaissances sur Gretel et la situation. Et là, il a employé des mots si spécifiques, qui m'ont bien évidemment rappelés ceux qui m'avaient tant marqués : est-ce que vous avez peur ?
Mais au fond, de quoi aurais-je peur ? De reprendre le cœur de Gretel ? Non, je n'en ai pas peur... Je ne veux juste pas.
Il n'empêche que, suspect ou non, Mathias marque un point, et je crois qu'il a bien raison : outre ceux que ça ennuie profondément, ceux qui ne lisent pas de dystopie sont ceux qui ont peur.
Alors, Gretel avait-elle peur ? Ou faisait-elle simplement partie de ceux qui s'en moquaient ? Elle qui passe son temps à ne pas vouloir rencontrer le moindre drame, je pencherai plutôt pour cette première réponse.
C'est la tête remplie de réflexions de ce genre que je m'éclipse de la cohue agitée du hall, pour m'engager dans les grands corridors. Ici, il n'y a jamais grand-monde. À cette heure, on peut voir des cantinières quitter leur pause déjeuner pour préparer le nôtre, quelques personnes bien habillées dont je ne connais jamais le nom, et évidemment quelques élèves, bien qu'ils soient minimes.
Qui, ici, juge utile de m'envoyer voir l'infirmière ? Est-ce l'infirmière elle-même qui réclame à me voir ? Est-ce le proviseur qui a fait circuler le message que j'avais perdu un proche ?
Et Gretel, qu'est-elle aux yeux du lycée ? Toujours absente ?
Si seulement ce n'était que temporaire...
***
Bonjour. Vous n'étiez pas présent lors votre précédente séance avec nos psychologues. Aucun report n'est permis. La prochaine est fixée mercredi, veuillez vous présenter avec une pièce d'appartenance à notre clientèle à dix-sept heures. Bonne soirée.
C'est ce que je découvre après cette très longue journée de cours, à dix-huit heures passées.
Inutile de le nier : je me suis senti plutôt soulagé.
Si je ne fais que recevoir un message à chaque fois que je rate un rendez-vous... Message qui d'ailleurs va disparaître dans la prochaine minute... Alors je suis tranquille. Un poids en moins sur les épaules, c'est déjà ça de pris.
Je m'assois dans le canapé du salon. Noah ne devrait pas tarder à rentrer, pour l'instant, je suis seul. Pour une fois, je ne me dérobe pas de ma curiosité : je me penche, et attrape le magazine Cérémonie, posé sur le porte-revues.
Après avoir survolé des articles... disons qui m'importaient peu, je retrouve l'article « Les sept étapes du deuil », de cette chère Marion Crions. Les petites croix, ainsi que les petites dates sont toujours là, elles n'ont pas bougé. Néanmoins, il me semble qu'il n'y a rien de nouveau. Qu'est-ce que ça veut dire ? Que ma mère a laissé tomber cet article, ou qu'il n'y a aucun changement sur ma personne ? Comment savoir ?
Au fond, ai-je vraiment envie de savoir à quelle étape je suis ?
Je soupire, évidemment que non. J'enfouis à nouveau le magazine sous plusieurs de ses semblables, et m'écroule contre le dossier du canapé.
L'infirmière aussi a voulu essayer de comprendre où je me situais, sur son schéma à elle. Très honnêtement, je ne sais pas si ce rendez-vous avec elle en attirera d'autres similaires, je ne l'espère franchement pas. Ses questions me paraissent vides d'intérêt, comme si elle voulait prendre la température de la mer en plantant son appareil dans le sable. Inutile. Mais au moins, ce n'est pas bien dérangeant... Quoique ses questions peuvent rapidement m'agacer.
Je jette un œil à mon téléphone. Le message de l'Attrape-Cœur a déjà disparu.
... Gretel, quand-même...
...Tu m'as fichu dans un sacré pétrin.
