❦ D i x ❦
❝ We can't tear out a single page of our life, but we can throw the whole book in the fire ❞ - G. Sand
♪ Run - Leona Lewis ♪
Regardant mes pieds, je continuais mon chemin jusqu'à chez moi. Je tapais frénétiquement dans une pierre, tentant de l'envoyer le plus loin possible, en vain.
Maintenant que je me retrouvais seule, face à moi même, je réalisais l'enfer que cette journée avait pu être. J'en avais connu, des journées horribles, mais celle là les surpassait toutes.
La soirée d'hier me revenait en mémoire, tandis que je fermais les yeux, ressassant les coups de mon beau père, la peur, la douleur causée. Mes mains frottèrent mes avant-bras, dans le but de me réchauffer, mais ma seule réaction fut de grimacer au contact de mes bleus.
L'horreur du cours de sport de ce matin, la haine que j'avais vu dans les regards, la moquerie, le dégout. Tout cet acharnement, je ne le comprenais pas, je ne savais pas à quoi il était du, et à vrai dire, je ne le saurais probablement jamais. Cependant, j'avais tout de même espéré que la journée s'améliore, en vain.
Cet espoir avait commencé à renaitre lorsque j'avais rencontré ce garçon, qui semblait comme moi, perdu. En y repensant, il était plutôt charmant, et surement très gentil. Néanmoins, il devait ignorer ma réputation, et ce que les gens disaient de moi. Encore une chose qui n'allait pas durer.
De toute façon, j'avais du l'effrayer. Le sentiment qui était passé dans ses yeux à la vue de l'état de mes bras n'était pas passé inaperçu. Et pour être honnête, j'aurais réagi pareil. Mais je ne lui avais même pas laissé le bénéfice du doute, j'avais préféré fuir, ne voulant pas affronter un autre regard, ne voulant pas qu'on me demande d'expliquer l'origine de ces marques.
J'avais retrouvé un peu de calme et de sérénité lors de cet après midi à la bibliothèque, et bien que tout ce que j'avais fait m'avait lessivée, j'étais fière de moi, pour une fois. Je ne m'attendais cependant pas à me faire agresser une nouvelle fois en ressortant de la bibliothèque. Je savais que ces filles avaient du vice, qu'elles étaient prêtes à tout, mais je n'aurais jamais imaginé qu'elles m'attendraient en sortant de la bibliothèque. Il ne fallait pas être un génie pour deviner que j'étais officiellement le souffre douleur de l'année.
Monsieur Bennett avait lui égayé ma journée, contrairement à ce que l'on pouvait penser. Certes, nos derniers mots ne m'avaient pas mise en confiance, mais cet homme m'avait fait penser à autre chose le temps d'un instant. Et je n'arrivais pas à me retirer de la tête l'image de lui, parlant de sa passion. Beaucoup de gens étaient intéressés dans certaines choses spécifiques, que ce soit le sport, l'art, ou même la mode. Je n'avais jamais connu tout cela, car chacun de mes rêves s'était brisé au fil des années.
Ma famille n'avait jamais eu l'argent nécéssaire pour m'inscrire à un cours de danse ou même une séance de dessin, et je ne leur en voulait pas. J'avais toujours assisté, impuissante, au bonheur des autres et à leur réussite. En vérité, j'aurais pu être contente pour eux. Cependant, je ne voyais pas l'utilité d'exprimer de la joie pour des gens qui ne me considéraient pas.
On m'avait détestée dès mon plus jeune âge, et au fur et à mesure que les années avançaient, c'était resté. Chaque nouvel élève était mis au courant, sachant dès son premier jour que j'étais la personne à ne pas fréquenter. Avec les années, on s'y faisait, mais j'étais toujours triste de constater que chacun souhaitait rentrer dans les moules pour se faire des amis, personne n'osait "transgresser" l'interdit, et c'était pour cela que je n'avais jamais eu d'amis.
J'arrivais enfin devant la maison, réempruntant mon chemin de ce matin pour parvenir à ma chambre. Arrivée dans cette dernière, je retournais à la fenêtre pour remarquer un détail inhabituel. La voiture de mon beau père n'était plus dans l'allée, signe qu'il n'était pas ici.
