❦ D o u z e ❦

Certain things in life simply have to be experienced and never explained. Love is such a thing - P. Coelho

Long way down - Tom Odell

Descendant les escaliers, je m'apprêtai à partir en cours. Tout était revenu à la normale, étrangement. Mon beau père était rentré la veille, sobre. C'était étrange de le voir dans cet état. Ne voulant pas créer une troisième guerre mondiale, j'avais agi comme si de rien était, bien que c'était très difficile de faire comme si il n'était pas responsable de chaque blessure présente sur moi.

J'attrapais une barre de céréales sur le comptoir,  constatant un programme sur la table. C'était l'écriture de mon beau père, décrivant ses prochaines journées. Il comptait se remettre au sport, trouver un travail, tout un tas de belles promesses qui partiraient surement en fumée incessamment sous peu. Cependant, je saluais l'effort.

Mes yeux vagabondant dans le salon, je cherchais mon devoir de littérature que nous devions rendre aujourd'hui, un devoir important que j'avais pris le soin de faire et rédiger pendant quatre heures consécutives, une grande première pour moi. Les sourcils froncés, je ne comprenais pas. Je l'avais laissé sur la table la veille, lorsque je l'avais terminé avant de m'endormir sur le canapé. J'étais remontée dans ma chambre en pleine nuit, me mettant un rappel pour ne pas oublier le fameux devoir. Il était là, il devrait l'être.

Soudainement, je réalisais qu'il l'était, juste sous mes yeux. Prenant le programme de mon beau père en main, je le retournais, découvrant sans surprise mon devoir au dos. Je soupirais, à la fois énervée et déçue d'avoir fait tout ça pour rien. J'aurais pu le recopier mais j'avais cours de littérature en première heure ce matin, et je ne pouvais le reproduire en si peu de temps.

Capitulant, je reposais le devoir sur la table, ainsi que la barre de céréales. J'attrapais mon sac avant de partir de la maison, une boule au ventre maintenant présente en moi. C'était le deuxième travail que je ne préparais pas, enfin que je ne rendais pas, et monsieur Bennett n'allait surement pas laisser passer ça, cette fois ci. Nous serions encore une poignée d'élèves à ne pas le rendre, dans le doute concernant notre sanction.

Je rongeais mes ongles, voyant monsieur Bennett finir d'écrire le cours au tableau. La sonnerie annonça la fin de l'heure tandis qu'il nous dit au revoir, nous demandant de préparer un second devoir. Il n'avait cependant pas ramassé le premier, et je commençais à être soulagée.

- Attendez, nous arrêta t-il en refermant la porte, j'avais donné un devoir l'autre jour, je ramasse.

Je mettais ma tête dans mes mains, tandis que je le voyais attendre à son bureau que chacun lui donne le devoir en sortant. A ma grande surprise, tout le monde l'avait fait, enfin toutes les personnes présentes. Les quelques sièges vides me confirmaient que certains avaient préféré sécher.

Je me levais, regardant tout le monde quitter la salle avant de me diriger vers le bureau. Le professeur comptant le nombre de copies avant de relever les yeux vers moi.

- Où est votre devoir Victoria ?

- Je.. Je ne l'ai pas, murmurai-je, j'ai eu un problème avec et il m'était impossible de le réécrire avant le cours de ce matin, je suis vraiment désolée.

Il hocha la tête, semblant réfléchir avant de se retourner vers moi.

- Vous êtes collée ce soir, annonça t-il simplement, deux heures.

J'étais un peu surprise de la sanction, mais à vrai dire je la méritais. Et puis ces deux heures passées ici étaient bien mieux que deux heures passées chez moi, surtout si mon beau père se remettait à boire. Je savais que son programme ne serait pas respecté. Je n'étais pas de mauvaise foi ou pessimiste, juste réaliste.

- Je.. euh..

- A moins que vous ne soyez au café ce soir ? reprit il, dans ces cas là je peux les déplacer.

Ce qu'il venait de dire me prouvait qu'il ne me collait pas pour le plaisir mais bien pour autre chose. Surement pour essayer de me soutirer plus d'informations concernant l'autre soir, concernant tout ce qui se passait dans ma vie.

- Non, je n'y suis pas ce soir. Je vous retrouverais ici, après le cours de mathématiques ?

Il hocha la tête, rangeant les copies dans son sac avant de remettre son blouson.

- Je vous dit à ce soir alors, déclara t-il simplement.

Ce fut à mon tour de hocher la tête, marchant vers la sortie pour me diriger vers la prochaine salle.

J'attendais dans la salle de littérature, regardant dehors pour voir les gouttes de pluie s'abattre sur les fenêtres. Mon attention était tellement focalisée sur les intempéries que je n'entendis pas monsieur Bennett rentrer dans la salle, posant ses affaires sur le bureau. Je remarquais sa présence seulement lorsqu'il ferma la porte, la vibration résonnant dans la salle.

Je me retournais vers lui, constatant ses cheveux plaqués sur son front, par la pluie, ainsi que son manteau gouttant sur le sol, aussi mouillé que tout le reste de son corps.

- Excusez moi pour le retard, j'avais une urgence.

Je ne dis rien, me contentant de hocher la tête en le regardant retirer sa veste qu'il déposa sur le dossier de sa chaise. Il prit place sur le bureau, face à moi.

- Alors, que pensez vous de Flaubert ?

Sa question me prit de court, tandis que mes mains se rejoignaient sur mes genoux, dans un geste nerveux.