***
À dix-sept heures, le lendemain, je claque la porte de ma maison, la verrouille. Je n'ai pas subitement changé d'avis à propos de l'Attrape-Cœur, je vais juste chercher le vélo de Noah. Je traverse la route pour gagner le trottoir d'en face. Aussitôt, je vois le ciel se parer d'ombres et de gris. Sa penderie n'est décidément pas bien variée, ces temps-ci.
Puis-je ignorer les appels de l'Attrape-Cœur éternellement ?
Ils vont certainement se lasser, à force, d'avoir un client aussi irrespectueux que moi. J'étais censé passer à nouveau d'ici une heure. Peut-être que ce second rendez-vous loupé va leur faire prendre conscience qu'il est inutile de vouloir me rappeler. L'hôpital va sûrement finir par me convoquer, que ce soit par présence ou par téléphone, et là je leur exposerai très clairement qu'il est hors de question que je remette les pieds là-bas. Même s'il possèdent sûrement les solutions de mes nombreuses questions...
J'atteins le centre-ville. La nuit tombe déjà. Les boutiques teintent leur vitrine d'une lumière chaleureuse, parant leurs produits et articles d'un teint affreusement attractif. Les restaurants commencent à ouvrir leurs portes, les voitures à quitter leur lieu de travail. Il fait plutôt froid. Décembre arrive... L'hiver et ses périodes festives...
Gretel ne pourra plus jamais fêter Noël.
Une petite fumée écume de ma bouche, tandis qu'une boule se forme au fond de ma gorge.
Les Hinston ne fêteront pas Noël avec leur fille, leur seule et unique enfant. D'ici-là, auront-ils pris conscience que Gretel est partie, et ce, à tout jamais ?
Qu'importe. Ils seront seuls, quoi qu'il en soit.
La boule s'épaissit. Je remonte le col de mon pull le long de ma gorge, je ne voudrais pas attraper froid.
Quand je redresse le menton, brusquement, je me fige.
Je suis dans le point culminant du centre-ville, là où toute l'activité bat son plein.
Et cette jeune fille qui vient de me doubler... C'est... On dirait...
La surprise me tétanise les membres. Je reste bouche bée, la vapeur s'évapore tout autour de moi.
C'est Gretel.
Quand je réagis enfin, elle a déjà atteint la rue suivante. Elle a le pas plutôt soutenu...
... Et pourquoi Gretel Hinston ne l'aurait pas ?
Je me mets à marcher, puis très rapidement à courir.
C'est pas possible, ça ne peut qu'être elle ! Gretel ! Ses cheveux courts, sa morphologie, ce manteau noir sur sa peau blanche, cette coupe de cheveux, cette personne suinte bien trop de Gretel Hinston pour ne pas être elle !
Gretel ! Il faut que je la rattrape, et qu'importe s'il ne s'agit même pas d'elle !
Je bouscule les passants, m'attire des regards noirs, traverse n'importe où et n'importe quand. Mine de rien, elle marche vite, et il me faut au moins endurer tous ces risques pour ne pas la perdre de vue !
« Hé, fais attention où tu vas, gamin ! »
Je ne prends même pas le temps de répondre à ce pauvre vieillard que j'ai négligemment bousculé.
Gretel... Gretel... Gretel, pourquoi marches-tu si vite ?!
Brusquement, Gretel disparaît derrière un gigantesque battant. Je relève la tête.
Puis je comprends que je ne filais qu'une inconnue depuis le début.
Parce qu'au grand jamais, je le sais, Gretel ne disparaitrait dans une église.
***
C'est une très vieille histoire.
Je me demande même si Gretel, si elle vivait encore, pourrait s'en souvenir. C'est une histoire absolument pas palpitante, sans le moindre rebondissement, mais qui possède sa part de mystère et de révélations étouffées.
