Comptoir

Allongé dans son lit, les yeux grands ouverts, Scorpius n'arrivait pas à s'endormir. Il comprenait parfaitement pourquoi et cela le mettait dans une colère folle, encore moins susceptible de lui apporter le sommeil.

Cela faisait deux heures maintenant qu'Albus Potter avait quitté sa boutique. Deux heures qu'il avait débarqué à nouveau dans sa vie comme un ouragan pour y faire ses ravages, et repartir presque aussitôt, comme un fantôme.

Fermant les yeux, Scorpius soupira. Il haïssait, il haïssait Albus. Il haïssait son attitude désinvolte qui l'avait conduit à frapper chez lui au beau milieu de la nuit sans même se soucier de comment il réagirait. Il haïssait son insolence et le culot absolu qui lui permettait de lui demander son aide pour participer à ses projets mégalomaniaques. Et surtout, il haïssait ce pouvoir qu'Albus avait toujours sur lui...

Se redressant pour attraper une cigarette, Scorpius s'écroula à nouveau sur son lit. Rien à faire. Toutes les distractions du monde ne suffirait pas à effacer la pression de ce baiser sur ses lèvres, le corps d'Albus tout près du sien, sa présence, son odeur, et l'irrésistible aura qui lui permettait de s'insinuer partout dans la moindre de ses pensées...

Et merde. Dix années avaient passé, bordel ! Dix années ! Et pourtant, il suffisait qu'Albus se pointe à sa porte la bouche en cœur pour que Scorpius se sente vaciller comme le jour de leur premier baiser... Scorpius eut envie de se traiter de tous les noms et enfonça sa tête dans l'oreiller, ce qui fut fatal à la cigarette. Il se sentait comme un adolescent moite et maladroit. Comme une midinette vivant son premier coup de foudre. Une telle agitation ne lui ressemblait pas, et Scorpius désespérait de retrouver le véritable lui-même...

Le pire dans tout cela, c'était sans doute qu'Albus savait. Il savait, forcément. Albus n'avait jamais eu son pareil pour détecter ce genre de choses. Scorpius avait beau s'être montré froid et avoir gardé une indifférence de façade, même pendant le baiser, il était sûr et certain qu'Albus avait senti quelque chose : une excitation, un frémissement, et qu'il allait y planter ses crocs pour revenir à la charge sans en démordre, encore et encore...

Scorpius soupira. Il jouait avec le feu et il le savait. Il n'était pas prêt à laisser Albus revenir dans sa vie : il ne l'avait même jamais envisagé. Rêvé peut-être, à ses heures perdues... Mais il n'y a pas de mal à rêver, pas vrai ? Rêver d'Albus ne voulait pas dire qu'il voulait revenir à ses côtés ?

Scorpius se retourna machinalement sur le côté. La partie de lui-même qui demeurait lucide – et non fixée sur les lèvres d'Albus – lui soufflait que les artifices du jeune homme lui faisaient oublier le plus important. La baguette de Sureau. La carrière d'Albus. Cette réputation de politicien sulfureux dans laquelle il se drapait comme du velours... Scorpius voulait-il vraiment être mêlé à tout ceci ? Visiblement, il avait déjà accepté. Mais il n'était pas trop tard, pas vrai ? Il pouvait encore faire marche arrière...

Il y avait quelque chose en lui, pourtant, qui lui soufflait qu'il ne pourrait pas. Peut-être étaient-ce les battements accélérés de son cœur, depuis qu'il l'avait vu sur le pas de sa porte. Peut-être était-ce cette sensation enivrante de danger et d'absolu qui l'avait pénétré, comme autrefois, à chaque fois qu'il fréquentait le sillage d'Albus... Scorpius avait eu la sensation d'être projeté dix ans en arrière. Lorsqu'Albus arpentait les couloirs de Poudlard avec lui comme un roi, et qu'à ses côtés, contaminé par son aura, Scorpius se sentait invincible. Il y avait quelque chose d'irrésistiblement galvanisant dans la fréquentation d'Albus : son entrain, son assurance, sa confiance en la vie et en sa propre réussite... Scorpius aimait tout cela. Il aimait se sentir le favori et le témoin privilégié d'un être à part. Il aimait la compagnie de ce jeune homme qui se permettait tout ce que lui n'aurait jamais osé faire, même dans ses rêves les plus fous. Il aimait le parfum d'aventure et d'interdit qu'Albus lui offrait, en partageant sa vie...

