❦ T r o i s ❦

It's better to be hated for what you are than to be loved for what you're not - A. Gide

Chasing Cars - Sleeping at Last

La sonnerie me tira de mes pensées, ainsi que toute la classe qui se leva pour quitter la salle. Cette sonnerie annonçait la pause, et je comptais bien me rendre dans la salle afin de ne pas avoir à subir tous ces regards dans les couloirs du lycée.

Je me dirigeais vers la salle du premier cours officiel de l'année, mes pas rapides et la tête baissée. Je n'aurais jamais imaginé que l'homme du café était en réalité professeur. Il faisait si jeune, je croyais même qu'il avait mon âge. C'était tellement étrange, bien que je ne pouvais pas dire que je le connaissais.

Assise sur une chaise au fond de la salle, mon esprit vagabondait, pensant à la nouvelle fille qui avait osé me parler. A vrai dire, elle ne savait rien de moi, ni de ma réputation et de la haine infondée que les gens pouvaient avoir envers moi, mais je me doutais bien qu'elle n'allait pas tarder à le savoir, les gens étaient très bavards dans ce lycée.

J'avais hâte que cette journée se termine. J'allais me rendre au café afin de faire mon service, je me retrouvais avec Jesse cet après midi. Je ne voulais juste plus être dans cet affreux lycée et encore moins dans mon abominable maison. Mes écouteurs, mes plus fidèles amis, me tenaient compagnie tandis que je baissais les yeux en voyant les autres élèves de la classe pénétrer dans la salle. Mon regard se releva au moment où la nouvelle décida d'entrer, elle aussi. Mais elle n'était pas seule. Elle avait trouvé sa place dans le groupe des pestes, son regard sur moi totalement différent, son rire maintenant mêlé aux leurs.

Je ne m'étais pas fait d'illusions, je savais comment les choses se passaient ici, c'était toujours pareil, et il n'y avait pas de raisons pour que cela change cette année, tout simplement. Je rangeais mon portable, à contre coeur, avant de me concentrer sur notre professeur d'histoire.

J'adorais la sensation procurée par la sonnerie annonçant la fin de la journée. C'était comme lorsque je sortais de chez moi, c'était une bouffée d'air frais, comme un sentiment de liberté qui n'était qu'éphémère. Je laissais les gens sortir de la salle, ne voulant pas leur donner une occasion supplémentaire de me bousculer. Je pris à mon tour le chemin de la sortie, marchant d'un pas tranquille en direction du centre commercial. Aujourd'hui, le temps était différent de celui d'hier. Le soleil réchauffait agréablement ma peau, ce qui me faisait apprécier cette marche jusqu'à mon lieu de travail. Aucun nuage ne se trouvait à l'horizon, seul un ciel bleu azur comme je n'en avais jamais vu un. Il était là, le point positif de ma journée.

Je regardais les voitures de différents modèles, différentes couleurs, défiler sur la longue route que je longeais. J'aurais voulu avoir une voiture moi aussi, ou ne serais-ce que le permis. Chaque personne au lycée était indépendante, pouvant se déplacer par elle même, sans l'aide de personne. Moi, j'étais dépendante du bus, ou de mes jambes, cela variait en fonction des jours. Cependant, je m'estimais heureuse, j'étais bien consciente que certaines personnes ne peuvent bénéfier des transports en communs ou bien même de leurs jambes. Tout était relatif, à vrai dire.

Je continuais ma route, une vague de soulagement me traversant lorsque je vis la devanture du centre commercial se dessiner sous mes yeux. Bien que j'adorais marcher, je n'étais pas fâchée d'être arrivée. Je pénétrais dans le hall devenu maintenant familier, me dirigeant d'un pas enthousiaste vers le café.

J'adorais cet endroit, je ne cessais de me le répéter à chaque fois que j'y mettais les pieds. C'était comme si le café représentait un château fort qui permettait de me protéger de tout,  c'était une métaphore totalement absurde dont j'étais la seule à comprendre le sens.

