Confrontation

Dans les jours qui suivirent, un quotidien étrange s'installa. Albus venait presque tous les soirs à la boutique, et se comportait comme si les dix années qui les avaient séparés n'avaient jamais existé. Il était toujours le même : souriant, exalté, sûr de lui et désinvolte, insupportable par moment, mais à sa manière... Scorpius savourait sa présence. Savourait cette complicité qu'ils avaient toujours eue et qu'ils avaient retrouvée, presque instantanément. Ils ne parlaient plus de leur grande conversation ou des sentiments qu'ils s'étaient avoués. Ce n'était plus la peine, à présent. Ils savaient. Tous deux n'avaient jamais vraiment été hommes à dévoiler leurs émotions. Désormais, ce qu'ils souhaitaient se dire, ils se le disaient par gestes : dans leurs baisers, leurs étreintes...

Albus et Scorpius vivaient au rythme d'un quotidien étrange mais délicieux. Lorsqu'un jour, Scorpius demanda à Albus si sa femme ne finirait pas par s'inquiéter de le voir si souvent absent, Albus se contenta d'éclater de rire :

- On voit que tu ne connais pas Charity, dit-il de son air railleur.

Scorpius souleva un sourcil, interrogateur. Albus se sentit obligé de continuer :

- Qu'est-ce que tu t'imagines, Scorpius ? reprit-il alors. Charity et moi nous sommes mariés parce que c'était la meilleure chose à faire. Elle est riche, influente, très belle et très intelligente. Elle est comme moi. Elle veut la même chose que moi.

- Le pouvoir ? releva Scorpius, railleur.

- Si on veut, oui. Avoir une influence sur le monde. Le changer.

Albus haussa les épaules :

- Charity pouvait m'offrir l'influence et le poids politique dont j'avais besoin. De mon côté, je pouvais lui offrir mon nom de famille, et mon habileté... Nous sommes tous les deux très ambitieux. Nous nous entendons à merveille. Pour ne rien gâcher, elle me plaisait, je lui plaisais... Alors nous nous sommes mariés, voilà. C'est un contrat comme un autre. Charity ressemble davantage à une associée qu'à une épouse dévouée.

Devant la mine stupéfaite de Scorpius, Albus rit à nouveau :

- Qu'est-ce qui te choque là-dedans ? J'éprouve du respect et de l'affection pour elle. Nous nous comprenons, elle et moi.

- Mais...tu ne l'aimes pas ?

- Pas comme je t'aime toi, non.

Scorpius demeura silencieux. Il n'était pas encore habitué aux déclarations d'amour d'Albus à son égard. Ce dernier poursuivit en évitant vaguement son regard :

- Je ne vais pas nier qu'elle est très séduisante, que je suis très séduisant, et que par conséquent... Nous avons eu nos heures d'amusement, elle et moi. Mais nous partageons la même conception du mariage. Pas d'enfermement.

- Tu es en train de me dire que vous êtes un couple libre ?

- Libre comme l'air, conclut Albus de son sourire carnassier.

- Donc... Elle sait que tu es avec moi en ce moment ?

- Elle en sait assez. Et si tu crois que ça la dérange, tu te fourres le doigt dans l'œil. Elle serait capable de t'inviter à dîner. Voir plus...

- Non merci...

Albus éclata de rire et vint l'enlacer :

- Ecoute, dit-il en lui murmurant à l'oreille. Charity n'est pas un problème, crois-moi. C'est une alliée. Et maintenant que je t'ai retrouvé... Je ne vais plus jouer au con, je te le promets.

Scorpius se recula :

- Qu'est-ce que ça veut dire exactement ?

- Ça veut dire que Charity a suffisamment d'amants pour pouvoir se passer de mes services. Et moi... Je ne veux personne d'autre que toi.

Malgré lui, Scorpius ne put contenir le soulagement qui l'emplit à ces mots... Même après la déclaration d'Albus, même après tous ces nouveaux instants d'intimité qu'ils avaient partagés ensemble, le doute était resté, tout au creux de son ventre... La peur terrible que l'inconstance d'Albus se manifeste à nouveau, qu'il le trahisse, par facilité ou par jeu, que leur relation ne soit rien de plus qu'une passade pour lui... Mais non, sous ses sourires et ses airs déguisés, Albus tentait en ce moment de le rassurer. Et il venait de lui promettre fidélité...

Rattrapé par l'émotion que cela lui inspirait, Scorpius embrassa Albus et ils ne reparlèrent plus de Charity.

XXX

Les semaines s'écoulèrent, toujours peuplées par Albus, et donc toujours imprévisibles et saugrenues. Scorpius ne s'en plaignait pas. Aux côtés d'Albus, il sentait renaitre en lui des sentiments qu'il n'avait plus éprouvés depuis des années. Qu'il n'aurait jamais rêvé d'éprouver à nouveau, dans sa vie entière...

Il retrouvait l'esprit rebelle et aventureux de son adolescence. Il se surprenait à espérer, peut-être... Espérer quoi ? Lui-même n'aurait su le dire.

Albus venait à présent si souvent que Scorpius se demandait bien comment il pouvait mener ses projets politiques à terme en même temps. Et pourtant, régulièrement, Albus faisait des apparitions publiques relayées dans les journaux. Scorpius se délectait de ses interviews où Albus usait de son esprit si charismatique et aiguisé...

