Conséquences
Scorpius ne fut pas conduit à Azkaban, mais dans un obscur bureau du Département des Mystères, où les deux Aurors l'enfermèrent sans lui donner d'explications. Alors, l'attente commença.
Scorpius se mit à faire les cents pas, incapable de réaliser pleinement tout ce qu'il venait de se passer, encore sous le choc, en vérité. Sous le choc de quoi ? La mort de Belly ? La douleur dans son bras ? Ou cette pulsion meurtrière, cette folie irrépressible qui s'était emparée de lui, et avait bien failli le conduire à massacrer Hugo Weasley ?
Scorpius avait senti sa colère retomber à la seconde où on l'avait séparé d'Hugo. A la seconde où il avait compris ce qu'il avait fait. Pourtant, son équilibre intérieur était loin d'être rétabli. Scorpius ne savait plus ce qu'il ressentait, partagé entre l'aberration, la colère, le déni, la peine, et l'angoisse envers l'avenir...
Dans le bureau de la directrice, il s'était senti vide, parce qu'en voyant les deux Aurors, il avait vu le destin qui lui était promis. Il savait très clairement ce qui l'attendait. Cela faisait des années que le monde sorcier attendait qu'il fasse un faux pas, un seul, pour lui tomber dessus et le condamner. Scorpius n'avait pas fait un faux pas sur ce coup-là, il avait sauté dans le plat à pieds joints... Tabasser Hugo Weasley, Hugo Weasley, quasiment à mort...
Les opposants à sa famille devaient se frotter les mains. Il venait de leur accorder exactement tout ce qu'ils avaient toujours désiré. Il avait confirmé leurs dires, en un sens, et cela mettait Scorpius en rage. Toutes ces fois où on l'avait qualifié de sociopathe uniquement à cause de son nom, comme si la malveillance était une tare qui coulait dans les veines des Malefoy... Scorpius venait de donner raison à ces gens. Seize ans que le monde sorcier tentait de faire de lui un monstre, et il avait cédé, ils avaient enfin réussi...
Scorpius secoua la tête. Il savourait l'ironie qui faisait de lui un criminel uniquement parce qu'on l'avait accusé d'en être un, toute sa vie. Il savourait l'injustice qui portait enfin un coup fatal à son avenir...
Après plusieurs heures de circonvolutions sans but, Scorpius finit par s'asseoir dans un coin de la pièce. Le choc et l'adrénaline étaient passés, à présent. Ne restaient plus que l'angoisse. La colère de s'être montré aussi stupide. Et la tristesse d'avoir perdu Belly...
Scorpius se recroquevilla sur lui-même et ne pensa plus qu'à cela. Après tout, le reste n'avait plus d'importance. Il serait jugé, renvoyé de Poudlard et enfermé à Azkaban. La peine qu'il allait causer à son père... Scorpius ne pensa plus qu'à cela, et silencieusement, il pleura sur cet avenir gâché, sur l'espoir fou qu'il avait eu de bien s'en tirer, et sur la mort de son plus vieil ami.
XXX
Combien de temps s'écoula exactement ? Scorpius l'ignorait. On lui avait apporté à manger deux fois, mais rien pour dormir, alors il avait dormi par terre. Et puis enfin, deux autres Aurors vinrent le chercher pour le conduire dans le labyrinthe tortueux du Département des Mystères. Scorpius entra dans une salle haute de plafond, ronde comme un hémicycle. Tout le Magenmagot était là, ainsi que des journalistes : l'espace d'un instant, Scorpius fut aveuglé par la lumière des flashs. Il aperçut Minerva McGonagall, dans l'audience. Son père, également. Son cœur se serra à cette vision. Et Harry Potter...
Avant de rejoindre le fauteuil au centre de la salle, Scorpius prit le temps de regarder tous ces gens qui le toisaient de haut. Il sentait sa colère revenir. Lui qui avait toujours été si calme, si mesuré, si froid... Il n'avait plus rien à perdre aujourd'hui. Ces gens lui avaient déjà tout pris. Hors de question qu'il ait peur devant eux. Cette fois, rien qu'une fois, il allait être lui-même, et peut-être même plus... Ils voulaient un monstre ? Peut-être était-il temps de le leur donner...
