Hugo
Hugo Weasley arriva à Poudlard comme tous les élèves de Poudlard : surexcité, anxieux, impatient, émerveillé... C'était un enfant comme les autres, et dans des circonstances différentes, dans un contexte différent, il aurait peut-être pu devenir autre chose. Il aurait pu devenir l'un de ces élèves populaires et souriants comme l'était James Potter. Il aurait pu devenir comme n'importe lequel de ces jeunes sorciers qui se trouvaient simplement heureux d'être là, heureux de faire partie de cette grande famille qu'était Poudlard, et de cette grande aventure qu'était le monde sorcier.
Seulement voilà, bien souvent, les circonstances décident autrement. Les circonstances décident pour nous, et il devient difficile de savoir, avec le temps, quelle était la responsabilité de chacun dans les évènements qui se sont déroulés.
Le plus horrible dans ce concours de circonstances, dans cet enchainement d'évènements si précipité qu'il semble inéluctable, c'est que bien souvent, tout part d'un petit rien. Comme Harry Potter qui rencontre Drago Malefoy dans une boutique de vêtements et en retire une mauvaise impression. Comme Harry Potter qui refuse une poignée de main, et tout à coup, sept ans plus tard, on se retrouve au milieu d'une guerre à se faire face, en tant qu'ennemis mortels...
Tout part de petits riens, une chute de petites pierres en apparence anodines, et qui s'accumulent et forment une avalanche, jusqu'à ce que tout devienne incontrôlable.
C'est ainsi que l'on pourrait décrire la relation entre Hugo Weasley et Scorpius Malefoy. Une mauvaise impression, une succession de petits évènements qui, petit à petit, à mesure que les deux garçons grandissaient et que la pression sociale augmentait, se sont retrouvés pris dans un engrenage qu'ils ne maitrisaient plus eux-mêmes. A quel moment nos actes cessent-ils d'être les nôtres ? A quel moment notre libre arbitre cesse-t-il de nous appartenir, pour devenir la propriété d'un groupe, d'une opinion, des attentes que l'on place en nous et de l'image que les autres en retirent ?
Hugo Weasley n'était pas quelqu'un de méchant. Ce n'était pas un psychopathe en puissance ou un garçon fondamentalement mauvais. Rien qu'un enfant, élevé dans de mauvaises circonstances sous la pression d'un parent aux idées mal avisées.
Au moment d'entrer à Poudlard à l'âge de onze ans, Hugo Weasley était le fils d'Hermione Granger et de Ron Weasley. Hermione était une mère aimante, calme, patiente, assez sévère mais juste, préoccupée par l'éducation de ses enfants. Ron contrebalançait ce côté trop sage et organisé par sa désinvolture habituelle, son humour, sa décontraction. Mais Ron était aussi autre chose. Comme Harry, il était devenu Auror après la guerre. A l'inverse d'Harry, sa famille portait le deuil d'un proche direct.
Bien sûr, on dit que le temps guérit toutes les blessures, et Ron finit par guérir avec le temps. Mais certaines blessures guérissent mieux que d'autres. Certaines blessures laissent une cicatrice claire et bien nette, blanche, lisse, qui reste simplement l'empreinte d'un passé dont on a su s'affranchir. D'autres, au contraire, laissent une boursoufflure molle, rouge et gonflée, un sillon horrible gravé dans la chair, et qui jour après jour nous rappelle ce que l'on a enduré et ceux qui nous l'ont infligé.
Pour Ron, la mort de Fred était ce type de blessure, ce type de cicatrice. Même s'il parvint à s'en remettre avec les années, il en garda une rancœur qui ne cessa de grandir, de mâturer, de germer, et le métier d'Auror devint pour lui un exutoire à la haine de ceux qui l'avaient fait souffrir.