Nous sortions faire nos virées culinaires, un samedi comme un autre, et cette fois, notre curiosité nous avait poussés jusqu'à la ville voisine. Alors que l'on digérait un poulet au chocolat qui avait été étrangement délicieux, on gambadait tranquillement dans les rues de la ville. Il faisait beau, ce jour-là, je m'en souviens. Ça devait être l'été, puisqu'il y avait tout un tas de fleurs qui débordaient de partout, des pots, des parterres, des devantures. Je ne sais plus de quoi on parlait, mais ça devait être intéressant, puisque nous ne nous sommes pas vus marcher : les rues autour de nous défilaient, puis les passants ont commencé à se faire plus rares, et quand nous nous sommes réveillés, nous étions dans les bordures rurales de la ville, à proximité d'une forêt touffue. Gretel avait ri, en s'imaginant le nombre de choses que pouvaient abriter tous ces arbres : des fées, des nymphes, des lutins... Évidemment, nous n'y sommes jamais rentrés, l'un comme l'autre avait suffisamment lu et entendu des histoires sordides sur de jeunes insouciants s'aventurant en forêt, nous nous sommes contentés de remonter sa lisière sans réellement chercher à se rapprocher de la ville.
⌇
«... Et en fait, c'était faux ! »
Gretel partit en un grand éclat de rire. Timothée, quant à lui, plaqua une main sur son front, étouffant vainement un sourire amusé.
« Tu n'en loupes pas une, quand-même, commenta-t-il d'un ton taquin.
— C'était vraiment réaliste, insistait Gretel en secouant la tête de droite à gauche. Je suis sûre que même toi, tu y aurais cru !
— Mais bien entendu... »
Le duo se tut. Le silence, ici, était picoré par les éclats de voix de la ville voisine, par les piaillements des oiseaux, par les soupirs qu'exhalait la forêt vers eux.
« ... Tiens ? »
Timothée s'arrêta soudain dans sa marche, surpris.
Gretel s'arrêta à son tour, envoyant un regard interrogatif à son ami :
« Quoi, qu'est-ce qui se passe ? »
Il pointa du doigt :
« Regarde... C'est une église ! »
À la bordure de la forêt, se dressait l'imposant bâtiment. De grands vitraux colorés se découpaient des briques de pierre, et un clocher, surmonté d'une croix, pointaient vers le ciel bleu.
Que pouvait-elle bien faire là ? Elle était plutôt loin de la ville... Et plutôt bien entretenue.
Gretel fit la même réflexion :
« C'est étrange, qu'elle soit là... »
Timothée hocha la tête.
Puis soudain, il demanda :
« Tu crois qu'elle est ouverte ? »
Il avait l'habitude, avec sa grand-mère, de visiter des bâtiments religieux. Des chapelles, des cathédrales, il en avait parcouru un bon nombre, et peut-être serait-il intéressant de rapporter cette trouvaille à mamie Angèle, au prochain repas de famille où ils se verront.
« Ouverte ? s'étonna Gretel. Mais pourquoi ?
— Pour la visiter, répondit-il. Juste voir l'intérieur. »
La jeune fille resta coite.
Elle eut un petit rire gêné :
« Tu n'es pas sérieux ?
— Ben si, pourquoi ? fit Timothée, la surprise le gagnant à son tour. Tu sais, ce genre de choses, quand c'est ouvert, ça veut dire qu'on peut visiter...
— Non, mais... On ne va pas visiter une église ! »
Le mot sonnait normalement à l'oreille de Timothée, tandis qu'il semblait faire des ravages du côté de Gretel. Comme un blasphème, ou une blague de très mauvais goût.
Timothée fronça les sourcils. Il ne comprenait pas d'où venait son erreur. Était-elle si apparente que cela ?
« ... Pourquoi ? interrogea-t-il, de plus en plus perplexe. J'en ai déjà visité tout un tas, des églises... pas toi ?
— Si si, moi aussi, assura-t-elle sur-le-champ. Mais... C'est que... Ce n'est pas bien rassurant, quoi. »
Timothée remarqua qu'il faisait plein jour dans le ciel, et que l'intérieur devait baigner d'une lumière aveuglante, chassant tout mauvais esprit ou toute chose malveillante qui aurait pu s'y trouver.