- Tu n'as pas peur de te faire repérer à force de venir ici ? lui demanda-t-il malgré tout un jour, soucieux de sa sécurité.

- Je fais toujours très attention, répondit Albus.

Il se redressa tout à coup, comme s'il avait peur de ce qu'il venait de dire :

- Tu sais que je n'ai pas honte de notre relation, n'est-ce pas ?

Pris au dépourvu, Scorpius ne sut pas quoi répondre.

- C'est juste que..., poursuivit Albus, gêné, ce qui eut le don de gêner Scorpius en retour. J'ai repensé à ce que tu m'as dit, à propos de Poudlard. Comme quoi je cachais notre relation parce qu'elle m'aurait fait du tort. Je ne veux surtout pas que tu penses ça, aujourd'hui.

- Je ne le pense pas, répondit Scorpius doucement.

Il venait de comprendre. Il venait de comprendre qu'Albus avait eu peur de le blesser, et il en fut immensément touché.

- Je sais que tu te bats sur beaucoup de fronts en ce moment, reprit-il alors. Le moment n'est sans doute pas idéal pour ressortir Scorpius Malefoy du placard. Surtout que – soyons honnêtes – ma vie est plus tranquille quand tu ne la mêles pas à la tienne. Et je ne suis pas sûr que tes lecteurs apprécieraient que tu te revendiques comme un adultère sans gêne...

Albus rit :

- Si tu savais ce que les tabloïds racontent sur moi... J'ai beau avoir une âme d'épicurien, je n'ai jamais organisé d'orgie à trente chez moi.

Il laissa passer une seconde, puis ajouta :

- C'était chez Charity.

Scorpius se figea brusquement. Alors, Albus éclata de rire et lui tapa sur l'épaule :

- Je plaisante, sourit-il. Tu me crois vraiment capable de tout, pas vrai ?

- Avec toi, je ne sais jamais à quoi m'en tenir...

Mais Scorpius renonça à creuser plus avant la question.

Non, le seul sujet sur lequel Albus s'étendait souvent, sans retenue et sans concession, c'était la politique. Au cours des semaines écoulées, il fit part à Scorpius de ses ambitions, de ses projets, de ses motivations, de comment il espérait subjuguer le peuple pour l'amener à forcer l'organisation d'une élection, enfin...

Scorpius l'écouta, fasciné et dépassé malgré lui. Lorsqu'il endossait le rôle du politicien, Albus devenait soudain magnétique. Solaire. Il parlait avec un sérieux et une maturité qu'il ne laissait pas deviner de prime abord. Son intelligence se faisait plus pénétrante que jamais, et Scorpius devait reconnaitre qu'il comprenait parfaitement pourquoi les trois quarts du pays étaient tombés si facilement sous le charme... Et pourquoi Hugo Weasley ne faisait pas le poids face à son formidable cousin.

Hugo, Albus en parlait aussi souvent, la plupart du temps pour s'en plaindre. D'après ce que Scorpius avait pu comprendre, Hugo mettait sans arrêt des bâtons dans les roues d'Albus en l'accusant d'être un dangereux mégalomane en devenir, un psychopathe assoiffé de pouvoir qui ne nourrissait que sa propre légende. Cela faisait sourire Scorpius – lui aussi avait porté de telles accusations contre Albus, dans le passé, mais... aujourd'hui, il ne savait plus quel crédit leur donner.

Il connaissait Albus mieux qu'Hugo ne le connaitrait jamais. Mieux que quiconque d'autre, en vérité. Il voyait l'homme sensible et passionné sous la carapace du manipulateur sans pitié. Il voyait les intentions qui animaient ses idées. Et il pensait qu'Albus était sincère... Tout ce qui lui manquait, c'était un modérateur, une boussole, un repère auquel se raccrocher, pour ne pas franchir les limites...

A mesure que le temps passait, Scorpius commençait à se dire, intérieurement, qu'il pourrait jouer ce rôle. Que peut-être, la vie les avait réunis pour qu'il aide Albus à se canaliser en gardant la tête froide, sans se perdre en chemin... La froideur, Scorpius en avait toujours fait son affaire...

Aussi, un jour, alors qu'Albus se plaignait d'Hugo pour la énième fois, Scorpius prit-il une décision. C'était une décision douloureuse pour lui, pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'elle impliquait de prendre part activement au combat d'Albus – chose qu'il n'avait plus faite depuis Poudlard et qui ne lui avait jamais vraiment réussi par le passé. Ensuite, parce qu'elle impliquait de se confronter à Hugo... Et s'il y avait bien une personne au monde que Scorpius souhaitait éviter comme la peste, c'était Hugo Weasley.

Les deux jeunes hommes ne s'étaient pas revus depuis ce fameux jour où Scorpius avait passé ses examens, avant de s'enfuir en Hongrie... Et Scorpius était persuadé qu'Hugo, tout comme lui, s'en portait à merveille. Ils étaient unis par ce genre de lien très particulier, cette catégorie de souvenirs qui brûlent, qui irritent, aussi bien l'un que l'autre...