Restant tout de même sur mes gardes, j'ouvris ma porte de chambre, constatant un silence glacial dans le couloir de l'étage. Le vieux parquet craquait sous chacun de mes pas, empêchant toute discrétion. Après quelques minutes, je décrétais que la voie était libre, retournant dans ma chambre pour prendre quelques affaires et m'enfermer dans la salle de bain. Cependant, quelque chose m'en empêcha.
- Victoria, murmura la voix de ma mère, c'est toi ?
Sa voix était faible, tellement que je n'arrivais pas à déterminer sa provenance. M'aventurant dans le couloir, je l'appelai.
- Maman, où es tu ?
- ici.
Je me dirigeais vers sa voix, trouvant avec stupeur ma mère au sol, dans la buanderie. Je m'accroupissais à ses côtés, remarquant la tâche de sang sur l'ourlet de son t-shirt et l'oeil au beurre noir qui semblait guérir. Ma main souleva son t-shirt, constatant une plaie peu profonde mais encore fraiche.
- Que s'est il passé ? Où est-il ?
Ma mère attrapa ma main, la serrant dans la sienne. Bien que je lui en voulais pour tout ce qu'elle nous faisait subir avec cet homme, c'était ma mère. Et ses blessures étaient comme les miennes, je souffrais à l'idée de la voir dans cet état et réaliser que j'étais impuissante.
- Je.. Il est parti acheter des bandages, il m'a blessée avec un couteau parce qu'il était en colère mais.. c'est pas grave. L'important.. c'est que tu sois en vie, et que tu ailles bien.. Il vient seulement de partir, donc dépêche toi de faire ce que tu as à faire et prend tout ce dont tu as besoin dans ta chambre, il n'ira pas vérifier si tu y es.. Fais toi le plus discrète possible, et reviens demain, il sera calmé, il regrette ce qu'il t'a fait..
Une partie de moi avait juste envie de rire à l'absurdité de la situation, mais je me retenais au vu de l'état de ma mère. Il regrettait ? Sincèrement ? Il disait ça lorsque son état d'ébriété était retombé, qu'il se trouvait dans ses dix minutes de sobriété quotidienne avant de redevenir totalement ivre.
- Maman, pourquoi nous ne partons pas, pourquoi on prend pas la fuite avec Sasha une bonne fois pour toutes ?
- Tu sais que ce n'est pas possible ma chérie.. il nous retrouvera toujours..
- On peut le faire arrêter ! Pour tout ce qu'il nous a fait il pourrait aller en taule, je..
Je fus interrompue par la sonnerie du cellulaire de ma mère, posé à ses côtés. Je le saisis, constatant un numéro inconnu sur l'écran. Ma mère l'attrapa d'une main faible, le portant à son oreille après avoir décroché.
Pendant que son interlocuteur parlait, son visage n'exprimait rien, aucune émotion. J'étais entièrement curieuse de savoir ce qui était dit, mais j'attendais.
- D'accord monsieur, murmura ma mère, bonne soirée à vous aussi.
Je la regardais, attendant qu'elle me dise ce qui se tramait avant que j'ailles chercher de quoi la soigner, son sang commençant à tacher son pantalon. Cette dernière reprit ma main dans la sienne, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres.
- Il a été arrêté pour conduite en état d'ivresse, déclara t-elle, ils verront si il peut sortir demain mais ils souhaitent le garder en cellule de dégrisement ce soir..
J'avais envie de sauter de joie, de hurler, mais je ne fit rien, me contentant de hocher la tête et m'éclipser dans la salle de bain. Je fouillais dans les placards, mettant rapidement la main sur une boite de bandages. Il était tellement incompétent qu'il n'avait même pas vérifié si il n'y en avait déjà pas à la maison. Revenant vers ma mère, je m'occupais de sa plaie, nettoyant le sang ayant coulé sur sa peau.
J'avais envie de parler à ma mère de ce concours d'écriture, et de tout ce qui s'était passé aujourd'hui, mais nous n'avions pas cette relation là, nous n'étions pas proches à ce point. Et la connaissant, elle me dissuaderait de le faire, me rappelant où est ma place, et le peu de capacités que je possède.
- Tu as l'air exténuée, constatai-je en l'aidant à se relever, tu devrais aller te reposer, avant que tout ne recommence.