- Je.. à vrai dire je n'ai pas réellement eu le temps de le commencer pour être honnête, avouai-je en baissant les yeux, j'ai terminé votre devoir hier soir et je.. je me suis endormie, je comptais commencer le livre après avoir terminé le devoir.

Il hocha la tête, semblant plus ou moins comprendre et croire à ce que je venais de dire, ce qui était la stricte vérité. Il se pencha ensuite sur le bureau, sortant un autre livre de son sac.

- C'est un de mes romans préférés, après ceux de Flaubert, déclara t-il en posant le dit livre sur ses genoux, effleurant la couverture de ses doigts, je crois que la littérature française est ma préférée.

Je buvais ses paroles, le regardant perdu dans ce qu'il racontait, perdu dans sa passion. Il me livrait, chaque seconde passée, une information de plus sur lui, une parcelle de sa personnalité. Il posa le livre sur ma table, ce qui me fit baisser les yeux.

- Le rouge et le noir fut écrit par Stendhal en 1830. L'histoire est plutôt clichée de nos jours, mais elle était plus ou moins innovante à l'époque. Un jeune homme issu d'un milieu plutôt modeste rêve de nouveaux horizons, il veut accomplir de grandes choses, grâce à la littérature. Il marqua une pause. Il est très inspiré par Napoléon, l'empereur français de l'époque, et rêve d'embrasser une carrière similaire à la sienne. Cependant, il se fera engager chez le maire de la ville, ainsi que sa femme dont il tombera éperdument amoureux. Ils auront leur histoire malgré l'interdit qu'elle dégage. Malheureusement, cet adultère est dénoncé au mari de cette femme et tout ce qui s'en suit est un torrent de péripéties que vous découvrirez si vous le lisez.

Ce fut à mon tour de poser les doigts sur cette couverture. Cet auteur était donc précurseur de l'adultère, enfin de cette histoire si clichée d'amour interdit entre un homme et sa patronne mariée. Je trouvais ça presque fantastique, dans le sens où ce livre devait surement donner une morale sur ce type de relation dans lequel les limites avant de franchir l'interdit sont minces.

- Qu.. Quelle est la morale de cette histoire ? demandai-je, selon vous ?

Monsieur Bennett sembla réfléchir un court instant, ses yeux regardant le plafond et ses doigts touchant sa barbe naissante.

- C'est une question plutôt difficile, avoua t-il. Selon moi, Stendhal, dans cette oeuvre, établit une critique de la société française, qu'on peut facilement assimiler à la société en général. On se retrouve face à une confrontation entre deux classes sociales qui au final vont finir par franchir toutes les barrières sociales que la société aurait pu leur imposer.. Je ne saurais vous dire ce qu'à pensé Stendhal en écrivant et imaginant cette liaison entre les deux protagonistes, à vrai dire, je n'ai jamais réellement réussi à expliquer ce roman.

Je hochai la tête, remarquant seulement que la pluie avait cessé de tomber.

- Je pensais vous redonner une chance, concernant un devoir à me rendre. J'aimerais que vous puisiez en vous en choisissant une émotion bien particulière : la peur, la joie, l'envie, la colère, peu importe. Je veux que vous me décriviez cette émotion, comme vous la percevez, à quel degré elle est présente en vous, et surtout, qu'est ce qui la motive, principalement.

Mon coeur se mit à battre bien trop rapidement, la panique me gagnant au fil des secondes. J'aurais mieux fait de rendre ce foutu devoir de commentaire. Il me demandait clairement de coucher sur le papier de façon complète une émotion, quelle qu'elle soit. Il voulait que je me livre à lui, entièrement. Mais je ne pouvais refuser, je ne pouvais pas le laisser croire que j'étais de mauvaise foi.

- D'accord, quand devrais-je...

Je fus interrompue par la sonnerie de son téléphone, dans la poche de sa veste. Il s'excusa, s'empressant de prendre le cellulaire, fronçant les sourcils en voyant le nom affiché sur l'écran.

- Dana ? Qu'est ce qui se passe, je t'ai dit que je bossais plus tard ce soir.

Je n'entendais pas la réponse de sa petite amie, mais je me doutais que ça n'avait pas plu à mon professeur puisque ce dernier soupira.

- Personne ne peut te ramener ? D'accord, j'arrive, appelle une dépanneuse en attendant.

Il raccrocha quelques minutes après tandis que je bougeais mon regard, prétextant ne pas avoir prêté attention à leur conversation.

- Je suis désolé Victoria, soupira t-il, Dana est tombée en panne et elle panique totalement, je vais devoir aller la rejoindre au plus vite.

Je hochais la tête, me levant pour attraper mes affaires.

- Quand devrais-je rendre ce devoir ?

- Je dirais dans une semaine, afin que vous ayez le temps de le préparer entre votre travail et.. et votre vie. Ça vous convient ?

- C'est parfait, merci.

Je le saluais avant de me diriger vers la porte, cependant, il m'interpella.

- Le prochain test concernant le concours se déroulera au retour du week end, dès lundi midi. Ce sera un test écrit cette fois ci.

Je hochais la tête, me souvenant de ce concours.  J'avais plus ou moins réussi à l'oublier, le temps de cette journée.

- Vous rentrez seule ? Je peux vous..

Ma réaction fut immédiate, le coupant dans son élan.

- Quelqu'un vient me chercher, mentais-je avec un faux sourire, merci.

Puis je quittai la salle, sans perdre une seconde de plus, le laissant abasourdi par la rapidité à laquelle j'avais répondu, et à la manière dont j'avais fui. C'était plus fort que moi.


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