Souvent, des élèves du lycée venaient ici. Soit ils n'avaient aucune idée de qui j'étais, soit ils me connaissaient très bien, enfin, ils me connaissaient par ce qu'on disait sur moi. Sauf qu'ici, tout était différent. Ils me respectaient, du moins, un minimum. Certes,le client est roi, mais ici, mon patron ne tolérait pas une mauvaise ambiance, que ce soit des disputes entre employés ou entre clients. Alors quand je croisais des gens du lycée ici, c'était comme si nous ne nous connaissions pas, ils commandaient, je les servais, ils payaient et notre échange s'arrêtait ici. Les clients plus âgés eux étaient mes préférés. Par plus âgés, j'entendais ceux qui ne sont évidemment pas au lycée. Cela allait des mères de familles, aux hommes d'affaires, en passant par les grands parents aimant discuter de leur retraite et de leurs petits enfants.

Ici, je n'étais pas Vic, la victime du lycée. J'étais Vic, la serveuse agréable qui aimait discuter avec ses clients. En vérité, j'aurais voulu que tous les élèves du lycée apprennent à me connaitre, je suis sure qu'ils m'auraient apprécié, ou du moins, pas autant détesté. Mais les gens sont comme ils sont, et malheureusement, les mentalités à cet âge là ne sont pas les meilleures, je le savais plus que quiconque.

Je passais derrière le comptoir, saluant tout le personnel présent avant d'aller poser mes affaires dans mon casier. J'attrapais mon tablier que je nouais autour de mon cou et de ma taille avant d'attacher mes cheveux en queue de cheval, finissant ce rituel de chaque début de service. J'approchais de nouveau le comptoir, nettoyant un peu ce dernier avant de sortir mon calepin, me dirigeant vers un groupe de personnes assis à une table.

Je prenais machinalement mes commandes, les ramenant au comptoir et faisant quelques cafés pour aider le reste de l'équipe, je ramenais les commandes, échangeant quelques mots avec les clients avant de repartir pour les laisser avec leurs consommations. Puis dès qu'ils avaient payé et qu'ils partaient, je m'empressais de nettoyer la table pour les clients suivants, ramassant les quelques pièces laissées sur cette dernière pour les apporter au pot commun.

Ça pouvait paraitre ennuyeux, j'étais entièrement d'accord, mais j'appréciais ce travail. Certes je ne voulais pas en faire mon métier, mais cela me permettait d'avoir quelque chose à côté de mes études et de pouvoir mettre de l'argent de coté pour le futur. Je l'appréhendais vraiment, ce futur, mais d'un côté, j'étais si impatiente de pouvoir m'émanciper, et partir avec ma soeur, loin d'ici.

Frottant ma chifonnette humide sur la table, je nettoyais les dernières miettes présentes sur cette dernière. Je pris les deux tasses avant de tourner les talons, en direction de la cuisine. Cependant, j'entrai directement en contact avec quelque chose, enfin quelqu'un. Je fis tomber les tasses au sol, ces dernières se brisant instantanément au contact du parquet brun. Je n'eus le temps de réagir que la personne face à moi le fit.

- Je suis vraiment désolé, c'est entièrement de ma faute.

Je relevais les yeux, rencontrant des iris brunes, celles de mon professeur de littérature.

- Ce.. Ce n'est rien, bafouillai-je, c'est moi, ne vous en faites pas.

Je me baissais pour nettoyer, tentant de rassembler les morceaux de la tasse pour que personne ne se blesse. Mon professeur se retrouva au sol avec moi, ses mains aidant les miennes à regrouper les dégâts.

- Laissez moi vous aider, ce n'est pas de votre faute.

- Non, laissez, murmurai-je, je vais m'occuper de tout ça.

Quelques secondes plus tard, Leila arriva à ma plus grande surprise, me tendant une pelle et une balayette avec un regard compatissant. Ce n'était pas grave en soit, ça arrivait.

Mon professeur tenta de m'aider, ce que je refusais, tandis que Leila le reconnut.

- Chace ?

Ce dernier tourna la tête, se levant en réalisant que Leila était là. Ils se prirent dans les bras tandis que la brune fit un pas en arrière, posant ses mains sur ses hanches.

- On te voit vraiment beaucoup ces temps ci, as tu trouvé ta source d'inspiration ?

J'écoutais quelques bribes de conversation pendant que je terminais de nettoyer les dégâts.

- J'aime beaucoup cet endroit, et puis c'est plus calme que chez moi, Dana s'entraine pour ses championnats de danse.

