Chapitre 13

23 bis bis, Chloé Collins.

L'adresse tambourine dans ma tête.

La rue Chloé Collins.

Celle où Gretel a donné notre dernier rendez-vous.

Celle où Gretel est morte.

Je file à toute allure entre les rues et les boulevards, dépasse les passants, frôle les voitures en traversant brusquement les routes, saute au-dessus des poubelles renversées et ne prends même pas la peine de faire de même pour les flaques. Les bâtiments de ma ville défilent, mais pas aussi rapidement que je le voudrais.

23 bis bis, Chloé Collins.

L'Attrape-Cœur.

Mes mains se mettent à rougir, ma peau à émaner d'une forte chaleur.

J'ai perdu trop de temps. J'ai perdu trop de temps à ignorer ce que je m'apprête à voir.

Je me stoppe en un dérapage, exécute une rotation, puis m'appuie sur mes genoux, lessivé par cette nouvelle course.

J'y suis.

La rue Chloé Collins.

Rien ne semble avoir changé depuis mon dernier passage. Les maisons sont toujours aussi serrées, toujours aussi hautes, et bizarrement, le ciel toujours aussi gris. Les poubelles métalliques sont aux mêmes endroits. Je me demande s'il y a vraiment des gens qui habitent ici... Il faut croire que oui.

23 bis bis.

Je me le répète à voix haute, personne n'est là pour me traiter de fou. Je remonte la ruelle, parcourant les plaques du regard.

Mais ce fameux 23 bis bis, quand je viens jusqu'à lui, m'étonne. Ce n'est qu'une toute petite maison, certes aussi haute que ses compagnes, mais réellement étroite : sa largeur ne doit pas dépasser les quatre mètres, et je sais parfaitement que je mesure toujours trop grand à l'œil nu. Elle est même plus petite que les autres...

... Alors, ce jeudi-là... Serait-ce de cette petite maison que Gretel revenait ? Ce jour où elle m'a donné son cœur ?

Je m'approche, grimpe sur le perron, et fais face à la porte, d'un vieux bois usé. J'ai vraiment affaire à une maison d'un autre âge, d'un âge encore plus antérieur que celui de la maison de Mathias. Je me baisse un instant sur la carte de visite, ses lettres dorées et éclatantes, son sigle professionnel et minimaliste, puis retombe sur les vieilles briques sales de la façades.

J'hésite. Est-ce vraiment là ?

J'hésite, encore.

Puis j'assène deux coups au battant.

Quelques longues secondes s'écoulent, où je regrette amèrement mon geste. Puis j'entends, et vois le judas s'ouvrir.

Soudain, une voix grincheuse s'exclame de l'autre côté de la porte :

« Qu'est-ce que vous voulez ? »

Je recule d'un pas.

Timothée, t'as tapé à la mauvaise porte.

Pourtant, la plaque indique clairement le 23 bis bis, et tout comme la carte de visite... Mais cette dernière me promettait plutôt un institut aux revenus suffisants pour réaliser des cartes de visite, alors, pourquoi tomber sur ce genre de maisons ? Pourquoi tomber sur ce genre d'accueil ? Cette dame doit habiter là, et puis c'est tout.

Mais malgré moi, je sens mes doigts raffermir leur prise sur le petit carton.

« Excusez-moi, mais... C'est ici, l'hôpital de l'Attrape-cœur ? »

Un silence suit mes mots. Peut-être n'a-t-elle pas entendu. Peut-être qu'elle n'a pas compris ?

Mais finalement, la porte s'ouvre sur une vieille dame, que je me prends à dévisager, quelques secondes. Elle est recroquevillée sur sa canne, déjà qu'elle ne semblait pas bien grande, et une longue natte argentée dévale son dos recourbé.

« L'Hôpital de l'Attrape-cœur, dis-tu ? »

Comme si cela pouvait me donner un peu plus de contenance, je tends la carte sous le nez de la vieille femme.

Ses yeux se focalisent sur les grandes lettres dorées.

Je sens mon cœur se tendre douloureusement.