Relevant la tête, plus glacial qu'il ne l'avait jamais été, Scorpius affronta le regard de tous et alla s'asseoir sur le fauteuil comme un roi sur un trône. Les entraves se refermèrent sur ses poignets et ses chevilles, lui faisant prendre conscience pour la première fois qu'il avait les jointures ensanglantées, là où il avait frappé Hugo... On ne l'avait pas laissé se laver les mains. Son sang était partout : le sien, celui de Weasley, celui de Belly peut-être... Il devait avoir l'air d'un loup repu d'un massacre.
- Déclinez votre identité, fit le Ministre de la magie, Kingsley Shaclebolt, en poste depuis la fin de la guerre.
- Scorpius Hypérion Malefoy, répondit Scorpius.
Un frisson le traversa lorsqu'il prononça son nom de famille. Pour la première fois, il sentit, palpable, l'influence que ce nom avait sur les gens. Ils en avaient peur. Tous le regardaient, et ils ne voyaient que cela en lui : « Malefoy ». « Mangemort ».
Scorpius sourit. Cela paraitrait sans doute obscène aux yeux des gens, mais il n'en avait strictement plus rien à foutre. Il sourit de l'atmosphère sombre et puissante que lui conférait son nom, et il sourit de voir tous ces salauds le craindre, avec raison...
Oui, ils avaient raison de le craindre. Après seize années d'injustices rentrées, Scorpius avait suffisamment de rancœur en lui pour nourrir toute une vie. Et maintenant qu'il n'avait plus rien à perdre... Il n'aurait sans doute plus le moindre scrupule à blesser tous ces gens. A les faire payer pour ce qu'ils lui avaient fait, et ce qu'ils s'apprêtaient à lui faire...
Shacklebolt reprit la parole :
- Hier soir à dix-neuf heures quinze, vous avez agressé Hugo Weasley à mains nues, énonce-t-il. Est-ce exact ?
- Oui.
Scorpius ne s'attendait pas à ce qu'un rapport correct des circonstances soit apporté. Il ne s'attendait même pas, en fait, à ce que le Ministre cherche sincèrement à comprendre ce qu'il s'était passé. Ce procès n'était que du grand spectacle. Le fils Malefoy, enfin trainé dans la boue devant les journaux...
- La raison de cette agression ?
Scorpius hésita. Et puis après tout, pourquoi mentir ?
- Il a tué mon serpent, répondit-il.
- Votre serpent, releva Shacklebolt. Vous voulez dire le serpent qui a mordu et gravement défiguré monsieur Weasley.
- Oui.
- Le serpent qui l'a attaqué sans aucune raison valable ?
- Il me défendait. Weasley m'avait mis son poing dans le ventre, je crois que c'est une raison valable.
Shacklebolt releva brièvement les yeux, en entendant l'insolence dans sa voix. Puis il reprit, détaché :
- Vous saviez que la possession de serpents était interdite dans l'enceinte de Poudlard, pas vrai ?
- Oui. Bien que je ne comprenne pas pourquoi. On peut avoir des rats, des crapauds, des chats ou des chouettes. Pourquoi pas un serpent ?
- Pour la raison qui vous amène devant ce tribunal. Des témoins ont affirmé vous avoir entendu parler au serpent. Êtes-vous Fourchelangue, monsieur Malefoy ?
Des murmures se firent entendre, à ces mots.
- Oui, répondit Scorpius.
Dans sa voix, il y avait tout le mépris possible. D'autres murmures lui répondirent. Il vit le Ministre échanger quelques mots avec son voisin de droite, et alors, pris d'une inspiration soudaine, Scorpius demanda :
- Comment va Weasley ?
