Chapitre 29

Que... Quoi ?

Elle... elle a quoi ?

Je la regarde.

Elle me regarde.

Je la regarde.

Elle me regarde.

Je demande :

« C'est vrai ? »

Elle me répond :

« Oui. »

Elle s'excuse :

« Désolée. »

Je la regarde encore.

Je m'avance, je dépasse le paravant.

Le lit est blafard, mais son visage l'est encore plus.

Ses cheveux ont bougé, je le vois, je m'en souviens.

Ses mains ne sont plus sur son ventre, elles sont posées de chaque côté de ses hanches.

Je me détourne. Je regarde Sabrina.

Elle secoue la tête, négativement.

Gretel... Est morte.

Je me détourne, encore.

Je la regarde. Longuement.

Le silence est s'étend. Pesant.

J'entends Sabrina :

« Il faudrait peut-être y aller. Il commence à se faire tard, en plus. Il faut que je rapporte mes recherches à mes collègues, et vous, j'imagine que vous avez école, demain. »

Je fixe ses paupières.

Elles n'ont plus aucune chance de s'ouvrir.

Gretel est morte — et ça se voit.

Une main se pose sur mon épaule. Elle me tire gentiment vers l'arrière. Je me laisse faire. Je ne quitte Gretel des yeux, Gretel, qui rétrécit, rétrécit, rétrécit au fur et à mesure que je m'éloigne d'elle.

Finalement, je passe la porte, et je ne la vois plus.

Sabrina me dirige vers la porte de secours. Elle m'incite à descendre, elle veut fermer la marche. Je descends, barreau après barreau.

Gretel est morte.

On arrive sur le parking. Sabrina presse le pas devant les voitures. Il y a des lumières, des crissements de pneu, un peu de vent, aussi.

On s'éloigne de l'hôpital.

Gretel est morte.

« Notre sérum n'était pas suffisant. Il en faudrait un autre, plusieurs mêmes, pour les différents membres du corps. Désolée pour l'attente, les garçons. »

Mathias répond :

« Ne vous inquiétez pas. »

Gretel est morte.

On marche le long de la route. Il fait nuit. Des voitures nous frôlent.

Et Gretel est morte.

Sabrina s'arrête. Il y a une grosse voiture noire, à côté d'elle.

Elle dit :

« Montez, les garçons. Il fait froid, il est tard, je vais vous ramener chez-vous. »

Et puis Mathias répond :

« On ne va peut-être pas rentrer tout de suite. »

Sabrina fronce les sourcils dans sa direction. Ça ne fait pas ciller Mathias.

Elle demande :

« Vous êtes sûrs ? C'est que, je suis responsable de vous... »

Mathias répond :

« Oui, on est sûrs. Ce n'est pas si loin, et je crois qu'il y a des transports de nuit, ici. »

Sabrina nous dévisage tour à tour. Elle finit par hocher la tête.

« Très bien. Comme vous le sentez, les garçons. »

Il y a un petit silence. Sabrina se détourne, ouvre la portière, grimpe, la claque.

Quelques secondes plus tard, sa voiture n'est plus qu'un point sur la route.

Je la regarde, longtemps.

Je sens une main ferme se poser sur mon épaule.

« Tu veux aller là-haut ? » me demande Mathias.

Il pointe du bout du menton le sommet d'une butte, recouverte d'herbes folles, pas très loin de l'hôpital.

Je hoche la tête.

On marche. On arrive rapidement au sommet.

Mathias s'assoit à même le sol. Je l'imite, je n'y pense pas trop.

À une centaine de mètres, on voit l'hôpital. On le dépasse, presque. Il se découpe de l'océan de verdure, lui et ses petites lumières. Au-dessus de lui, plane un ciel d'encre. Une petite route de béton écaillé se faufile entre les collines, et rejoint une ville, qui me paraît plutôt lointaine.

Et Gretel est morte.

On reste un long moment comme ça, je crois. Je ne sais pas trop ce que je fixe, ni ce que je cherche. J'ai froid, un peu. C'est peut-être parce que mon cœur tremble comme une feuille morte. Peut-être parce que je n'ai qu'une veste. Peut-être parce que je suis fatigué, peut-être parce qu'il fait nuit.

« ... Ça va ? »

Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé quand j'entends enfin autre chose que les insectes grouillant dans la terre, les voitures arriver puis repartir en un lointain roulement, la nature s'exprimer en un murmure.

Je n'ose pas vraiment le regarder. En fait, je n'ose pas vraiment qu'il me regarde. Sa main se repose sur mon épaule, à nouveau. Une main tiède, dont la tiédeur s'étale sous le tissu de mon pull.

Doucement, je finis par tourner la tête.

Et puis brusquement, je craque.

Je craque, et je fonds en larmes, sans même réussir à croiser son regard.