« Et puis, ajouta-t-il, ce n'est pas comme si on allait se balader dans un cimetière...
— Il y a bien souvent des cimetières à côté des églises, répliqua Gretel en secouant la tête. Je n'aime pas trop ça.
— Mais il n'était pas question d'aller voir le cimetière...
— Qu'importe ! trancha-t-elle brusquement. Église ou cimetière, je n'aime pas ça, l'un comme l'autre. Je n'entrerai pas ! »
⌇
« Votre vélo, monsieur. »
Je sursaute.
Un homme fait brutalement son apparition dans mon champ de vision, un vélo à côté de lui. Je le dévisage, interdit.
Les bruits et les lumières du magasin de sport refont surface tout autour de moi. Derrière moi, une cliente soupire bruyamment. L'odeur du neuf remue mes narines.
Je comprends rapidement que ce décor n'a rien à faire dans mes souvenirs, que ce soit cet employé-là, ou même l'entièreté de cette boutique. Je dois être de retour dans le présent et sa réalité, quoique j'ai toujours un léger doute.
« Oh... Euh... M-merci... »
L'employé incline la tête poliment, sans relever — ni même peut-être remarquer — mon trouble. Je finis par me ressaisir, et agrippe le vélo, bien qu'il ne soit pas assez fort pour me soutenir. Je m'apprête à balbutier faiblement un « au revoir », mais l'employé repart déjà, alpague la cliente suivant, qui commençait réellement à s'impatienter. Je me détourne, et, vélo dans les mains, commence à m'aventurer entre les rayons.
Quelle vieille histoire... Finalement, nous ne sommes jamais rentrés dans cette église. Je crois même me souvenir que durant le trajet du retour, Gretel me jetait des petits regards en coin, m'épiait aussi furtivement que Gretel Hinston était capable de le faire.
Et si finalement, la présumée Gretel que je suivais tout à l'heure était vraiment Gretel ?
Et si elle avait surpassé cette étrange peur de l'église, peur qui demeure toujours un véritable mystère pour moi aujourd'hui ? Je pourrais retourner à l'église de la ville, et la fouiller...
Mais non, enfin ! Il est trop tard !
Elle a du s'enfuir, et maintenant, il est trop tard pour la rattraper !...
Timothée, arrête, tu as le cœur de Gretel dans ton sac à dos ! Comment peux-tu continuer de croire à la croiser partout ?
Dans les deux situations, de toute façon, je ne la retrouverai jamais...
Je ne trouve pas les caisses du magasin... Je sens le vélo vaciller à côté de moi, ma vue s'obscurcir. Je me mords fort, fort la lèvre. Tant que je sens toujours ma canine la transpercer, c'est que je ne suis pas encore mort. C'est que je n'ai pas ouvert la bouche et ma gorge, afin d'implorer à l'aide. Je ne veux pas implorer à l'aide. Il faut que je fasse quelque chose, et vite, sinon je vais finir par m'offrir en un dramatique spectacle à toute la clientèle des lieux.
Normalement, les potions sont dans mon sac...
Je lance un regard à la ronde, quand brusquement, j'ai un instant de reconnaissance.
Je fixe durant plusieurs longues secondes une silhouette, un peu plus loin, dos à moi, qui me paraît bien familière.
Je cligne des yeux, et je me fige.
C'est Mathias.
Mes paupières battent plusieurs fois à ma vision, à nouveau, pas tout à fait certain de ce que je vois.
Mais c'est bien lui.
Il est là, devant un rayon présentant une ribambelle de justaucorps colorés et de grands cerceaux. Même de dos, je le devine en profonde réflexion. Un petit post-il jaune est visible dans sa main.
Je ne réfléchis pas. Je m'avance, les roues neuves du vélo cliquetant tout en m'emboîtant le pas.