Puis finalement, elle déclare :

« Eh bien, c'est ici. »

C'est là ?

La vieille femme exécute quelques pas sur le côté, et m'invite prestement à rentrer.

Je me fais violence pour ne pas reculer à mon tour. Mais comment avoir la certitude que cette vieille dame n'est pas en train de me payer ma tête ? Aucun panneau n'indique que l'Attape-Cœur pourrait se trouver ici... Et puis, c'est quoi, l'Attrape-Cœur ? Et Noah qui doit être en train de m'attendre, en plus...

« Bon, vous vous bougez ? s'impatiente la vieille femme de sa haute voix perchée. Je ne vais pas passer la nuit là, à vous attendre ! »

Je finis par reposer ma confiance sur Gretel — quoique les derniers évènements m'ont démontré que ce n'était peut-être pas une bonne idée —, et franchis le seuil de la porte.

Le hall est minuscule, et terriblement sombre. De vieux cageots, certainement pourris, s'empilent dans un coin de la pièce, contre le mur. Il y a plus d'une toile d'araignée au plafond, et le sol n'est qu'un amas de terre battue.

La vieille femme referme la porte derrière moi. Je regrette immédiatement ma décision.

Elle se déplace rapidement, me devance, et se dirige vers le mur du fond. Une porte tout aussi usée, particulièrement basse, se découpe des briques sales. La vieille femme fouille dans sa poche, en tire un trousseau de clés, dont une qu'elle fait pénétrer dans la serrure. Je ne peux pas m'empêcher de déglutir. Mais au fond, suis-je vraiment en danger, en compagnie de ce genre de vieille femme ?

« Vous êtes lent, ma parole ! persifle-t-elle, tout en agitant fébrilement sa vieille clé dans les différents mécanismes du verrouillage. Allez, venez ! »

Je m'approche, et un petit clic! indique que la vieille femme a suffisamment retourné sa clé dans les rouages de la serrure. Sur ce, elle pousse la porte.

J'écarquille les yeux, et manque de tomber à la renverse.

...Une vieille petite maison, hein ? Hilarant.

De l'autre côté de la porte, je ne pense pas que le terme de salle s'applique désormais : on dirait une véritable gare.

Il y a des gens, partout. Ce ne sont pas de petits troupeaux qui patientent, qui discutent, qui se baladent et profitent des lieux, non. Ils marchent, droits dans leurs chaussures, la tête haute, dans un ballet parfaitement organisé, mais terriblement touffus.

Je redresse la tête.

De l'endroit où je me trouve, je peux apercevoir plusieurs balcons. Empilés les uns sur les autres, posés sur de grands pilonnes qui relient le sol jusqu'au plafond, des petits balcons que l'on peut aisément épier depuis le rez-de-chaussée. Tout un tas de personnes s'affairent derrière ces balustrades aux barrières en fer forgé, là aussi.

De grandes lettres d'or pendent du plafond que je peine à distinguer : l'Attrape-Cœur.

Je suis à l'hôpital de l'Attrape-Cœur.

Qui ne l'aurait pas deviné ? Qui n'aurait pas remarqué qu'il s'agissait d'un lieu médical ? Tout, ici, est d'un blanc immaculé, des bureaux jusqu'au carrelage à mes pieds, en passant par les murs et les grands pilonnes. D'ailleurs, des bureaux, c'est tout ce qui compose cette grande salle du rez-de-chaussée : il y en a partout, s'alignent à la perfection, et sont tous occupés sans exception.

Comment puis-je être ici ? Il y a à peine quelques minutes, j'étais au téléphone avec mon frère, lui assurant de ne rien révéler aux parents de sa chute, et de passer le chercher...

... Alors, c'est là que Gretel a mis son plan en action ?...

« Bougez-vous un peu, jeune homme ! me houspille la vieille femme. Vous ne voyez pas que vous êtes dans le passage ? »

Il est difficile de ne pas le remarquer, mais je n'ai pas l'impression que changer de place et m'isoler servirait à grand-chose : toutes les trajectoires et tous les axes semblent être utilisés et exploités toutes les secondes, par ce que je présume être des médecins et des infirmiers. Pourtant, eux ne se percutent jamais entre eux. Des robots ? Je me mets à frissonner.