Ce soir, Albus lui avait offert à nouveau une gorgée de cet elixir, après dix années d'absence. Scorpius en était enivré. Il n'avait pas réalisé à quel point Albus lui avait manqué, à quel point tout ceci lui avait manqué. A quel point sa vie avait changé, et comme il avait été si facile, pour Albus, de la bouleverser à nouveau...

Scorpius aimait son existence. Il aimait la petite vie tranquille qu'il était parvenue à se construire ici à Londres. Il aimait le relatif anonymat dont il bénéficiait à présent, et le respect de ses clients. Mais les faits restaient les mêmes : il ne voyait pas d'avenir au-delà du lendemain. Il n'avait pas d'autre ambition que de garder la tête basse et qu'on l'oublie, qu'il puisse continuer à mener cette petite vie tranquille sans aucun imprévu sur son passage. Seulement, Scorpius s'en rendait d'autant plus compte maintenant, cette existence était vide. Sans saveur. Sans amour. Revoir Albus à l'improviste alors que rien ne l'y avait préparé l'avait brusquement projeté dans une époque où il avait cru, espéré, une époque où il avait osé entretenir des rêves et croire qu'il pourrait les réaliser...

Où était passé ce jeune homme aujourd'hui ? Où était passé cette étincelle d'idéalisme qu'Albus avait réussi à dénicher, à nourrir, à encourager en lui ? Depuis combien de temps Scorpius n'avait-il pas espéré quelque chose ?

Se laissant entraîné par ses souvenirs, Scorpius retrouva le chemin des émotions qu'il ressentait à l'époque lorsqu'il était adolescent, des rêves, des sensations. Il y avait beaucoup de colère en lui, beaucoup de révolte. Tout cela, l'ultime incident avec Hugo l'avait étouffé. Scorpius s'était enfui loin de tout ceci sans un regard en arrière, sans même songer à ce que cela signifierait pour Albus et lui... Mais à présent, il se rendait compte de ce qu'il s'était amputé. La provocation, la fierté, l'éclat, ces lèvres sur les siennes, ces mains sur son corps...

Albus et lui avaient été proches, inutile de le nier. Scorpius avait refoulé ces souvenirs au fil des années, mais aujourd'hui, cette nuit, ils revenaient tous en force comme pour réclamer vengeance, et les caresses d'Albus brûlaient sa peau comme autant de délices électriques...

Se redressant en sursaut, Scorpius renonça à s'endormir et partit prendre une douche. Froide. Albus lui avait dit qu'il reviendrait d'ici la fin de la semaine pour voir où il en était. Il avait le temps de se maîtriser d'ici-là.

XXX

La semaine suivante, au beau milieu de la nuit, à l'heure dite, Albus Potter franchit à nouveau le seuil de la boutique de baguettes. Scorpius l'attendait déjà cette fois, assis derrière son comptoir, impeccable dans son jean et pull de mailles noirs. Albus sourit. Il avait l'impression que Scorpius l'appréhendait comme on appréhenderait une bataille : défenses dressées, couteaux tirés. Pourquoi tant de précautions ?

Albus s'approcha, et comme en réponse à ses pensées, Scorpius recula. Il exhuma du comptoir les fragments de baguette brisés et les étala devant Albus :

- J'ai commencé à les étudier, expliqua-t-il d'une voix froide et professionnelle, sans le moindre préambule. C'est réparable, du moins je le pense. Mais ça me prendra un peu de temps. J'espère que tu n'as pas prévu de faire exploser le pays tout de suite.