Je m'arrête à un pas de lui, il est toujours dos tourné, il ne m'a pas remarqué, je n'ai pas la moindre idée de salutation en réserve.
Je l'entends soupirer, puis tout à coup, il fait volte-face.
Ses pupilles se concentrent sur moi, se colorent de surprise, puis laissent imploser un étonnant soulagement.
« Wah, tu m'as fait peur ! »
Il lâche un nouveau soupir, qui semble le débarrasser de cette petite frayeur, puis part dans un éclat de rire.
« Mais qu'est-ce que tu fais là ? reprend-t-il. Oh... »
Son regard vient de glisser sur ma droite. Sur le vélo de Noah.
Il laisse échapper, ébahi :
« Waouh, belle trouvaille !
— C'est pour mon frère. »
Ma voix résonne étrangement, mais au moins, je suis parvenu à articuler quelque chose, ce qui ne me semblait pas gagné du tout.
Je me racle la gorge, puis à mon tour, je le questionne :
« Et toi, qu'est-ce que tu fais là ?
— Service familial, déclare Mathias. Mes deux petites sœurs, des fiévreuses de gymnastique, ont un spectacle de Noël d'ici la fin d'année... Et il faut tout un tas de choses, que je dois acheter, même si je ne comprends pas toujours ce que j'achète... »
Il se penche sur le côté, continue de tourner autour de ce qui a avalé en une seconde deux ans d'économie de la part de Noah.
Je me mets à expliquer :
« Samedi dernier, mon frère est tombé de vélo, et il s'est cassé. Le vélo. Il a du en racheter un. »
Et dire que juste avant, j'étais à l'hôpital...
Je déglutis, agitant un grand éventail pour chasser cette pensée. Mathias hoche la tête.
Puis brusquement, il se fige.
Je fronce les sourcils, tandis qu'il plante dans mes yeux un regard illuminé.
« J'ai une idée, suis-moi ! »
Je n'ai pas le temps de protester qu'il s'embarque aussitôt dans les rayons. Bon... Je crois que ses courses pour ses petites sœurs devront attendre.
Je le suis, continuant de pousser le vélo à mes côtés.
Ça y est, je crois que je suis bien rentré dans le présent, dans un présent à peu près tranquille, pas de trop rattaché au passé. J'inspire. L'odeur de la réalité me picote les poumons. On la blâme un peu trop souvent d'être là, mais aujourd'hui, de ne la remercierait jamais assez de l'être. Pour un peu, mes souvenirs me broyaient et me condamnaient à croupir sur le sol, dans une tornade infernale de reproches et autres choses incompréhensibles.
Quand je rattrape finalement Mathias, il est devant un troupeau de vélos.
Dois-je craindre le pire ?
Sûrement, de la part de Mathias.
« Alors alors, fait-il. Échauffe-toi, tu t'apprêtes à participer à la course la plus fabuleuse de toute l'année ! »
Quelle course ?
Je le dévisage, perplexe, tandis qu'il tire un vélo de ses semblables. Il l'enfourche, et sourit :
« Je suis prêt ! Alors, je te propose de faire le tour du magasin, et de nous retrouver ici pour la ligne d'arrivée ! Il n'y a pas beaucoup de monde, ça devrait le faire. »
Je comprends enfin. En toute réponse, je laisse planer un :
« Euuuh...
— Dépêchez-vous, M. Nottin, reprend Mathias sur un ton d'arbitre. Ou vous louperez votre départ !
— ... Jamais de la vie ! »
Je finis par me décider, enfourche le vélo de Noah, puis rejoins Mathias, sans dépasser notre ligne de départ imaginaire.
« Tu sais comment on m'appelle ? minaude-t-il. On m'appelle « Mathias, ou celui qu'on ne voit pas passer ». Sympa comme réputation, non ?
— Le temps de dire ton prénom en entier, j'aurais déjà gagné, répliqué-je. Attention... 3...2...1... »
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