Sous les ordres de la vieille femme aigrie, je m'avance. Je découvre enfin une petite indication dans cet endroit gigantesque, me désignant le premier bureau de la rangée, un peu plus imposant que les autres. Derrière, une jeune femme s'agite, un téléphone niché à l'oreille.

Dois-je lui parler ? Mais lui parler de quoi ? De mes questions et interrogations, évidemment, et elles augmentent en nombre un peu plus chaque seconde.

Je me détourne, mais la vieille femme a déjà disparu. Il ne lui a fallu que quelques secondes d'inattention de ma part pour se volatiliser entre deux soignants. Bien qu'elle soit d'une empathie médiocre, elle était ma seule guide...

Je n'ai pas le temps de me mettre à sa recherche que la femme à son bureau m'indique de venir, avec de grands signes évocateurs. Les clients comme moi doivent être facilement repérables : j'imagine qu'ils abordent tous ce même visage complètement perdu et complètement chamboulé. D'ailleurs, suis-je le seul client présent, ici ?

Je m'approche du bureau, mais la femme ne quitte toujours pas son appel. D'après ses petites mimiques, je comprends que je dois patienter, le temps de clore sa conversation dignement.

Avec qui peut-elle bien parler ? Des clients, sûrement. Ou du personnel. Ou des livraisons. Je ne me pose jamais la question, quand je suis dans un magasin ou ailleurs, mais ici, tout est source de questionnement. Gretel a sûrement bien du appeler un jour ici... La savoir déjà passée par ces lieux inconnus me réconforte un peu.

La secrétaire raccroche enfin. Elle lâche un profond soupir :

« Ah là là, mais quel monde... Je suis à vous dans un instant, monsieur. »

Elle se tourne à l'aide de sa chaise roulante, puis s'en va jusqu'à l'autre bout de son bureau. Elle commence à taper sur le clavier de son ordinateur avec frénésie.

Je m'attends déjà à un rappel plus qu'électrique de mon frère. J'imagine qu'il comprendrait la situation... si je la lui racontais.

« Excusez-moi de l'attente, jeune homme, me sourit la secrétaire, se détournant enfin de ses occupations. Que puis-je pour vous ? »

Bonne question. Je n'en sais strictement rien. Pourquoi je suis là ?

Je la dévisage, un peu étourdi.

Puis je me mets à balbutier :

« Gretel... »

Il est clair que j'aurais du me préparer avant. La secrétaire m'encourage du regard.

Après quelques borborygmes, je finis enfin par sortir :

« Vous connaissez Gretel Hinston ?

— Comme ça, elle ne me dit rien, mais si je cherche... »

Ah, donc Gretel n'est pas la seule à faire des expériences de fou, ici. Il y a suffisamment de ses semblables pour que la secrétaire ait besoin de fouiller dans les dossiers de son ordinateur. Le clavier cliquète de nouveau sous ses mains nerveuses.

J'essaie quant à moi de faire un peu d'ordre dans ma tête.

« Gretel Hinston, j'ai trouvé ! exulte soudain la femme. Alors... Timothée Nottin, je présume ? »

Je sursaute.

Et ne mets pas longtemps à comprendre que Gretel leur a parlé de moi.

« Oui, c'est moi, acquiescé-je, confus. Hemm... Qu'est-ce que c'est, exactement, l'Attrape-Cœur ? »

Je fais un pas en arrière, désignant cet immense endroit complètement dérisoire. La secrétaire me répond, sans ciller :

« Vous êtes à l'Attrape-Cœur. Vous devriez le savoir, si vous vous tenez actuellement devant moi. »

Pourquoi ça ?

Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

Je me force à réfléchir et à comprendre l'insoluble. Je finis par me remémorer la vieille femme de l'entrée. Il est vrai qu'elle n'a en effet pas voulu que je rentre directement. Et qu'à aucun moment, je n'ai eu de présentation. Un simple « c'est ici ». Le mot Attrape-Cœur n'est jamais sorti de sa bouche.

« J'ai une vague idée, réponds-je, mais... »

La secrétaire me coupe :

« Si l'idée est vague pour vous, c'est qu'elle doit le rester. Ce n'est pas à moi de décider de ce que vous devez savoir ou non. »

Elle reprend avec un grand sourire :

« Alors, que puis-je pour vous ? »

De tous les personnels jamais rencontrés, c'est la première fois que l'un refuse carrément de m'expliquer ce pour quoi il travaille. C'est le moment de promouvoir son entreprise, de montrer en quoi il est important d'investir ici, d'acheter, de passer... Et cette femme-là vient tout juste de me dire que je dois me contenter de mes connaissances actuelles sur cet endroit.

Bon, peut-être que quelqu'un d'autre pourrait me renseigner.

Je me racle la gorge, et enchaîne sur une autre question :

« Gretel vous a parlé de moi ?

— L'opération que Gretel a choisie demande des justificatifs. Nous ne retirons pas des cœurs sans aucune raison, cela reste un lourd impact. Donc, vous venez pour l'opération, donc ? »

L'opération ? Quelle opération ?

J'ai un mouvement de recul.

La secrétaire s'étonne :

« Vous ne venez pas pour ça ?

— Mais... de quelle opération parlez-vous ? »

La secrétaire plisse les yeux. Elle doit se demander ce que je fais réellement ici. Est-ce possible qu'elle me renvoie chez moi, parce que je n'ai rien à faire ici ? Mais je ne peux décemment pas repartir maintenant, j'ai beaucoup, beaucoup trop de questions...

Il va falloir être intelligent dans les prochaines réponses.

Quitte à mentir un peu.

« Gretel ne vous a rien donné, récemment ? interroge la femme.

— Si. Elle est... décédée, j'ai son cœur. »

Cœur que j'ai bien failli abîmer, d'ailleurs.

La secrétaire s'écrie :

« Mais alors, vous ne venez pas ici pour vous le greffer ? »

Mon esprit se débloque soudain.

Goutte à ma personne, puis, si elle te plaît, prend mon cœur...

Prendre son cœur. Une jolie tournure de phrase, un peu évasive, mais qui veut littéralement dire ce qu'elle veut dire, finalement.

Prendre son cœur.

Me le greffer.

Dans mon propre corps.

C'est la première fois que j'exhale un aussi douloureux frisson d'effroi. Pourtant, j'avais déjà la vague idée que Gretel voulait m'offrir son cœur pour une raison précise, non pas pour le poser sur une étagère dans ma chambre, mais pour lui offrir un nouveau chez lui.

Gretel voulait réellement que je le prenne.

Et si j'avais accepté, je me serais forcément tourné vers l'Attrape-Cœur.

Mais ce n'est pas mon cas.

« Je regrette, finis-je par dire, ce n'est pas dans mes plans.

— Ah bon ? Mais... Où est le cœur, alors ?

— Dans mon sac. »

Et je répète :

« Et je n'ai pas envie de me le greffer. Vraiment pas. »

La secrétaire m'observe. Finalement, ma bizarrerie s'estompe un peu dans son regard. Elle croise les mains, d'une manière très professionnelle.

« Je sais que c'est une lourde opération, commence-t-elle. C'est votre première visite ici, j'imagine. Sachez que vous pouvez prendre rendez-vous avec divers psychologues, pour mieux comprendre, et mieux saisir la chose... »

Elle rajoute :

« Beaucoup de nos clients sont satisfaits de nos services. Surtout pour ceux qui, au départ, étaient réticents à s'engager dans ces opérations-là. »

Qu'est-ce qu'elle veut signifier ? Que mon avis va forcément changer, et que, d'ici à peine quelques semaines, j'irai me faire transplanter un nouveau cœur ?