Le Ministre le considéra, surpris. Après un instant d'hésitation, il répondit :
- Monsieur Weasley est passé très proche de la mort. Heureusement pour lui, vos camarades vous ont arrêté à temps, et madame Pomfresh a fait des merveilles. Il s'en sortira avec, j'en ai peur, un vilain souvenir de votre serpent.
- Weasley m'a aussi laissé un souvenir, répliqua Scorpius.
Il fit signe à l'Auror auprès de lui, qui accepta de remonter sa manche, pour que tous la voient. La Marque. Celle qu'Hugo avait infligée dans sa chair, et que lui seul pourrait enlever.
Shacklebolt se troubla. Dans les gradins, Scorpius vit son père pâlir à l'extrême, et Potter se lever en trombe pour parler au Ministre. S'ensuivit un échange animé, que Shacklebolt conclut d'un coup de marteau :
- Cette séance se poursuivra en privé et dans mon bureau. Professeur McGonagall, messieurs Potter et Malefoy, dans mon bureau avec l'accusé. Vous aussi, monsieur et madame Weasley. Le reste du Magenmagot est congédié.
Un grand froufrou de robes s'ensuivit. Des murmures et des photos, encore. Un Auror vint détacher Scorpius, qui aperçut alors à l'autre bout de l'hémicycle Ron et Hermione Weasley, qu'il n'avait pas vus en entrant. On le conduisit jusqu'au bureau du Ministre.
A l'intérieur, étonnamment, l'ambiance lui parut encore plus lourde et stressante que dans l'hémicycle. C'était une chose d'affronter une justice sans visage, une foule d'inconnus qui nous surplombent, nous écrasent, froids et impersonnels. C'en était une autre de se trouver face à son père, à Potter, et aux parents du garçon qu'il avait failli tuer...
Scorpius croisa le regard d'Hermione Weasley, et baissa les yeux. Il n'osa pas non plus affronter son père. En désespoir de cause, il se tourna vers le Ministre. Pourquoi ce revirement soudain ? Pourquoi prolonger son agonie ?
- Monsieur Malefoy, fit Shacklebolt. Laissez-moi examiner cette marque.
Scorpius tendit son bras. Shacklebolt passa sa baguette au-dessus du symbole, sans le toucher, comme s'il avait peur d'être contaminé. Scorpius avait l'habitude de ce genre de réactions à son égard. Il voyait le regard mauvais de Ron Weasley, dirigé contre lui...
- C'est une vraie, finit par décréter Shackebolt en s'adressant aux Weasley. C'est extrêmement grave, ce qu'a fait votre fils.
- Ce fils de pute l'a tabassé ! s'exclama Ron sans autre forme de procès.
- Je me suis défendu ! répliqua Scorpius.
Ron Weasley aurait pu lui faire peur dans son ancienne vie, dans d'autres circonstances, mais... plus maintenant.
- Défendu ? cracha Weasley. Tu as failli le tuer ! Cogner sur un adversaire à terre et sans défense, c'est ce que tu appelles te défendre ? Moi j'appelle ça de la lâcheté. Ce qui te correspond bien, en somme.
- La ferme, Weasley ! intervint Drago.
- Personne ne t'a demandé ton avis, sale fouine ! Tu devrais déjà être content qu'on te laisse respirer dans la même pièce que nous.
- Ron..., s'exclama Hermione.
- Silence ! fit Potter en échangeant un regard avec McGonagall. Scorpius, reprit-il, très grave. Tu vas nous expliquer avec tes mots tout ce qui s'est passé, depuis le début.
- Parce que tu vas croire à sa version ? s'écria Ron.
- Bien sûr, répondit Harry fermement. Je connais Scorpius depuis longtemps, et j'ai aussi entendu parler du comportement de ton fils, Ron. Il n'y a pas de quoi être fier.