Scorpius savait qu'Hugo avait tenté de se racheter une conduite, durant les dix années écoulées. Il s'était posé sur la scène publique en tant que magistrat exemplaire, et sa rigueur et son austérité lui attiraient effectivement les moqueries de politiciens comme Albus. Scorpius ne pouvait que saluer cette intention bien sûr : il était louable de la part d'Hugo de vouloir mener une vie vertueuse... Mais une petite voix au fond de lui-même ne pouvait ignorer d'où lui venait cette vertu. Cette impulsion à se priver de tout, pour ne prôner que la droiture, la probité, l'abnégation... A travers ses sacrifices et son honnêteté, c'était la culpabilité d'Hugo qui parlait. Hugo qui tentait d'expier des crimes ignorés de tous, sauf de sa conscience... Et de Scorpius.

Aussi Scorpius avait-il du mal à se préoccuper en bien de son sort. La plupart du temps, il faisait de son mieux pour se convaincre que le parcours d'Hugo lui était indifférent. Mais voilà qu'il envisageait à présent de le confronter... Après dix longues années...

Etait-ce une revanche ? Voulait-il blesser Hugo ? Scorpius l'ignorait. Hugo était toujours demeuré pour lui un mystère : la déclaration d'amour qu'il lui avait faite juste avant d'essayer de le violer dans une salle de classe vide avait laissé un souvenir à vif, dans sa mémoire... Pour Scorpius, ce qui s'était passé cette nuit-là était le fruit d'un esprit malade. Hugo ne pouvait pas sincèrement l'aimer, c'était impossible... Après tout ce qu'il lui avait fait... Tout ce harcèlement et ces brutalités, ça ne pouvait pas provenir d'un amour réprimé...

Pourtant, c'était ce qu'Hugo lui avait dit, juste avant de craquer...

Scorpius refusait d'y penser. Hugo était un territoire banni dans son esprit. Qu'il l'ait aimé un jour ou non n'avait aucune importance. Aujourd'hui, Hugo se tenait sur le chemin d'Albus, et Scorpius avait l'occasion d'exercer son pouvoir sur lui...

Aussi, sa décision prise, Scorpius finit-il par déclarer à Albus un soir :

- Si Hugo est un tel poids pour toi, je peux t'en débarrasser.

Albus, qui était en train de jouer avec une baguette comme il aimait si souvent le faire, s'immobilisa au coin du comptoir :

- Quoi ? demanda-t-il un peu stupidement, pas sûr d'avoir entendu.

- J'ai dit que si tu voulais te débarrasser d'Hugo, je pouvais m'en occuper pour toi, reprit Scorpius calmement.

Il regardait Albus dans les yeux et ne cillait pas. Albus, lui, finit par esquisser un sourire narquois :

- Tu me proposes de le descendre moyennant finances, monsieur l'assassin ?

- Non, répondit Scorpius posément. Simplement, Hugo a une dette envers moi. Si je lui demande quelque chose, il sera forcé d'obéir.

- Une dette ? Quel genre de dette ?

- Le genre qu'on est obligé d'honorer.

Cette fois, Albus fronça les sourcils, méfiant. Scorpius redoutait cette réaction. Albus était intelligent, fouineur, et détestait ne pas comprendre... Mais Scorpius n'avait aucunement l'intention de lui faire des confidences. C'était une affaire entre Hugo et lui :

- Ecoute, dit-il tout à coup, si tu me laisses lui parler seul à seul, je te garantis qu'il ne t'embêtera plus.

- Et comment comptes-tu accomplir ce miracle ?

- Ce ne sont pas tes affaires. J'inviterai Hugo à passer demain, et toi, je ne veux pas que tu viennes.

Scorpius lui jeta un regard appuyé :

- Si je vois l'ombre d'un de tes orteils sur le seuil de cette porte, je te jure que je ne t'aiderai pas.

Albus leva les mains en signe de reddition :

- Très bien, très bien, garde tes secrets... Promets-moi juste que vous n'allez pas vous étriper.

- Comme si ça pouvait t'inquiéter, sourit Scorpius en se détendant. Tu sais très bien que je gagnerais.

- Justement. Je n'ai pas envie d'aller enterrer son cadavre dans les bois.

- Dans les bois ? J'ai une cave, tu sais.

Albus sourit, mais Scorpius sentit bien que sa méfiance n'était pas apaisée. Ce n'était qu'un masque... Mais peu importait. Demain, il verrait Hugo et tout serait réglé. Rien qu'à cette pensée, le cœur de Scorpius battait plus vite... Mais il ne pouvait pas reculer.

XXX

Le lendemain soir, Scorpius escorta ses derniers clients vers vingt heures puis ferma la boutique à clé. Il s'assit alors derrière son comptoir et attendit. Attendit quoi, exactement ? Probablement d'être prêt...

La perspective de revoir Hugo hérissait tous les muscles de son corps. Il savait qu'il n'avait pas à être nerveux, pourtant. C'était à Hugo de l'être. Leur confrontation serait sans doute aussi déplaisante pour l'un que pour l'autre... Si, comme il le pensait, Hugo avait troqué sa vie d'adolescent tyran pour une existence de contrition et de remords, alors se retrouver face à Scorpius serait comme être frotté au papier de verre, rouvrir une blessure à vif, et le forcer à contempler ses propres erreurs...

