Épilogue

« T'es réveillé ? »

Cette fois, c'est bien le visage de Mathias qui m'accueille quand j'ouvre les yeux.

J'ai mal partout, je suis fatigué, mais le soleil commence à mouiller le ciel de son vif éclat orangé, et je ne crois pas pouvoir lutter plus longtemps à l'appel de la réalité.

Je me redresse, découvre que l'herbe s'est amusée à s'attacher à mon pull. Je frotte sans énergie le tissu. Mathias, assis à quelques pas de moi, fixant l'horizon, semble déjà avoir bouté l'ennemi loin de ses vêtements.

« Eh bien, baille-t-il, il semblerait qu'on ait bien dormi... On va se faire démolir par nos géniteurs, c'est chose désormais sûre. »

Hum, pas tout à fait certain. Même si le jour commence à se lever, mes parents ne sont pas du genre à se réveiller avec les poules... Ils attendent toujours soigneusement que leur réveil leur indique d'un coup de sonnerie que cette fois, ils ne peuvent vraiment plus faire attendre ce début de journée. On peut peut-être regagner nos maisons rapidement.

Mais présentement, ce n'est pas une chose que j'ai envie de faire.

En contre-bas, l'hôpital commence à retrouver son activité quotidienne. Les fenêtres s'éteignent, se laissant enivrer par la lumière du jour ; les voitures s'en vont, viennent, les camions passent, repartent. L'un d'eux transporte sûrement Gretel.

Celle que j'ai entrevue durant mon sommeil.

« ... Tu sais Mathias, j'ai rêvé de Gretel, cette nuit.

— Ah oui ? »

Il tourne la tête vers moi. Il a le sourire d'un bonheur paisible, comme si cette simple information lui procurait tout ce qui lui fallait pour attaquer cette journée.

J'acquiesce. Nous retombons dans un silence satisfait, on recommence à observer ce va et vient devant l'hôpital.

Je me demande soudain où est Sabrina, à cette heure-ci. A-t-elle réuni ses collègues pour faire part de ses découvertes dès sa rentrée à l'Attrape-Cœur ? Qu'importe, je ne suis pas sûr de vouloir y remettre les pieds un jour. Et ça m'étonnerait que Mathias, le seul connaissant l'existence de cet hôpital, voudra un jour s'embarquer à nouveau dans une mission pareille.

« ... On a dormi longtemps, tu crois ? je questionne.

— Quatre, cinq heures, je pense. Je ne sais plus trop. Oh ! Tes cheveux ! »

Mes cheveux ?

J'empoigne la totalité de mon crâne, et ramène les mèches les plus longues à mes yeux.

Pourtant, elle resplendissent toutes de leur blancheur habituelle.

« De quoi tu me parles ? questionné-je, perplexe.

— Là... »

J'attrape la bribe de cheveux pointée par Mathias, et je me fige.

« Oh... »

Ces quelques cheveux ne sont plus blancs.

Ce ne sont plus que des épis ténébreux, d'un noir sans faille et sans nuance, qui contrastent avec le ciel environnant.

Et, à leur extrémité, crépite un pétillant orange. Un feu d'artifice se déployant dans la nuit noire.

Je m'apprête à protester, interloqué, puis je me ravise.

Je pense que, de tout ça, cet élément n'est certes pas le plus explicable, mais sûrement pas le plus dérangeant.

Bref, je reprends les fonctions de Timothée Nottin : je n'ai pas envie de courir après le papillon du mystère, et d'étudier toutes ses teintes. Je vais plutôt le laisser planer à côté de moi, tranquillement, butinant de fleurs en fleurs, jusqu'à ce qu'il meure, parce qu'un papillon, mine de rien, ça ne vit rarement bien longtemps.

Jamais tu ne m'oublieras, pas moi. Je te le promets. Et puis... Je t'ai trop façonné pour que tu ne m'oublies.