Albus écarta négligemment une mèche de ses cheveux, comme pour balayer sa remarque :

- Pour l'instant, c'est une vieille connaissance à nous qui me pose des problèmes, dit-il en s'accoudant des deux bras sur le comptoir.

- Qui ça ? fit Scorpius en rangeant les fragments.

- Hugo Weasley.

Scorpius se figea quelques instants. Albus le vit : son regard exercé ne ratait jamais ce genre de détail, et il s'interrogea :

- Quoi ? Tu ne savais pas que mon cher cousin est entré en politique, lui aussi ?

- Si, j'en ai entendu parler, répondit sobrement Scorpius.

- J'aimerais tellement réduire sa grande gueule au silence, un de ces jours..., fit Albus en s'emparant négligemment d'une baguette, qu'il fit tourner entre ses doigts. Dire qu'il se pose en justicier au grand cœur, en criant que c'est moi le psychopathe... Tu y crois, ça ? Si les gens apprenaient comment il était à Poudlard...

- Evite de me mêler à tes scandales, si tu veux bien.

Albus fit non de la tête :

- Je n'en ai pas besoin pour l'instant. Hugo s'est construit une vie de vieillard à la retraite : c'est comme s'il tendait le bâton pour se faire battre, il est bien trop facile à discréditer. Je te parie qu'il est toujours puceau.

Scorpius souleva un sourcil :

- En quoi cela a-t-il à voir avec sa politique ?

- En rien, mais ça m'amuse, répondit Albus avec un sourire carnassier. Personne ne le prend au sérieux et tout le pays le tourne en ridicule. Mais je dois reconnaitre qu'il a le mérite de se battre, le pauvre...

Scorpius secoua la tête :

- Je te reconnais bien là.

- Quoi ? Tu ne vas pas le plaindre quand même ?

- Non. Mais tu traites toujours les gens comme des araignées auxquelles on arrache les pattes.

Le sourire d'Albus s'agrandit. Ignorant Scorpius qui venait de lui confisquer la baguette, il fit le tour du comptoir et vint délibérément s'accouder auprès de lui :

- Tu sais que t'es mignon quand tu fais la tête ? lui dit-il, malicieux. C'est-à-dire tout le temps.

Scorpius demeura impassible. Se tournant brusquement vers lui, il planta ses yeux froids dans les siens :

- Tu sais que t'es mignon quand tu la fermes ? répliqua-t-il. C'est-à-dire jamais.

Albus resta muet de surprise. Alors Scorpius le planta là, en lui précisant qu'il était inutile de revenir avant trois bonnes semaines.

XXX

Dans une tentative désespérée de recouvrer son sang-froid, Scorpius se plongea à corps perdu dans la tâche qu'Albus lui avait confié. Il continuait de recevoir des clients, mais le reste du temps, il demeurait dans son arrière-boutique, à travailler sur la baguette de Sureau.

C'était un objet fascinant, ancien, rempli de mystère et de puissance : le rêve de tout spécialiste des baguettes. Pourtant, une petite voix s'obstinait à murmurer à l'oreille de Scorpius qu'il ne se consacrait à ce travail que pour revoir Albus, et cette voix l'exaspérait.

Son sommeil ne s'était pas amélioré depuis cette première nuit de leurs retrouvailles. Lorsqu'il rêvait, Scorpius rêvait d'Albus, de ces tentatives timides qu'ils avaient eues à l'adolescence, et que l'expérience teintait désormais d'un érotisme d'un tout autre niveau. Scorpius se haïssait lui-même pour cette faiblesse. Il n'était pourtant pas en manque... Mais Albus avait toujours eu ce pouvoir sur lui, cette faculté de l'horripiler et de s'insinuer sous ses barrières, insidieusement, en traitre. Scorpius n'arrivait pas à imaginer comment il serait capable d'affronter Albus lors de leur prochaine rencontre, avec toutes ces images dans la tête...

Albus ne lui facilita pas la tâche lorsqu'il débarqua dans sa boutique à l'improviste, à peine trois jours plus tard.

