Au bout du doigt

Elle a toujours voulu être cosmonaute, c'est la troisième chose qu'elle m'a dite :
« Salut, moi c'est Emmie, et toi ?
– Jane, enchantée.
– Ça va ?
– Oui et toi ?
– Ça va. Je voudrais être cosmonaute, et c'est pas pour te décrocher une étoile (encore que...) ; toi tu fais quoi de ta vie ? »

Un début de conversation des plus banales sur un site de rencontre. Trop directe, trop bizarre aussi. J'ai failli la supprimer, et puis la curiosité. Savoir qui se cache derrière les mots creux et pourtant plein d'espoir.
« Cosmonaute ? Wahou ! Je suis diététicienne en clinique. »
C'était parti comme ça.

Le premier date s'est déroulé en haut de la Bastille, lieu venteux abritant un parking, quelques arbres à l'écorce blanchie et une vue à se damner sur le Vercors et les Écrins. J'ai craqué et fumé une clope pour l'occasion (sexy ou repoussant pour elle, difficile à dire à ce stade), à mesure que le soleil descend et nimbe les rocs nus d'orange, comme une robe de mousseline. Comme un hommage à l'astre, un petit feu au bout de mes lèvres. Toujours, nous discutons avec enthousiasme.

« Qu'est-ce qui te donne envie d'aller dans ce grand vide ? demandé-je en indiquant le bleu intense au-dessus de nous.
– Ah ! T'es marrante ! C'est pas vide, regarde ! »
Elle m'indique une étoile.
« Elle est à des milliers d'années-lumière.
– Et pourtant, elle est là quand il aurait pu ne rien y avoir. Et tout à l'heure, il y en aura des millions, à perte de compte.
– C'est vrai.
– Quand j'étais petite, je voulais me baigner dans la Voie lactée.
– Adorable ! Moi je m'occupais des animaux de mon jardin, je mettais de la nourriture pour les oiseaux, hérissons et autres joyeusetés de passage.
– Adorable aussi. »
Nous nous regardons, sourire en coin. Pensons au même moment que le date se passe bien. Et la nuit tombe.

Allongées dans l'herbe rase mais tendre. Un plaid sur nous, peut-être qu'on se tiendrait la main, et elle me montre les constellations par des vagues de la main avec assez d'enthousiasme pour que je me sente chaude dans la poitrine alors je me contente de sourire et d'attendre que la contemplation l'absorbe pour lui demander de la pulpe des doigts.
« Mais on peut pas voir Proxima du Centaure. C'est si ironique de pas pouvoir voir sa voisine. J'aimerais poser les pieds sur Proxima du Centaure B un jour. Un jour. Seulement un peu de plus de quatre années-lumière.
– Et moi j'aimerais poser les mains sur tes joues. »
J'ai craqué.
Elle se tourne vers moi. Les étoiles se reflètent dans ses yeux, elle en au fond de la rétine. Des étoiles dans les yeux, littéralement.
« Et ensuite, souffle-t-elle, tu ferais quoi ?
– J'arracherai ton souffle de ta poitrine comme le vide intersidéral.
– Ça me plaît. »

][*][

Tout est temporalité, instant. Viber, c'est être capable de s'enrouler dans le moment comme les dansereuses et leur ruban. Il y a un temps juste pour tout, et c'est savoir s'y plonger qui fait qu'une personne réussit ce qu'elle entreprend. J'ai frôlé cette microseconde, avec le bon ton et maintenant j'ai son goût sur mes lèvres.
Rêveuse.
Ce n'est pas un engagement, je le sais, mais :
« Tu veux venir chez moi ?
– Pour discuter, faire des câlins et dormir uniquement, je suis sur le spectre ace, quelque part dans ce grand flou du désir globalement absent. C'est aussi pour ça que je pense que je ferai une bonne cosmonaute. »
Je ris franchement et l'embrasse et pense à ma chance et remercie moi du passé de lui en avoir donné une.


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