Ron faillit s'étrangler. Mais sous le regard d'Harry, de McGonagall et du Ministre, il garda le silence. Scorpius était néanmoins sûr que s'il avait pu le tuer, il l'aurait fait sur le champ. Chassant cette pensée, il inspira à fond. Il ignorait s'il devait voir dans cette entrevue sa dernière chance, mais il tenta le tout pour le tout. Rassemblant ses souvenirs, il entreprit de décrire les évènements de la veille, et tous ceux qui les avaient précédés.
Lorsqu'il eut terminé, un long silence se fit dans la pièce. Drago Malefoy était rouge de colère. Ron, lui, débordait de morgue, et Hermione pleurait devant une vérité qu'elle n'avait pas su voir ou admettre.
- Nous devons prendre tous ces faits en considération, déclara alors Potter en croisant le regard de Shacklebolt.
- Scorpius..., intervint Drago. Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit de tout ça ?
Scorpius haussa les épaules :
- Je ne voulais pas t'inquiéter.
En public, devant tous ces gens, il ne pouvait pas révéler la vraie raison. Il ne pouvait pas dire à son père qu'il n'avait pas voulu gâcher son bonheur, lui qui venait enfin de retrouver une vie heureuse. Il ne pouvait pas non plus lui dire que ce bonheur, cette romance idyllique avec Katie, les avait conduits à s'éloigner, tous les deux. Il est difficile de se confier à quelqu'un qui ne partage pas les mêmes problèmes que nous. Et, même si Scorpius se réjouissait pour son père, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine rancœur, parfois... Parce qu'il est difficile d'être heureux pour les autres lorsqu'on ne l'est pas soi-même. Tout cela, Scorpius ne le dit pas. Il se contenta de hausser les épaules.
- J'aurais dû réagir, déclara alors Hermione, à la surprise générale. J'aurais dû me rendre compte que c'était si grave, j'aurais dû... Je n'aurais jamais dû laisser Hugo partir en vrille comme ça.
- Qu'est-ce que tu racontes ? s'exclama Ron.
- Notre fils est un tyran, Ron ! J'ai honte de ce qu'il a fait ! En tant que mère, j'ai honte !
- Il n'a fait que traiter Malefoy comme il le méritait !
- Tais-toi !
Hermione inspira à fond :
- Surtout ne dis pas un mot de plus. C'est bien à cause de conneries comme celles-là qu'on en est arrivé ici aujourd'hui.
- Tu n'es pas en train de dire que c'est ma faute, j'espère ?
- La question n'est pas là, trancha Potter, qui sentait la situation s'envenimer. Je pense que nous sommes tous d'accord pour admettre qu'Hugo a frappé le premier, et que ce n'était pas la première fois.
- Oui, acquiesça McGonagall.
- Cependant, cela n'excuse pas la violence de la riposte de Scorpius, ni la possession du serpent.
Ron marqua son approbation. Se tournant vers le Ministre, Potter conclut :
- Je pense que d'un point de vue juridique le mieux à faire, compte-tenu des circonstances atténuantes, est de passer l'éponge pour cette fois.
- Quoi ?! s'écria Ron.
- Par contre, pour ce qui est de l'infraction au règlement de l'école, c'est à la directrice de décider.
Shacklebolt et McGonagall s'entreregardèrent. Après un instant de réflexion, le Ministre prit la parole :
- Les faits sont trop graves pour être ignorés, déclara-t-il. D'autant plus maintenant que les journaux sont au courant.
- Qui les a ameutés ?
- Ce n'est pas la question. Voici ce que je propose : un compromis. Monsieur Malefoy, vous serez condamné pour violences aggravées, mise en danger de la vie d'autrui et possession illicite d'animal dangereux. Comme vous êtes mineur, que vous disposez de circonstances atténuantes, et que c'est votre première condamnation, j'accepte de vous accorder une peine d'emprisonnement avec sursis. Vous n'irez pas à Azkaban. Mais vous aurez un casier judiciaire. Et il va de soi que vous ne pourrez plus posséder de reptile.
- Vous plaisantez ? s'exclama Drago Malefoy.