Ron devint Auror pour se venger. Ron devint Auror pour capturer et massacrer du Mangemort, et la société qui se forma après la guerre lui donna raison. Toutes les lois promulguées, tous les articles publiés, et l'opinion public en général, l'encouragèrent dans la voie de revanche et de justicier qu'il s'était choisi. Muni de son insigne officiel, Ron se sentait même porté par la gloire. Encensé, soutenu dans son bon droit, et il développa peu à peu le sentiment le plus dangereux qui soit : l'exultation. La jubilation. Le sentiment des victimes qui deviennent bourreaux.
Ron se prononça publiquement en faveur des projets de lois qui visaient à discriminer et opprimer les anciens partisans de Voldemort et leurs familles. Il devint partisan d'une politique très dure, que le gouvernement entérina. Au quotidien, il exerça son travail avec zèle, autorité et rigueur. Très logiquement, il éprouvait pour la famille Malefoy le plus grand mépris, et Hugo Weasley grandit ainsi dans cet environnement précis : fils d'un père célèbre, héros de guerre, nimbé d'une aura immense, distillant quotidiennement ses idées et ses opinions sur ses enfants plus jeunes.
Hermione, en contrepartie, s'inquiéta bien évidemment des opinions de son mari. Elle fut toujours là pour tempérer ses ardeurs auprès des enfants, mais Ron et elle évitèrent de se disputer sciemment à ce sujet. Sans doute parce qu'Hermione savait la blessure trop profonde. Et puis de toute façon, ce n'étaient que des mots, pas vrai ?
Rose Weasley grandit pour être une enfant calme et paisible, studieuse, davantage préoccupée par son propre monde que par celui de son père. Aussi Hermione ne se fit-elle pas trop de soucis à son sujet. Hugo, en revanche...
Hugo était un petit garçon influençable. Comme tous les enfants, il voulait plaire à son père, le rendre fier de lui. Comme tous les enfants, il était intimidé par l'héritage de la guerre et par la réputation de son paternel. Il éprouvait pour lui de l'admiration, du respect et un soupçon de crainte. Car Ron Weasley lui apparaissait comme quelqu'un d'absolu, qui avait tout vécu. Quelqu'un aux opinions si tranchées qu'il serait facile de lui déplaire et de perdre son estime à jamais. Hugo ne voulait pas décevoir son père...
Aussi, lorsqu'il entra à Poudlard à l'âge de onze ans, Hugo fut-il fier d'être réparti à Gryffondor comme son père et la majorité de sa famille avant lui. Comme tous les autres élèves, il rit, il serra les mains de ses nouveaux amis, et il partit rejoindre son cousin James Potter qui promettait déjà de le faire profiter de tout son cercle d'amis. Au même titre que les Potter, le nom des Weasley était entré dans la légende, et Hugo se sentit grisé l'espace d'un instant par tout cet amour et cette adulation spontanée qui se déversaient sur lui...
Et puis, au cours de la soirée, lorsque l'excitation fut un peu retombée, Hugo prit le temps de parcourir la Grande Salle des yeux. Il vit sa sœur Rose assise à la table des Serdaigles, à côté de sa cousine Lily qui venait d'y être répartie elle aussi. Il vit son cousin Albus installé à la même table, et surtout, il vit le petit garçon pâle aux cheveux noirs assis à côté de lui. Albus souriait de l'air bravache qu'Hugo lui avait toujours vu à toutes leurs réunions de famille. Arrogant, crâneur, sûr de lui. Hugo s'était toujours senti légèrement mal à l'aise en présence d'Albus. Le plus jeune fils Potter débordait de cette aura dont Hugo se savait dépourvu. Lorsqu'il entrait dans une pièce, l'atmosphère s'illuminait. L'attention toute entière se tournait vers lui et s'y concentrait. Albus avait ce genre de charisme. Hugo, non. Hugo se sentait toujours déplacé face à des gens comme Albus. Il ne savait pas quoi leur dire, il se sentait looser et déplacé. Aussi Hugo avait-il un a priori légèrement négatif lorsqu'il le vit ce soir-là. Mais lorsqu'il vit le petit garçon à côté de lui...
Hugo avait été bien informé par son père. Il savait à quoi ressemblait Drago Malefoy et il savait à quoi ressemblait son fils. Du moins, à quoi il était censé ressembler...