Mais Scorpius n'y pouvait rien, il avait peur. Hugo avait ancré un traumatisme en lui la nuit où il avait essayé de le violer. Cela, ajouté au traumatisme de la mort de sa mère...

C'est peut-être ce qui décida Scorpius à agir. Il y avait bien longtemps qu'il ne voulait plus être une victime. Depuis des années maintenant, il s'était battu jusqu'à vaincre le traumatisme. Revoir Hugo, c'était la victoire qui lui manquait...

Cristallisant sa résolution, Scorpius remonta lentement la manche de sa chemise sur son avant-bras droit. Il aurait pu envoyer un simple message à Hugo, mais l'inspiration l'avait saisi tout à coup, une inspiration soudaine... L'envie de rappeler à Hugo dans sa chair ce qu'il lui avait fait...

Sous la lueur tremblotante des bougies, la marque qu'Hugo avait imprimée sur son poignet plus de dix ans plus tôt paraissait terne et délavée. Inspirant à fond, Scorpius leva sa baguette et toucha le motif. Aussitôt, il devint noir ébène.

XXX

Confortablement assis dans son fauteuil en cuir sous son plaid en patchwork, Hugo lisait la Gazette du Sorcier. C'était une activité à laquelle il se consacrait quotidiennement : chaque soir, en rentrant du Ministère, il mettait un point d'honneur à lire les actualités qu'il n'avait pas eu le temps de parcourir le matin. Il s'installait dans son unique fauteuil devant la cheminée, avec le plaid que lui avait tricoté sa grand-mère, une tasse de camomille à la main, et il tournait les pages une par une sous le regard attentif de ses chats.

Hugo avait trois chats : Sekhmet, Darjeeling et Abercrombie. Abercrombie était le plus joueur des trois : mutin, un peu idiot. Sekhmet, lui, était l'incarnation du félin condescendant, et Darjeeling était le plus vif, le préféré d'Hugo : intelligent, curieux et affectueux. Hugo aimait ses chats. Dans une vie où il s'interdisait quasiment tout contact social, ils formaient le centre de son monde.

Hugo leva le nez de son journal et s'autorisa une pause pour contempler les flammes. Dans l'ensemble, sa vie était faite de routine. Il se levait, enfilait l'un de ses costumes en tweed, affrontait la tempête du Ministère, et recommençait. Il n'y avait que cela, dans sa vie : le travail et les instants devant le feu avec ses trois chats. La plupart du temps, Hugo s'efforçait de ne pas s'en plaindre. Il s'était choisi cette vie. Il se l'était imposé. C'était une question de morale, de conscience. Hugo ne méritait pas davantage : il n'avait rien à exiger, à attendre ou à espérer de la vie. Tout ce qu'il pouvait faire pour se montrer digne d'exister, digne de l'air qu'il respirait, c'était expier. Se racheter, payer pour ces démons qui harcelaient sa mémoire la nuit, cette culpabilité qui prenait corps au creux de son ventre, depuis plus de dix ans...

Hugo n'avait qu'à se regarder dans un miroir pour se rappeler de ce qu'il avait fait. Tous les jours, les cicatrices infligées par le serpent de Scorpius venaient lui rappeler quel genre de monstre il avait été. Ce qu'il avait été capable de faire, pour s'être montré obtus et stupide. Ce qu'il aurait pu faire de pire...

Comme à chaque fois qu'il pensait à Scorpius, le cœur d'Hugo se serra et son esprit glissa vers autre chose. En vain. C'était trop tard, la porte était ouverte, et il allait s'y engouffrer à nouveau...

Quelque part, durant ces dix années qui s'étaient écoulées, Scorpius était resté présent dans la vie d'Hugo, aussi présent que son travail, sa culpabilité ou ses trois chats. Scorpius emplissait chaque seconde, chaque centimètre carré de sa vie, il était partout : dans le dégoût qu'Hugo ressentait pour lui-même, dans sa vie solitaire et volontairement recluse, dans son refus du bonheur, sa volonté de se punir par tous les moyens possibles... Scorpius était comme une ombre sur le destin d'Hugo, une ombre qu'il avait acceptée depuis longtemps, et qui lui murmurait : « Regarde ce que tu as fait. Regarde qui tu es. Tu es indigne. Tu es impur. Tu ne mérites rien, et il n'y a qu'un seul chemin pour toi : celui de la décence. Oublie ton bonheur. Oublie tes désirs, tes aspirations, ton existence. Tu ne les mérites pas. Sois juste, sois seul. Sois malheureux, et expie. »

Alors, Hugo expiait. Il savait qu'il expirait jusqu'au jour de sa mort. Si, entre temps, il était parvenu à arracher le monde sorcier aux griffes d'Albus Potter, il s'en estimerait heureux... Mais ce serait le seul bonheur qu'il s'accorderait. Parce qu'il savait que jamais rien ni personne ne viendrait le délivrer de cette culpabilité qui le rongeait. Ni sa famille, ni Scorpius (si par miracle il lui en prenait l'envie, ce qui semblait très improbable), ni lui-même. Hugo savait pourquoi il souffrait, et il avait accepté cette souffrance depuis longtemps. Elle était son seul destin. En silence, Hugo expiait.