L'idée me fait froncer le nez avec répugnance. Néanmoins, je profite de la réponse de la secrétaire pour m'embarquer dans une nouvelle question :

« Généralement, les clients se greffent des cœurs pour quoi, ici ? »

La secrétaire demeure intraitable :

« Je ne suis pas censée vous renseigner sur ce point. Si vous ne le savez pas, c'est que vous ne devez pas savoir. »

Mais alors, comment saurais-je ?...

... Peut-être vaut-il mieux ne pas savoir, justement.

La secrétaire se saisit d'un stylo, parmi les nombreux que présente le pot à crayons de son bureau.

« Bon, je vous prends rendez-vous, ou pas ?

— Que... Quoi ? balbutié-je.

— Avec un psychologue. »

Un psychologue ?...

Mais qu'est-ce que je ferais, moi, avec un psychologue ? Je peux prendre des rendez-vous avec ce genre de spécialistes, sans même le consentement de mes parents ? Il faut croire que oui, vu la mine de la secrétaire.

Je vais refuser, évidemment que je vais refuser...

... Mais si je refuse, est-ce qu'elle va me mettre à la porte, directement ?

J'ai l'impression qu'il est facile, ici, de se faire congédier par le personnel, et ne plus jamais avoir le droit de remettre les pieds ici. Je me demande comment ils font leur business, avec de telles méthodes de travail. Enfin, ce n'est pas le problème.

« Je... Euh... Je dois vous fournir une réponse maintenant ?

— Il vaut mieux, oui », répond-t-elle patiemment.

Bon, si j'accepte, je pourrais toujours décliner plus tard... Alors que si je décline maintenant, je ne tenterai jamais rien, et je n'apprendrai jamais rien. Mais comment vais-je faire, pour me rendre à ces rendez-vous, sans éveiller le soupçon de mes parents, de mon frère, des autres ? Est-ce si grave, si je divulgue l'existence de l'Attrape-Cœur ? Pour moi, j'ai la drôle d'impression que oui. Et puis, si j'explique la raison de ces rendez-vous... je vais devoir révéler que je possède un cœur, avec moi.

« Alors ? s'impatiente la secrétaire.

— Euh ! Oui ! Oui oui, j'en prends ! »

Et voilà, c'est fait. Je n'ai même pas pu y réfléchir à deux fois, à peine à une, je n'ai même pas pu établir de stratégie ni le déroulement de ces rendez-vous. Décidément, ces temps-ci, je n'agis que sur le moment. Mais a-t-on réellement le temps de réfléchir et de penser profondément, sur le moment ?

La secrétaire sourit, puis elle s'attaque à un grand calepin. Son stylo s'agite sur le papier. Que me prévoit-il ? M'enfermer avec un docteur, qui va me poser tout un tas de questions sur moi, sur moi, et encore sur moi ? Que vais-je pouvoir lui répondre ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, j'espère que lui pourra répondre à quelques unes de mes questions.

J'envisage durant quelques instants de revenir sur mes propos, mais j'ai la gorge étrangement nouée. Je regarde simplement la secrétaire s'activer, visiblement heureuse de prendre en charge un nouveau cas dans sa clientèle.

« Très bien ! Nous allons décider de votre psychologue dans la journée. Nous vous enverrons un message pour convenir de la date et de l'heure, restez donc proche de votre téléphone pour ne pas louper l'information. D'après son dossier, l'échéance du cœur de Gretel est dans un mois, donc apprêtez-vous à avoir plusieurs rendez-vous dans la même semaine. »

J'acquiesce, mais je crois que j'ai donné mon maximum de concentration et d'énergie pour aujourd'hui. Les informations me traversent sans vraiment m'atteindre, pourvu que je parvienne à m'en souvenir le moment venu.

« C'est noté ? Fait la secrétaire.

— Oui...

— Bien, votre numéro, s'il vous plaît. Personnel, je préférerai. »

Moi aussi.

Elle fait glisser le calepin sur son bureau jusqu'à moi, et me tends son stylo, déjà décapuchonné. Je lis sa petite écriture : rendez-vous pour Timothée Nottin, receveur de Gretel Hinston, pour un cœur échéant le 12/12.