Se plantant droit devant le bureau du Ministre, il frappa du poing sur la table :
- Mon fils se fait torturer pendant cinq ans par une espèce de psychopathe tueur d'animaux, et vous le condamnez ? Vous savez ce que ça signifiera pour lui, pour son avenir ? Vous savez ce que les lois en vigueur lui réservent ?
- Monsieur Malefoy...
- Non ! Je me suis tu pendant vingt-quatre ans, maintenant ça suffit, j'en ai assez. C'est de mon fils, dont il est question ! Mon fils ! Je ne vous laisserai pas le trainer dans la boue comme vous l'avez fait pour ma femme et moi, juste parce qu'il a la malchance de porter mon nom. Je ne vous laisserai pas, vous m'entendez ?
- Monsieur Malefoy, calmez-vous ou je vous fais sortir sur le champ.
Shacklebolt se radoucit légèrement :
- C'est une décision clémente, au regard de ce qu'il s'est passé. Vous savez aussi bien que moi que j'aurais pu me montrer infiniment plus injuste.
- Et pour Weasley ? cracha Malefoy. Quelle sentence y aura-t-il pour Weasley ?
- Juridiquement, il n'y a aucune charge à retenir contre monsieur Weasley.
Drago éclata de rire, tandis que le Ministre continuait :
- Vous pourriez déposer une plainte pour harcèlement, peut-être, mais vous savez aussi bien que moi comment cela finira.
- Et vous l'acceptez ? C'est tout, fin de l'histoire ?
- Cela ne relève plus de mon ressort. C'est au professeur McGonagall de décider des sanctions à appliquer à ces deux jeunes gens au sein de son école.
Drago se tourna instantanément vers McGonagall, qui sentit l'attention basculer sur elle :
- Compte tenu de la sentence de monsieur Shacklebolt, je me contenterai d'un mois de retenues pour votre fils, monsieur Malefoy.
- Et pour Weasley ? demanda froidement Drago.
- Un mois de retenue également. Je retire aussi cinquante points à chacune de leurs maisons.
Ron rougit de colère, mais Hermione le dissuada d'intervenir.
- Cela vous semble-t-il équitable, monsieur Malefoy ? dit McGonagall en s'adressant autant à Drago qu'à Scorpius.
Drago éclata à nouveau de rire. Scorpius, lui, tourna le dos à tout le monde et ne répondit rien.
- Je suis libre de partir ? demanda-t-il.
- Oui, répondit Shacklebolt. Vous pouvez rentrer à Poudlard dès maintenant.
Scorpius ouvrit la porte et sortit.
Il ne lui fallut pas longtemps pour entendre les pas de son père et de Potter à sa poursuite dans le couloir. Il les ignora jusqu'à ce qu'on le force à se retourner :
- Scorpius ! fit Drago en l'agrippant par les épaules. Si ce genre d'incidents se reproduit, je veux que tu m'en parles, tu entends ? Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?
Scorpius dévisagea son père, dévisagea Harry. De nouveau, il se sentait vide. La sentence était moins lourde que ce à quoi il s'attendait, beaucoup moins lourde même, mais... Il se sentait vide. Personne n'en avait encore conscience, ni Shacklebolt, ni Potter, ni son père, mais il avait perdu bien plus que son irréprochabilité aujourd'hui. Il avait perdu son avenir. Son rêve. Cette condamnation l'enterrait à jamais. Alors, puisque tout cela était de la faute de son nom, et qu'il en avait assez des noms, Scorpius regarda son père et Harry dans les yeux :
- J'aime quelqu'un, dit-il. C'est un connard arrogant et égocentrique, et il s'appelle Potter.
Il ne resta pas pour voir la réaction sur le visage des deux hommes. Apercevant McGonagall qui sortait du bureau, il la rejoignit et transplana avec elle jusqu'à Poudlard.
XXX
De retour dans le château, Scorpius passa devant le sablier des maisons, où une foule de Serdaigles et de Gryffondors se demandaient déjà comment ils avaient pu perdre autant de points en une seule journée. Ils ne tarderaient pas à l'apprendre, et alors ce serait pire...