- Tu me manquais trop, lança-t-il de son air bravache. Je me suis dit que je pouvais venir inspecter ton travail, de temps en temps.

Scorpius fit de son mieux pour dissimuler son énervement. Il reconnaissait bien là l'attitude qu'Albus avait eue pour l'approcher à Poudlard : en force, sans cesse, sans lui demander son avis. Plus Scorpius se montrait agacé, plus cela l'amusait et il insistait. Aussi Scorpius demeura-t-il de marbre et accepta-t-il de lui montrer les étapes de réparation de la baguette.

Albus l'écouta attentivement. Scorpius ignorait s'il se concentrait vraiment sur ses paroles ou uniquement sur ses lèvres, mais il préféra ne pas se poser la question. Il avait toujours eu une très grande maitrise de lui-même, et cela n'avait pas changé avec les années. Même si Albus, dans ses mots et son comportement, faisait tout pour se montrer ambigu...

Scorpius soupira. Dans un sens, ce petit jeu l'avait toujours attiré et énervé, chez Albus. Parce que ce n'était qu'un jeu, justement. Parce qu'Albus lui donnait l'impression de le séduire uniquement parce qu'il le pouvait. Comme un challenge. Mais pas par sentiment. Scorpius avait grandi depuis leurs premiers baisers à quatorze ans. Il n'était plus aussi malléable qu'Albus le voudrait, et surtout, il avait appris à vouloir plus que de simples flirts grisés par l'interdit. Il n'était pas sûr qu'Albus ait jamais dépassé ce stade...

Albus revint tous les jours à la boutique à partir de ce jour-là. Scorpius s'efforça de se dire que c'était une bonne chose : ainsi, il se réhabituait à sa présence, et y devenait moins sensible. Mais il n'en était pas entièrement convaincu...

Lorsqu'ils étaient ensemble, Albus se comportait comme si les dix dernières années ne s'étaient jamais écoulées. Il avait ces changements d'attitude totalement déstabilisants : parfois politicien froid, déterminé, sérieux et calculateur, parfois jeune homme insolent et gouailleur, parfois incube... Il évoquait irrésistiblement un chat : gracieux, capricieux, au service de ses propres envies.

Scorpius se surprit à prendre plaisir à leurs conversations. Après tout ce temps, il avait oublié à quel point l'esprit d'Albus pouvait être fin, avisé, inquisiteur et subtil. Albus brillait d'une intelligence folle, et ce n'était pas pour rien s'il était en passe de parvenir à ses projets...

Scorpius appréciait moins les attitudes lascives qu'il se donnait comme si de rien n'était. Albus avait senti son malaise et se faisait un malin plaisir de l'approcher sans arrêt, de rechercher le contact physique alors qu'il n'était pas nécessaire, d'envahir son espace vital pour le provoquer... Scorpius répondait comme toujours : froidement. Mais il maudissait cette multitude de détails qu'il remarquait chaque jour un peu plus, et qui tous, des fines lèvres d'Albus jusqu'à son esprit, lui criaient qu'il le désirait.

Un soir, Scorpius finit enfin par venir à bout de la baguette de Sureau. Les fragments s'étaient parfaitement ressoudés, et la baguette, après test, donnait des résultats excellents. Il se pourrait même qu'elle soit devenue encore plus puissante qu'auparavant...

Contemplant son ouvrage, Scorpius se laissa aller dans son siège, et l'accomplissement céda alors la place à une étrange forme de vide. C'était fait. Il avait terminé. D'ici quelques heures, Albus passerait prendre la baguette, et alors, il n'aurait plus besoin de lui. Tous deux retourneraient à leurs vies séparées : lui le modeste fabriquant de baguettes, et Albus, flamboyant politicien au firmament de la société...

Scorpius alluma une nouvelle cigarette. Il essaya de se convaincre pour lui-même que c'était pour le mieux. Qu'il n'avait pas cédé, qu'il avait frôlé le chaos sans s'y laisser prendre... Et pourtant, sa fumée se teintait d'une infinie nuance de regret. Quelque part, il aurait aimé... Il aurait aimé quoi ? Qu'Albus insiste plus ? Qu'il y ait davantage d'attachement ou de sincérité, dans ses yeux ?