D'après les dires de son père, les Malefoy avaient un profil caractéristique : sournois, secrets, vicieux. Hugo reconnut instantanément le petit garçon assis à table à côté d'Albus. Et pourtant, ce petit garçon n'était rien de tout ça...
Il était discret, taciturne, silencieux. Il gardait les yeux baissés dans l'ombre d'Albus et semblait s'en contenter. Mais de temps à autre, à la faveur d'un clin d'œil, d'une parole, d'une pitrerie d'Albus... Hugo surprenait un sourire sur son beau visage triste. Un sourire aussi fugitif qu'un arc-en-ciel dans un ciel nuageux. Evaporé en quelques secondes... Et cela le fascina tellement qu'Hugo se surprit à ne plus pouvoir en détacher son regard. Il sentit son ventre se serrer et son estomac se retourner, parce que son monde entier se renversait : Scorpius Malefoy n'était pas un ignoble petit lutin crochu et vicieux, Scorpius Malefoy était un petit garçon mélancolique aux traits fins, et surtout, Scorpius Malefoy était beau, fragile, attendrissant, comme les petites figures d'angelots sur ce livre de Noël qu'Hugo adorait tant...
Là au beau milieu de la Grande Salle, le soir même de sa répartition, Hugo fut incapable de manger. Il fut pris d'une terreur si intense qu'il faillit en pleurer. Parce que Scorpius Malefoy lui était agréable, et parce que tout dans son éducation, sa famille, les moindres fibres de son corps, lui criait qu'il n'avait pas le droit de le trouver ainsi. Que c'était mal. Que son père serait tellement déçu s'il connaissait ses pensées, qu'il aurait tellement honte...
Hugo avait honte. Et dans le même temps, il ne pouvait pas détacher les yeux du petit garçon au regard triste. Il avait envie de le connaitre. Il avait envie de faire apparaitre ce sourire sur ses traits pensifs.
Alors, juste avant de suivre les autres premières années pour aller se coucher, Hugo se leva de table et alla saluer son cousin Albus. Se faisant, il regarda Scorpius dans les yeux, et il lui tendit la main :
- Salut, dit-il à Scorpius Malefoy. Je m'appelle Hugo.
Le petit garçon lui serra la main en hochant la tête :
- Scorpius.
Sa poigne était brève. Froide, et ferme. Il ne le regarda pas dans les yeux. En fait, il ne le regarda pas du tout. Hugo en fut immensément troublé, encore plus qu'il ne l'était déjà dans son jeune esprit. Le soir dans son dortoir, il fut incapable de dormir, son esprit tout entier en ébullition, concentré sur ces émotions complexes qu'il ne comprenait pas.
Il n'arrivait pas à se sortir Scorpius de la tête. Il n'arrêtait pas d'y penser, il le revoyait sans cesse, et mille autre détails qu'il ne se rappelait même pas avoir remarqués. Sa main dans ses cheveux. Le gris très clair de ses yeux. Le grain de beauté au-dessus de ses lèvres. Chaque détail le mettait mal à l'aise, le plongeait dans un océan de culpabilité, et lui criait que c'était mal. Qu'il ne devrait pas penser à un garçon comme ça, et surtout, qu'il ne devrait pas penser à un Malefoy comme ça.
Hugo avait peur. De minute en minute, il était terrorisé, sentait tous ses repères s'effondrer, à cause d'une seule image, d'un seul garçon.
Ce soir-là, pour la première fois, il en voulut à Scorpius, terriblement. Scorpius qui le forçait à endurer ces émotions si étranges et qui l'effrayaient tellement. Scorpius qui remettait en question tout ce que son père lui avait dit et appris. Scorpius qui le faisait douter de lui-même...
Vainement, Hugo tenta de se raccrocher aux paroles de Ron : son idole, son modèle sur Terre... Mais Scorpius finissait toujours par reprendre sa place. Et Hugo pleurait, parce qu'il ne voulait pas admettre tout ce que cela impliquait sur lui, et parce qu'il avait peur, tellement peur...