Je me mets à sangloter, un torrent de pleurs dévale mes joues, un torrent de sel, de frustration, de douleur, de tension, d'espoir et de désespoir. Je grogne, je hoquète, je marmonne dans mon eau, je n'arrive plus à m'arrêter.

Gretel est morte, pour de bon. Je n'ai plus rien d'elle, ni son cœur, ni son âme, ni même l'espoir de la revoir un jour. C'est fini, c'est terminé. Gretel n'est plus ce qu'elle était, et ne sera plus jamais ce qu'elle a été.

Des bras m'enserrent, une épaule se presse à mon visage. Je noie mes larmes dans ce tissu, tente d'étouffer mon râle et mon malheur dans ce pull, puis peu à peu, je me dis que ça ne sert à rien, qu'il n'y a pas de nuance, pas de pianissimo possible à jouer sur ma douleur.

Gretel.

Gretel, si tu savais à quel point je t'ai aimé.

Ce verbe est fort, peut-être trop fort, mais je m'en moque, parce que je crois qu'à cet instant, il me convient parfaitement et te va comme un gant. Je ne sais pas pourquoi tu as voulu que tout ça cesse brusquement, alors que c'était bien, avant. Je t'aimais de mon âme de Timothée, tu m'aimais de ton âme de Gretel, et ensemble, on formait une seule et même âme, et cette âme, elle était sans peur, sans reproche, sans défaut.

Gretel, pourquoi tu es morte ? Pourquoi tu as pris une décision aussi stupide ? Pourquoi tu as voulu aimer, être naïve, faire preuve d'une gentillesse et d'une bonté beaucoup trop grande pour qu'elle ne soit encaissée par un humain tel que moi ?

Cette décision t'a coûté la vie, Gretel. La vie que tu menais, et celle que je menais avec toi.

Ton cœur était bon, Gretel, tu n'as jamais eu à t'en douter. Peut-être même que tu le savais pertinemment, puisque tu as décidé de me le donner. Mais pourquoi ne pas l'avoir gardé pour toi ? Pourquoi tu as voulu m'offrir quelque chose que j'avais déjà, et qui m'allait parfaitement ? Pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ? Pourquoi je n'ai pas su voir ce que tu trafiquais ? Tu ne m'expliqueras donc jamais comment tu as découvert l'Attrape-Cœur ? Tu ne m'expliqueras donc jamais ce que tu as ressenti face à Dorothée, ou cet épouvantable psychologue si tu as eu affaire à lui ? Tu ne m'expliqueras donc jamais l'appréhension avant l'opération, ton trac, tout ce que tu as vécu ? Tu le garderas... pour toi, et seulement pour toi ?

Gretel...

« ... Mathias ?

— Hm-mh ? »

Mes pleurs commencent à s'estomper, un peu. Je renifle.

« Il faut que tu me promettes quelque chose. »

Son pull est trempé, mais reste plutôt doux sous ma joue. Il a la saveur d'un grand sommeil, d'abord la tiédeur, puis l'engourdissement naïf et léger, puis le laisser-aller.

« Vas-y, je t'écoute » me répond-t-il.

Un silence coule. Mes paupières sont terriblement lourdes. Je prends un inspiration, réveillant mes mots, ma voix, mon esprit durant quelques ultimes secondes.

« Mathias, promets-moi de ne jamais me donner ton cœur. »

Il doit rester interdit. Ou surpris. Stupéfait, peut-être.

Puis il a un petit rire, qu'il expire par le nez.

« Ne t'inquiète pas. »

La dernière chose que je relève, avant de sombrer, est qu'un sourire amusé résonne dans ses mots.

***

« ... Timothée... »

Non non non, pas maintenant.

Ça fait si longtemps que je n'avais pas goûté à un sommeil si délicieux.

Tous ces sommeils superficiels qui me permettaient de tenir à peu près jusqu'à la nuit suivante étaient si médiocres...

Non, laissez-moi dormir.

Je n'ai jamais dormi comme ça.

« Timothée !

— Laisse-moi dormir, s'il te plaît... Tu peux y aller, si tu veux, je m'en fiche... »

J'intercepte moi-même difficilement mes propres mots. Qu'importe, Mathias a sûrement compris.

« Tu crois vraiment que je vais partir sans toi, Tim ? »

Tim ?

Je m'arrache brusquement les paupières l'une de l'autre.

Parce que jamais, jamais je n'ai entendu ce diminutif de la bouche de Mathias. Les seuls qui ont le privilège de m'appeler ainsi sont mes parents, Noah, et...

Un drôle de jaune brille d'une douce lueur, tout autour de moi. Une espèce de brouillard lumineux, qui n'invite nullement à changer de place.

Une silhouette est à quelques pas de moi.

Et ce n'est pas Mathias.

Une silhouette est à quelques pas de moi, et c'est Gretel.

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