Mais pour l'instant, Scorpius voulait simplement être seul. Se couper de tout ceci, se couper des autres, avant que les conséquences ne le rattrapent... Sur son bras, la marque d'Hugo le brûlait. Shacklebolt n'avait rien dit à son sujet. Quelqu'un interviendrait-il pour forcer Hugo à la lui enlever ? Voilà qui serait surprenant...
Malgré lui, Scorpius suivit le trajet qui le conduisit là où avait eu lieu l'altercation. On avait déjà lavé le sang d'Hugo sur le sol. Celui de Belly aussi. La peau et la carcasse du serpent avaient disparu. Qu'en avait-on fait ? Où était Belly à présent ? Aux ordures ?
Pris d'une sérieuse envie de vomir, Scorpius remonta jusqu'à son dortoir et ferma les rideaux. Là, il pleura, longtemps. La marque d'Hugo palpitait comme une créature vivante sur son bras, comme un chien appelant son maître, et il détestait ça. Avoir cette marque d'appartenance ancrée dans sa chair, à cause de cet imbécile...
Scorpius entendit les pas d'Albus entrer dans la pièce, avant même que le jeune homme n'écarte les rideaux :
- J'ai appris que tu étais rentré, fit Albus doucement. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Il s'assit à côté de lui, mais Scorpius se releva aussitôt pour lui tourner le dos :
- J'ai été condamné, répondit Scorpius. Avec sursis. Je ne peux plus avoir de serpents, et j'ai un casier. Un mois de retenues, cinquante points en moins pour Hugo et moi.
Albus tenta un faible sourire :
- Ce n'est pas si mal. Ça aurait pu être tellement pire...
- Oui, ce n'est pas si mal, ricana Scorpius. Hugo a assassiné Belly, et moi j'ai failli tuer Hugo, mais tout le monde s'en tire à bon compte.
Albus haussa les épaules :
- Qu'est-ce que tu espérais ?
Scorpius secoua la tête :
- Rien. Rien du tout.
Puis, regardant à nouveau Albus :
- C'est ton père qui m'a sauvé la mise, dit-il. Il est intervenu en ma faveur. C'est uniquement pour ça que je suis là. Tous les autres étaient prêts à me lyncher en place publique, et tu peux être sûr qu'ils ne vont pas me lâcher maintenant.
Albus acquiesça gravement :
- Je savais que mon père ne te laisserait pas tomber. J'aurais voulu être là, je suis désolé...
Scorpius ne put retenir sa colère plus longtemps :
- Tu ne comprends pas ?! s'exclama-t-il. Je ne supporte pas ça, je ne le supporte plus ! Si je suis libre aujourd'hui, c'est grâce à ton père, c'est grâce à Harry Potter ! Si je suis libre aujourd'hui, c'est uniquement grâce à son nom, grâce à son influence ! Je ne supporte plus que les choses fonctionnent ainsi...
Epuisé tout à coup, Scorpius s'appuya contre le montant du baldaquin et ne dit plus rien. Pensif, ému, Albus garda le silence quelques instants. C'était la première fois qu'il voyait Scorpius craquer. Faire preuve de fragilité, ailleurs que dans ses cauchemars. Jamais il n'avait soupçonné de telles blessures derrière le bouclier de froideur...
Tendant timidement la main, comme vers un animal blessé, Albus saisit ses doigts entre les siens :
- Je comprends, dit-il tout doucement.
En lui-même, il ne pouvait s'empêcher d'exalter. Scorpius avait toujours manifesté le plus grand dédain pour son combat et ses engagements, mais ce soir, enfin... Il montrait qu'en fait, il se sentait concerné. Qu'en fait, tout ce qu'Albus dénonçait, il le partageait. Parce que c'était son quotidien. C'était ce qu'il subissait, jour après jour après jour...
- On va changer les choses, Scorpius, dit Albus en serrant sa main plus fort. Toi et moi, on peut le faire. Je sais qu'on peut le faire, je le sens !