Le lendemain matin, les yeux cernés, il vit à nouveau Scorpius et Albus s'asseoir ensemble dans la Grande Salle.
- Ils trainent toujours ensemble, ces deux-là, lui dit son cousin James en captant son regard. Tout le monde a trouvé ça un peu bizarre au début, mais bon. On s'y fait. Il faut s'attendre à tout avec Albus de toute façon.
- Personne n'a trouvé rien à y redire ? s'étonna Hugo.
James haussa les épaules :
- Qu'est-ce que tu voudrais dire ? C'est Albus. Il ne traine avec lui que pour se rendre intéressant.
Mais Hugo n'était pas d'accord. Hugo voyait Scorpius et Albus ensemble : l'un occupé à faire le paon pendant que l'autre faisait semblant de l'ignorer, et ce qu'il voyait, c'était une amitié. Une complicité qu'il envia, instantanément. Il voulait en faire partie... Mais sans Albus.
Alors, Hugo prit son temps, pour se renseigner. Scorpius et lui n'étaient ni dans la même maison, ni dans la même année, alors ils n'avaient aucun cours ensemble. Mais Scorpius passait beaucoup de temps à la bibliothèque. Cela aussi, Hugo l'aima instantanément chez lui. Cela lui conférait un petit côté intelligent, mystérieux, presque mystique. Hugo ne s'était jamais pris de passion pour la lecture : pour lui les livres étaient un ramassis d'histoires poussiéreuses et compliquées, mais dans les mains de Scorpius...Ça paraissait tout à coup passionnant. Fascinant, comme si Scorpius avait accès à tout un monde qu'Hugo ne percevrait jamais, et qu'il pouvait lui en montrer l'entrée...
Aussi, ce fut à la bibliothèque qu'Hugo tenta de parler à Scorpius. Il lui fallut plus d'un mois pour prendre sa décision. Un mois durant lequel il fut en proie à un profond dilemme intérieur : le premier de toute sa vie, et par conséquent, le plus difficile. Hugo hésitait : parler à Scorpius, céder à cette petite voix en lui qui murmurait son prénom sans cesse, ou ne pas lui parler. Céder, ou ne pas céder. Décevoir, désobéir à son père, ou faire sa fierté.
Hugo était déchiré. Il avait beau n'avoir que onze ans, il savait déjà un peu comment marchait le monde, et il savait que s'il cédait, s'il allait parler à Scorpius, ce serait reconnaitre que le garçon lui plaisait, qu'un garçon lui plaisait, et en plus, un Malefoy. Ce serait accepter de vivre avec cette vérité, en sachant tout ce qu'elle impliquerait. Hugo avait peur de faire ce choix. Mais il le fit. Un beau matin, après une nouvelle nuit sans sommeil, il prit une profonde inspiration. Il réprima les tremblements et les loopings au creux de son ventre. Et il alla à la bibliothèque pour parler à Scorpius.
Le jeune garçon était debout dans l'un des rayons, en train de consulter un livre de potions. Visiblement peu satisfait, il le reposa sur une étagère pour en saisir un autre, et c'est alors qu'Hugo se jeta à l'eau.
- Salut, lança-t-il.
Pour lui, ce simple « salut », c'était toute sa vie. C'était tous ses espoirs jetés vers l'avant, vers Scorpius, c'était tout le courage Gryffondor qu'il avait, c'était son avenir, son amour-propre, son estime de soi, c'était son cœur offert en grand sur un plateau d'argent, sans protection, sans défense. Par ce simple « salut », Hugo admettait qu'il aimait bien Scorpius, et qu'il était prêt à trahir son père et tous ses a priori sur la vie pour être ami avec lui. Hugo s'en remettait entièrement à lui. Et Scorpius le détruisit.
- Salut, lui répondit-il, circonspect.
Cette seule réponse blessa Hugo. Dans le moindre aspect de son comportement, il vit que Scorpius se méfiait de lui : il se tenait en retrait, les bras croisés, le regard distant. Sa voix était froide et ne l'invitait pas à continuer.