Il n'avait jamais parlé à personne du secret terrible qui l'unissait à Scorpius. Personne dans son entourage n'avait jamais compris le revirement brusque qui s'était opéré dans sa vie, lorsqu'il avait commencé sa dernière année à Poudlard. Aujourd'hui, ses parents étaient divorcés. Ils ne s'adressaient plus la parole et ne le voyaient que rarement. Hugo soupçonnait que c'était à cause de lui, et cela aussi pesait sur ses épaules... Avec le recul, l'âge adulte lui avait apporté la lucidité dont il manquait étant enfant. Il savait à présent que sa frustration et sa brutalité à l'égard de Scorpius avaient été déclenchées par l'attitude de son père, qui lui avait toujours fait comprendre, dès son plus jeune âge, qu'il le mépriserait s'il venait à aimer un garçon, et d'autant plus Scorpius Malefoy... Il savait qu'il s'était débattu enfant avec des sentiments qu'il ne comprenait pas, et qu'il avait mal réagi. Mais cela n'excusait en rien ses gestes. Cela n'atténuait pas ses actes. Et même si, avec le recul, Hugo jugeait que son père s'était comporté comme un parfait crétin, il ne pouvait s'empêcher de porter sur ses épaules la responsabilité du divorce de ses parents...

De son côté, sa sœur Rose avait étudié la Médicomagie, et Hugo la voyait très peu elle aussi. Rose avait toujours évolué dans son monde à elle, et elle avait semblé ravie de se couper d'eux et de la politique dès qu'il lui en avait été donné l'occasion. Quant à Harry, Ginny et aux enfants Potter...

Hugo se tenait le plus loin possible de ce qui ressemblait à une réunion de famille. Il savait qu'Albus s'était brouillé avec plusieurs membres de leur famille à cause de ses visées politiques. Mais Hugo, lui, s'était contenté de s'isoler. Les premières années, sa grand-mère avait tenté de le harceler à coup de lettres cajolantes et de plaids en patchwork. Mais Hugo n'avait jamais cédé... Et quelque part, il éprouvait une sorte d'amertume teintée de regret, à l'idée que personne n'avait jamais vraiment cherché à le retenir...

Mais c'était ainsi. Hugo n'était pas destiné à être aimé : cela aussi, il l'avait accepté. Il ne laissait volontairement entrer personne dans sa vie. Les rumeurs qu'Albus répandait à son égard étaient vraies : à vingt-six ans, Hugo n'avait jamais fréquenté personne, et se garderait bien de le faire. Cette simple pensée l'horrifiait. Pourtant, il avait déjà reçu des propositions, quelques fois. Son regard s'était attardé sur des hommes qui lui plaisaient, aussi... Mais il s'était toujours interdit d'aller plus loin. Dès que se manifestait la possibilité ne serait-ce que d'une amitié avec un collègue, Hugo y mettait fin. Parce qu'alors, le souvenir de Scorpius revenait flotter dans son esprit, le souvenir de cet amour douloureux qu'il éprouvait toujours malgré toutes ces années, et la culpabilité qui y était associée...

Hugo n'aurait jamais Scorpius. Il ne se faisait aucune illusion là-dessus. D'ailleurs, si l'opportunité se présentait pour quelque raison extraordinaire, il n'était pas sûr qu'il l'accepterait. Une fois encore, parce qu'il ne le méritait pas. Il ne méritait ni Scorpius ni personne. Pas d'amour. L'amour de trois chats, c'était peut-être déjà trop...

Parfois, quand il méditait sur sa solitude, tard dans son lit, Hugo se plaisait à penser qu'à travers son célibat forcé, il demeurait fidèle à Scorpius, en son âme et conscience, d'une certaine façon. C'était une chose qu'Albus n'avait jamais été capable de faire, et qui avait toujours plongé Hugo dans une rage folle...

« Au moins, j'ai cette supériorité sur lui », se consolait-il. « Au moins, j'aime et je respecte Scorpius comme lui n'a jamais su le faire ».

Mais en ce soir d'hiver pluvieux, alors qu'il s'efforçait de replonger dans la Gazette du Sorcier, Hugo ressentit soudain quelque chose qui bouleversa tout son univers établi. Quelque chose qu'il n'avait jamais ressenti dans sa vie entière, mais qu'il identifia pourtant aussitôt...

La marque. La trace d'un ancien sortilège, jeté plus de dix ans plus tôt, et jamais effacé... Terrorisé, Hugo sentit cette marque, cette marque qu'il avait ancré à même la chair de Scorpius, l'appeler par-delà la distance et le temps. Que devait-il faire ? Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Au nom du ciel et de la terre, pourquoi Scorpius aurait-il actionné la marque... ?

Hugo n'avait aucune réponse à ces questions, mais il savait ne pas pouvoir y échapper. A l'appel de Scorpius, il n'avait d'autre choix que de répondre. Il ne pouvait tout simplement pas l'ignorer. Aussi, renversant son plaid, saisissant sa baguette, Hugo ferma les yeux et transplana, tremblant de tous ses membres, laissant la marque l'attirer vers Scorpius.

XXX

Il réapparut dans l'obscurité tamisée d'une boutique de baguettes, où il n'avait pas mis les pieds depuis des années. Plus anxieux que jamais, Hugo prit le risque de regarder autour de lui. Et il était là, qui le contemplait. Assis derrière son comptoir, rejeté contre le dossier de sa chaise, comme pour pouvoir mieux le détailler tout en restant le plus loin possible de lui...