Leila sourit, avant de poser son regard sur moi.

- Je suppose que tu as déjà fait la connaissance de Victoria, elle travaille avec nous depuis un an, c'est vraiment une fille courageuse.

Le regard de mon professeur suivit celui de son amie, se posant sur moi également.

- Oui nous avons déjà échangé, et je suis vraiment désolé, encore une fois.

Je me relevais, époussetant mon tablier avant de lui assurer que ce n'était rien. Nos regards allaient de l'un à l'autre, alternant entre Leila et mon professeur. Génée par cet échange, je coupais court à tout ça.

- Je dois retourner travailler, au revoir monsieur.

Je ne lui laissais pas le temps de répondre que je filais en coup de vent dans la cuisine, retrouvant un souffle régulier que je ne m'étais pas sentie retenir. Je jetais les débris dans la poubelle avant de me laver les mains, saisissant de nouveaux couverts à apporter sur la table. Mon esprit était quelque peu préoccupé. Je ne pouvais m'empêcher de me questionner sur l'âge de ce professeur, cet âge qui attisait fortement ma curiosité. C'était dingue de paraitre si jeune et d'être professeur. Enfin en soit, non, mais c'était bien la première fois qu'un de mes enseignants avait cet âge là.

Je retournais en salle, m'activant pour prendre des commandes tandis que je jetais un petit coup d'oeil aux autres tables. Le professeur avait finit par s'installer, dans un coin de la salle, son ordinateur posé sur la table accompagné de quelques manuscrits. Leila se tenait à côté de lui, gribouillant sa commande sur son calepin tandis qu'elle jetait un coup d'oeil sur son ordinateur.

Je ne m'étais pas rendue compte que je les fixais jusqu'au moment où Leila se retrouva devant moi.

- Tu as vu un fantôme Vic ?

Je revenais à moi même, secouant la tête en arrachant la fiche de mon calepin. Je repris mes esprits tandis que Leila me tendit sa fiche.

- Je vais fumer, tu peux t'occuper de ça pour moi ?

Je hochais la tête, à présent nerveuse de devoir me confronter à mon professeur. Pourquoi ? Je n'en avais aucune idée, c'était totalement stupide.

Je repris la direction de la cuisine, déposant la fiche de ma première table au chef cuisinier qui s'empressa de préparer la commande tandis que je m'occupais de celle de Leila. Posant la tasse et la part de gâteau sur un plateau, je respirais un bon coup avant de me diriger vers monsieur Bennett.

- Voici votre cappuccino et votre part de gâteau au citron.

Je déposais la commande sur la table, les posant à ses côtés, tandis que ce dernier continuais de taper sur son ordinateur.

- Merci Victoria, répondit il sans quitter son ordinateur des yeux.

Je hochai la tête, tournant les talons pour partir. Cependant, il reprit la parole, m'interpellant.

- Dites moi, vous aimez la littérature ?

Je me retournais vers lui, arquant un sourcil à sa question soudaine. Si j'aimais la littérature, pourquoi voulait-il le savoir ?

- Je... bafouillai-je, je ne sais pas vraiment. Pour être honnête, je n'en ai jamais réellement fait, je n'en ai pas eu l'occasion.

Ce fut à son tour de hocher la tête, son regard quittant enfin son ordinateur pour se poser sur moi. J'avais beau le répéter, mais cette sensation, bien que je n'y sois que très rarement confrontée, était agréable. Une personne me regardait sans me juger, sans émettre d'avis sur moi, en se contentant de découvrir ce que je dégageais, et non ce que les gens avaient beau dire sur moi. J'aurais voulu que cette situation arrive bien plus souvent.

- Passez une bonne journée, et bon courage.

Je hochai à nouveau la tête, reprenant mon plateau pour partir définitivement en direction du comptoir. En relevant les yeux pour scruter la salle, je fus surprise de constater la présence des filles de la classe, celles dont l'attention ne portait que sur le professeur. Cependant, il semblait bien qu'elle porte sur moi à présent, leurs yeux étaient tous rivés sur moi.

Soupirant, je m'appuyais sur le comptoir. Je n'étais pas à une rumeur de plus créée sur moi, mais je me demandais bien ce qu'elles allaient inventer cette fois ci.


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