Sur le moment, bien sûr, Hugo ne comprit pas que Scorpius agissait avec lui exactement comme il agissait avec tous les autres. Il ne comprit pas que pour Scorpius, les gens étaient une menace, surtout « Hugo Weasley » : le fils d'un héros de guerre, encore un... Il ne comprit pas que Scorpius ne faisait que se protéger, parce que c'était ce que la société lui imposait. Hugo n'avait que onze ans. A l'inverse de Scorpius, il n'avait jamais eu à se soucier de l'opinion des autres. Il ne pouvait tout simplement pas comprendre.
- Tu aimes bien lire ? tenta-t-il maladroitement d'enchainer.
- Oui, répondit Scorpius en refermant sèchement son livre.
Il repartit alors s'asseoir, à la table centrale juste devant Madame Pince, juste à côté d'Albus. Les premières secondes, Hugo ne sut pas comment réagir. C'était comme si tout l'intérieur de son corps cherchait à s'échapper par son estomac. Il n'avait pas de mots pour le définir : c'était violent et brutal, horriblement douloureux, comme un acide qui le rongerait à vif, et la première chose qui parvint à ses yeux pour lui faire couler des larmes, ce fut la honte. La honte de s'être ouvert ainsi pour être rejeté aussi brusquement. La honte, et la déception, et la rage... D'avoir admis ce qu'il ressentait l'espace d'une minute, pour être écrasé la seconde d'après... De devoir vivre avec ce qu'il avait admis, alors qu'on venait de le piétiner...
Oui, Hugo voulait hurler de rage, et de peine, et de désespoir. C'était un petit garçon de onze ans, et il ne comprenait rien, et il était perdu. Il n'arrivait pas à démêler le flot complexe d'émotions qui se débattaient en lui. Et en de pareilles circonstances, il aurait été bien incapable de comprendre l'attitude de Scorpius...
Non. Hugo était quelqu'un d'impulsif, comme son père, parce que son père l'avait élevé ainsi. On ne lui avait jamais appris à refreiner sa colère ou ses émotions. A l'inverse de Scorpius, on ne l'avait jamais conditionné à contrôler son caractère. Hugo était une bombe à retardement, et Hugo était prêt à exploser. Il le savait, son cœur le savait, tout en lui le savait. Il ressentait une douleur et une honte si intense que son cerveau fit la seule chose possible pour se protéger. Son cerveau rassembla toute cette douleur, et la changea en colère. Cette colère, il la dirigea vers l'objet de la douleur. Vers Scorpius.
Aussi rapidement qu'une balle, Hugo eut à nouveau en mémoire tous les propos infamants de son père sur les Malefoy : comment les Malefoy avaient été des traitres, des partisans et des Mangemorts pendant la guerre, comment l'oncle Fred était mort par leur faute, lui et tant d'autres gens, comment ils avaient collaboré avec Voldemort au point de lui offrir leur Manoir comme demeure...
Oui, son père avait raison, finalement. Scorpius était tout ce qu'il promettait d'être. Un connard arrogant et froid, qui se croyait supérieur aux autres, trop bien pour trainer avec lui, un Weasley...
Hugo vit Scorpius sourire à un commentaire d'Albus, et à nouveau, il eut mal. Il eut mal à en vomir. Il sortit de la bibliothèque en trombe et passa la journée à pleurer toutes les larmes de son corps dans son dortoir. Il pleura jusqu'à ce que l'épuisement l'emporte, et le lendemain matin, lorsqu'il fut lucide à nouveau, il n'était plus le même.
Hugo était un petit garçon de onze ans, un petit garçon sensible. Un petit garçon qui avait grandi dans l'ombre d'une figure paternelle omniprésente, qui ne lui avait pas laissé la liberté de s'épanouir, d'admettre ce qu'il était sans crainte ni aucune honte. Alors, Hugo avait eu peur, Hugo avait eu honte. Mais il avait eu le courage de surmonter cela pour s'ouvrir vraiment... Et Scorpius l'avait brûlé en retour. Cette blessure-là ne guérirait jamais. Hugo aussi avait une boursoufflure noire à la place du cœur, désormais. Une rancœur informe, pourrissante, mais belle et bien là, persistante, prête à s'infecter au fil des années.