La lueur des bougies animait son visage d'un jeu d'ombres et de reliefs, vacillant, changeant. Hugo n'osait pas approcher. Il avait peur de redécouvrir ce visage dix ans après, si longtemps après...

- Hugo, dit alors Scorpius pour le saluer.

Sa voix était grave. Profonde. Elle ne tremblait pas. Une voix caverneuse qui aiguisa la peur dans les entrailles d'Hugo. Pourquoi Scorpius l'avait-il appelé aujourd'hui ? Pourquoi aujourd'hui ? Qu'attendait-il de lui ?

Il ne pensait pas que Scorpius voulait le blesser physiquement : s'il avait souhaité ce genre de revanche, il aurait pu l'attirer chez lui ou venir le trouver depuis bien longtemps. Mais que voulait-il, alors ? Qu'y avait-il au fond de ces yeux clairs ?

Tétanisé, Hugo sentit ses jambes se mouvoir malgré lui. Il s'approcha du comptoir, fasciné par l'éclat translucide des iris de Scorpius, qui se remplissaient de feu à la faveur de la flamme. Il n'avait pas vu Scorpius depuis plus de dix ans. Dix longues années, où son souvenir s'était estompé dans son esprit, pour ne rester que l'adolescent pris de panique qu'il avait agressé, seul dans la nuit...

Avant même de toucher le comptoir, Hugo se sentit rattrapé par le choc : l'adulte que Scorpius était devenu maintenant se superposait à l'adolescent qu'il avait été, et c'était plus douloureux que tout ce qu'Hugo aurait pu imaginer.

Scorpius avait d'épais cheveux noirs, un peu trop longs, qui auréolaient son visage de ténèbres. Son visage s'était émacié et durci avec les années, pour lui donner cet air trop sévère qu'il avait toujours arboré, même à l'adolescence. Il était très beau. Il se dégageait de lui une puissance contenue, féroce, une force calme et tranquille qui ne demandait qu'à se libérer, dans tout ce qu'elle avait de plus implacable...

Le plus extraordinaire restait ses yeux. Hugo était immédiatement tombé amoureux de ces yeux étant enfant... Pâles comme la Lune, clairs comme de l'eau. Ils le dévisageaient sans rien exprimer à présent. Ni animosité, ni colère, ni rancune. Scorpius se contentait de l'évaluer comme lui-même l'évaluait. Que pouvait-il voir ? A vingt-six ans et dans sa situation, Hugo ne se souciait guère de paraitre séduisant. Il se coupait les cheveux très court, à la militaire. Il s'habillait sobrement. Pour le reste, il ne voyait que les deux énormes cicatrices qui lui dévoraient le visage...

Scorpius les voyait à présent, lui aussi. Que pouvait-il bien penser ? Le souvenir de Belly, et de ce terrible jour où ils s'étaient battus à mort, lui revenait-il en mémoire ? Hugo se sentit rougir. Il n'avait pas dit un mot, et déjà, il avait honte. Il avait honte de se trouver là et de subir le regard insoutenable de Scorpius, avec le poids de tout ce qu'il ne disait pas. A nouveau, les souvenirs forcèrent le barrage de son esprit : Hugo vit Scorpius abasourdi devant sa déclaration d'amour dans la salle de classe vide, il vit son dédain, son mépris, et puis la lutte qui en avait suivi... Hugo s'attarda sur les lèvres de Scorpius, et songea qu'il les avait martyrisées, dix ans plus tôt... Il l'avait embrassé de force, et il aurait pu faire tellement pire...

Ce contact semblait surréaliste aujourd'hui. Jamais Hugo n'avait ressenti un tel dégoût pour lui-même de sa vie entière. Être à nouveau confronté à sa victime, c'était... C'était horrible. Cela lui donnait l'impression que les dix années écoulées n'avaient rien été. Qu'il n'avait rien compris, qu'il ne s'était pas suffisamment puni. Que son existence était encore trop douce pour ce qu'il avait fait...

Chancelant devant ce regard qui le transperçait, Hugo sentit son courage l'abandonner : il baissa les yeux. Il attendit, en silence, que vienne la sentence, que Scorpius le délivre en lui révélant pourquoi il l'avait appelé ce soir en pleine nuit... Mais Scorpius ne disait rien. Alors, d'une voix rauque, Hugo murmura :

- Tu n'aurais pas dû utiliser la marque.

Il releva les yeux. Un frémissement parcourut les traits de Scorpius. Il parut réfléchir avant de répondre, puis se lança :

- J'ai pensé que ce serait un bon moyen de se remémorer le passé.

- C'est pour ça que tu m'as fait venir ? Tu veux que je l'efface ?

- Non, souffla Scorpius.

Il parlait très bas, mais Hugo l'entendait parfaitement. Il le regarda passer son index sur la marque à nouveau vive, à même sa peau :

- J'ai fini par m'y habituer, reprit-il. Elle me rappelle ce que je suis. Ce que j'ai vécu. Et puis, elle pourrait encore nous servir à l'avenir.