Scorpius lui jeta un regard désabusé par-dessous ses cheveux noirs :
- Tu ne comprends rien, dit-il.
Albus, choqué par la sécheresse de cette réplique, attendit la suite. Scorpius retira sa main de la sienne :
- Le grand Albus Potter, murmura-t-il. Qui croit que le monde lui est dû et qu'il s'inclinera devant lui. Qui croit que rien ne lui fera jamais obstacle, jamais. Qui n'entend que ce qu'il veut entendre, pour servir ses intérêts.
- Où est-ce que tu veux en venir ?
- Tu n'as jamais compris que tes intérêts n'étaient pas forcément les miens. Que ce que tu voulais n'était pas forcément ce que je voulais.
- Quoi, tu veux rester dans cette société merdique sans rien faire pour y changer quelque chose ?
- Je m'en foutais, répondit Scorpius simplement. Je me foutais des lois et des humiliations et de tout ce que tu peux imaginer. J'avais un rêve, j'avais un plan, pour y échapper. Mais comme tu es toujours bien trop absorbé par toi-même, tu n'y as jamais prêté attention, pas vrai ?
Albus ne sut pas quoi répondre. Scorpius le prenait en traitre, et il le savait :
- Quel était mon rêve, Albus ?
- Je n'en sais rien...
- Evidemment. Parce que tu as toujours décrété tout savoir sur moi alors que c'est loin d'être vrai. Tu as ta propre conception de ce que je suis, et ça te suffit. Une conception conforme à tes vues.
- Si tu en venais au fait ?
Scorpius soupira :
- Je voulais étudier les formes de magie anciennes, murmura-t-il. L'histoire de la magie, dans le monde antique. Je voulais partir en Egypte ou en Grèce, et ne plus jamais revenir. Sept ans à Poudlard, c'est tout ce que j'avais à supporter. Sept ans. J'y étais presque.
- Qu'est-ce qui t'empêche de le faire maintenant ? demanda Albus, incrédule.
Scorpius baissa la tête :
- J'ai un casier, murmura-t-il. Je suis un criminel. Les lois à l'encontre de mon père s'appliquent aussi à moi, désormais. Je n'ai pas le droit de posséder mon propre logement ou mon propre commerce. Je dois me soumettre au contrôle régulier des agents du Ministère. Parce que je ne suis pas un ancien Mangemort, je conserve ma baguette, mais... Je n'ai pas le droit de travailler à l'étranger. Je ne peux pas intégrer le Ministère ou faire d'études supérieures. Je ne peux pas aller en Egypte.
Scorpius laissa deux larmes couler sur ses joues :
- Hugo m'a volé mon rêve...
Albus se leva. A ce stade de la conversation, il ne savait plus quoi dire. Il sentait que les mots ne suffisaient plus. Tout ce qu'il pouvait espérer, c'était que Scorpius ne le rejetterait pas... En silence, il s'avança vers lui et le prit dans ses bras. Scorpius se laissa faire. Albus sentit tout le poids de son corps se reposer soudain sur lui, dans un abandon total. Alors pour la première fois, Albus eut peur. Scorpius pleurait si fort que des hauts le cœur l'empêchaient de respirer. Ses mains se cramponnaient à son uniforme comme à une bouée de sauvetage. Il avait l'attitude d'une personne désespérée, à qui on a tout pris et qui s'est résignée...
- Scorpius..., articula Albus en le soutenant de son mieux. Je suis désolé d'avoir été si con avec toi. Ça n'arrivera plus, tu m'entends ? A partir de maintenant, je suis avec toi. On va les faire payer, ces salauds, d'accord ? Les choses ne seront pas toujours comme ça, je te le promets. On va changer ça. Toi et moi. Toi et moi, toujours, d'accord ?
Scorpius lui rendit son étreinte :
- Je t'aime, dit-il entre ses larmes, pour la toute première fois.
Et il l'embrassa.
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