Lorsqu'il croisa Scorpius Malefoy dans les couloirs ce matin-là, Hugo le bouscula. Ce n'était rien, au début. Rien qu'une bousculade. Scorpius n'y fit même pas attention et s'excusa avant de continuer sa conversation avec Albus. Mais il y eut une seconde fois. Et puis une troisième. Ensuite, il y eut les croche-pieds, et là, Scorpius commença à comprendre que quelque chose clochait. Enfin, Hugo avait obtenu son attention, enfin...
Les petites pierres commençaient à tomber. Bientôt, ce serait l'avalanche qui arriverait, bientôt. Au début, quand on est enfants, on fait des bêtises qui ne portent pas à conséquence. On se cherche, on chahute, on vole des affaires ou on déchire des cahiers. On tire sur les vêtements, on lance des boulettes de papier, on griffe, on crache.
Et puis peu à peu, les bêtises deviennent plus graves. On devient stupides, avec le temps. Et on devient fort.
Hugo poursuivit sa scolarité à Poudlard en reniant ce que Scorpius lui avait fait admettre en première année, tout au fond de son esprit. Il le cachait aux autres, il le cachait à lui-même. Il fit comme James : il rit et s'entoura d'un groupe d'amis fêtards, violents et impulsifs comme lui. Ensemble, ils eurent des discussions sur la duplicité des Malefoy et sur le scandale que représentaient la réussite de Drago, l'entrée de Scorpius à Poudlard, et comment on les laissait vivre en toute impunité, parmi nous, comme si de rien n'était.
Oui, Hugo s'entoura d'un groupe d'enfants exactement comme lui, et à mesure qu'ils grandissaient, les enfants devinrent des adolescents.
Tout est plus dur, quand on est adolescent. Les émotions sont exacerbées, la pression sociale aussi. L'effet de groupe peut nous emporter très, très loin. Pour ne pas décevoir ses amis. Pour ne pas avoir l'air faible, pour faire ce que les autres attendent de nous.
De sa première à sa quatrième année, Hugo tyrannisa Scorpius, mais cela restait des bêtises d'enfants. Scorpius ne répliqua pas, jamais, ce qui avait le don de mettre Hugo dans une rage folle. Il avait l'impression que Scorpius le considérait simplement froidement, du haut de sa silhouette déjà bien élancée, et qu'il n'avait guère plus d'intérêt pour lui que pour un insecte agaçant. Albus, en revanche, avait bien saisi le manège de son cousin et ne l'appréciait pas du tout. Albus répliquait. Sauf qu'Albus était plus malin. Il avait recours à des ruses, des farces, des humiliations, mille et un petits pièges qui mettaient Hugo plus en rage encore, et l'encourageaient à continuer.
C'était un cercle vicieux. Un cercle vicieux qui ne pouvait aboutir qu'au pire, un jour ou l'autre.
En entrant en cinquième année, Hugo avait quinze ans. Scorpius en avait seize. A quinze ou seize ans, c'est le chaos dans notre tête. Un bataillon d'hormones en ébullition, avec balistes et catapultes, prêts à tirer dans toutes les directions, sauf la bonne. A quinze et seize ans, Hugo et Scorpius s'étaient déjà faits toutes les crasses possibles et imaginables. Ils se connaissaient bien, en somme. Ils avaient combattu ensemble, saigné ensemble, souffert ensemble. Ils s'étaient battus plus de fois qu'eux-mêmes ne pouvaient s'en souvenir, mais jamais de vraies bagarres, jamais en groupe.
A l'aune de cette cinquième année à Poudlard, les choses étaient sur le point de changer. Hugo et Scorpius étaient sur le point de franchir une limite que tous deux ne soupçonnaient même pas. Une limite qu'ils auraient préféré toujours ignorer, peut-être...
Une limite qui les changerait à jamais.
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