C'était ridicule. C'était Scorpius qui était parti. Scorpius qui n'avait donné aucune explication, pas même un regard en arrière. Albus ne lui devait rien. Scorpius n'arrivait pas à l'imaginer s'accrocher à un fantôme pendant dix ans... D'ailleurs, son mariage et ses nombreuses aventures publiques le prouvaient. Lui-même avait mené sa vie, en tâchant de l'oublier... Mais il n'avait jamais vraiment réussi, pas vrai ?

La porte de la boutique s'ouvrit à cet instant. Albus entra. Visiblement, il pleuvait à l'extérieur, car il était trempé, comme la première fois. Il passa deux bonnes minutes à s'ébrouer et à se défaire de sa cape gorgée de pluie. Scorpius le regarda faire de loin sans rien dire. Lorsqu'il s'approcha enfin, sa première remarque donna à Scorpius des envies de meurtre :

- Eh bien, tu en fais une tête !

- J'ai fini, répondit simplement Scorpius.

Albus se figea aussitôt :

- Tu as fini ?

- Oui. Elle est toute à toi, tu peux l'essayer.

Albus passa derrière le comptoir. Dans ses yeux, Scorpius voyait tout ce qu'il redoutait : de l'avidité, une fascination sans borne, de l'émerveillement... Et pas une seule pensée pour lui. Pourquoi cela lui faisait-il aussi mal ? Ça n'aurait pas dû lui faire aussi mal...

- Formidable..., murmura Albus en la faisant tourner entre ses doigts. Est-ce que j'en suis le maître ?

Scorpius haussa les épaules :

- Je n'en sais rien. Ton père l'a cassée, donc je doute qu'elle lui obéisse encore. Je l'ai réparée, mais je ne pense pas qu'elle me soit fidèle. Il ne reste plus que toi.

Un sourire éclairant son visage, Albus fit voler quelques boites de baguette à travers la pièce :

- Tellement de potentiel..., souffla-t-il tandis que Scorpius percevait le pouvoir envahir l'atmosphère.

Albus se tourna enfin à nouveau vers lui :

- Merci, dit-il, véritablement rayonnant. Tu me l'emballes ?

Scorpius lui prit la baguette des mains sans réagir. Doucement, il la glissa dans une boite, tandis qu'Albus s'asseyait sur le comptoir en face de lui.

- Je plaisantais, dit-il en se penchant tout près de son visage.

Alors, il fit ce qu'il ne devait probablement pas faire :

- Merci, Scorpius, dit-il en déposant un bref baiser sur ses lèvres.

Scorpius le dévisagea fixement, pendant de longues secondes. Albus ne lui offrit en retour qu'un sourire, visiblement satisfait de son effet. Alors, Scorpius perdit pied. Il le sentit venir comme ça lui arrivait parfois, rarement, ces rares fois où tout contrôle sur lui-même l'abandonnait et où le calme plat de son âme cédait la place à un océan déchaîné. C'était dans ces instants-là qu'il avait tabassé Hugo à mains nues, quitté Poudlard sur un coup de tête... A ce moment précis, une petite voix dans sa tête s'exclama : « Et merde », et il se jeta sur Albus pour l'embrasser.

Albus fut si surpris qu'il faillit tomber du comptoir. Il s'accrocha au rebord, puis sentit les mains de Scorpius le retenir et le ramener vers lui. Les premières secondes, il répondit à son baiser par pur réflexe, jusqu'à ce qu'il comprenne de quel genre de baiser il s'agissait. Un baiser passionné. Pas le genre de baiser auquel Scorpius l'avait habitué.

Ignorant son indécision, Scorpius, lui, n'écoutait plus que cet instinct primitif qui l'avait poussé à capturer ces lèvres entre les siennes, enfin...