Elle hocha la tête, s'appuyant sur moi pour se redresser. Ce moment était représentatif de mes dix huit ans d'expérience. Ma mère prenait appui sur moi depuis que j'avais été capable de comprendre la situation dans laquelle nous vivions. Mais j'encaissais, et j'encaisserais encore le temps qu'il fallait pour nous sortir de là, du moins pour me sortir de là.
J'en étais consciente, c'était égoïste de ma part. Ma mère ne semblait pas résignée à faire un pas pour sortir de cette foutue situation, et je la comprenais, elle avait peur. Mais j'avais seulement dix huit ans, et je voulais découvrir plus de choses sur la vie, sur le monde, des choses que je ne verrais probablement jamais en restant ici.
Je l'aidais à arriver jusqu'à son lit, l'aidant à remettre des vêtements propres et se coucher. Elle me remercia, s'endormant presque immédiatement. Je la laissais, fermant la porte avant de retourner dans la salle de bain.
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Assise dos au mur, dans mon lit, j'étais incapable de trouver le sommeil. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était, et seul le soleil commençant à se lever pouvait m'indiquer qu'il était tard dans la nuit, ou même plutôt très tôt le matin.
Je repensais au concours d'écriture, qui n'avait pas quitté mon esprit. J'allais aller à ce foutu test, et lui montrer que je n'étais pas digne d'un tel privilège. Il allait arrêter de croire en moi, arrêter de voir en moi ce que je ne suis pas. Descendant de mon lit, je me rendis dans la cuisine, cherchant d'autres somnifères étant donné que les miens avaient été écrasés contre le sol des vestiaires.
Je regardais l'heure, réalisant que je me levais dans trois heures. Je remerciais silencieusement le lycée de m'avoir fait commencer plus tard aujourd'hui. Attrapant une boite de cachets, j'en fis glisser deux dans ma main. Mais au moment où je m'apprêtais à les avaler, la scène de la bibliothèque me revint en mémoire, suivie par celle des vestiaires, les mots des filles résonnant comme un écho en moi.
- Si tu pouvais disparaitre, ça nous ferait le plus grand bien.
Ces mots ce répétaient encore et encore. Ma main agrippa fermement le bord du plan de travail, mes yeux tentant de se retirer les images de cet affreux moment. Mon souffle était saccadé, mes membres tremblaient, je voulais en finir avec tout ça.
La solution se trouvait peut être dans mes mains. Je regardais la boite de comprimés, la retournant pour renverser son contenu. Il suffisait juste de prendre ces quelques médicaments et le tour était joué. Je ne manquerais à personne de toute façon, c'était ce qu'ils voulaient, tous sans exception. C'était comme si à ce moment là, de simples petites questions persistaient. Devais-je rester ? Devais-je partir ? Devais-je lâcher prise et ne plus rien ressentir ? Devais-je me battre ?
Mes doigts tremblants saisirent quatre cachets supplémentaires, les approchant de ma bouche. Je les déposais sur ma langue, fermant les yeux pour les avaler. Je pouvais le faire, après tout ça, tout serait fini. Je m'imaginais déjà la fin de cette souffrance, la paix que j'allais connaitre, mais soudainement, le visage de ma soeur apparut devant moi, en pleurs.
Je recrachais les médicaments, reprenant mon souffle. J'étais lâche, je le savais, mais je ne pouvais abandonner la seule personne qui croyait en moi, la seule personne qui m'aimait ici. Je ne pouvais pas être égoïste à ce point, je ne pouvais pas partir en la laissant seule, sans repère. J'aurais voulu avaler ces cachets, j'aurais voulu mettre fin à tout ça. Mais j'en étais incapable, et j'en serais incapable toute ma vie tant que Sasha serait à mes côtés.
Me laissant retomber contre le comptoir de la cuisine, je m'effondrais, réalisant que j'avais faillit faire la plus grosse erreur de ma vie, j'avais faillit donner à tous les gens qui me détestaient une satisfaction sans pareille. J'avais faillit gâcher la vie de ma soeur en mettant fin à la mienne. J'avais faillit rompre mes engagements.
J'étais incapable d'abandonner ma soeur, même pour mon simple bonheur.
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