Ça non, je ne t'oublierai jamais, Gretel...

« Eh bah ! siffle Mathias. T'es comme moi, maintenant ! »

Je n'ai même pas le temps d'hausser un sourcil interrogatif qu'il descend brusquement sa capuche de son front.

Ce geste-là me laisse stupéfait.

Jamais Mathias n'a ôté sa capuche aussi naturellement, et en plein air. Une atmosphère impudique, presque intime découle de son geste. Une simple capuche.

Mais tout ceci n'est que minime dans mon esprit, et surtout très court, puisqu'à peine apparu, ce sentiment est balayé par un autre sujet, qui m'en décroche la mâchoire.

De toutes les fois où je voyais Mathias les cheveux libres, jamais je n'avais remarqué ce détail.

De cette forêt de cheveux cuivrés, une mèche, seule et unique, dévale son crâne, teinte d'un doré resplendissant de santé.

« C'est apparu du jour au lendemain, m'explique-t-il. Dans mon sommeil. J'évite de la montrer à mes parents, ni aux autres, histoires qu'ils ne croient pas à une teinture ou que sais-je. »

... Si la mèche de cheveux de Mathias est née des mêmes circonstances que cette corde noire dans mes cheveux, cela veut dire que...

... Oh, Mathias...

« Qu'est-ce qu'il se passe ? »

Il a l'air tout à fait étonné que je le dévisage avec autant de sidération. À la différence, moi, j'ai une vague idée de comment cette couleur est arrivée dans mes cheveux— puisque c'est bien la seule péripétie qui me soit arrivée dans ma vie linéaire.

Lui, en revanche, n'a peut-être pas compris ce qu'équivalait ce ruisseau d'or dans ses cheveux.

« Non, rien. »

Je recale cette touffe aux couleurs opposées derrière mon oreille, essaie de la diluer avec le restant de ma chevelure. Elle a l'air d'être assez apparente, je ne sais pas comment je vais dissimuler ça à mes parents.

Mathias laisse échapper un rire moqueur :

« Timothée va-t-il quitter cette blancheur qu'il a toujours connu ?... Aura-t-il des cheveux noirs de jais, piqués d'une pointe d'orange ?

— J'espère pas. Je ne sais pas moi-même comment l'expliquer.

— Ça pourrait t'aller, quand-même, comme couleur. »

Mathias fait la moue, se coupe finalement de l'hôpital qu'il fixait depuis plusieurs minutes, puis s'allonge dans l'herbe, dos contre la pelouse.

L'envie de l'interroger me pique un instant, mais cette piqûre se dissipe aussitôt. Bien que la curiosité soit toujours là, je n'ai pas envie de pénétrer dans des sujets glissants, qui pourraient ôter à Mathias son allure décontractée et son visage épanoui.

Décidément, il regorge de surprises, cet humain.

Je ne comprends toujours pas tout à fait ce qu'il fait à côté de moi. Mais j'imagine que c'est pour les mêmes raisons que je suis à côté de lui.

Il rouvre les yeux, puis se redresse soudain sur ses pieds.

« Bon, on a de la route, déclare-t-il. J'ai toujours pas de carte de bus, moi, il va falloir faire tout le chemin à pied. Tu viens ? »

Il me tend une main, grande ouverte.

Je suis d'abord tenté de refuser. Je suis vraiment fatigué, et je n'ai aucune envie de faire une longue randonnée matinale, de dormir une heure, pour repartir au lycée pour un cours de sciences. J'ai envie de rester là, d'admirer le soleil monter dans le ciel, de rester seul avec ce que je suis, de ne m'encombrer de rien d'autre que de ce paysage.

Puis la voix de Gretel résonne à mes oreilles.

« Va... Va vaincre ta peur, toi aussi... »

N'était-ce pas là son dernier souhait, avant que l'on ne se quitte ?

Alors je regarde Mathias, lui souris.

Et lui prends la main.









Fin.

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