Oserons-nous ?
« Pourquoi tu fumes parfois ? qu'elle me demande alors que nous sommes allongées dans l'obscurité de ma chambre.
– Quand je suis mélancolique, ça m'arrive. Ça me rappelle mon père, mort d'un cancer des poumons quand j'étais au lycée. J'étais tellement mal que j'ai voulu mourir comme lui. Bon ben ça a pas bien marché, mais j'ai toujours envie par moments. Comme un hommage ou le convoquer auprès de moi, je sais pas.
– Moi c'est au lycée que j'ai appris que j'étais lesbienne et plutôt ace.
– Ah ?
« Oui, avant je me considérais comme aromantique. Enfin, j'avais pas les mots, mais comme j'étais jamais tombée amoureuse d'un mec... Bref, le coup classique. Et donc, dans les vestiaires, je racontais ça quand on me demandait sur qui je crush, tu vois ? Et ya une meuf qui dit ''ah moi non plus, j'ai jamais aimé quelqu'un.'' Bon bah on s'est rapproché et on a appris.
– Mignon !
– Mais tu vois, elle voulait faire du sexe et moi pas. Enfin, si, par curiosité, mais c'est tout. J'avais pas cet... le ventre qui grouille, tu vois ?
– Bien sûr.
– Donc j'ai testé, c'était sympa, mais j'ai pas trop voulu m'y remettre et mon ex a pas trop aimé ça et voilà. J'ai cherché en ligne si c'était normal, de pas aimer le sexe, et c'est comme ça que j'ai trouvé mon étiquette. En vrai, ça m'arrive d'avoir envie, mais c'est en phase hypomaniaque – en phase haute, d'excitation générale.
– Je vois. Moi, ma première fois, c'était un peu pareil... »
Le souvenir du premier amour de Jane
Elle s'appelle Jade et c'est ma meilleure amie. Genre comme dans les memes historiques. On est super proches, très tactiles, mais c'est normal entre meufs. On se tient la main, on se dit « je t'aime » à tout bout de champ, normal, très normal. Bien sûr, nos parents commencent à nous regarder de travers parce qu'on est plus des collégiennes, mais ça passe parce qu'on se connaît depuis longtemps.
Le pire, c'est que c'est ma mère qui a lancé tout ça. Elle est venue me voir un matin alors que je me brossais les cheveux pour me parler.
« Ma fille, tu sais, tu me parles pas beaucoup de garçons.
– Oh, ils ne m'intéressent pas trop.
– Tout de même, moi à ton âge, je leur courais après.
– Grand bien t'en fasse.
– Je me demandais si tu aimais pas les filles. »
Je me fige à ces mots. La possibilité – merci l'hétéronormativité – ne m'avait pas effleurée. J'ai tout de suite pensé à Jade, mais je n'ai pas eu le temps d'aller plus loin dans mes réflexions.
« Non parce que si c'est le cas, il faut me le dire, c'est important. »
J'ai senti la menace sous-jacente. Aimer les mecs = ok, normal, à faire ; aimer les meufs = tout l'inverse. Alors je hoche juste la tête.
« Tu peux me faire confiance. »
Qui m'a glacée.
Le soir même, je dors chez Jade, comme tous les deux jours ou presque et je lui parle de cette discussion qui m'a fait si peur. Sa mère lui a fait le même topo, m'apprend-elle.
Alors on se met à chuchoter, dans l'obscurité de sa chambre, effleurée par le voile orangé d'un lampadaire. On sait l'interdit.
« Tu crois que c'est possible d'aimer une femme ? je demande.
– Ben oui, j'ai regardé sur internet. Lesbienne. Ça s'appelle être lesbienne. Ya même une catégorie porno pour ça. »
Je rougis très fort. Même dans la pénombre, Jade le voit.
« Et donc, commencè-je pour montrer que j'avais du courage, elles peuvent faire du sexe ?
– Ben oui.
– Oh waw. »
Je conscientise à ce moment-là, à ce moment où le fait d'être lesbienne devient concret. Deux femmes peuvent se toucher. Deux femmes peuvent s'aimer, d'accord, mais c'est des sentiments, comment les prouver ? Mais deux femmes peuvent faire l'amour, ça c'est réel, ça c'est vrai. J'ai pas le temps de m'en empêcher :
« Et tu voudrais faire du sexe de lesbienne ? »
Jade me regarde bouche bée. Se demande si ce n'est pas une proposition.
« Comme quand en primaire on s'était embrassées ? Qu'est-ce qu'on s'était fait engueuler ! s'exclame-t-elle.
– Oh ouais, horrible !
– Heureusement que la maîtresse avait rien dit aux parents...
– Oui, sinon...
– Sinon ?
– Peut-être que nos parents nous laisseraient plus dormir ensemble.
– Ça serait dommage.
– Voui. »
Ce silence. D'abord peuplé de nos souvenirs communs. Nos nuits à faire n'importe quoi jusqu'à pas d'heure, à discuter, lire, jouer... Et puis, la possibilité d'une autre chose se glisse entre nous. On la lit dans le regard de l'autre, toute proche. J'ai la gorge sèche et je me demande si elle va le sentir. Parce qu'on va s'embrasser, c'est une évidence, il suffit d'un mouvement. Je tends l'oreille vers la porte. Pas un son. Nous sommes seules dans sa chambre et j'ai envie de l'embrasser plus fort que tout ce que j'ai jamais voulu.
« Toi aussi ? elle demande pudiquement. »
Je hoche la tête. Elle a le plus immense sourire que j'ai jamais vu. Un sourire d'enfant émerveillé sur une tête d'adulte. Alors on se penche l'une vers l'autre, nos nez se frottent, je penche la tête, nos lèvres... ses lèvres contre les miennes, au goût de rose. Mes lèvres mouillées par sa salive. Mon souffle aspiré par ses lèvres. Elle pouffe heureuse, je lui souris en retour.
Et nous recommençons.
Plus intense.
L'arrière de son crâne sous ma main. Sa langue sur mes lèvres. Sa langue. Son cou sous mes lèvres. Son souffle qui accélère. Ses seins. Son premier gémissement qui est aussi le mien. Sa main sur un de mes seins. Sa main plus bas. Si chaud. Je tremble. Couvre ma bouche de ma main. Jouis, pour la première fois. Humide. Puis elle. Ahanements. Sourires. Me blottir dans ses bras. Une joie si profonde qu'elle se diffuse dans tout mon corps.
Je n'ai pas peur qu'on nous découvre.
Fin du souvenir du premier amour de Jane
« ... Mais c'était quand même bien. »
Nous hochons la tête de concert.
« Et tu regrettes pas après, quand tu péchotes pendant tes phases hautes ?
– Non ça va. Je suis toujours moi, après tout. Juste plus... intense et énergique et déconcentrée.
– Tant mieux. »
Je pose ma main sur la sienne et je la sens sourire.
« Mais par contre, ça me tue, dans ces moments-là, de pas pouvoir aller dans les étoiles. »
Sorte de courtes blagues ; ici il est fait référence au fait que nombre de couples probablement lesbiens sont représentés comme des amies partageant la même chambre.
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