« Une fois », se répétait-il, « rien qu'une fois ».

Brusquement, le souvenir de toutes leurs tentatives avortées avec Albus lui revint en mémoire. Le souvenir de sa pudeur, de sa timidité, de ses hésitations, le souvenir de son mal-être et d'Albus qui lui en retour étalait sa sexualité comme pour mieux le narguer... Mieux lui faire comprendre à quel point ils étaient différents, à quel point il ne lui appartenait pas entièrement, et tout ce que Scorpius perdait...

Aujourd'hui, les années avaient passé, le temps et les circonstances avaient effacé bien des choses, et Scorpius embrassait Albus presque avec violence, comme une vengeance, une vengeance pour tout ce qu'ils auraient pu faire tellement et tellement de fois sans jamais l'obtenir...

« Si seulement tu avais été plus patient », songeait-il en pensée. « Et compréhensif. Et pas cet enfoiré de connard séduisant de merde... »

Passant une main dans sa nuque, l'autre dans son dos, Scorpius attira Albus près de lui. Il sentait la texture de ses cheveux fins entre ses doigts, qu'il avait rêvé de toucher depuis qu'il l'avait revu... Il sentait ses lèvres contre les siennes, et sa langue qui, finalement, passée la surprise, vint jouer avec la sienne.

Albus finit par se détendre entre ses doigts. Il passa à son tour ses bras autour de lui pour répondre à son étreinte, les amener plus près... Scorpius perçut alors l'anticipation le brûler de part en part. Perché sur le comptoir, Albus l'enserrait de ses cuisses, pressant leurs désirs l'un contre l'autre...

Scorpius finit par abandonner ses lèvres pour embrasser son cou. Livré tout entier à ce qu'il faisait, il libéra une de ses mains pour caresser Albus à travers l'épaisseur du tissu, et frémit lorsqu'il sentit le jeune homme s'abandonner à lui, soupirer et se tendre, cramponné à ses épaules... Scorpius déboutonna son jean, puis passa outre son sous-vêtement. Sous ses doigts, Albus semblait à mi-chemin entre la reddition et la stupéfaction totale. Il laissait Scorpius le toucher sans réellement croire à ce qu'il lui arrivait. Il semblait attendre la suite, incapable de croire à ce qui se produisait, curieux de voir jusqu'où cela les conduirait...

Scorpius n'avait pas l'intention de le décevoir. Attirant un peu plus Albus contre lui, il le fit descendre du comptoir, fit glisser une bonne fois pour toute jean et sous-vêtement et s'occupa également des siens. Alors, il retourna Albus et se pressa contre lui, une main agrippant la sienne, l'autre suivant de lents va-et-vient pour lui arracher du plaisir, ces soupirs qu'il collectait comme une victoire...

A moitié affalé sur le comptoir, Albus se mit à onduler à sa rencontre, frôlant la peau nue de Scorpius qui ne cessait d'embrasser son cou, respirant son odeur... Il était impatient, et cela soutira à Scorpius un sourire de triomphe. Lâchant la main d'Albus, il entreprit de jouer avec lui, lentement, consciencieusement, suivant la courbure de ses fesses en le laissant mourir d'anticipation. En réponse, Albus laissa échapper un grognement de frustration. Alors Scorpius le toucha enfin, un doigt après l'autre, se satisfaisant des simples gémissements d'Albus à son contact. Et puis son propre désir le rattrapa : Albus était là, offert à lui, totalement décontenancé, mais offert, ébouriffé, le souffle court, délicieusement sexy et désirable, icône de l'indécence...

Scorpius le pénétra, là contre le comptoir, traversé par un courant électrique qui lui fit perdre la tête, et Albus s'agrippa au rebord jusqu'à ce qu'il le possède entièrement. Alors, joignant à nouveau sa main à la sienne, sans cesser ses va-et-vient de l'autre, Scorpius se mit à bouger, doucement d'abord, saisissant chaque sensation, chaque geste, chaque montée de plaisir. Il avait du mal à réaliser ce qui se passait, car son esprit était ailleurs : son esprit était là, tout contre Albus, avec lui, en lui, enveloppé par sa chaleur et l'odeur de son corps, son désir si dur entre ses doigts, par les aveux obscènes de ses lèvres...