J'ai du mal à croire que je corresponde à une telle description. Il y a un mois, à peine, j'étais Timothée Nottin, un simple garçon, qui vivait dans un monde sans trop de couleurs.

J'hésite. J'hésite encore.

Je relis les quelques mots de la secrétaire, jette un regard à la plume encrée de mon stylo bic, puis finalement, je gribouille mon numéro.

Quand je conclus d'un 25, ma maigre confiance s'est totalement évaporée. Je n'ai déjà plus le moindre intérêt dans ce que je m'apprête à me lancer.

« Parfait ! sourit la secrétaire. Alors, à la prochaine fois. Quelqu'un va vous raccompagner.

— Juste !... »

La secrétaire m'invite à poser ma question, dans un mmmh? qui se voulait sûrement engageant.

Mais moi-même, je ne sais pas trop sur quoi l'interroger.

« ... Je peux parler de cet hôpital, autour de moi ? »

Autant être sûr.

La secrétaire me dévisage, puis éclate de rire :

« Vous voudriez vraiment parler de cet hôpital à votre entourage ? »

A-t-elle lu dans mes pensées ? Ou alors, sont-elles lisibles malgré moi sur mon visage, tant je suis fatigué ?

Ou alors, l'Attrape-Cœur joue du fait que ses clients ne peuvent parler de ses services pour demeurer secret. Comme c'est ingénieux... Et puis, je suis sûr que même si j'en parlais, personne ne réussirait à trouver cet hôpital. Personne ne les laisserait entrer.

En fait, je ne sais pas. Je viens de m'embarquer dans un univers complètement inconnu, où personne ne veut me renseigner de rien.

Sans même que je me vois faire, je quitte la secrétaire, qui retourne à un appel téléphonique. La cohue de médecins me happe immédiatement, celle que je n'avais pas pourtant tant sentie pendant que je discutais avec la secrétaire.

« Alors, garçon ? »

Je fais volte-face. La vieille femme de tout à l'heure est revenue. Et étrangement, elle a l'air bien plus affable, et bien plus amicale.

« Vous avez pris un rendez-vous ici ? »

Les nouvelles vont vite, à ce que je vois. Bizarrement, ça ne m'étonne pas.

Je hoche la tête, cette tête trop lourde pour mes trop frêles épaules.

« Tout va bien ? continue-t-elle, tout en me guidant à travers la marée de soignants se déplaçant d'un bout à l'autre de cette énorme salle.

— Je... tout s'est passé très vite... et je ne suis pas sûr de saisir ce qu'est que cet endroit.

— Je vois. »

Elle me sourit, d'un air attendri. J'essaie de lui répondre de la même manière, mais mon sourire doit être amer autant pour moi que pour elle.

Et, tout d'un coup, je sens mes doigts se refermer sur un papier.

Je me penche, ahuri.

« Lis-le, déclare la vieille femme. C'est un prospectus de cet endroit, comme tu l'appelles, il va peut-être t'expliquer ce que tu ne parviens pas à comprendre. Mais lis-le rapidement : ici, tout est éphémère... »

Le prospectus est plié en un petit livret, qui me fait un peu penser aux menus des pizzerias dans lesquelles on va avec mes parents. Sa couverture est d'un rose pâle, très pâle, et à nouveau, je retrouve le nom de l'Attrape-Cœur, ainsi que ce petit cœur doré surmonté d'une plume.

Ce cœur... C'est un cœur que l'on peut trouver sur la dame de cœur, l'as de cœur, et toutes les autres cartes de la famille des cœurs.

Il ne ressemble absolument pas à celui que j'ai dans mon sac.

Quand je redresse les yeux, l'hôpital autour de moi a disparu. De grandes maisons briquées s'élèvent autour de moi. La pluie trempe le bout de mon nez, puis mes mains, puis le restant de mon visage. Je suis seul. La vieille femme a disparu.

Et je me rappelle que Noah m'attend.

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