Au loin

« J'AI TROUVÉ UNE FAÇON ! hurle-t-elle au téléphone. »
J'écarte mon oreille et lâche un « hmm hmm ? » précautionneux.
« Ya cette start up, aptement nommée ''Star Up'' qui a trouvé une façon de voyage dans l'espace ultra rapide, à 99,999999999999% de la vitesse de la lumière ! Globalement, ça part d'une technologie qui déforme l'espace-temps de manière assez stylée et complètement incompréhensible, mais bref, le plus important, c'est qu'iels cherchent des gens pour peupler leurs vaisseaux !
– Quoi ? Mais -
– Je t'explique, attends. Donc. Le corps humain peut pas survivre à l'accélération et la décélération brutale qui permet d'atteindre cette vitesse (sinon, il faudrait lllllleeeeeennnntement accélérer et ralentir et ça servirait à rien). Bref. Iels ont trouvé un moyen de modifier le corps humain pour survivre à ça. Ça s'appelle la papiérisation et du coup l'équipage sera constitué de papyronaute haha. »
Je me demande sincèrement si elle n'est pas en phase haute, légèrement délirante, comme ça peut arriver. Je prends donc encore plus des pincettes pour la suite.

« Et la papiérisation, ça consiste en quoi ?
– Globalement, on photocopie ton corps avec un scanner pour le transformer en feuilles de papier. Là, on t'entasse et on te remoule plus loin ! Iels ont testé avec des animaux, aucun souci, ce sont toujours les mêmes, avec les mêmes traits de personnalité et tout ! Ça marche donc vraiment !
– Sans aucune séquelle ?
– Non !
– Eh bé.
– Olala, je suis trop excitée !
– Et comment iels gagnent des thunes dans l'histoire ?
– Oh, une fois sur place, on devra leur envoyer des ressources pendant un certain temps avant de pouvoir faire comme on veut.
– Oula, ça pue un peu, ça !
– Non mais on s'en fout, je vais pouvoir VISITER les ÉTOILES, MEUF ! J'ai une boule disco dans la poitrine, lààà !
– J'ai bien compris, j'ai bien compris. Faudra bien lire les lignes du contrat si tu t'engages là-dedans.
– Compte sur moi !
– Bon, on en reparle à la maison ? »

Elle semble plus calme le soir, même si elle m'évoque plus un ressort attendant qu'on le lâche pour bondir au loin. J'aborde le sujet au milieu d'une salade froide de pâtes au tofu fumé et maïs :
« Bon, c'est quoi cette histoire de papyronaute ? Mais calmement.
– Une expédition interstellaire avec un processus chelou de hm décomposition ? du corps. Mais ya recomposition après, à l'identique.
– Oki, je vois.
– Et tout ça a été largement testé. Ya même, ai-je appris en les appelant, un humain qui s'est porté volontaire, et rien à signaler. Tout va bien. Juste une légère désorientation passagère.
– Ça a l'air d'être très chouette tout ça, mais je sais pas, je le sens pas. Je préférerais que tu attendes le prochain trajet, s'il y en a un.
– Mais meuf, là c'est l'opportunité d'une vie d'être enfin une des premières à faire quelque chose ! Ça se trouve le prochain voyage sera pas de mon vivant, peut-être que ça sera pas assez rentable et qu'iels nous laisseront nous débrouiller avec le minimum pour notre survie, je sais pas, mais je m'en fiche, je veux en être. Je veux être la première gouine ace psychatrisée de l'espace, à poser le pied sur une planète étrangère. Tu peux comprendre ça ?
– Je... »

Et alors que tout se bouscule en moi, les objections et les peurs, l'excitation, le fait de ne plus la revoir, jamais ; je me rends compte que je suis égoïste. Je ne veux pas la perdre parce que je l'aime. Même si une couche de rationalisation essaie de se caler dessus (où est l'embrouille ? Yen a forcément une), je veux juste qu'elle reste avec moi, même si ça la rendra triste.
Je ne l'aime pas assez pour qu'elle soit heureuse loin de moi.
Je referme la bouche, emplie d'un iceberg.
Secoue la tête négativement.
Emmie pose lentement sa fourchette. Déglutis. Je sais ce qu'elle s'apprête à dire, au mot prêt. Ce n'est plus que du théâtre à présent. Sortir ses répliques, faire une bonne scène.

« Si on ne se comprend pas, si tu ne peux pas me soutenir, alors il vaut mieux qu'on arrête là. Je veux, j'ai besoin de vivre ça, d'aller dans l'espace. Si on est pas d'accord sur nos objectifs de vie, alors... Je pensais pouvoir compter sur toi, avoir un lien, mais tant pis. J'irai seule, avec les autres papyronautes. Il vaut mieux qu'on arrête là. »
Je hoche la tête.
« Je comprends. Tu veux quand même finir le repas ?
– Non je crois que je vais rentrer chez moi. »
Je hoche à nouveau la tête. Elle se lève, prend son manteau, met ses chaussures – grands dieux, pourquoi est-ce si long de mettre des lacets –, me regarde, l'air déçue. Et triste jusqu'à la poitrine. Je sais qu'elle pleurera silencieusement en descendant les escaliers et puis à gros bouillons une fois rentrée.
Moi, ça sera en serrant mon oreiller fort.


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