Albus se laissa faire, totalement submergé par le mouvement qui s'accéléra peu à peu, livré tout entier à un plaisir aussi dévastateur qu'imprévu. Plusieurs baguettes tombèrent au sol dans la fougue de leurs élans. N'importe qui aurait pu entrer n'importe quand, mais ça n'avait aucune importance. Scorpius pénétrait Albus avec le sentiment d'assouvir un désir longuement refoulé, longuement anticipé, et la conscience même de ce qu'il était en train de faire l'excitait presque autant que le corps d'Albus sous le sien...

Finalement, dans un soupir absolument scandaleux, Albus jouit sous les doigts de Scorpius. Cela seul suffit à le libérer également, et tous deux restèrent un instant affalés sur le comptoir, totalement essoufflés, incapables de revenir de ce qu'ils venaient de vivre. Scorpius avait les jambes faibles, terrassé par un plaisir intense. Il fut néanmoins le premier à reprendre ses esprits. Il vit le tableau qu'ils formaient, lui et Albus : le comptoir saccagé, le pantalon sur les chevilles, sans même avoir pris le temps d'enlever le reste...

- Mon dieu mais qu'est-ce que c'était que ça ? s'exclama alors Albus en se redressant, moitié épuisé, moitié amusé.

Scorpius secoua la tête. Cela faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas laissé emporter à ce point-là... Comme toujours à l'issu d'une de ces pulsions incontrôlables, ses gestes lui semblaient irréels. Il remonta sobrement son jean sous le regard souriant d'Albus, qui lui lança :

- Tu as changé, dis-moi...

- Et toi tu n'as pas changé du tout, répliqua Scorpius. Tu n'as toujours pas besoin d'explication pour te taper le premier venu.

Albus rit, nullement vexé. Alors Scorpius déclara :

- J'ai toujours eu un sentiment d'inachevé entre nous deux, je crois. Maintenant au moins c'est fait. Tu éteindras en sortant.

Et il planta là Albus, montant les escaliers jusqu'à son appartement.

Resté seul au milieu de la boutique, à moitié dénudé, Albus se passa une main dans les cheveux. Il n'en revenait toujours pas de ce qui venait de se passer ni de la façon dont Scorpius l'avait laissé.

- Non mais c'est une blague..., s'entendit-il murmurer.

Ceci dit, la situation l'amusait. Il ne pouvait nier qu'il avait cherché Scorpius, qu'il l'avait approché, taquiné, sans jamais réel espoir de le faire céder, parce que Scorpius restait ce qu'il était après tout : un serpent froid... Et pourtant, voilà qu'il se trouvait là, un suçon dans le cou et couvert de sperme, encore rougi par l'orgasme...

Albus reprit ses esprits et se rhabilla. Par acquis de conscience, il remit un peu d'ordre dans la boutique, puis s'en alla, en laissant volontairement la lumière allumée. L'air froid de la nuit lui fit du bien, mit de l'ordre dans ses pensées. Passé le souvenir immédiat de cette aventure somme toute brutale, il réalisa qu'il était heureux de ce qui venait de se passer. Terriblement, stupidement heureux. Pas parce qu'il venait de vivre une des meilleures expériences de sa vie, non. Mais parce qu'il avait couché avec Scorpius.

Avec Scorpius.

Ce nom envahit ses pensées, avec son odeur, ses baisers, lui, et Albus le laissa faire, vaguement coupable, comme un prédateur qui consent à se laisser prendre au piège, rien qu'une fois...

La baguette de Sureau se rappelait à lui, enfoncée dans la poche de sa cape. Mais Albus n'y songeait presque plus. Qui avait besoin d'une baguette ? se disait-il. Je peux retourner voir Scorpius quand même.

Et Albus sourit de ce nouveau défi.

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