Hugo avala sa salive. Il n'y tenait plus, il ne pouvait pas se laisser torturer ainsi :

- Pourquoi est-ce que je suis là ? demanda-t-il enfin.

Scorpius sourit :

- Je suis content que tu me poses la question.

Son regard restait froid, terrible. Hugo avait l'impression de s'y heurter comme à la surface d'un lac : il percevait son reflet, mais pas les profondeurs... Et Dieu seul savait quels monstres habitaient les profondeurs...

Rattrapé par ses émotions tout à coup, Hugo balbutia :

- Scorpius, je...

- Stop. Ne dis rien. Surtout ne dis pas ça, s'il te plait.

Hugo retint ses mots. Il s'apprêtait à dire « Je suis désolé ». Mais visiblement, ni Scorpius ni lui n'étaient prêts pour des excuses. Même après dix années. Même après dix ans, leur contact était toujours douloureux, à l'un comme à l'autre. Hugo n'osait pas imaginer ce qui pouvait se dérouler dans l'esprit de Scorpius à cet instant. Le jeune homme affichait une indifférence froide, mais lui aussi devait garder en mémoire le souvenir de ce qu'il lui avait fait... Alors, avait-il peur de lui ? Est-ce qu'il le dégoûtait, brûlait d'envie de se jeter sur lui et de serrer son cou entre ses mains nues ?

Hugo préférait sans doute ignorer la réponse. Il était affreux pour lui de soutenir ce regard dénué de chaleur, ce regard qu'il avait tant aimé, et qu'il aimait encore, désespérément.

C'était cela, sans doute, qui lui faisait le plus mal. Constater qu'après dix années, il aimait toujours Scorpius comme au premier jour. Mais il était trop tard, maintenant...

- Je voudrais que tu me rendes un service, finit par dire Scorpius en rompant le silence.

Hugo se tendit :

- Un service ?

- Oui. Après ce qui s'est passé entre nous, tu me dois bien un service, tu n'es pas d'accord ?

Hugo n'osa pas répondre. La question était piège et il le sentait. Il n'avait tout simplement pas la force d'argumenter avec Scorpius quand ce dernier évoquait directement ce qu'il lui avait fait...

- Qu'est-ce que tu attends de moi... ? finit par demander Hugo en se forçant à le regarder dans les yeux.

Scorpius se redressa :

- Je veux que tu arrêtes de diffamer la campagne d'Albus.

Hugo se figea. Les mots se frayèrent lentement un chemin jusqu'à son esprit, sans qu'il puisse les saisir. Abasourdi, il s'exclama :

- Quoi ?

- Tu m'as bien entendu. Je sais que tu es le principal opposant politique d'Albus, et je veux que tu cesses. Tu ne feras plus de diatribe à son encontre, plus d'apparitions publiques pour dénoncer ses actions, tu ne feras plus rien. Je veux que tu rentres dans ton trou et que tu t'y terres. On se comprend bien ?

Transpercé, Hugo se sentit ouvrir et fermer frénétiquement la bouche, comme un poisson hors de l'eau. Les mots se dérobaient à lui. Les pensées aussi. Et pendant ce temps, une douleur terrible, aigüe, trouvait le chemin jusqu'à son cœur et le broyait entre ses doigts puissants. Albus. Il était question d'Albus.

Avant d'avoir pu réfléchir, Hugo lança :

- Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?

- Ça ne te regarde pas. Obéis et c'est tout.

- Vous avez repris contact, c'est ça ?

Il eut à peine besoin de regarder Scorpius pour obtenir sa réponse. Alors, Hugo crut qu'il allait s'effondrer sous le poids de sa douleur. Après toutes ces années, dix années... Il était encore et toujours question d'Albus. Albus qui se plaçait sur son chemin en politique, quotidiennement, jour après jour, Albus qu'Hugo avait méprisé depuis leurs premières années à Poudlard, Albus qui avait notoirement trompé Scorpius et qui l'avait traité comme de la merde... Dix années après, Scorpius le convoquait dans sa boutique au beau milieu de la nuit pour prendre encore et toujours la défense d'Albus Severus Potter.

Hugo crut qu'il allait vomir. La jalousie, le sentiment de trahison qu'il ressentait l'étouffaient tellement qu'il dut se raccrocher au comptoir pour ne pas vaciller. Devant lui, imperturbable, Scorpius observait sa réaction. Il semblait attendre qu'il se ressaisisse. Hugo se força à prendre une profonde inspiration :

- Tu n'as toujours pas retenu la leçon ? cracha-t-il en sachant qu'il le regretterait très vite. Tu t'acoquines toujours avec lui après tout ce qu'il t'a fait ?

- Ma vie privée ne te regarde en aucune façon, répliqua froidement Scorpius. Et il me semble qu'en matière de torts infligés, tu te places loin au-delà d'Albus.

Hugo rougit aussitôt. Il sentit la chaleur se diffuser jusqu'à la racine de ses cheveux. Désemparé, il n'hésita plus à supplier :

- Tu ne peux pas me demander ça ! implora-t-il. C'est un fou, et tu le sais ! Il est assoiffé de pouvoir ! Il est constamment à ça de dérailler, à ça ! Ça finira par arriver un jour, fatalement, et nous ne pourrons plus rien faire !

- Je serai là pour veiller à ce que ça n'arrive pas, dit Scorpius en se moquant clairement de son ton mélodramatique. Mais toi, en attendant, tu vas honorer ce que tu me dois.

- Je ne vois pas pourquoi je te devrais cela, se défendit Hugo. Je t'ai déjà donné la boutique !

Scorpius se figea tel un reptile :

- La boutique, je considère cela comme la moindre des choses, articula-t-il très lentement. Quand j'ai reçu ta lettre il y a deux ans, j'y ai vu un signe désintéressé de ta part. M'offrir le moyen de rentrer chez moi, en y trouvant une situation stable... Je pensais que c'était ta conscience qui parlait, que tu ne me demanderais rien en retour.

- C'était le cas !

- Alors le prix d'une boutique, selon toi, c'est ce que valent toutes les horreurs que tu m'as fait subir ?

Cette fois, Scorpius avait hurlé.

- Les coups, les insultes, les humiliations, Belly, mon casier judiciaire, la quasi-expulsion, mon exil de ce pays, et bien sûr, bien sûr, ne parlons pas de la tentative de viol, en traître dans une salle de classe vide !

Hugo blêmit. Il eut soudain l'impression que tout son sang s'était retiré de son corps. Il lui fallut un bon moment pour retrouver la parole, et il ne put qu'articuler :

- Non, bien sûr que non...

Son cœur cognait très fort, dans sa poitrine :

- Mais ce que tu me demandes là, c'est...

Il inspira à fond. Il fallait absolument qu'il se fasse comprendre :

- Tu es aveuglé, dit-il sans animosité, avec toute la fermeté dont il était capable. Tu ne vois pas qui il est vraiment. Tu ne vois pas ce qu'il pourrait faire à notre monde.

- Il pourrait lui faire beaucoup de bien ! A commencer par venger les gens comme moi, comme ma mère, et envoyer les salauds comme toi en taule !

- Tu ne vois pas, dit Hugo en fermant les yeux sous le déluge de haine pure. Ma lutte contre Albus, préserver le monde sorcier de son influence, c'est tout ce qu'il me reste, aujourd'hui.

- Si tu refuses de te retirer, je raconterai à la presse ce que tu m'as fait, rétorqua Scorpius d'un ton de défi. Je suis sûr qu'ils seront ravis d'apprendre que le dernier soutien sérieux du Ministère est un violeur et un tueur d'animaux.

- Tu t'exposerais volontairement à la presse de cette façon ?

- Bien sûr.

- Pour lui.

- Pour lui et pour moi.

Scorpius se leva. Il y avait une fierté ignoble dans son attitude : la fierté d'une victime qui vient de prendre son bourreau au piège, et qui réclame enfin justice :

- Les journaux saliront peut-être mon nom, mais que peuvent-ils faire de pire que ce qu'ils ont déjà fait ? Certains ne me croiront sans doute pas, mais peu importe : la graine sera semée, le doute sera là. Tu entendras des rumeurs partout sur ton passage, Hugo. Tu ne pourras plus faire un pas sans que l'on te voie tel que tu es vraiment. Tu as été très doué pour le cacher ces dix dernières années, pas vrai ? Mais si tu ne fais pas profil bas, tout ça, ce sera terminé.

Hugo dévisagea Scorpius. A mesure que ses paroles s'écoulaient, un profond désespoir se faisait jour en lui. Rien ne pouvait lui porter pire coup au cœur que la fidélité de Scorpius envers Albus. Et tous les non-dits derrière ces mots... Parce qu'il était évident que Scorpius et Albus s'étaient remis ensemble...

Avec une sorte de stupeur glacée, Hugo réalisa qu'il n'avait plus rien à perdre :

- Vas-y, dit-il très lentement. Raconte-tout à la presse.

Il vit Scorpius s'apprêter à répliquer, mais il poursuivit aussitôt :

- Le marché que tu me proposes est sans issue, Scorpius. Dans les deux cas : que je me taise ou que tu condamnes ma carrière politique, je suis perdant. Je suis forcé d'abandonner ma lutte contre Albus. Alors, si tu veux bien... Je crois que je vais prendre le risque des révélations publiques.

Scorpius le dévisagea longuement, comme frappé par la foudre. Alors, un mépris sans nom s'étala sur son visage :

- Tu n'as vraiment aucun honneur, cracha-t-il. Aucune conscience...

- Je ne nierai pas tes accusations, répondit Hugo dignement. Mais je ne cesserai pas celles que je porte contre Albus non plus.

Il ajouta avec un dernier regard désolé :

- Je suis navré que nous ayons à nous affronter à nouveau, Scorpius. Je n'ai jamais voulu ça, crois-moi. J'espère qu'un jour tu reviendras à la raison, avant qu'il ne soit trop tard.

Il s'apprêta alors à transplaner. Mais un mouvement au fond de l'arrière-boutique attira son attention. Dans la pénombre, son pire cauchemar prit chair et corps tout à coup : Albus Potter émergea de sous la cape d'invisibilité de son père, à la stupéfaction de Scorpius. Son visage était terrible, et le regard qu'il lui lança meurtrier :

- Alors, dit-il en crucifiant littéralement Hugo sur place. Maintenant tu vas me dire ce que tu as fait à Scorpius, espèce de sale enfoiré de fils de pute !

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